Question d'origine :
Bonjour,
Je suis en train de lire "Robinson Crusoé" et deux passages m'interpellent:
"Ainsi, moi, qui n'avais jamais trait une vache, encore moins une chèvre, qui n'avais jamais vu faire ni beurre ni fromage, je parvins, après il est vrai beaucoup d'essais infructueux, à faire très promptement et très adroitement et du beurre et du fromage, et depuis je n'en eus jamais faute."
Ne pensez-vous pas que Robinson "se la raconte"?
Admettons, bien qu'il ne sache pas du tout comment procéder, qu'il ait réussi à traire ses chèvres, cela ne suffit pas pour faire du fromage. Il doit certainement, m'a-t-on dit, zigouiller régulièrement un petit chevreau et récupérer son estomac qui contient les enzymes qui font cailler le lait. Mais puisqu'il n'y connaît rien, je ne pense pas qu'il procéda de cette manière. Vraiment, j'ai du mal à le croire: il fait très chaud sur son île et Robinson, habituellement si prolixe dès qu'il s'agit de décrire ses activités, ne s'étend pas sur le sujet. Qu'en pensez-vous?
"Après mille pensées désordonnées, comme un homme confondé, égaré, je m’enfuis à ma forteresse..."
Je ne trouve nulle part le mot "confondé".
Pourriez-vous m'éclairer sur ces deux points?
Merci
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 10/05/2019 à 10h36
Bonjour,
Concernant les enzymes qui solidifient le lait, la définition de la présure donnée par produits-laitiers.com vous donnerait raison :
« Pour plusieurs historiens, c’est au cours de la préhistoire que l’homme découvrit, en dépeçant les jeunes ruminants après la chasse, le procédé permettant de fabriquer le fromage : dans l’estomac des animaux, le lait avait formé une masse solide qu’il était possible de déguster et même de conserver. Le fromage était né ! Grâce à cette découverte, les hommes purent reproduire le processus et conserver longtemps l’aliment riche et périssable qu’est le lait. L’estomac des jeunes ruminants contient en effet une enzyme naturelle qui permet d’accélérer le caillage du lait et donc de le transformer en fromage : la présure.
Le coagulant laitier par excellence
Celle-ci est extraite du suc gastrique de la quatrième poche de l’estomac, appelée « caillette », des jeunes ruminants abattus avant sevrage (veaux surtout, mais aussi chevreaux et agneaux). C’est elle qui permet aux bêtes de digérer le lait. Une fois introduite dans le lait par le fromager, la présure entraîne une coagulation rapide : les protéines du lait s’amalgament et tombent au fond du récipient pour former le caillé. Celui-ci est couvert par la partie liquide restante, appelée lactosérum ou « petit-lait ». Ce caillé est ensuite traité selon diverses techniques (égouttage, moulage, salage, éventuellement cuisson, affinage…) pour donner les différentes variétés de fromage.
Une technique traditionnelle en Europe
Aujourd’hui encore, de nombreux fromages traditionnels à pâte pressée sont fabriqués avec de la présure animale. Il s’agit d’ailleurs d’une condition sine qua non pour obtenir une Appellation d’Origine Protégée (AOP) ou un Label rouge. Par ailleurs, le terme « présure » sur une étiquette implique d’ailleurs obligatoirement que celle-ci est d’origine animale. Mais cette technique n’est pas exclusive : il existe aussi un caillage plus lent réalisé avec des ferments lactiques (fromages frais et certains fromages à croûte fleurie ou lavée), ainsi qu’un caillage mixte qui mêle présure et ferments lactiques (fromages persillés et pâtes molles). Mais aujourd’hui, la technologie fromagère évolue, et les industriels savent faire du fromage avec des enzymes coagulantes d’origine microbienne. »
Et pas seulement microbienne : selon alimentarium.org, deux autres types de présure existent, « la chymosine recombinante obtenue grâce aux OGM (organismes génétiquement modifiés) et la présure végétale, issue des plantes. »
Robinson fut-il un pionnier de la microbiologie ? On peut en douter, bien que l’action du roman de Defoe commence dans les années 1650, quelques décennies après l’invention du microscope qui met en 1609 en évidence l’existence des micro-organismes ; on peut également exclure l’hypothèse d’un génie précoce en manipulation génétique. Se pourrait-il alors que le naufragé ait pu fabriquer de la présure végétale ?
