Question d'origine :
Bonjour,
Je travaille sur une biographie d'un personnage ayant demeuré dans la rue des Filatiers à Toulouse. Cet homme s'est installé dans cette rue quatre ans après cette triste affaire Calas. Je souhaiterais savoir ce qu'est devenue la boutique de Jean Calas dans les quelques années qui on suivi cette affaire. A cette époque, que pratiquaient les autorités quand les propriétaires d'un local professionnel devenait inopérant à cause d'exécution capitale et d'incarcération de la famille.
Merci.
Meilleures salutations
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 24/04/2019 à 14h32
Bonjour,
Nous n’avons pas trouvé de réponse exacte concernant le devenir de la maison de Jean Calas dans les années qui suivirent l’affaire, mais nous avons trouvé des éléments susceptibles de vous intéresser.
Tout d’abord, sachez qu’avant la Révolution, il n’existant pas de code de loi appliqué à la France entière. La justice se rendait selon un droit local plus ou moins coutumier – plutôt plus dans les provinces du nord que du sud, où une forme de droit écrit, héritée du droit romain, était encore en usage. Nous savons ainsi qu’à Toulouse, à l’époque de l’affaire Calas, les peines infâmantes telles que la peine de mort ou les galères, ne donnaient pas lieu à la confiscation de tous les biens :
« La confiscation, en gros, n'a pas lieu dans les pays de droit écrit. Dans le ressort du parlement de Toulouse, on ne confisque que le tiers des biens. Ils reviennent à l'État après éventuel paiement des indemnités civiles. »
(Source : « Justice et criminalité au XVIIIème siècle : le cas de la peine des galères », article de Marc Vigie, disponible sur persee.fr)
Sur la maison de la famille Calas pendant l’instruction et après la condamnation, on trouve de nombreux détails dans le livre d’Athanase Coquerel, Jean Calas et sa famille , « étude historique d’après les documents originaux », disponible en téléchargement libre sur gallica.bnf.fr.
Il résulte de la consultation de cet ouvrage que, juste après l’arrestation de la famille Calas et pendant l’instruction, la maison resta tout bonnement ouverte à tous vents. Ce qui permit à des curieux désireux de mener leur propre enquête de faire des expériences sur la résistance de la porte où Marc-Antoine Calas s’était pendu :
« La maison étant ouverte, et quelques curieux y allant et venant, des jeunes gens replacèrent le billot sur les battants et se pendirent à la corde avec les mains; les battants restèrent fermes, et treize longs bouts de ficelle jetés; sur l'une des portes, d'où on les prenait quand on en avait besoin, ne furent pas dérangés, tant la porte demeurait immobile. Les soldats racontèrent que déjà ils avaient fait la même expérience, qui d'ailleurs se présentait d'elle-même à l'esprit. »
A ce moment-là, il semble régner un flou sur la propriété de la maison et la possible exploitation du commerce :
« D'après Court de Gébelin, dès le lendemain de l'arrestation, Louis Calas [un des fils de Jean Calas, un rupture avec sa famille] fit des démarches pour obtenir que la continuation du commerce de son père lui fut légalement confiée. Il n'y réussit pas. »
Des créanciers de toutes sortes se firent rapidement connaître. Entretemps, la maison avait été pour ainsi dire pillée :
« La position des Calas était en effet déplorable. Voici ce qu'il était advenu de leur très-modeste fortune, déjà fort diminuée, si ce n'est compromise par l'état de gêne où se trouvait, à cette époque, le commerce dans le midi de la France. Depuis le 13 octobre 1761 jusqu'au supplice de Calas, le 9 mars de l'année, suivante, le mobilier, les marchandises, tout ce que contenait la maison, fut laissé, sans inventaire ni scellés, sous la garde de neuf et bientôt de vingt soldats, c'est-à-dire à peu près au pillage.
