Question d'origine :
Bonjour,
Le musée Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières réalise actuellement des recherches sur le peintre stéphanois Edouard Dougy, ayant réalisé notamment un hommage à rimbaud et à son poème le bateau ivre. Une exposition de son œuvre a notamment eu lieu en 1982, à l’atrium de la part-Dieu à Lyon.
Auriez-vous des informations sur cet artiste à nous transmettre ?
Je vous remercie d’avance,
Cordialement,
Réponse du Guichet
bml_reg
- Département : Documentation régionale
Le 18/06/2019 à 14h08
Bonjour,
Malheureusement nos recherches sont demeurées pour l'essentiel infructueuses :
tout d'abord il semble que rien n'a été publié au sujet de cet artiste. Une recherche dans le catalogue de la BNF, nous révèle même qu'il n'existe pas de notice d'autorité pour cette personnalité. Nous n'avons pas eu plus de chance sur le catalogue collectif (CCFR).
De même, alors que l'Artrium publie régulièrement des catalogues consacrés à ses expositions, aucun d'eux ne concerne E. Dougy. Ceci dit, ceux dont nous disposons dans nos fonds sont datés d'après 1990, ce qui nous laisse à penser que dans les années 80, de tels catalogues n'étaient pas encore édités.
Le Bénézit, en revanche, contient une entrée pour cet artiste, qui nous apprend que le peintre est né le 29 janvier 1912 à St-Gengoux-le-Nationale en Saône-et-Loire, qu'il expose rarement, mais qu'il a participé au Salon des Artistes français à Paris en 1953, en plus d'expositions plus locales à Saint-Étienne, ville dans laquelle il séjourna. Sa peinture peut rappeler celle de Séraphine de Senlis par certains aspects, ce qui lui a valu, semble-t-il, le sobriquet de Séraphine de Lyon (son œuvre était notamment représentée dans la collection d'André Mure, fondateur de la Biennale d'Art contemporain).
Nous ne trouvons aucune mention de cet artiste dans les ouvrages consacrés aux collections des musées d'art contemporain de Lyon ou de Saint-Etienne.
Cependant, nous apprenons par le biais d'une question (Edouard Dougy) à laquelle nous avons précédemment répondu qu'on trouve dans un numéro de la revue
En cette seconde moitié du xx° siècle, l’enchantement est devenu une chose rare. Suffisamment rare pour que chacune de ses manifestations fasse grand bruit. Eh bien, on ne fait pas assez de bruit lorsque Edouard Dougy consent à nous montrer sa peinture, monde merveilleux où triomphe la lumière.
De plus, les manifestations de l'esprit ne courent pas les rues, sinon celles de l'esprit de lucre. Et la poésie, traquée, se réfugie au cœur de quelques-uns de ses amoureux, pour qui l’émerveillement devant la vie est une richesse qui ne craint ni les attaques extérieures ni les dévaluations.
Edouard Dougy est de ceux-là, et l’enchantement dans lequel nous plonge chacune de ses œuvres est une chose précieuse.
Né à Saint-Gengoux-le-National, il a gardé de sa Bourgogne natale, pays développé et évolué tôt dans l’histoire, la plénitude et la richesse de tempérament.
Devenu Stéphanois dès sa plus tendre enfance, il reste très attaché aux paysages et aux gens qui l’ont vu grandir, bien qu’il ne trouve la plénitude de ses moyens qu’à Montarcis, aux confins de la Loire et du Rhône, son refuge aux larges horizons.
L'ambiance de la ville ne lui est en effet pas favorable. Certes, il pourrait « aller à la nature », travailler dans la nature ; mais alors il se sent mieux aimer la nature que la peinture. Tandis que dans sa retraite rustique, il aime autant la peinture que la nature, l’une se retrouvant intimement dans l’autre.
L’essor de sa peinture date de l’époque où la Galerie STYLE permit aux Stéphanois de faire plus ample connaissance, de découvrir même, la peinture moderne, et contribua largement au démarrage ou à la consécration de plusieurs peintres de notre région.
De cette époque datent les premières émotions que nous valut sa peinture, nées de ses merveilleux et très poétiques paysages de neige, qui restent incontestablement un chef-d'œuvre, et où Dougy nous confiait son amour de la solitude qui réconforte l’âme et son besoin de recueillement. Il retrouvait là instinctivement le monde des grands primitifs, mais un monde où le réalisme cède sa place aux signes, comme l'arbre et la lumière, ces signes qui étaient pour lui l'essentiel de ses préoccupations.
