Question d'origine :
Désolé de la confusion : j'ai deux questions séparées : l'une sur les livres de la renaissance et l'autre sur les exemplaires réglés ( qui se sont retrouvées à etre question et reponse !)
Cordialement
RD
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 12/06/2019 à 11h01
Bonjour,
Concernant la Renaissance en général, les découpages varient en fonction des historiens, et surtout des aires géographiques étudiées. De façon grossière, on peut estimer que la Renaissance court de la fin du XVe siècle au troisième quart du XVIe siècle. Elle est plus précoce dans la péninsule italienne, où le mouvement trouve ses racines. Si les mouvements intellectuels et artistiques de la Renaissance ont fortement influencé le livre, les découpages chronologiques de l’histoire du livre ne sauraient totalement correspondre à ceux de la période historique en général.
- Histoire de l’imprimerie à la Renaissance, quelques grandes dates -
La mise au point de l’imprimerie à caractères mobiles se fait à Mayence dans les années 1450. La diffusion dans les grands centres urbains d’Europe a lieu dans les années 1460-1470. Dans cette période, le modèle du livre imprimé demeure le livre manuscrit, tant pour sa mise en page, que pour les caractères utilisés, prenant modèle sur les écritures de l'époque. Entre 1470 et 1530, des codes propres au livre imprimé se mettent en place, se diffusent, et se standardisent. Le livre manuscrit en tant qu’édition tend à se marginaliser pour devenir un objet de luxe, dont les codes se maintiennent dans certaines éditions imprimées de luxe. Après 1530, les codes du livre imprimé sont, à quelques détails près, ceux des livres d’aujourd’hui. Des codes aujourd'hui bouleversés par ceux de l’édition numérique.
- Evolution de la typographie -
Pour vous répondre plus précisément concernant l’évolution de la typographie, domaine sur lequel la bibliographie est abondante, voici quelques éléments, à très grands traits. Les caractères gothiques, habituellement classés en trois « familles » (textura ou lettre de forme, rotunda ou lettre de somme, batârde), sont issus des écritures les plus utilisées pour les manuscrits au XVe siècle, et qui correspondent à des aires géographiques différentes (Saint-Empire germanique, Italie, France) et des types de livres différents (liturgiques, savants, littéraires). En parallèle de cette écriture dominante, dans les milieux humanistes du XVe siècle se diffuse un style d’écriture dit « humanistique », mélange de capitales romaines antiques et de minuscules en écriture caroline.
Ces deux écritures font l’objet de transcriptions typographiques. La lettre de forme dès Gutenberg, les autres gothiques dès les années 1460-1470, de même que l’écriture humanistique. Concernant cette dernière, les caractères gravés vers Rome par Conrad Sweynheym et Arnold Pannartz auront un tel retentissement qu’on nomme cette famille typographique les caractères « romains ». Ces caractères sont d’abord utilisés exclusivement pour les éditions de textes classiques latins. Le gothique est encore l’écriture « habituelle » de l’époque. Le « romain », issu de l’écriture humanistique, demeure une écriture de savant. Il faut attendre la fin du XVe siècle pour voir le « romain » se diffuser dans les textes en italiens, dont le fameux Songe de Poliphile est un exemple. Pour les textes en langue française, François 1er impulse une généralisation du romain qui s’observe vraiment à partir des années 1530. Dans l’empire germanique, des innovations dans les gothiques lui assurent une pérennité jusqu’au XXe siècle, et seuls les textes latins sont imprimés en romain.
Ainsi, après 1540, la majorité des textes tendent à être imprimés en caractères romains. Toutefois, ces dates de sont que des repères généraux : la diffusion des caractères romains n’est pas linéaire, elle dépend de l’habitude des clientèles, des choix et possibilités des imprimeurs, des aires géographiques et des types d’ouvrages. Ainsi les textes juridiques demeurent imprimés en gothiques rotunda jusque dans les années 1550.
C’est aussi, et surtout le cas des livres d’heures et des textes liturgiques en général (formulaires, bréviaires, missels), pour lesquels les caractères gothiques ne tendent à disparaître qu’après 1570 comme le précise le Dictionnaire encyclopédique du livre, à l’article « gothique » : « Après le concile de Trente, la révision du bréviaire et du missel engage les ateliers spécialisés à renoncer peu à peu à l’usage de la gothique de forme [autre nom de la textura] : à partir de 1570, l’emploi des caractères romains se généralise… ». Geoffroy Tory, que vous citez en exemple, est de formation humaniste, qui plus est dans les universités italiennes. Son art, aussi bien de graveur que de typographe, est très inspiré de l’antique. Sa proposition d’un livre d’heures en caractères romains fait date, en effet, mais ne suffit pas en elle-même à modifier intégralement la tradition fortement ancrée de livres de piété religieuse en caractères gothiques.
