Transgenre
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 14/05/2019 à 12h16
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Question d'origine :
Une personne aveugle peut-elle être transgenre, même si elle n'a jamais pu voir ce qui distingue un homme d'une femme ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 15/05/2019 à 14h54
Bonjour,
Commençons par un rappel de définition. D’après l’Encyclopédie critique du genre, « les trans’ sont des personnes qui ne se reconnaissent pas dans le sexe qui leur a été assigné à la naissance et entreprennent d’en changer. »
Or les catégories homme / femme ne sont pas seulement une différenciation biologique, elles ont aussi une dimension sociale forte :
« Labicatégorisation par sexe désigne le processus par lequel sont créées deux classes dissymétriques et mutuellement exclusives. Cette division des êtres humains en deux groupes pensés comme « groupes naturels » […], universels et anhistoriques prétend refléter une réalité biologique. Or de nombreux travaux, notamment à partir des années 1990, ont montré que la définition du sexe varie largement selon les cultures et les périodes étudiées […], et qu’elle ne repose pas systématiquement sur une stricte dichotomie. Ainsi, la conception selon laquelle la différence entre les catégories « femmes » et « hommes » est incommensurable, relevant d’un dimorphisme biologique, ne serait pas évidente, figée dans le temps et dans l’espace, mais propre aux sociétés occidentales modernes, et notamment depuis le XVIIIe siècle. Selon la langue et l’approche théorique utilisées, une myriade d’expressions forment des synonymes du terme « bicatégorisation » : en anglais, par exemple, les nombreuses critiques du système binaire sexe/genre parlent de « dualisme » [dualism] […] ou de « dimorphisme de genre » [gender dimorphism] […].
Entre sexe biologique et sexe social
Si les critiques féministes s’entendent pour remettre en question les rapports inégalitaires de genre, elles diffèrent sur la façon de penser le lien entre ces rapports et le sexe biologique. On peut identifier les quatre types de critique suivants.
1) Selon les féministes qu’on pourrait appeler différentialistes, la bicatégorisation serait une donnée biologique et un « invariant anthropologique […] qui instaurent un ordre naturel sur lequel viendrait s’ajouter l’ordre social, celui de l’inégalité entre les sexes. Selon elles, la critique politique doit se concentrer non pas sur la différence des sexes, condition universelle et nécessaire de l’altérité, mais sur la hiérarchisation qui en découle. Dans cette optique, le sexe biologique est une réalité naturelle qui précède le social – la catégorisation dualiste des humains – et fonde (sans la justifier) la domination masculine.
2) Un deuxième courant, celui qui formule les premières définitions du genre, souhaite rejeter une vision essentialiste de la différence des sexes en excluant du cadre théorique tout ce qui a trait à la « nature », domaine auquel les femmes ont été assignées. En distinguant le sexe – un donné biologique invariant – du genre – une construction sociale -, des féministes comme Ann Oakley [1972] ou Joan Scott [1988] ont paradoxalement entériné une vision naturalisante du sexe. Si ces auteures n’explicitent pas nécessairement un lien de causalité entre sexe et genre, la catégorie de genre, totalisant la part sociale du sexe, renvoie ce dernier à un espace biologique inquestionnable, et donc impensé. Or il ne suffit pas d’utiliser le mot genre pour se défaire de la question du sexe et de l’emprise de la bicatégorisation sur les corps.
3) Critiquant cette conception, les féministes matérialistes mettent elles en question la compréhension biologisante du sexe en montrant en quoi celui-ci, et non seulement le genre, relève d’un processus de catégorisation pleinement politique et social. Dans les années 1980-1990 émerge l’idée selon laquelle la division et la hiérarchie entre hommes et femmes (processus donc sociaux) façonnent la manière dont on conçoit la différence biologique entre les sexes et que, partant, le genre précède le sexe […]. Travaillant sur le corps comme lieu de la matérialisation des rapports de pouvoir, Colette Guillaumin affirme que « le corps est construit comme sexué » […]. Cette reformulation constructiviste de la notion de bicatégorisation permet ainsi de souligner que ce n’est pas seulement le genre, mais bien le sexe lui-même, dans sa matérialité corporelle […], qui est une construction sociale. Critiquant ce « constructivisme radical », Priscille Touraille leur reproche d’annuler les frontières entre sexe et genre au lieu de les repenser. Si, dans le langage ordinaire, le sexe des individus (défini selon la logique de bicatégorisation) est synonyme du sexe des corps eux-mêmes, des organes génitaux, Touraille soutient que les théories féministes, suivant les travaux en biologie, devraient les distinguer. Il s’agit ainsi d’admettre que si les corps ne sont pas, en eux-mêmes, sexués, ils n’en possèdent pas moins des traits sexuels attachés entre eux par des liens génétiques, variables dans l’histoire de l’évolution.