[…]
Le jour même de l'exécution, pour assurer la confiscation des deux tiers prononcée dans l'arrêt de mort, outre l'amende et les dépenses, le receveur général des domaines et bois à Toulouse, G. de Mellié, requit la pose des scellés sur les effets et marchandises du supplicié. En même temps, les fermiers de la régie demandèrent, par une requête en forme, d'être autorisés à saisir ces biens. Une déclaration de 1729 les y autorisait, seulement à l'égard des religionnaires fugitifs. Ce n'était pas le cas, et ils n'obtinrent point la saisie qu'ils demandaient.
D'un autre côté, le 19 mars, les créanciers de Calas, c'est-à-dire les négociants avec lesquels il était en affaires, réclamèrent leurs droits. Aussitôt les capitouls intervinrent pour exiger le payement des frais de garde, à vingt hommes par jour, pendant cinq mois. Enfin Louis intervint de son côté, mais après la mort de son père, « suppliant humblement ses juges de lui accorder le privilège d'être payé avant tous autres créanciers. » Son père lui avait remis récemment un billet de 100 fr. sur un de ses débiteurs ; mais ce dernier, craignant d'avoir à payer deux fois, refusa de le faire avant la répartition de l'actif entre les créanciers. Louis ne manqua pas de redire que sa pension lui avait été allouée parce que feu son père « refusait de l'entretenir dans sa maison à cause dela religion catholique professée parle suppliant » ce qui eût été odieusement hors de propos, quand même ce n'eût été, en outre, matériellement faux (voy. plus haut, p. 57-62).
[…]
Les biens du Sr Galas ne consistent qu'en marchandises et en meubles.... Le négociant même qui a procédé à l'inventaire m'a assuré que leur valeur n'était que de 80 000 livres qui se trouvaient absorbées par les frais de justice, les dettes et par la dot de la femme. Ce négociant m'a même ajouté que les créanciers avaient formé opposition au scellé mis à la requête du fermier du domaine, afin d'éviter, s'ils le peuvent, que les biens soient vendus d'autorité de justice, ce qui augmenterait d'autant plus les frais et rendrait leur perte plus considérable ; mais leurs vues sont, si l'opposition est reçue, de les faire vendre aimablement et d'en prendre chacun au prorata de leurs créances. »
Ce dernier paragraphe semble indiquer que Jean Calas n’était peut-être pas propriétaire de sa maison. Nous n’avons pas pu vérifier cette information. A ce sujet, nous vous invitons à contacter les archives de Toulouse.
Ce que nous pouvons assurer en revanche, c’est qu’aucun membre de la famille ne retourna vivre dans la maison familiale : l’aîné des fils s’était suicidé, le second, Louis, avec rompu tout lien avec sa famille, les deux autres, Jean-Pierre et Donat, s’exilèrent à Genève, et leurs deux sœurs s’établirent à Paris, de même que leur mère :
« Mme Calas continua à vivre avec ses filles à Paris, où elle avait trouvé accueil et respect, loin des lieux, affreux pour elle, qu'avait ensanglantés le martyre de celui dont elle porta le deuil tant qu'elle vécut. »
Nous pouvons également affirmer que l’édifice resta un commerce, toujours selon Athanase Coquerel :
« Les Calas habitaient la maison n° 16, qui porte aujourd'hui le n° 50, dans la rue appelée aujourd'hui des Filatiers. La gravure placée en tête de ce chapitre est une réduction d'un dessin fait en 1845 par M. Ennemond Moquin. La maison, à cette époque, était encore telle que les Calas l'avaient habitée. La boutique contiguë à l'allée, et qui porte le nom de Lafond, était celle de Calas; l'autre, celle du tailleur Bou. L'allée, fort longue, aboutit à une petite cour, dont elle était séparée autrefois par une porte basse qui n'existe plus. Il suffit d'avoir vu les lieux pour comprendre qu'on aurait dû visiter avec le plus grand soin cette allée et cette cour, lorsqu'eut lieu l'arrestation des prévenus. »
Pour en savoir plus, nous vous invitons à contacter l’association Jean Calas, l’Europe nous regarde, qui a milité victorieusement pour la sauvegarde de la maison contre un projet de transformation en supérette de 2009 à 2017.