« Parmi les plantes habituellement employées comme source de présure végétale on trouve : le Gaillet jaune (Galium verum), le chardon, l’artichaut et d'autres espèces du genre Cynara, l'ortie piquante (Urtica dioica) et le pommier Sodome (Calotropis procera). »
Selon tela-botanica.org le gaillet (également appelé caille-lait !) jaune ne se retrouve qu’en France et dans quelques zones frontalières, quant à l’artichaut, une précédente réponse nous a déjà amené à découvrir qu’à l’époque de Robinson, ce super-chardon créé par l’homme se diffusait sur une zone n’excédant pas les pays méditerranéen. Quant au pommier de Sodome, il est surtout « très commun dans les régions arides d'Afrique et du Moyen-Orient, en particulier dans les oueds. » (Source : doc-developpement-durable.org). Trouver de telles plantes « sur une île déserte sur la côte de l'Amérique, près de l'embouchure du grand fleuve Orénoque » au XVIIè siècle ? Nous en doutons.
La découverte plus ou moins accidentelle de la présure animale par Robinson en dépeçant un charmant petit chevreau nous semble en définitive le plus probable, notamment si on se réfère à la phrase précédant celle que vous citez, où Robinson dit se nourrir «non-seulement [de] la viande de [ses] chèvres, mais [de] leur lait ».
(Source: wikisource.org)
Voici en tout cas quelques documents qui pourraient vous intéresser dans la perspective où vous vous retrouviez un jour vous-même coincé sur une île déserte avec des chèvres :
-Le petit traité Rustica des fromages maison [Livre] / Caroline Guézille et Suzanne Fontaneau ; photographies d'Anthony Lanneretonne
-Guide des bonnes pratiques d'hygiène pour les fabrications de produits laitiers et fromages fermiers [Livre] / élaboré par Fédération nationale des éleveurs de chèvres et par la Fédération national...
-« Les fromages sans présure, ça existe ? » sur quiveutdufromage.com
Bonne journée.
Concernant les enzymes qui solidifient le lait, la définition de la
« Pour plusieurs historiens, c’est au cours de la préhistoire que l’homme découvrit, en dépeçant les jeunes ruminants après la chasse, le procédé permettant de fabriquer le fromage : dans l’estomac des animaux, le lait avait formé une masse solide qu’il était possible de déguster et même de conserver. Le fromage était né ! Grâce à cette découverte, les hommes purent reproduire le processus et conserver longtemps l’aliment riche et périssable qu’est le lait. L’estomac des jeunes ruminants contient en effet une enzyme naturelle qui permet d’accélérer le caillage du lait et donc de le transformer en fromage : la présure.
Celle-ci est extraite du suc gastrique de la quatrième poche de l’estomac, appelée « caillette », des jeunes ruminants abattus avant sevrage (veaux surtout, mais aussi chevreaux et agneaux). C’est elle qui permet aux bêtes de digérer le lait. Une fois introduite dans le lait par le fromager, la présure entraîne une coagulation rapide : les protéines du lait s’amalgament et tombent au fond du récipient pour former le caillé. Celui-ci est couvert par la partie liquide restante, appelée lactosérum ou « petit-lait ». Ce caillé est ensuite traité selon diverses techniques (égouttage, moulage, salage, éventuellement cuisson, affinage…) pour donner les différentes variétés de fromage.
Aujourd’hui encore, de nombreux fromages traditionnels à pâte pressée sont fabriqués avec de la présure animale. Il s’agit d’ailleurs d’une condition sine qua non pour obtenir une Appellation d’Origine Protégée (AOP) ou un Label rouge. Par ailleurs, le terme « présure » sur une étiquette implique d’ailleurs obligatoirement que celle-ci est d’origine animale. Mais cette technique n’est pas exclusive : il existe aussi un caillage plus lent réalisé avec des ferments lactiques (fromages frais et certains fromages à croûte fleurie ou lavée), ainsi qu’un caillage mixte qui mêle présure et ferments lactiques (fromages persillés et pâtes molles). Mais aujourd’hui, la technologie fromagère évolue, et les industriels savent faire du fromage avec des enzymes coagulantes d’origine microbienne. »
Et pas seulement microbienne : selon alimentarium.org, deux autres types de présure existent, « la chymosine recombinante obtenue grâce aux OGM (organismes génétiquement modifiés) et la présure végétale, issue des plantes. »
Robinson fut-il un pionnier de la microbiologie ? On peut en douter, bien que l’action du roman de Defoe commence dans les années 1650, quelques décennies après l’invention du microscope qui met en 1609 en évidence l’existence des micro-organismes ; on peut également exclure l’hypothèse d’un génie précoce en manipulation génétique. Se pourrait-il alors que le naufragé ait pu fabriquer de la présure végétale ?