Ces débats théoriques autour des rapports entre sexe biologique et sexe social n’ont cependant pas permis d’interroger le « contenu scientifique du sexe biologique, à la fois en tant que description binaire de la sexuation des corps et construction socioculturelle de cette description » […]. Car, si la critique de la (bi)catégorisation est essentielle, il semble pourtant qu’ici la déconstruction de la binarité biologique du sexe relève davantage d’une arme théorique que d’une recherche empirique se penchant sur les modèles scientifiques qui la construisent. En dénonçant la bicatégorisation par sexe, en tant que construction discursive ou idéologique qui légitime la domination masculine, ces analyses échouent à examiner de quelle manière cette construction est élaborée et par quelles techniques elle travaille les corps.
4) A partir des années 1980 se développe un champ de recherche interdisciplinaire, peu connu dans le monde francophone avant les années 2000, qui prend pour objet d’étude les sciences – biologiques, médicales, psychologiques – de la « différentiation sexuelle ». Ces travaux, s’inscrivant dans les études féministes des sciences et des techniques [feminist science studies], ont été en grande partie initiés par des femmes biologistes. Mobilisant les outils de leur discipline, elles montrent que la binarité des sexes, loin d’être un « fait de nature », est un processus de bicatégorisation produit par les scientifiques. La critique ne prend pas la forme d’un rejet de la biologie, alors vue comme instrument de naturalisation du social, mais entend plutôt déconstruire l’évidence des « faits biologiques » liés au corps et à la différence des sexes […]. C’est dans ce champ, dans un « esprit réellement interdisciplinaire » […], que la conceptualisation et la critique de la bicatégorisation par sexe sont les plus abouties.
[…] En français, les mots « homme » et « femme » jouent sur unedéfinition à double face : biologique et sociale . Sur le versant biologique, ils sont parfaitement synonymes des mots « mâle » et « femelle ». Dans les sociétés occidentales contemporaines, le travail social de différenciation (corporelle, psychique) des individus en « hommes » et en « femmes » (le genre) repose tout entier sur la division mâle / femelle. Rien ne le montre mieux que le phénomène de l’intersexuation […] : un enfant qui ne peut être déclaré mâle ou femelle à la naissance met totalement en crise les procédures de socialisation des enfants en « garçons » et « filles ». Sans la déclaration du sexe, cette socialisation différenciée perd sa base. Travailler le dispositif du genre à la racine exige donc bien d’arraisonner la division mâle / femelle elle-même et le bienfondé notoire que représente cette catégorisation pour le sens commun, où elle apparaît tout aussi indiscutée qu’indiscutable.
