Les excréments au Moyen Âge/Renaissance
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 21/04/2019 à 18h55
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Question d'origine :
Comment étaient gérés les excréments au Moyen Âge jusqu'à la fin de la Renaissance?
Les grandes avancées technologiques par rapport à la matière fécale lors de cette période?
Au fond ces légendes disant que les plus grands guerrisseurs et créateurs de cosmétiques utilisaient ce genre de matières pour leurs préparations, est ce vrai?
Au fond étaient ils recyclés ou utilisés de la même manière qu'aujourd'hui? Avaient ils une consonance culturelle et religieuse particulière à cette époque?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 24/04/2019 à 08h20
Bonjour,
Au Moyen Age, la gestion des excréments et des déchets en général est à peu près inexistante dans les villes, sauf pour les classes les plus aisées. Cela pose des problèmes de salubrité croissants qui ont pour conséquence dramatique l’arrivée de grandes épidémies :
«Le Moyen Âge : avènement d’une ère où l’insalubrité devient peu à peu problématique
Le Moyen Âge connaîtra un essor des déchets assez spectaculaire. Au début de cette période, les détritus ne posent aucun ou très peu de problèmes, ils sont encore peu nombreux dans les villes. Et dans les campagnes, « le résidu est matière fertilisante ou nourricière » (Lhuilier et Cochin, 1999, p. 19) : les déchets deviennent engrais ou sont mangés, en partie, par les cochons et les autres animaux domestiqués. « Intégré dans une économie rurale parcimonieuse, le reste fait retour dans le cycle écologique naturel » (Lhuilier et Cochin, 1999, p. 19). Cette situation ne dure pas. En effet, vers l’an 1 000, le commerce se développe attirant ceux qui vivent dans les campagnes et, conséquemment, la population des villes grossit, ce qui entraîne des problèmes sanitaires importants :
« Si des extraits de chroniques, des représentations iconographiques, des miniatures du Missel de Juvénal des Ursins, des Chroniques de Normandie, de la Vie de Saint Denis, n’avaient tendance à sublimer les rues, à les représenter pavées et luisantes de propreté, encadrées de maisons parfaitement alignées. La vision que nous allons donner des chaussées est plus proche des “cloactes infects” que des pavés presque point souillés de taches de boue… tout à fait unis, propres et nets que donne un certain Jean de Jandrun dans sa description de Senlis »(Leguay, 1999, p. 6).
L’insalubrité de la ville moyenâgeuse est au reflet des noms de certaines rues, de certaines places des villes françaises telles que « ruelles Sale ou du Bourbier » de Rouen ou la « place Marcadal de Lourdes, dont le nom vient de Marcadaladosa ou quartier fangeux » (Leguay, 1999, p. 7). Les citadins ont rapidement lié les immondices aux odeurs et aux risques que ces amas d’ordures génèrent, ces associations se retrouvent dans le vocabulaire de l’époque, par exemple « vilenie et ordure » (Leguay, 1999, p. 8). Pourtant, un paradoxe existe puisqu’en dépit du lien fait entre immondices et risques, la gestion de la salubrité ne semble préoccuper personne. Les citadins se débarrassent de leurs détritus en les abandonnant dans un coin : la « saleté appelle en quelque sorte la saleté et il existe des lieux où l’on déverse les ordures de préférence : des espaces vides, par exemple les limites entre propriétés, des terrains vagues, des ruines, etc. » (Ballet et al., 2003, p. 129). En outre, les citadins doivent cohabiter avec des animaux ; les caprins, les ovins qui ne sont que de passage, les animaux errants, mais également les volailles ou les porcs qui sont élevés dans l’enceinte des villes. Ce phénomène heurte la vue, l’ouïe et l’hygiène et engendre des risques d’épidémies. Certains, inquiets et dérangés par cette présence, veulent voir disparaître ces animaux de l’enceinte des villes, mais cela est compliqué au regard des intérêts et […] des difficultés d’application surtout quand les détenteurs appartiennent à la haute société » (Leguay, 2002, p. 162). Par ailleurs, les porcs semblent être les seuls capables d’engloutir les immondices, ils jouent le rôle de nettoyeurs, d’éboueurs. Les paysans se réjouissent également de ces dépôts de déchets qu’ils récupèrent pour les transformer en engrais. La pollution des villes moyenâgeuses atteint également l’eau puisque, d’une part les « eaux résiduelles sont tout naturellement évacuées sur le pavé ou dans les rivières » (Leguay, 1999, p. 27) et, d’autre part, les habitants des cités jettent leurs déchets dans les rivières, quand bien même certains citadins boivent l’eau de la Seine.