- La réglure –
La réglure désigne d’abord une « opération consistant à régler le papier (ou un support d’écriture tel que parchemin, vélin, etc.) […] La réglure permet au copiste ou à l’enlumineur d’un manuscrit de disposer dans la page le texte et le cas échéant l’image ou les images qui l’accompagnent. Elle détermine la mise en page du texte (et s’il y a lieu de l’image), et sa fonction ne se borne pas, loin de là, à guider la main du copiste dans le tracé de lignes d’écriture parfaitement droites. » (Dictionnaire encyclopédique du livre, déjà cité, article « réglure »). L’exposition virtuelle « Jean Fouquet. Peintre et enlumineur du XVe siècle » de la BnF, précise (dans Repères > L’art du livre > Le support ») : « Tracée dans les temps les plus anciens à la pointe sèche, elle le fut par la suite à la mine de plomb puis à l'encre, parfois même avec des encres de couleur, faisant entrer cet élément indispensable dans le domaine de la décoration. ».
Cet élément à la fois pratique et décoratif dans les livres manuscrits de la fin du Moyen-âge passera dans les livres imprimés d’abord pour la ressemblance avec le livre manuscrit, qui reste le modèle de référence du livre aux premiers temps de l’imprimé. Dans le livre imprimé, la réglure n’a toutefois plus aucune raison pratique, et elle est probablement réalisée après l’impression, afin de coller au texte imprimé. Dans ce cadre, elle tend à disparaître assez rapidement, pour n’être conservée dans les premières décennies du XVIe siècle que pour sa fonction décorative dans des exemplaires de luxe ou des types d’ouvrages très particuliers, auxquels on souhaitait donner un cachet particulier. Cet usage décoratif de la réglure semble cependant grandement marginal dès le milieu du XVIe siècle, même s’il demeure jusque dans les éditions bibliophiles du XXe siècle.
Pour plus d’information, concernant l’ensemble des sujets traités, je vous invite à consulter :
Yves Perrousseaux, Histoire de l’écriture typographique de Gutenberg au XVIIe siècle, La Fresquière : atelier Perrouseaux, 2005;
P. Fouché, D. Péchoin et P. Schuwer (dir.),Dictionnaire encyclopédique du livre, Paris : cercle de la librairie, 2002 : articles « gothique », « romain », « italique », « humane »;
Exposition virtuelle « Impressions premières », site web de la bibliothèque municipale de Lyon créé en 2016, à l’occasion de l’exposition éponyme;
Ulrich Johannes Schneider, Les arts du texte. La révolution du livre autour de 1500, Lyon : bibliothèque municipale de Lyon, 2016, disponible en vente à la bibliothèque de Lyon, vous permettra de creuser encore le sujet, et d’avoir de nouvelles pistes bibliographiques.
Concernant la Renaissance en général, les découpages varient en fonction des historiens, et surtout des aires géographiques étudiées. De façon grossière, on peut estimer que la Renaissance court de la fin du XVe siècle au troisième quart du XVIe siècle. Elle est plus précoce dans la péninsule italienne, où le mouvement trouve ses racines. Si les mouvements intellectuels et artistiques de la Renaissance ont fortement influencé le livre, les découpages chronologiques de l’histoire du livre ne sauraient totalement correspondre à ceux de la période historique en général.
- Histoire de l’imprimerie à la Renaissance, quelques grandes dates -
La mise au point de l’imprimerie à caractères mobiles se fait à Mayence dans les années 1450. La diffusion dans les grands centres urbains d’Europe a lieu dans les années 1460-1470. Dans cette période, le modèle du livre imprimé demeure le livre manuscrit, tant pour sa mise en page, que pour les caractères utilisés, prenant modèle sur les écritures de l'époque. Entre 1470 et 1530, des codes propres au livre imprimé se mettent en place, se diffusent, et se standardisent. Le livre manuscrit en tant qu’édition tend à se marginaliser pour devenir un objet de luxe, dont les codes se maintiennent dans certaines éditions imprimées de luxe. Après 1530, les codes du livre imprimé sont, à quelques détails près, ceux des livres d’aujourd’hui. Des codes aujourd'hui bouleversés par ceux de l’édition numérique.
- Evolution de la typographie -
Pour vous répondre plus précisément concernant l’évolution de la typographie, domaine sur lequel la bibliographie est abondante, voici quelques éléments, à très grands traits. Les caractères gothiques, habituellement classés en trois « familles » (textura ou lettre de forme, rotunda ou lettre de somme, batârde), sont issus des écritures les plus utilisées pour les manuscrits au XVe siècle, et qui correspondent à des aires géographiques différentes (Saint-Empire germanique, Italie, France) et des types de livres différents (liturgiques, savants, littéraires). En parallèle de cette écriture dominante, dans les milieux humanistes du XVe siècle se diffuse un style d’écriture dit « humanistique », mélange de capitales romaines antiques et de minuscules en écriture caroline.