L’épistémè commune nous enjoint en effet de penser que les « mâles » et les « femelles » sont des réalités qui transcendent le monde vivant : intemporelles et scientifiquement non problématiques […]. Pour tout le monde, les mâles et les femelles « existent » au même titre que les organes censés les différencier. Ces mots ne sont pas entendus comme le produit d’une classification par l’esprit humain. Dans une perspective épistémiologiquement plus avertie, ils apparaissent incontestablement comme le produit d’une classification. Mais ils représentent alors une classification de connaissance, neutre, descriptive, et donc scientifiquement pertinente. […]
Des catégories qui escamotent des réalités biologiques essentielles
La représentation commune des « mâles » et des « femelles » comme une « réalité biologique », ou comme capable de rendre compte au plus près d’une réalité biologique, est peu en prise avec les phénomènes biologiques réels. La pensée commune ne peut donc plus faire appel à ces catégories en se réclamant des sciences de la vie pour justifier la « nécessaire » division de la société en hommes et en femmes. Mâle / femelle ne sont pas des catégories qui aident à mieux penser la réalité des corps et des comportements. Ce sont des concepts en trompe-l’œil créés par un ordre social qui, lui, pour le coup, donne pour finalité aux individus de procréer et a besoin de ces catégories pour faire croire que procréer relèverait d’un impératif inscrit dans les corps. Cet ordre social que nous nommons aujourd’hui le genre donne au corps, surtout au corps dit « féminin », le sens unique de corps reproducteur ou de matrice ambulante […]. La preuve en est quecet ordre social, à des degrés divers, silencie, décourage, tabouise, condamne ou tout simplement empêche de penser comme légitimes et désirables toutes les formes de sexualité ayant pour finalité le plaisir […]. »
Pour une personne aveugle , les difficultés pour effectuer sa transition viennent essentiellement de l’accès limité aux informations sur le sujet, comme l’explique Emily Brothers, femme trans aveugle, dans une interview (en anglais), où elle explique que ce n’est que dans les années 90, une fois trentenaire, mariée et parente, qu’internet lui a permis de se renseigner sur le sujet, de commencer à envisager la possibilité d'une transition, et d’entrer en contact avec d’autres femmes trans à même de la soutenir.
Concernant les difficultés liées à son apparence (tenues, maquillage), le soutien de la communauté et des alliés est aussi très important.
Bonne journée.
Commençons par un rappel de définition. D’après l’Encyclopédie critique du genre, « les trans’ sont des personnes qui ne se reconnaissent pas dans le sexe qui leur a été assigné à la naissance et entreprennent d’en changer. »
Or les catégories homme / femme ne sont pas seulement une différenciation biologique, elles ont aussi une dimension sociale forte :
« La
Si les critiques féministes s’entendent pour remettre en question les rapports inégalitaires de genre, elles diffèrent sur la façon de penser le lien entre ces rapports et le sexe biologique. On peut identifier les quatre types de critique suivants.
1) Selon les féministes qu’on pourrait appeler différentialistes, la bicatégorisation serait une donnée biologique et un « invariant anthropologique […] qui instaurent un ordre naturel sur lequel viendrait s’ajouter l’ordre social, celui de l’inégalité entre les sexes. Selon elles, la critique politique doit se concentrer non pas sur la différence des sexes, condition universelle et nécessaire de l’altérité, mais sur la hiérarchisation qui en découle. Dans cette optique, le sexe biologique est une réalité naturelle qui précède le social – la catégorisation dualiste des humains – et fonde (sans la justifier) la domination masculine.
2) Un deuxième courant, celui qui formule les premières définitions du genre, souhaite rejeter une vision essentialiste de la différence des sexes en excluant du cadre théorique tout ce qui a trait à la « nature », domaine auquel les femmes ont été assignées. En distinguant le sexe – un donné biologique invariant – du genre – une construction sociale -, des féministes comme Ann Oakley [1972] ou Joan Scott [1988] ont paradoxalement entériné une vision naturalisante du sexe. Si ces auteures n’explicitent pas nécessairement un lien de causalité entre sexe et genre, la catégorie de genre, totalisant la part sociale du sexe, renvoie ce dernier à un espace biologique inquestionnable, et donc impensé. Or il ne suffit pas d’utiliser le mot genre pour se défaire de la question du sexe et de l’emprise de la bicatégorisation sur les corps.