Comme pour la gestion des déchets, celle des excréments ne pose pas de problème dans les campagnes où les habitants sont moins nombreux qu’en ville. En revanche, les cités médiévales ne parviennent pas à les gérer efficacement. Des latrines publiques existent dans les villes, telles que Rouen, Amiens, Agen, mais elles sont trop peu nombreuses (Pernoud, 1981). Il semble d’ailleurs que ces installations aient quasiment disparu avec la chute de l’Empire romain. Par conséquent, les individus satisfont leurs besoins comme ils le peuvent. Dans certaines villes, des quartiers et des rues sont affectés à la défécation. Les moins aisés font leurs « besoins naturels à même le pavé » (Leguay, 1999, p. 16) ; les classes les plus riches défèquent dans leur jardin ou dans leurs latrines privés si leur maison en dispose ; c’est d’ailleurs un signe de richesse que de posséder ce confort au sein de sa propriété. Il semblerait que ce soit à Paris que se manifeste le confort maximal. Effectivement, « même des maisons d’artisans s’offrent le luxe de quatre sièges de latrines à chaque niveau d’habitation, reliés à des égouts » (Alexandre-Bidon et Lorcin, 2003, p. 131). Jean-Noël Biraben (1995) souligne quant à lui que les latrines privées sont des dispositifs communs au Moyen Âge : les maisons seraient presque toutes pourvues de w.-c. appelés « privés », « retraits » ou « longaignes ». Des latrines sont également à disposition des religieux et des rois, elles sont presque toujours présentes dans les monastères, dans les couvents et dans les châteaux féodaux. Les excréments se déversent, la plupart du temps, dans une fosse d’aisance, creusée dans la cave, à même le sol. On l’assainit de temps à autre avec la cendre de bois de la cheminée. Elle n’est curée que rarement lorsqu’elle déborde. Dès 1300, deux voiries, Montfaucon et Saint-Marcel, sont principalement affectées aux vidanges (Biraben, 1995). D’autres systèmes que les latrines sont testés au Moyen Âge. C’est le cas du puisard : il s’agit d’un trou de faible profondeur, les déjections s’infiltrent alors dans la terre. Les cours d’eau qui traversent les villes permettent également aux habitants de satisfaire leurs besoins naturels. Enfin, la coutume du « tout-à-la-rue » (Guerrand, 1985, p. 17) reste très utilisée : les citadins ne se gênent pas pour jeter par la fenêtre le contenu de leurs pots de chambre. Cette habitude contribue d’ailleurs à la formation d’une boue épaisse et immonde dans les rues des villes. Émile Zola (1992) dans son roman La Terre décrit parfaitement cette habitude médiévale : « Par la fenêtre ouverte, de l’ordure venait d’être jetée à pleine main. Une volée de merde ramassée au pied de la haie » (p. 190).
Les premières mesures de salubrité pour l’espace public
L’image de la ville moyenâgeuse est une ville où la saleté règne partout, dans laquelle la puanteur est innommable et l’hygiène déplorable, ce qui offre un terrain propice à la prolifération des maladies. Dominique Lhuilier et Yann Cochin (1999) décrivent parfaitement cette situation :
« Les rues des villes médiévales, non pavées, étroites et tortueuses étaient jonchées d’eaux croupies, chargées de détritus, d’ordures ménagères faisant les délices des chiens et des porcs, et d’excréments humains et animaux. Dans la plupart des quartiers n’existaient ni latrines, ni fosses d’aisance et le “tout-à-la-rue” précédait le “tout-à-la-rivière”. Les rivières sont polluées et la qualité de l’eau est alors plus que médiocre. L’odeur des villes est terriblement nauséabonde » (p. 20).
Cyrille Harpet (1999) indique que c’est uniquement lorsque le souverain est touché par la souillure qu’une série de mesures en faveur d’une gestion des ordures est promulguée : « Tant que le roi n’est point touché, la ville s’accommode de ses miasmes et excréta, de ses boues et immondices. Dès lors que la souillure vient entacher la parure souveraine et amoindrir son degré de “pureté”, il s’agit de faire de l’incident un événement, de l’événement une inauguration » (p. 215).
