Les quartiers de logement social et l'excentrement
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 26/04/2019 à 20h31
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Question d'origine :
Bonjour cher guichet,
Je me demandais s'il est avéré ou non que certains quartiers de logement social tels qu'on en trouve dans les villes moyennes en France ont historiquement été construits loin des centre-villes pour des raisons politiques, plutôt que pour des raisons de disponibilités du foncier ?
Par exemple :
- Le quartier Champfleuri de Bourgoin-Jallieu, s'il reste accessible en temps raisonnable depuis le centre-ville, a été construit très au nord et relié par une voie rapide au centre alors qu'il reste encore aujourd'hui plein d'espace juste à l'ouest de celui-ci (une partie de la ville qui n'est pas cernée par les reliefs)
- La ZUP de Chambéry-le-Haut est difficilement accessible sans moyen de locomotion motorisé. Pourtant, Chambéry comporte beaucoup de secteurs de logement social accolés au centre-ville, mais ce quartier très dense a vraiment la situation d'un hameau enclavé.
A-t-on des documents qui donnent une raison ou une explication sur l'emplacement choisi pour ces quartiers ?
Au plaisir de te lire,
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 30/04/2019 à 09h55
Bonjour,
Voici ce que nous lisons dans Concevoir et construire des logements sociaux : batiments d'habitation collectifs de Michel Platzer :
« L’environnement urbain est un élément essentiel de la qualité vécue par tout locataire, d’un appartement locatif social comme d’un logement libre. Les quartiers défavorisés comptent des milliers de logements confortables, mais rejetés par leurs locataires alors qu’à l’inverse on trouve en centre-ville d’autres milliers de logements aux plans inadaptés, à l’acoustique incertaine, passoires thermiques aux cours étroites et aux pièces mal éclairées qui font souvent le bonheur de leurs occupants. La qualité urbaine peut compenser le déficit de qualité de l’appartement, le contraire n’est pas vrai.
L’histoire urbaine impose ses inégalités au logement social, que les OLS ne peuvent que partiellement compenser par une gestion adaptée :
- Les locataires des logements sociaux récents construits en site urbain central, notamment afin de répondre aux exigences de la loi SRU, cumulent les avantages : qualité du produit et qualité de l’environnement urbain ;
- A l’opposé, il existe encore des logements sociaux des années 1960, notamment du type Lopofa, de faibles surfaces, suroccupés et situés dans des quartiers difficiles. Leurs locataires cumulent les inconvénients ;
- Le logement social locatif est aussi largement concerné par les opérations de transformation urbaine, de « reconquête » des territoires abandonnés à la suite de la fermeture de grands sites industriels, portuaires, etc. Les locataires sont alors contraints de vivre en chantier urbain pendant des années, dans un environnement « en progrès »…
L’OLS, qui doit le meilleur service possible à ses locataires, est à la fois acteur et spectateur de l’évolution de la ville et doit construire pour demain tout en délivrant à ses locataires la qualité immédiate […]. »
De manière générale, une décision d’implanter une opération de logement social collectif dans un quartier ne peut se faire sans une validation politique :
«Logement social et gouvernance de la ville
Au-delà des multiples outils formels existants, toute nouvelle implantation d’un immeuble de logement social s’appuie en premier lieu sur un dialogue constructif avec les instances de la gouvernance urbaine […].
Bien avant les questions réglementaires et urbaines de PLU, de prospects ou d’alignement, la décision d’implanter une nouvelle opération de logement social collectif dans un quartier doit faire l’objet d’une validation politique. Il est essentiel pour l’OLS de mettre en place en amont de l’opération les échanges avec les responsables élus et les services techniques et de l’urbanisme des collectivités afin de vérifier la cohérence des démarches envisagées et la façon dont la nouvelle opération va s’insérer dans l’ensemble des évolutions à venir.
La volonté des élus, une donnée fondamentale
La motivation du maire est souvent la clé de voûte de la nouvelle opération locative sociale neuve. Une fois acquise, le travail technique, financier, social, mais aussi de communication avec les futurs voisins de l’opération – parfois atteints au sujet du logement social du syndrome « NIMBY » [« Not in my backyard », traduit l’opposition des résidents d’un quartier à un projet dont ils pensent subir les conséquences néfastes] -, peut se dérouler avec efficacité.