3) Critiquant cette conception, les féministes matérialistes mettent elles en question la compréhension biologisante du sexe en montrant en quoi celui-ci, et non seulement le genre, relève d’un processus de catégorisation pleinement politique et social. Dans les années 1980-1990 émerge l’idée selon laquelle la division et la hiérarchie entre hommes et femmes (processus donc sociaux) façonnent la manière dont on conçoit la différence biologique entre les sexes et que, partant, le genre précède le sexe […]. Travaillant sur le corps comme lieu de la matérialisation des rapports de pouvoir, Colette Guillaumin affirme que « le corps est construit comme sexué » […]. Cette reformulation constructiviste de la notion de bicatégorisation permet ainsi de souligner que ce n’est pas seulement le genre, mais bien le sexe lui-même, dans sa matérialité corporelle […], qui est une construction sociale. Critiquant ce « constructivisme radical », Priscille Touraille leur reproche d’annuler les frontières entre sexe et genre au lieu de les repenser. Si, dans le langage ordinaire, le sexe des individus (défini selon la logique de bicatégorisation) est synonyme du sexe des corps eux-mêmes, des organes génitaux, Touraille soutient que les théories féministes, suivant les travaux en biologie, devraient les distinguer. Il s’agit ainsi d’admettre que si les corps ne sont pas, en eux-mêmes, sexués, ils n’en possèdent pas moins des traits sexuels attachés entre eux par des liens génétiques, variables dans l’histoire de l’évolution.
Ces débats théoriques autour des rapports entre sexe biologique et sexe social n’ont cependant pas permis d’interroger le « contenu scientifique du sexe biologique, à la fois en tant que description binaire de la sexuation des corps et construction socioculturelle de cette description » […]. Car, si la critique de la (bi)catégorisation est essentielle, il semble pourtant qu’ici la déconstruction de la binarité biologique du sexe relève davantage d’une arme théorique que d’une recherche empirique se penchant sur les modèles scientifiques qui la construisent. En dénonçant la bicatégorisation par sexe, en tant que construction discursive ou idéologique qui légitime la domination masculine, ces analyses échouent à examiner de quelle manière cette construction est élaborée et par quelles techniques elle travaille les corps.
4) A partir des années 1980 se développe un champ de recherche interdisciplinaire, peu connu dans le monde francophone avant les années 2000, qui prend pour objet d’étude les sciences – biologiques, médicales, psychologiques – de la « différentiation sexuelle ». Ces travaux, s’inscrivant dans les études féministes des sciences et des techniques [feminist science studies], ont été en grande partie initiés par des femmes biologistes. Mobilisant les outils de leur discipline, elles montrent que la binarité des sexes, loin d’être un « fait de nature », est un processus de bicatégorisation produit par les scientifiques. La critique ne prend pas la forme d’un rejet de la biologie, alors vue comme instrument de naturalisation du social, mais entend plutôt déconstruire l’évidence des « faits biologiques » liés au corps et à la différence des sexes […]. C’est dans ce champ, dans un « esprit réellement interdisciplinaire » […], que la conceptualisation et la critique de la bicatégorisation par sexe sont les plus abouties.
[…] En français, les mots « homme » et « femme » jouent sur une
L’épistémè commune nous enjoint en effet de penser que les « mâles » et les « femelles » sont des réalités qui transcendent le monde vivant : intemporelles et scientifiquement non problématiques […]. Pour tout le monde, les mâles et les femelles « existent » au même titre que les organes censés les différencier. Ces mots ne sont pas entendus comme le produit d’une classification par l’esprit humain. Dans une perspective épistémiologiquement plus avertie, ils apparaissent incontestablement comme le produit d’une classification. Mais ils représentent alors une classification de connaissance, neutre, descriptive, et donc scientifiquement pertinente. […]
La représentation commune des « mâles » et des « femelles » comme une « réalité biologique », ou comme capable de rendre compte au plus près d’une réalité biologique, est peu en prise avec les phénomènes biologiques réels. La pensée commune ne peut donc plus faire appel à ces catégories en se réclamant des sciences de la vie pour justifier la « nécessaire » division de la société en hommes et en femmes. Mâle / femelle ne sont pas des catégories qui aident à mieux penser la réalité des corps et des comportements. Ce sont des concepts en trompe-l’œil créés par un ordre social qui, lui, pour le coup, donne pour finalité aux individus de procréer et a besoin de ces catégories pour faire croire que procréer relèverait d’un impératif inscrit dans les corps. Cet ordre social que nous nommons aujourd’hui le genre donne au corps, surtout au corps dit « féminin », le sens unique de corps reproducteur ou de matrice ambulante […]. La preuve en est que
Concernant les difficultés liées à son apparence (tenues, maquillage), le soutien de la communauté et des alliés est aussi très important.
Bonne journée.
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