Aujourd’hui, il porte un plus grand intérêt à la couleur pour sa valeur intrinsèque ; il se soucie également mieux de composition, bien que cet élément se soit toujours trouvé présent et solide par intuition. Sa technique s'améliore constamment, et il redécouvre, dans un travail assidu, tous les procédés, toutes les recettes qu’utilisaient les grands peintres. Son métier devient considérable.
Édouard Dougy peint par nécessité intérieure, pour s'exprimer, pour « crier » plastiquement ses sentiments. I] n’est pas l’esclave d’une école, d’une technique ou d’une mode. Il est lui-même, seul et grand : le type même du peintre qui met tout son être, toute son intelligence et toutes ses forces dans sa peinture qui est même plus qu'un moyen d’expression : un don de soi, sans fard ni compromis.
Quel que soit le thème de ses expositions, nous retrouvons toujours son imagination débordante de poésie et de rêve, sa passion acharnée à rechercher la pureté dans la solitude.
Il considère ses livres comme des amis ; il aime les avoir près de lui, à portée de la main, même s’il n’a pas le temps de les lire, de les consulter.
Ils sont très rattachés à sa peinture, car c’est des impressions nées de ses différentes périodes d'inspiration qu’il découvre de nouveaux amis, tels Francis JAMMES, PROUST, VALÉRY ou PEGUY entre autres.
Dougy travaille beaucoup et sa production est abondante, Il accumule les toiles, mais aussi les dessins au crayon où à la plume, voire les aquarelles, et hésite à livrer au public toutes ces merveilles, ce qui est fort dommage.
S’il expose peu, son atelier de Montarcis, dans la maison de ses parents où il se sent à l’aise, renferme des trésors insoupçonnés d’études et d'œuvres de toute nature.
Il participe plus volontiers à des expositions de groupes, fidèle en particulier à celles organisées par le Cercle des Lettres et des Arts ; mais il n’aime pas se sentir seul devant le public, dont l'indifférence équivaut pour lui à de l'hostilité. Il est gêné d’étaler ainsi sa vie intérieure, car pour cet homme dont la grandeur est engendrée par la sincérité et la simplicité, et qui vit pour sa peinture, l’essentiel n’est pas de paraître mais d’être.
La valeur du travail, comme le sort du travailleur, ce qui se rejoint en définitive, a été et reste dans sa vie une préoccupation essentielle.
Par sa peinture, E. Dougy affirme la primauté de l’homme et de son milieu naturel Sur une technique qui a tendance à devenir dévorante, et sur un monde scientifique qui est une menace permanente d’asservissement.
Ce peintre solide et sincère se soucie peu de sa réputation, Sa peinture n’est pas de celles qui sollicitent l’attention par leur caractère inaccoutumé ou exubérant.
Elle n’est pas non-figurative, ce qui, étant en dehors du courant de l’époque, en marge des tendances actuelles, la prive de tout mouvement de curiosité.
Elle n’est pas figurative non plus, du moins au sens où l’entendent les passionnés du « sujet » qui repoussent systématiquement toute recherche qui ne soit pas strictement matérialiste, et qui ne veulent bien reconnaître que l’on a peint des fleurs qu’à condition que l’on puisse croire en sentir le parfum « tellement elles sont vraies » !
Car, disent-ils, un peintre n’a pas besoin de penser, il n'a qu’à peindre, de même qu’un ouvrier n’a pas besoin de réfléchir à son travail, il n’a qu’à travailler !
Et pourtant, l’homme est avant tout un penseur, doté d’une intelligence et d’une volonté. Et que l’une soit parfois annihilée et l’autre habilement subjuguée ne change rien à l'affaire, Ou plutôt si! Cela prouve l'importance de leur pouvoir. Leur libre expression est indispensable pour réaliser toute vie intérieure.
Nous avons vu que la peinture de Dougy n’est pas non-figurative, parce qu’il se sert de l’objet, élément rattaché aux apparences extérieures, pour nous livrer son message intérieur. C’est un libre choix. Peindre n’est pas, pour lui, représenter servilement un objet, un lieu de prédilection, une anecdote.
Peindre est moyen d'expression, acte intrinsèquement abstrait, comme pour un musicien écrire de la musique est exprimer, par cette musique, à l’aide de rythmes, de formes, de « couleurs » et de nuances, des sentiments, un état d'âme, une ambiance intérieure qui part du cœur, passe par la tête, et aboutit à la main qui exécute le geste. Chez le peintre, l'esprit prend ces rythmes, ces lignes, ces couleurs, soit dans la mémoire, soit dans l'imagination constructive, ou bien encore les extrait de l'observation directe de la nature, mais comme l'abeille extrait l’essence de la fleur, prélevant le seul élément dominant et Sacrifiant ce qui n’est pas l'indispensable utile.