Si la ville concernée présente un taux de logement social inférieur aux exigences fixées oar la loi SRU (25% depuis 2012), l’OLS sera a priori bien accueilli, mais l’objectif de mixité peut aussi conduire à l’inverse à éviter la multiplication d’opérations sociales dans une même zone urbaine. Par ailleurs, l’OLS doit avoir à l’esprit que la croissance des logements sociaux d’une ville n’est pas seulement faite par le logement neuf, mais provient de trois sources convergentes […] :
- La construction de logements sociaux neufs
- La réhabilitation complète d’immeubles existants préalablement libérés
- L’acquisition d’immeubles existants occupés, auxquels le statut social est conféré.
[…] Seule la ville maîtrise sa programmation de logement social en intégrant de façon pluriannuelle ces trois dimensions, et il importe de vérifier que le locatif social neuf est bien opportun sur le terrain visé. »
Source : Concevoir et construire des logements sociaux : batiments d'habitation collectifs, Michel Platzer
Le quartier Champfleuri à Bourgoin-Jallieu et le quartier des Hauts de Chambéry dessiné par Jean Dubuisson sont tous les deux des grands ensembles construits dans les années 1960. Leur conception s’inscrit donc dans un contexte particulier, marqué par une crise profonde du logement :
« Au sortir de la guerre, la crise du logement est profonde, qu’il s’agisse du manque de logements ou bien de la qualité très médiocre d’une grande partie du parc immobilier. Et pourtant, la priorité n’est alors pas à la reconstruction des logements mais à la reconstruction de l’appareil productif. De ce fait, le ministère chargé du logement, le MRU (Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme), dispose de très peu de moyens et la crise du logement est toujours aussi grave dix ans plus tard, au milieu des années 1950.
Pendant ces dix années, le MRU a encouragé les acteurs privés et publics à la construction et a mené ses propres chantiers de construction. Il s’agissait au départ de chantiers modestes mais ils se révélèrent finalement très importants car c’est au cours de ces opérations que s’est élaborée la politique des grands ensembles qui s’est diffusée à partir du milieu des années 1950. Les programmes de construction expérimentaux du MRU, entre 1945 et 1958, avaient pour but de contribuer à l’effort de construction de la Nation mais aussi d’élaborer et de tester de nouveaux modèles de construction, plus rapides, moins chers et facilement reproductibles par le plus grand nombre possible d’entreprises de construction. Les logements ainsi construits devaient en outre être durables (environ une cinquantaine d’années) et modernes à tous points de vue (matériaux, modes de construction, normes de confort). Au cours de ces chantiers, le MRU est peu à peu passé des pavillons aux grands ensembles : il a peu à peu acquis une préférence pour les logements collectifs et industrialisés au détriment des logements individuels et traditionnels et a acquis la conviction qu’il était nécessaire de passer par de petites réalisations à des opérations de grande échelle. […]
Au cours de ces chantiers le ministère, amené à arbitrer entre des contraintes multiples, donna la priorité aux économies, à la rapidité et à l’expérimentation au détriment de la qualité des logements, qu’il s’agisse de leur confort, de leur sécurité, de leur longévité ou de leur adaptation aux besoins des familles. »
Source : Grands ensembles : intentions et pratiques (1850-1970) : rencontres urbaines de Mazier, novembre 2010, sous la dir. d'Annie Fourcaut et Patrick Harismendy
L’ouvrage cité ci-dessus donne notamment comme exemple Angers : « confrontée à une crise du logement plus grave que dans le reste du pays et [disposant] de vastes réserves foncières en périphérie de l’agglomération. C’est pourquoi le MRU y fit construire 1300 logements en à peine 6 ans. »
Toujours d’après l’ouvrage d'Annie Fourcaut et Patrick Harismendy, la qualité de l’emplacement et la facilité d’accès n’étaient que des considérations secondaires :
« Les grands ensembles constituent une réponse au problème majeur de logements. Ce premier constat mérite d’être ici rappelé pour souligner l’ambition du projet, qui ne considérait la question du transport que de façon secondaire et qui lui imposa donc des contraintes fortes. La première est leur localisation. Du fait de la charge foncière, de nombreux projets ont effectivement été bâtis en périphérie, notamment sur les plateaux dominants des villes qui s’étaient souvent développés dans le creux des vallées. »
Pour aller plus loin :
- Loger l'Europe : le logement social dans tous ses états Jean-Philippe Brouant, Darnica Czischke, Jean-Claude Driant... [et al.]
