Question d'origine :
Bonjour,
Je ne parviens pas à situer dans quels journal figure l'article de SAINTE-BEUVE du 15 novembre 1834, où il serait question d'un livre de Cyliani (Cf. Correspondance Générale de S-B, tome 1, lettre à Buloz N° 423.
Merci
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 27/05/2019 à 09h23
Bonjour,
Le 15 novembre 1834, Sainte-Beuve publie un article sur Balzac au sein de la série Poètes et romanciers modernes de la France. — XVI. M. de Balzac dans laRevue des Deux Mondes , période initiale, tome 4, 1834 (p. 440-458).
Sainte-Beuve dépeint Balzac "sous les traits d’un « magnétiseur », d’ « un alchimiste de la pensée » à la fois prestigieux, exubérant et pléthorique".
A la fin de cet article, il parle de Cyliani et de son livre "Hermès dévoilé, dédié à la postérité" qu'il commente en ces termes :
Un alchimiste de nos jours (car, de nos jours, il y a çà et là répandus et cachés un assez grand nombre d’alchimistes encore) a fait imprimer en 1832, chez Félix Locquin, rue Notre-Dame-des-Victoires, le récit de ses tribulations et de sa découverte, sous le titre d’Hermès dévoilé. L’auteur de ce récit, qui ne se nomme pas, est évidemment un homme vertueux, d’une parfaite bonne foi, sensible de cœur et pénétré de la vérité de ce qu’il raconte.
Nous citerons le début : « Le ciel m’ayant permis de réussir à faire la pierre philosophale, après avoir passé trente-sept ans à sa recherche, veillé au moins quinze cents nuits, éprouvé des malheurs sans nombre et des pertes irréparables, j’ai cru devoir offrir à la jeunesse, l’espérance de son pays, le tableau déchirant de ma vie, afin de lui servir de leçon, et en même temps de la détourner d’un art, etc. » en effet, l’honnête alchimiste, bien qu’il ait trouvé le secret de la transmutation, conserve jusque dans son triomphe un sentiments ! profond de son infortune passée, qu’il voudrait détourner les jeunes gens des périls de cette science hermétique, au moment même où il la leur dévoile obscurément.
Ses épreuves, pauvre homme ! furent grandement amères ; Bernard de Palissy n’en eut pas en son temps de si lamentables. Marié jeune, devenu père d’une nombreuse famille, l’alchimiste, qui ne se désigne lui-même que comme l’infortuné Ci...., dissipe la dot de sa femme, voit mourir de misère et de chagrin tous ses enfans ; mais il prend à toutes ces douleurs qui l’entourent une part de sympathie bien autrement active et humaine que Claës ; ce sentiment de bienveillance pour les hommes et de compassion pour les siens, qui se mêle à une si opiniâtre recherche, est un trait naturel que le romancier n’a pas assez deviné ni ménagé. Chaque ligne de ce petit écrit annonce un travailleur long-temps séquestré du monde, ignorant naïvement le train des choses, et en parlant avec une sorte d’enfoncé. Mais le plus louchant et le plus inimitable endroit est celui où il raconte sa découverte, et les sensations inouïes qui l’agitèrent sitôt que le mercure brilla fixé en or sous ses yeux. « Que ma joie fut vive et grande ! j’étais hors de moi-même, je fis comme Pygmalion, je me mis à genoux pour contempler mon ouvrage et en remercier l’Eternel. Je me mis à verser un torrent de larmes ; qu’elles étaient douces ! que mon cœur était soulagé ! Il me serait difficile dépeindre ici tout ce que je ressentais, et la position où je me trouvais. Maintes idées s’offraient à la fois : la première me portait à diriger mes pas près du roi-citoyen et à lui faire l’aveu de ma découverte ; l’autre, à faire un jour assez d’or pour former divers établissemens dans la ville qui me vit naître ; une autre idée me portait à marier le même jour autant de filles qu’il y a de sections à Paris, en les dotant ; une autre idée me