« Parmi les plantes habituellement employées comme source de présure végétale on trouve : le Gaillet jaune (Galium verum), le chardon, l’artichaut et d'autres espèces du genre Cynara, l'ortie piquante (Urtica dioica) et le pommier Sodome (Calotropis procera). »
Selon tela-botanica.org le gaillet (également appelé caille-lait !) jaune ne se retrouve qu’en France et dans quelques zones frontalières, quant à l’artichaut, une précédente réponse nous a déjà amené à découvrir qu’à l’époque de Robinson, ce super-chardon créé par l’homme se diffusait sur une zone n’excédant pas les pays méditerranéen. Quant au pommier de Sodome, il est surtout « très commun dans les régions arides d'Afrique et du Moyen-Orient, en particulier dans les oueds. » (Source : doc-developpement-durable.org). Trouver de telles plantes « sur une île déserte sur la côte de l'Amérique, près de l'embouchure du grand fleuve Orénoque » au XVIIè siècle ? Nous en doutons.
La découverte plus ou moins accidentelle de la présure animale par Robinson en dépeçant un charmant petit chevreau nous semble en définitive le plus probable, notamment si on se réfère à la phrase précédant celle que vous citez, où Robinson dit se nourrir «
(Source: wikisource.org)
Voici en tout cas quelques documents qui pourraient vous intéresser dans la perspective où vous vous retrouviez un jour vous-même coincé sur une île déserte avec des chèvres :
-Le petit traité Rustica des fromages maison [Livre] / Caroline Guézille et Suzanne Fontaneau ; photographies d'Anthony Lanneretonne
-Guide des bonnes pratiques d'hygiène pour les fabrications de produits laitiers et fromages fermiers [Livre] / élaboré par Fédération nationale des éleveurs de chèvres et par la Fédération national...
-« Les fromages sans présure, ça existe ? » sur quiveutdufromage.com
Bonne journée.
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 10/05/2019 à 14h21
Bonjour,
Nous avons trop de respect pour Robinson pour penser une seule seconde que ce personnage se la raconte (du reste, n’est-ce pas le propre du roman de se la raconter ?).
D’ailleurs, mettons-nous dans sa peau quelques instants. Oui. Posons le décor : une île, un soleil autoritaire. Un dénuement total. Et lâchons le mot : une immense solitude. Immense. Robinson, c’est plus de vingt ans sur une île, après le naufrage fatidique. Vingt huit ans précisément. C’est long. On lui pardonnera alors aisément ses confusions lexicales, ses ratiocinations insulaires et surtout ses prédispositions à se la couler pas douce dans ce néant existentiel.
Robinson est un être en souffrance, il résonne en chacun de nous. Michel Tournier, grand robinsonphile, le défend bec et ongles dans cette nature privée d’humanité : c’est ça qui est incroyable dans le personnage de Robinson Crusoé, c’est qu’il parle à tous les hommes, quel que soit le point de vue sous lequel on l’observe : il y a le technicien et l’administrateur, il y a le colonisateur puis le poète, l’homme de l’île déserte, le philosophe de la solitude et il y a le lecteur de la Bible (…) Robinson Crusoé, c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde. ( …) Chacun se sent sur une île déserte, même dans un HLM.
Pas sûr que quiconque réponde à ce genre d’annonce spontanément :
« Prête île perdue dans les mers du Sud. Durée du séjour : 10220 jours environ. Sauvage à disposition (surtout le Vendredi). Situation idéale pour faire le point sur sa vie. A noter : vous serez face à la mer et face à vous-même. ».
La Bibliothèque de la Pléiade, gloire à ses éditeurs, a eu la sagesse de publier en 2018 le roman d'aventures de Daniel Defoe dans une traduction de Pétrus Borel, désigné sous la plume de Jean-Luc Steinmetz comme un "loyal intermédiaire".
Après une lecture assidue et parce que vous nous avez alerté, nous avons retrouvé le passage que vous citez à la page 212. Il n'est pas mention d'un Robinson confondé, mais bien d'un Robinson confondu et éprouvé. Gloire à Pétrus.
En définitive, Robinson peut produire tous les laits caillés du monde, être confondé à tout bout de page, il n’empêche que la fibre universelle de son histoire nous laissera toujours admiratif, simplement parce que son long périple sonde de façon éclatante notre misérable et néanmoins bouleversante humanité.
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