En France, c’est Philippe Auguste, le premier roi qui, suite à un épisode anecdotique, veut régler le problème de l’amoncellement des ordures et des boues dans la capitale française : « Rigord, le chroniqueur de la cour, raconte qu’un jour de l’An de grâce 1184, le roi fut incommodé à la fenêtre de son palais, par la puanteur qu’exhalait la boue. Il fit alors mander le prévôt ainsi que les bourgeois et leur commanda le pavage de toutes les rues et voies de Paris » (De Silguy, 1996, p. 19). Paver les rues apparaît alors comme une nécessité tant sociale qu’économique. Ces pavés doivent permettre de lutter contre les nuisances engendrées par le développement des villes. Il est nécessaire de protéger la voirie, de la rendre plus accessible aux riverains, de « faciliter le passage des animaux de bât et des véhicules hippomobiles de toute dimension » (Leguay, 1999, p. 79). Mais il faut également rendre la ville plus jolie. Philippe Auguste ordonne également la création de canaux et de fossés centraux pour désencombrer certains quartiers. « De cette première manifestation du pouvoir central à l’encontre de l’immondice naquit le “carreau du roi”, les deux seules artères principales qui furent pavées » (Gouilliard et Legendre, 2003, p. 13). Cette action est la première d’« une longue série de décisions et d’arrêtés royaux qui ne se concrétiseront pas ou peu » (Gouilliard et Legendre, 2003, p. 13). Au fil du temps et des rois, les riverains, principalement soucieux de leur survie alimentaire, sont contraints de devenir plus respectueux de leur environnement ; ils doivent « enlever les boues et immondices des chaussées » (De Silguy, 1996, p. 19), déposer leurs ordures à l’extérieur de la ville. Mais les citadins se lassent de ces nouvelles règles et cessent de se charger de ce qu’ils considèrent ne pas être de leur ressort. En 1343, Charles V commande de construire des fossés couverts où chaque habitant doit venir déverser ses immondices. Ces réceptacles sont alors censés couvrir les odeurs qui sont devenues insupportables dans les villes. Georges Vigarello (1985) met en évidence que ces réformes, ou plutôt ces tentatives de réformes sont davantage un souci de désencombrement que de nettoyage. Sans doute, les dirigeants de l’époque veulent aller à l’essentiel et s’inquiètent avant tout de limiter l’amoncellement des ordures dans les villes médiévales plus que de laver leurs rues à grandes eaux. Mais ces évacuations d’ordures sont rendues difficiles par l’absence de pavés sur les chaussées et l’étroitesse des rues. Les habitants sont alors enrôlés dans cette tâche. Cependant, ils ne jouent pas le jeu et continuent de déverser leurs ordures où ils en ont envie : ils refusent de faire le travail de ceux que l’on n’appelle pas encore éboueurs.
Une insalubrité aux conséquences dramatiques
Ce manque d’hygiène et cette insalubrité contribuent à la propagation d’épidémies qui s’étendent à toute l’Europe. Catherine de Silguy (1996) précise que « La peste noire fut particulièrement meurtrière faisant des millions de victimes en Europe entre 1346 et 1353. La coqueluche frappa aussi » (p. 20). Cette maladie rencontre assurément un terrain favorable pour se développer : les populations n’ont pas d’anticorps contre cette variante du bacille de la peste, les guerres et les famines sont fréquentes, les rats prolifèrent, les déchets ne sont pas traités. En novembre 1347, la peste « attaque » la France. L’Angleterre est touchée en juin 1348. Le 20 août 1348, elle se déclare à Paris et fait 50 morts quotidiennement. Tous voient leurs villes et leurs pays dévastés par les épidémies, toutefois, peu d’habitants parviennent à faire le lien entre l’insalubrité et la propagation de ces pestes. En dépit des suppositions de quelques médecins qui pensent que ces immondices jouent un rôle dans la multiplication des maladies, les résidents des villes préfèrent mettre en cause l’air nauséabond ou bien encore « des conjonctions astrologiques défavorables » (Zentner, 2001, p. 14). En 1348, pour faire face à ce fléau, le prévôt de Paris rédige une ordonnance sommant les Parisiens de balayer devant leur maison et de faire transporter les boues et les ordures aux endroits prévus : « Tombereaux, hotteurs et porteurs, tous prêts pour porter les dits gravois aux lieux accoutumez et quiconque sera trouvé faisant le contraire, sera tenu de payer au Roye notre sire dix sols d’amende » (De Silguy, 1996, p. 23). Malgré les menaces d’amende, les citadins ne suivent pas le règlement et continuent de décharger leurs détritus où ils le souhaitent, notamment dans la rue ou dans la Seine. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la nouvelle ordonnance défendant quiconque « de jeter dans le fleuve ou dans ses bras, de la boue et du fumier » (De Silguy, 1996, p. 23). Pourtant, bien que les menaces soient de plus en plus strictes, les fautifs ne sont aucunement intimidés et poursuivent leurs mauvaises habitudes ; de nouvelles épidémies allaient encore faire des ravages. »