portait à me procurer l’adresse des pauvres honteux, et à aller moi-même leur distribuer des secours à domicile. Enfin je commençai à craindre que ma joie ne me fit perdre la raison. Je sentis la nécessité de me faire violence et de prendre beaucoup d’exercice en me promenant à la campagne, ce que je fis pendant huit jours consécutifs. Il ne se passait pas quelques heures sans que j’ôtasse mon chapeau, et, levant les yeux au ciel, je le remerciais de m’avoir accordé un pareil bienfait, et je versais d’abondâmes pleurs [2]. Enfin je parvins à me calmer et à sentir combien je m’exposerais en faisant de pareilles démarches. Après avoir réfléchi mûrement, je pris la résolution de vivre au sein de l’obscurité sans éclat, et de borner mon ambition à faire des heureux en secret, sans me faire connaître. »
C’est le jeudi-saint 1831, à 10 heures sept minutes du matin, que l’alchimiste avait opéré seul la transmutation ; il a noté le jour et l’heure comme Dante et Pétrarque ont fait pour le jour et l’instant béni où ils virent leurs divinités, et la page que je viens de citer du bon alchimiste me semble presque rappeler en naïve allégresse certains passages de la Vita Nuova. L’alchimiste remit d’opérer la transmutation devant sa femme au lundi de Pâques ; il fit emplette d’une branche de laurier et d’une tige d’immortelle, pour lui annoncer dignement cette nouvelle heureuse ; toute cette conclusion domestique est pleine de simplicité, d’attendrissement et de sagesse : la réalité ici fait envie au roman. L’alchimiste, possesseur du merveilleux secret, vit de peu, répand les bienfaits sans bruit et se souvient de ses malheurs.
Belle leçon à nous tous poètes, romanciers et hommes ! Heureux qui, dans sa vie laborieuse et du fond mélangé de ses œuvres, sait réaliser un peu d’or pur ! qu’il se tienne satisfait de son sort et remercie les dieux !
Pour aller plus loin :
- Stéphane Vachon, « Sainte-Beuve et Balzac », RHLF, novembre-décembre 1999, p. 1209-1236.
- Labarthe Patrick, « Balzac et Sainte-Beuve, ou de l'inimitié créatrice », L'Année balzacienne, 2008/1 (n° 9), p. 7-23.
Bonne journée.
Le 15 novembre 1834, Sainte-Beuve publie un article sur Balzac au sein de la série Poètes et romanciers modernes de la France. — XVI. M. de Balzac dans la
Sainte-Beuve dépeint Balzac "sous les traits d’un « magnétiseur », d’ « un alchimiste de la pensée » à la fois prestigieux, exubérant et pléthorique".
A la fin de cet article, il parle de Cyliani et de son livre "Hermès dévoilé, dédié à la postérité" qu'il commente en ces termes :
Un alchimiste de nos jours (car, de nos jours, il y a çà et là répandus et cachés un assez grand nombre d’alchimistes encore) a fait imprimer en 1832, chez Félix Locquin, rue Notre-Dame-des-Victoires, le récit de ses tribulations et de sa découverte, sous le titre d’Hermès dévoilé. L’auteur de ce récit, qui ne se nomme pas, est évidemment un homme vertueux, d’une parfaite bonne foi, sensible de cœur et pénétré de la vérité de ce qu’il raconte.
Nous citerons le début : « Le ciel m’ayant permis de réussir à faire la pierre philosophale, après avoir passé trente-sept ans à sa recherche, veillé au moins quinze cents nuits, éprouvé des malheurs sans nombre et des pertes irréparables, j’ai cru devoir offrir à la jeunesse, l’espérance de son pays, le tableau déchirant de ma vie, afin de lui servir de leçon, et en même temps de la détourner d’un art, etc. » en effet, l’honnête alchimiste, bien qu’il ait trouvé le secret de la transmutation, conserve jusque dans son triomphe un sentiments ! profond de son infortune passée, qu’il voudrait détourner les jeunes gens des périls de cette science hermétique, au moment même où il la leur dévoile obscurément.