Dougy est un artiste intégral, et sa peinture est une sœur de la musique, vibration harmonieuse et profonde, richesse intense de l'esprit ; et l'image était juste, de ce journaliste qui écrivait un jour que dans ses paysages d'hiver « l’arbre et la neige se donnent un mutuel concert de clavecin ». L’impulsif Van Gogh ne disait-il pas : « Dans un tableau, je voudrais dire quelque chose de consolant comme une musique ! » Dans la peinture de Dougy, précisément, la couleur et la forme, comme une musique, nous réjouissent.
Il se défend avec vigueur de vouloir imiter la nature. Ce qui l’intéresse, c'est la lumière. Pour ceux qui connaissent bien le peintre, Dougy est synonyme de lumière. Non pas .celle qui joue, au gré des heures, dans la nature, mais celle, intérieure, qui fait rayonner le tableau, l’œuvre toute entière, qui devient en quelque sorte un hymne à la liberté à tel point qu’il me semble retrouver parfois dans ses toiles, par similitude d'émotion, le martèlement passionné de certaines pages de Beethoven.
Est-ce parce que l’on découvre chez Dougy plusieurs traits qui caractérisent le grand musicien :
— une identité complète entre la vie et l’œuvre,
— une intensité de conscience et de volonté mise à assurer, voire approfondir cette unité ?
Toujours est-il que l’on trouve chez lui comme chez Beethoven la même volonté farouche d'indépendance à tout prix. Dougy est, lui aussi, un homme qui pense. Il est également doué d’une remarquable sensibilité. Et dans sa vie ; comme dans son œuvre, l’homme qui sent est toujours au service de l’homme qui pense. I! pense à son œuvre et elle se trouve telle qu’il l’a pensée. L'action à laquelle il consacre sa vie, c’est la création picturale; la création de sa peinture à lui, qui ne peut pas ressembler aux autres.
Beethoven se voulait le créateur d’une œuvre dont l’impulsion entraîne les hommes à conquérir la joie dans la liberté : « Celui qui a compris ma musique, celui-là doit se faire libre de toutes les misères où les autres se traînent ».
Plus modestement peut-être, mais avec le même cœur, la peinture de Dougy atteint le même but. Il dit lui-même de sa peinture qu’elle est la recherche du bonheur vrai, près de la nature, à l’écart des calculs et des compromissions, à l’écart du tapage artificiel et vain.
Il aime la terre, la plaine, la colline, et la pierre, et la maison ; parce que cela existe et que cela est la vie. Et l’arbre qui cache la maison; et celui qui fait « chanter » la pierre. Tout cela est vivant. Cela est peinture.
Après l'arbre, la fleur est maintenant l’interprète de son imagination, le support de sa rêverie où la nature entière se retrouve dans des architectures à la fois soleils qui éclairent, et étoiles qui guident sa fureur créatrice.
Les fleurs de Dougy ne sont pas bouquets, mais feux d’artifices, illuminations-objets, poésies de papillons, essaims d’insectes-idées, jaillissement...
Le jaillissement d’un homme poète et lucide à la fois, isolé des hommes et soucieux de leur bonheur, de leur devenir, surtout pour ceux qui peinent, pour ceux qui luttent pour une humanité meilleure, pour une humanité qui serait rayonnante comme sa peinture.
Les fleurs pour lui ne sont que des prétextes à la libre expression de ce qu’il porte en lui. Car l'artiste véritable n’imite rien ; il manifeste un mode incommunicable qui est en lui, qui est lui, et dont il sent la nécessité de manifester.
Je crois utile d’ajouter qu'Edouard Dougy est un excellent camarade, un ami sincère, et un homme charmant. S’il se montre parfois méfiant à l'égard de ses semblables, c’est qu’il a gardé malgré lui l'empreinte de maints événements que le cours de l’histoire nous a infligés pendant le demi-siècle écoulé, lui qui aurait aimé pouvoir partager dans la paix le juste salaire et les bienfaits du travail et de la vraie fraternité.
Comment se fait-il alors qu'Edouard Dougy ne soit pas plus connu qu’il ne l’est, et que sa peinture ne soit pas plus largement appréciée, car elle n’est pas appréciée à sa juste valeur ? Sans doute sa modestie y participe-t-elle pour beaucoup. Mais aussi, et surtout, les choses qui doivent durer ne sont jamais celles qui sont largement répandues, mais celles qui sont discrètes, secrètes, intimidées par tout ce qui repose en elles.
Et la peinture de Dougy est faite pour durer ; la jeunesse qui s’y affirme plus éclatante d’année en année en est le signe le plus évident.
François MINJARD
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