Pour aller plus loin :
-La fiche de la maison dans le répertoire des monuments historiques sur culture.gouv.fr
-« Pièces originales concernant la mort des Srs Calas », dossier à décharge réuni par Voltaire, numérisé et disponible sur univ-toulouse.fr
-Article sur les récentes mésaventures de la maison et entretien avec Claude Dupuy, de l’association « Jean Calas, l’Europe nous regarde » sur lejournaltoulousain.fr
Bonne journée.
Nous n’avons pas trouvé de réponse exacte concernant le devenir de la maison de Jean Calas dans les années qui suivirent l’affaire, mais nous avons trouvé des éléments susceptibles de vous intéresser.
Tout d’abord, sachez qu’avant la Révolution, il n’existant pas de code de loi appliqué à la France entière. La justice se rendait selon un droit local plus ou moins coutumier – plutôt plus dans les provinces du nord que du sud, où une forme de droit écrit, héritée du droit romain, était encore en usage. Nous savons ainsi qu’à Toulouse, à l’époque de l’affaire Calas, les peines infâmantes telles que la peine de mort ou les galères, ne donnaient pas lieu à la confiscation de tous les biens :
« La confiscation, en gros, n'a pas lieu dans les pays de droit écrit. Dans le ressort du parlement de Toulouse, on ne confisque que le tiers des biens. Ils reviennent à l'État après éventuel paiement des indemnités civiles. »
(Source : « Justice et criminalité au XVIIIème siècle : le cas de la peine des galères », article de Marc Vigie, disponible sur persee.fr)
Sur la maison de la famille Calas pendant l’instruction et après la condamnation, on trouve de nombreux détails dans le livre d’Athanase Coquerel, Jean Calas et sa famille , « étude historique d’après les documents originaux », disponible en téléchargement libre sur gallica.bnf.fr.
Il résulte de la consultation de cet ouvrage que, juste après l’arrestation de la famille Calas et pendant l’instruction, la maison resta tout bonnement ouverte à tous vents. Ce qui permit à des curieux désireux de mener leur propre enquête de faire des expériences sur la résistance de la porte où Marc-Antoine Calas s’était pendu :
« La maison étant ouverte, et quelques curieux y allant et venant, des jeunes gens replacèrent le billot sur les battants et se pendirent à la corde avec les mains; les battants restèrent fermes, et treize longs bouts de ficelle jetés; sur l'une des portes, d'où on les prenait quand on en avait besoin, ne furent pas dérangés, tant la porte demeurait immobile. Les soldats racontèrent que déjà ils avaient fait la même expérience, qui d'ailleurs se présentait d'elle-même à l'esprit. »
A ce moment-là, il semble régner un flou sur la propriété de la maison et la possible exploitation du commerce :
« D'après Court de Gébelin, dès le lendemain de l'arrestation, Louis Calas [un des fils de Jean Calas, un rupture avec sa famille] fit des démarches pour obtenir que la continuation du commerce de son père lui fut légalement confiée. Il n'y réussit pas. »
Des créanciers de toutes sortes se firent rapidement connaître. Entretemps, la maison avait été pour ainsi dire pillée :
« La position des Calas était en effet déplorable. Voici ce qu'il était advenu de leur très-modeste fortune, déjà fort diminuée, si ce n'est compromise par l'état de gêne où se trouvait, à cette époque, le commerce dans le midi de la France. Depuis le 13 octobre 1761 jusqu'au supplice de Calas, le 9 mars de l'année, suivante, le mobilier, les marchandises, tout ce que contenait la maison, fut laissé, sans inventaire ni scellés, sous la garde de neuf et bientôt de vingt soldats, c'est-à-dire à peu près au pillage.
[…]
Le jour même de l'exécution, pour assurer la confiscation des deux tiers prononcée dans l'arrêt de mort, outre l'amende et les dépenses, le receveur général des domaines et bois à Toulouse, G. de Mellié, requit la pose des scellés sur les effets et marchandises du supplicié. En même temps, les fermiers de la régie demandèrent, par une requête en forme, d'être autorisés à saisir ces biens. Une déclaration de 1729 les y autorisait, seulement à l'égard des religionnaires fugitifs. Ce n'était pas le cas, et ils n'obtinrent point la saisie qu'ils demandaient.