- Le logement en France, sous la direction de Pierre-François Gouiffès
Bonne journée.
Voici ce que nous lisons dans Concevoir et construire des logements sociaux : batiments d'habitation collectifs de Michel Platzer :
« L’environnement urbain est un élément essentiel de la qualité vécue par tout locataire, d’un appartement locatif social comme d’un logement libre. Les quartiers défavorisés comptent des milliers de logements confortables, mais rejetés par leurs locataires alors qu’à l’inverse on trouve en centre-ville d’autres milliers de logements aux plans inadaptés, à l’acoustique incertaine, passoires thermiques aux cours étroites et aux pièces mal éclairées qui font souvent le bonheur de leurs occupants. La qualité urbaine peut compenser le déficit de qualité de l’appartement, le contraire n’est pas vrai.
L’histoire urbaine impose ses inégalités au logement social, que les OLS ne peuvent que partiellement compenser par une gestion adaptée :
- Les locataires des logements sociaux récents construits en site urbain central, notamment afin de répondre aux exigences de la loi SRU, cumulent les avantages : qualité du produit et qualité de l’environnement urbain ;
- A l’opposé, il existe encore des logements sociaux des années 1960, notamment du type Lopofa, de faibles surfaces, suroccupés et situés dans des quartiers difficiles. Leurs locataires cumulent les inconvénients ;
- Le logement social locatif est aussi largement concerné par les opérations de transformation urbaine, de « reconquête » des territoires abandonnés à la suite de la fermeture de grands sites industriels, portuaires, etc. Les locataires sont alors contraints de vivre en chantier urbain pendant des années, dans un environnement « en progrès »…
L’OLS, qui doit le meilleur service possible à ses locataires, est à la fois acteur et spectateur de l’évolution de la ville et doit construire pour demain tout en délivrant à ses locataires la qualité immédiate […]. »
De manière générale, une décision d’implanter une opération de logement social collectif dans un quartier ne peut se faire sans une validation politique :
«
Au-delà des multiples outils formels existants, toute nouvelle implantation d’un immeuble de logement social s’appuie en premier lieu sur un dialogue constructif avec les instances de la gouvernance urbaine […].
Bien avant les questions réglementaires et urbaines de PLU, de prospects ou d’alignement, la décision d’implanter une nouvelle opération de logement social collectif dans un quartier doit faire l’objet d’une validation politique. Il est essentiel pour l’OLS de mettre en place en amont de l’opération les échanges avec les responsables élus et les services techniques et de l’urbanisme des collectivités afin de vérifier la cohérence des démarches envisagées et la façon dont la nouvelle opération va s’insérer dans l’ensemble des évolutions à venir.
La motivation du maire est souvent la clé de voûte de la nouvelle opération locative sociale neuve. Une fois acquise, le travail technique, financier, social, mais aussi de communication avec les futurs voisins de l’opération – parfois atteints au sujet du logement social du syndrome « NIMBY » [« Not in my backyard », traduit l’opposition des résidents d’un quartier à un projet dont ils pensent subir les conséquences néfastes] -, peut se dérouler avec efficacité.
Si la ville concernée présente un taux de logement social inférieur aux exigences fixées oar la loi SRU (25% depuis 2012), l’OLS sera a priori bien accueilli, mais l’objectif de mixité peut aussi conduire à l’inverse à éviter la multiplication d’opérations sociales dans une même zone urbaine. Par ailleurs, l’OLS doit avoir à l’esprit que la croissance des logements sociaux d’une ville n’est pas seulement faite par le logement neuf, mais provient de trois sources convergentes […] :
- La construction de logements sociaux neufs
- La réhabilitation complète d’immeubles existants préalablement libérés
- L’acquisition d’immeubles existants occupés, auxquels le statut social est conféré.