Source : Marine Béguin, « L’histoire des ordures : de la préhistoire à la fin du dix-neuvième siècle », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 13 Numéro 3 | décembre 2013
Toujours d’après l’article de Marine Béguin, la Renaissance voit se succéder plusieurs mesures visant à assainir l’espace urbain, mais sans grand succès :
«XVIe et XVIIe siècle : l’art de « faire propre »
Une succession de réformes sans effet sur la salubrité des villes
Louis XII décide en 1506 « que la royauté se chargerait désormais du ramassage des immondices de la capitale et de leur évacuation. Le début de la Renaissance est donc marqué par la création d’un service d’enlèvement des boues, financé quelques années plus tard par le produit d’un impôt spécial » (De Silguy, 1996, p. 23). Les citadins ne sont alors plus contraints de se charger de leurs ordures, d’autres – les boueux – s’occupent de les faire disparaitre du « paysage » urbain. Néanmoins, les habitants n’adhèrent pas à cette réforme, car elle induit une redevance pécuniaire qu’ils ne sont pas prêts à régler. De plus, une nouvelle taxe s’ajoute rapidement à la première. Elle est destinée à pourvoir la capitale d’éclairage permettant de mettre au jour ceux qui profiteraient de la nuit pour déposer leurs immondices où ils le souhaitent. Elle prend le nom de « taxe des boues et des lanternes » (De Silguy, 1996, p. 24). Mais ces nouveaux impôts très impopulaires ne perdureront pas, l’ordonnance de 1506 est laissée à l’abandon.
En 1515, François Ier, successeur de Louis XII, émet de nouvelles idées nouvelles pour assainir Paris. Il propose d’utiliser des paniers pour déposer les ordures qui sont ensuite collectées par les boueux (Forot, 2007). En somme, cela s’apparente à un service organisé de collecte et de transport des ordures avec des hommes et des matériels spécifiquement dédiés à cette tâche. François Ier demande également aux riverains de balayer devant leurs maisons avant que les tombereaux ne passent. Enfin, le souverain exige que les animaux tels que les volailles et les porcs soient envoyés en dehors des villes. « Ainsi le XVIe siècle est celui d’un double mouvement : privatisation du déchet et prise en charge publique » (Lhuilier et Cochin, 1999, p. 21).
En 1562, la France doit faire face à une nouvelle épidémie de peste extrêmement virulente, elle fait plus de 20 000 morts rien qu’à Paris. Une ordonnance est alors rédigée stipulant : « L’obligation de balayer devant sa porte avant le passage des tombereaux et de mettre dans des paniers, les boues, les ordures et autres immondices. Désormais, une clochette avertissait les habitants de l’arrivée des boueux » (De Silguy, 1996, p. 24). De plus, une nouvelle taxe pour financer les dépenses de collecte et le transport des ordures est instaurée, cet impôt nécessite un recouvrement par un entrepreneur privé. Mais cette esquisse de privatisation ne sera que de courte durée, car les riverains sont toujours hostiles à payer pour le ramassage de leurs déchets. La gestion des déchets revient alors au royaume.
L’apparition des chiffonniers
Si le métier de chiffonnier semble très ancien : « depuis la nuit des temps, les déshérités glanent dans les déchets des plus nantis tout ce qui peut les aider à survivre » (De Silguy, 1996, p. 61). Au XVIIe siècle, la profession se développe véritablement. Que fait le chiffonnier ? Il est celui qui a la rue comme lieu de travail puisque c’est là qu’il collecte tout ce qui pourra ensuite être revendu, le plus souvent des chiffons et des os. Il n’a besoin que d’une hotte et d’un crochet pour se mettre au travail, il peut également utiliser une lanterne quand les collectes se font nocturnes. Parfois, il investit dans la location ou même l’achat d’une charrette pour faciliter le transport des rebuts. Au gré des époques, les glaneurs d’ordures se sont appelés différemment, « loquetières » au XIIIe siècle, « pattiers » ou « drilliers », toutes ces dénominations découlent de l’objet récupéré à savoir des loques, pattes ou drilles qui désignent des étoffes usagées (De Silguy, 1996, p. 61). Le chiffonnier est donc celui qui collecte et revend, d’abord et principalement des chiffons, mais peu à peu, la gamme des objets recueillis s’élargit. Il récupère également des os, des vieux papiers, des métaux, des cuirs, des peaux, des cheveux. Le chiffonnier est souvent considéré comme le premier recycleur, car les matières récoltées sont transformées en de nouveaux objets. Si ce métier n’a pas un rôle encore très défini au XVIIe siècle, il connaîtra un essor considérable après la Révolution et deviendra « une figure de la vie parisienne au XIXe siècle » (Barles, 2011a, p. 45).