D'un autre côté, le 19 mars, les créanciers de Calas, c'est-à-dire les négociants avec lesquels il était en affaires, réclamèrent leurs droits. Aussitôt les capitouls intervinrent pour exiger le payement des frais de garde, à vingt hommes par jour, pendant cinq mois. Enfin Louis intervint de son côté, mais après la mort de son père, « suppliant humblement ses juges de lui accorder le privilège d'être payé avant tous autres créanciers. » Son père lui avait remis récemment un billet de 100 fr. sur un de ses débiteurs ; mais ce dernier, craignant d'avoir à payer deux fois, refusa de le faire avant la répartition de l'actif entre les créanciers. Louis ne manqua pas de redire que sa pension lui avait été allouée parce que feu son père « refusait de l'entretenir dans sa maison à cause dela religion catholique professée parle suppliant » ce qui eût été odieusement hors de propos, quand même ce n'eût été, en outre, matériellement faux (voy. plus haut, p. 57-62).
[…]
Les biens du Sr Galas ne consistent qu'en marchandises et en meubles.... Le négociant même qui a procédé à l'inventaire m'a assuré que leur valeur n'était que de 80 000 livres qui se trouvaient absorbées par les frais de justice, les dettes et par la dot de la femme. Ce négociant m'a même ajouté que les créanciers avaient formé opposition au scellé mis à la requête du fermier du domaine, afin d'éviter, s'ils le peuvent, que les biens soient vendus d'autorité de justice, ce qui augmenterait d'autant plus les frais et rendrait leur perte plus considérable ; mais leurs vues sont, si l'opposition est reçue, de les faire vendre aimablement et d'en prendre chacun au prorata de leurs créances. »
Ce dernier paragraphe semble indiquer que Jean Calas n’était peut-être pas propriétaire de sa maison. Nous n’avons pas pu vérifier cette information. A ce sujet, nous vous invitons à contacter les archives de Toulouse.
Ce que nous pouvons assurer en revanche, c’est qu’aucun membre de la famille ne retourna vivre dans la maison familiale : l’aîné des fils s’était suicidé, le second, Louis, avec rompu tout lien avec sa famille, les deux autres, Jean-Pierre et Donat, s’exilèrent à Genève, et leurs deux sœurs s’établirent à Paris, de même que leur mère :
« Mme Calas continua à vivre avec ses filles à Paris, où elle avait trouvé accueil et respect, loin des lieux, affreux pour elle, qu'avait ensanglantés le martyre de celui dont elle porta le deuil tant qu'elle vécut. »
Nous pouvons également affirmer que l’édifice resta un commerce, toujours selon Athanase Coquerel :
« Les Calas habitaient la maison n° 16, qui porte aujourd'hui le n° 50, dans la rue appelée aujourd'hui des Filatiers. La gravure placée en tête de ce chapitre est une réduction d'un dessin fait en 1845 par M. Ennemond Moquin. La maison, à cette époque, était encore telle que les Calas l'avaient habitée. La boutique contiguë à l'allée, et qui porte le nom de Lafond, était celle de Calas; l'autre, celle du tailleur Bou. L'allée, fort longue, aboutit à une petite cour, dont elle était séparée autrefois par une porte basse qui n'existe plus. Il suffit d'avoir vu les lieux pour comprendre qu'on aurait dû visiter avec le plus grand soin cette allée et cette cour, lorsqu'eut lieu l'arrestation des prévenus. »
Pour en savoir plus, nous vous invitons à contacter l’association Jean Calas, l’Europe nous regarde, qui a milité victorieusement pour la sauvegarde de la maison contre un projet de transformation en supérette de 2009 à 2017.
-La fiche de la maison dans le répertoire des monuments historiques sur culture.gouv.fr
-« Pièces originales concernant la mort des Srs Calas », dossier à décharge réuni par Voltaire, numérisé et disponible sur univ-toulouse.fr
-Article sur les récentes mésaventures de la maison et entretien avec Claude Dupuy, de l’association « Jean Calas, l’Europe nous regarde » sur lejournaltoulousain.fr
Bonne journée.
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