[…] Seule la ville maîtrise sa programmation de logement social en intégrant de façon pluriannuelle ces trois dimensions, et il importe de vérifier que le locatif social neuf est bien opportun sur le terrain visé. »
Source : Concevoir et construire des logements sociaux : batiments d'habitation collectifs, Michel Platzer
Le quartier Champfleuri à Bourgoin-Jallieu et le quartier des Hauts de Chambéry dessiné par Jean Dubuisson sont tous les deux des grands ensembles construits dans les années 1960. Leur conception s’inscrit donc dans un contexte particulier, marqué par une crise profonde du logement :
« Au sortir de la guerre, la crise du logement est profonde, qu’il s’agisse du manque de logements ou bien de la qualité très médiocre d’une grande partie du parc immobilier. Et pourtant, la priorité n’est alors pas à la reconstruction des logements mais à la reconstruction de l’appareil productif. De ce fait, le ministère chargé du logement, le MRU (Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme), dispose de très peu de moyens et la crise du logement est toujours aussi grave dix ans plus tard, au milieu des années 1950.
Pendant ces dix années, le MRU a encouragé les acteurs privés et publics à la construction et a mené ses propres chantiers de construction. Il s’agissait au départ de chantiers modestes mais ils se révélèrent finalement très importants car c’est au cours de ces opérations que s’est élaborée la politique des grands ensembles qui s’est diffusée à partir du milieu des années 1950. Les programmes de construction expérimentaux du MRU, entre 1945 et 1958, avaient pour but de contribuer à l’effort de construction de la Nation mais aussi d’élaborer et de tester de nouveaux modèles de construction, plus rapides, moins chers et facilement reproductibles par le plus grand nombre possible d’entreprises de construction. Les logements ainsi construits devaient en outre être durables (environ une cinquantaine d’années) et modernes à tous points de vue (matériaux, modes de construction, normes de confort). Au cours de ces chantiers, le MRU est peu à peu passé des pavillons aux grands ensembles : il a peu à peu acquis une préférence pour les logements collectifs et industrialisés au détriment des logements individuels et traditionnels et a acquis la conviction qu’il était nécessaire de passer par de petites réalisations à des opérations de grande échelle. […]
Au cours de ces chantiers le ministère, amené à arbitrer entre des contraintes multiples, donna la priorité aux économies, à la rapidité et à l’expérimentation au détriment de la qualité des logements, qu’il s’agisse de leur confort, de leur sécurité, de leur longévité ou de leur adaptation aux besoins des familles. »
Source : Grands ensembles : intentions et pratiques (1850-1970) : rencontres urbaines de Mazier, novembre 2010, sous la dir. d'Annie Fourcaut et Patrick Harismendy
L’ouvrage cité ci-dessus donne notamment comme exemple Angers : « confrontée à une crise du logement plus grave que dans le reste du pays et [disposant] de vastes réserves foncières en périphérie de l’agglomération. C’est pourquoi le MRU y fit construire 1300 logements en à peine 6 ans. »
Toujours d’après l’ouvrage d'Annie Fourcaut et Patrick Harismendy, la qualité de l’emplacement et la facilité d’accès n’étaient que des considérations secondaires :
« Les grands ensembles constituent une réponse au problème majeur de logements. Ce premier constat mérite d’être ici rappelé pour souligner l’ambition du projet, qui ne considérait la question du transport que de façon secondaire et qui lui imposa donc des contraintes fortes. La première est leur localisation. Du fait de la charge foncière, de nombreux projets ont effectivement été bâtis en périphérie, notamment sur les plateaux dominants des villes qui s’étaient souvent développés dans le creux des vallées. »
- Loger l'Europe : le logement social dans tous ses états Jean-Philippe Brouant, Darnica Czischke, Jean-Claude Driant... [et al.]
- Le logement en France, sous la direction de Pierre-François Gouiffès
Bonne journée.
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