Louis XIV décidé à améliorer la situation
Le Roi-Soleil, fatigué d’entendre que Paris est le lieu le plus sale d’Europe et constatant que les villes françaises et leurs rues ne sont toujours pas propres, décide de mettre en place de nouvelles règles. Son médecin, inquiété de l’état de l’eau des fleuves, l’alerte. En 1650, il est alors conseillé à tous de ne plus boire l’eau de la rivière. En 1666, un nouvel édit vise à réguler le ramassage des ordures, ainsi les horaires de dépôt, de collecte et les itinéraires sont fixés. Celui qu’on appelle « Maître Fifi » signale chaque jour aux habitants des villes qu’il est temps de déposer ses ordures devant sa porte, car les tombereaux vont passer. Si des contrevenants dépassent l’heure prescrite, Maître Fifi a la possibilité de sanctionner ceux-ci par une amende (De Silguy, 1996). Le 5 mai 1668, une nouvelle ordonnance de police impose, sous peine d’amende, un nettoyage quotidien et à grandes eaux des rues ainsi que l’entassement localisé des boues. Les déchets sont portés tous les matins dans les tombereaux. À Paris, ce sont finalement des entrepreneurs privés qui se chargent de ramasser les boues et de les emmener hors de la ville pour servir d’engrais (Gouilliard et Legendre, 2003). À Lyon, en 1672, un texte assez similaire à l’édit de 1666 est rédigé, sommant les habitants des villes d’entasser devant leurs maisons les immondices dont ils souhaitent se débarrasser. Cette action vise à faciliter le travail de ceux qui sont appelés en région lyonnaise les « âniers », parce qu’ils utilisent des charrettes tirées par des ânes, ils sont responsables de débarrasser la ville de toutes ses ordures. En somme, ce sont des éboueurs. Mais, comme à Paris, les Lyonnais ne se soustraient pas à cette règle de bonne conduite et préfèrent déverser leurs déchets dans les rivières. En 1697, D’Argenson, alors nouveau chef de la police, observe que « les habitants du quartier Saint-Denis jettent encore, jour et nuit, par les portes et fenêtres, toutes leurs eaux, ordures, saletés, urines et matières » (De Silguy, 1996, p. 61).
Les rois qui se sont succédé tout au long du XVIe et du XVIIe siècle n’ont finalement pas réussi à rendre salubres les espaces publics. Au XVIIe siècle, malgré quelques réformes en ce qui concerne la collecte des ordures qui n’ont d’ailleurs pas abouti : la gestion des espaces publics, leur nettoiement, leur assainissement ne semblent pas avoir réellement suscité d’intérêts. La propreté du XVIIe siècle est donc très largement restée sur une recherche de propreté faite d’apparences plutôt que sur une recherche de propreté effective et réelle. »
Pour aller plus loin :
- La laideur de la rue polluée à la fin du Moyen Age : "Immondicités, fiens et bouillons" accumulés sur les chaussées des villes du royaume de France et des grands fiefs au xvème siècle", Jean-Pierre Leguay
- Traitement des excréments au Moyen Âge, dinosoria.com
- La petite histoire des toilettes et de l’élimination des excréments humains, ici.radio-canada.ca
Concernant les usages cosmétiques des excréments, on en trouve une brève mention dans un article de Marie-Geneviève Grossel, Entre médecine et magie, les gestes de beauté (l’Ornatus mulierum) :
« “Une vieille me conta qu’elle prenait des crottes de chèvre, les faisait cuire dans de l’huile, oignait les cheveux et ils devenaient fournis”. (§ XIX)
L’usage des excréments dut être fréquent puisque Rutebeuf le raille dans son Herberie. Quant à l’huile d’olive, véritable bénédiction pour les cheveux, elle est le plus souvent présente à côté du vinaigre dans lequel on fait bouillir les herbes et qui joue un rôle évident d’astringent et de nettoyant. »
L’habitude d’utiliser les excréments dans des préparations cosmétiques n’a rien de nouvelle : on la retrouve aussi à l’Antiquité :
« Les Grecques s’enduisaient les lèvres de miel et s’appliquaient des crèmes animales à base d’excréments de taureau et de brebis dans du suif. »
Source : La cosmétologie à travers les âges, Yannick de Roeck-Holtzhauer, Revue d'Histoire de la Pharmacie Année 1988 279 pp. 397-399