Ses épreuves, pauvre homme ! furent grandement amères ; Bernard de Palissy n’en eut pas en son temps de si lamentables. Marié jeune, devenu père d’une nombreuse famille, l’alchimiste, qui ne se désigne lui-même que comme l’infortuné Ci...., dissipe la dot de sa femme, voit mourir de misère et de chagrin tous ses enfans ; mais il prend à toutes ces douleurs qui l’entourent une part de sympathie bien autrement active et humaine que Claës ; ce sentiment de bienveillance pour les hommes et de compassion pour les siens, qui se mêle à une si opiniâtre recherche, est un trait naturel que le romancier n’a pas assez deviné ni ménagé. Chaque ligne de ce petit écrit annonce un travailleur long-temps séquestré du monde, ignorant naïvement le train des choses, et en parlant avec une sorte d’enfoncé. Mais le plus louchant et le plus inimitable endroit est celui où il raconte sa découverte, et les sensations inouïes qui l’agitèrent sitôt que le mercure brilla fixé en or sous ses yeux. « Que ma joie fut vive et grande ! j’étais hors de moi-même, je fis comme Pygmalion, je me mis à genoux pour contempler mon ouvrage et en remercier l’Eternel. Je me mis à verser un torrent de larmes ; qu’elles étaient douces ! que mon cœur était soulagé ! Il me serait difficile dépeindre ici tout ce que je ressentais, et la position où je me trouvais. Maintes idées s’offraient à la fois : la première me portait à diriger mes pas près du roi-citoyen et à lui faire l’aveu de ma découverte ; l’autre, à faire un jour assez d’or pour former divers établissemens dans la ville qui me vit naître ; une autre idée me portait à marier le même jour autant de filles qu’il y a de sections à Paris, en les dotant ; une autre idée me portait à me procurer l’adresse des pauvres honteux, et à aller moi-même leur distribuer des secours à domicile. Enfin je commençai à craindre que ma joie ne me fit perdre la raison. Je sentis la nécessité de me faire violence et de prendre beaucoup d’exercice en me promenant à la campagne, ce que je fis pendant huit jours consécutifs. Il ne se passait pas quelques heures sans que j’ôtasse mon chapeau, et, levant les yeux au ciel, je le remerciais de m’avoir accordé un pareil bienfait, et je versais d’abondâmes pleurs [2]. Enfin je parvins à me calmer et à sentir combien je m’exposerais en faisant de pareilles démarches. Après avoir réfléchi mûrement, je pris la résolution de vivre au sein de l’obscurité sans éclat, et de borner mon ambition à faire des heureux en secret, sans me faire connaître. »
C’est le jeudi-saint 1831, à 10 heures sept minutes du matin, que l’alchimiste avait opéré seul la transmutation ; il a noté le jour et l’heure comme Dante et Pétrarque ont fait pour le jour et l’instant béni où ils virent leurs divinités, et la page que je viens de citer du bon alchimiste me semble presque rappeler en naïve allégresse certains passages de la Vita Nuova. L’alchimiste remit d’opérer la transmutation devant sa femme au lundi de Pâques ; il fit emplette d’une branche de laurier et d’une tige d’immortelle, pour lui annoncer dignement cette nouvelle heureuse ; toute cette conclusion domestique est pleine de simplicité, d’attendrissement et de sagesse : la réalité ici fait envie au roman. L’alchimiste, possesseur du merveilleux secret, vit de peu, répand les bienfaits sans bruit et se souvient de ses malheurs.
Belle leçon à nous tous poètes, romanciers et hommes ! Heureux qui, dans sa vie laborieuse et du fond mélangé de ses œuvres, sait réaliser un peu d’or pur ! qu’il se tienne satisfait de son sort et remercie les dieux !
Pour aller plus loin :
- Stéphane Vachon, « Sainte-Beuve et Balzac », RHLF, novembre-décembre 1999, p. 1209-1236.
- Labarthe Patrick, « Balzac et Sainte-Beuve, ou de l'inimitié créatrice », L'Année balzacienne, 2008/1 (n° 9), p. 7-23.
Bonne journée.
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