Ces deux écritures font l’objet de transcriptions typographiques. La lettre de forme dès Gutenberg, les autres gothiques dès les années 1460-1470, de même que l’écriture humanistique. Concernant cette dernière, les caractères gravés vers Rome par Conrad Sweynheym et Arnold Pannartz auront un tel retentissement qu’on nomme cette famille typographique les caractères « romains ». Ces caractères sont d’abord utilisés exclusivement pour les éditions de textes classiques latins. Le gothique est encore l’écriture « habituelle » de l’époque. Le « romain », issu de l’écriture humanistique, demeure une écriture de savant. Il faut attendre la fin du XVe siècle pour voir le « romain » se diffuser dans les textes en italiens, dont le fameux Songe de Poliphile est un exemple. Pour les textes en langue française, François 1er impulse une généralisation du romain qui s’observe vraiment à partir des années 1530. Dans l’empire germanique, des innovations dans les gothiques lui assurent une pérennité jusqu’au XXe siècle, et seuls les textes latins sont imprimés en romain.
Ainsi, après 1540, la majorité des textes tendent à être imprimés en caractères romains. Toutefois, ces dates de sont que des repères généraux : la diffusion des caractères romains n’est pas linéaire, elle dépend de l’habitude des clientèles, des choix et possibilités des imprimeurs, des aires géographiques et des types d’ouvrages. Ainsi les textes juridiques demeurent imprimés en gothiques rotunda jusque dans les années 1550.
C’est aussi, et surtout le cas des livres d’heures et des textes liturgiques en général (formulaires, bréviaires, missels), pour lesquels les caractères gothiques ne tendent à disparaître qu’après 1570 comme le précise le Dictionnaire encyclopédique du livre, à l’article « gothique » : « Après le concile de Trente, la révision du bréviaire et du missel engage les ateliers spécialisés à renoncer peu à peu à l’usage de la gothique de forme [autre nom de la textura] : à partir de 1570, l’emploi des caractères romains se généralise… ». Geoffroy Tory, que vous citez en exemple, est de formation humaniste, qui plus est dans les universités italiennes. Son art, aussi bien de graveur que de typographe, est très inspiré de l’antique. Sa proposition d’un livre d’heures en caractères romains fait date, en effet, mais ne suffit pas en elle-même à modifier intégralement la tradition fortement ancrée de livres de piété religieuse en caractères gothiques.
- La réglure –
La réglure désigne d’abord une « opération consistant à régler le papier (ou un support d’écriture tel que parchemin, vélin, etc.) […] La réglure permet au copiste ou à l’enlumineur d’un manuscrit de disposer dans la page le texte et le cas échéant l’image ou les images qui l’accompagnent. Elle détermine la mise en page du texte (et s’il y a lieu de l’image), et sa fonction ne se borne pas, loin de là, à guider la main du copiste dans le tracé de lignes d’écriture parfaitement droites. » (Dictionnaire encyclopédique du livre, déjà cité, article « réglure »). L’exposition virtuelle « Jean Fouquet. Peintre et enlumineur du XVe siècle » de la BnF, précise (dans Repères > L’art du livre > Le support ») : « Tracée dans les temps les plus anciens à la pointe sèche, elle le fut par la suite à la mine de plomb puis à l'encre, parfois même avec des encres de couleur, faisant entrer cet élément indispensable dans le domaine de la décoration. ».
Cet élément à la fois pratique et décoratif dans les livres manuscrits de la fin du Moyen-âge passera dans les livres imprimés d’abord pour la ressemblance avec le livre manuscrit, qui reste le modèle de référence du livre aux premiers temps de l’imprimé. Dans le livre imprimé, la réglure n’a toutefois plus aucune raison pratique, et elle est probablement réalisée après l’impression, afin de coller au texte imprimé. Dans ce cadre, elle tend à disparaître assez rapidement, pour n’être conservée dans les premières décennies du XVIe siècle que pour sa fonction décorative dans des exemplaires de luxe ou des types d’ouvrages très particuliers, auxquels on souhaitait donner un cachet particulier. Cet usage décoratif de la réglure semble cependant grandement marginal dès le milieu du XVIe siècle, même s’il demeure jusque dans les éditions bibliophiles du XXe siècle.
Pour plus d’information, concernant l’ensemble des sujets traités, je vous invite à consulter :
Yves Perrousseaux, Histoire de l’écriture typographique de Gutenberg au XVIIe siècle, La Fresquière : atelier Perrouseaux, 2005;
P. Fouché, D. Péchoin et P. Schuwer (dir.),Dictionnaire encyclopédique du livre, Paris : cercle de la librairie, 2002 : articles « gothique », « romain », « italique », « humane »;
Exposition virtuelle « Impressions premières », site web de la bibliothèque municipale de Lyon créé en 2016, à l’occasion de l’exposition éponyme;
Ulrich Johannes Schneider, Les arts du texte. La révolution du livre autour de 1500, Lyon : bibliothèque municipale de Lyon, 2016, disponible en vente à la bibliothèque de Lyon, vous permettra de creuser encore le sujet, et d’avoir de nouvelles pistes bibliographiques.
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