En médecine et en pharmacie, les matières fécales et les urines humaines et animales ont fait l’objet de nombreux emplois traditionnels jusqu’au XIXe siècle… L’ouvrage de Martin Monestier, Histoire et bizarreries des excréments des origines à nos jours, vous donnera de nombreuses informations sur le sujet. En attendant, voici une petite mise en bouche :
« Pour voiler l’origine de leurs pharmacopées, mais aussi pour lui accorder une dimension mystérieuse et magique, les médecins stercoraires vont établir au fil du temps un lexique composé de détournements de sens, d’antiphrases, de métaphores, et de désignations ronflantes. Chez les Romains, les matières fécales prennent le nom de « carbon humanum », d’ « oletum », puis avec les siècles apparaissent le « sulfure occidental », le « souffre oriental », le « musc occidental », les « sels de lune ». La « boisson d’or », destinée encore à la fin du XVIIe siècle à combattre le scorbut, la jaunisse et l’épilepsie, désigne un breuvage fait à partir de l’urine d’un garçon de douze ans qui a bu du vin et que l’on a placée dans un récipient entouré de crottin de cheval que l’on fait décoter ( ?) sur des excréments humains avant de la distiller dans un alambic.
Les déjections animales subissent les mêmes dissimulations. Le « strecus negrum » désigne la crotte de rat, très conseillée pour la constipation. La « fleur de mélanpuis », réputée contre les mots de gorge est de l’excrément de chien. Lorsque celui-ci a été nourri exclusivement d’os de mouton et privé de boisson, ses déjections prennent alors le nom de « album groecum », et sont excellentes contre la dysenterie. Au XVIIe siècle, « l’eau des mille fleurs » est tirée de la bouse du bétail qui a séjourné au pâturage. Les praticiens anciens ont des subtilités qui nous échappent. Lorsque la bouse est séchée, elle devient du « musc indigène ». D’autres dénominations la désignent spécifiquement selon qu’elle provient d’une jeune vache, d’une génisse pleine, d’un bœuf ou d’un taureau. Certains malades deviennent « accro ». Les annales médicales donnent le cas d’un patient qui, ayant expérimenté les crottes de souris pour une quelconque maladie, prit l’habitude de les recueillir sur le plancher de sa maison avant que la servante ne balaye.
Merde : « trésor véritable ! »
[…] En Europe, des populations entières croient aux vertus thérapeutiques des excréments. Martin Luther mange une cuillère de sa propre matière fécale tous les matins. Il écrit : « Je suis surpris que Dieu ait mis dans les fientes des remèdes si importants et si utiles. » Près d’un siècle plus tard, le grand médecin allemand Christian Franz Paullini déclare la merde et la pisse « trésors véritables ». Il publie un ouvrage au titre sans détour : La Pharmacopée de la merde qui restera un texte de référence jusqu’au XIXe siècle.
Cet enthousiasme déborde la simple corporation des médecins stercoraires. L’éminent philosophe Pierre Bayle vante les effets externes et internes des excréments dans un traité publié en 1692. A la même époque, une recette pour rendre centenaire fait fureur. « Un étron d’homme de guerre, mélangé à de la foire de marmotte et de la merde de chien, le tout délayé dans de la pisse de vieille. »
Bonne journée.
Au Moyen Age, la gestion des excréments et des déchets en général est à peu près inexistante dans les villes, sauf pour les classes les plus aisées. Cela pose des problèmes de salubrité croissants qui ont pour conséquence dramatique l’arrivée de grandes épidémies :
«
Le Moyen Âge connaîtra un essor des déchets assez spectaculaire. Au début de cette période, les détritus ne posent aucun ou très peu de problèmes, ils sont encore peu nombreux dans les villes. Et dans les campagnes, « le résidu est matière fertilisante ou nourricière » (Lhuilier et Cochin, 1999, p. 19) : les déchets deviennent engrais ou sont mangés, en partie, par les cochons et les autres animaux domestiqués. « Intégré dans une économie rurale parcimonieuse, le reste fait retour dans le cycle écologique naturel » (Lhuilier et Cochin, 1999, p. 19). Cette situation ne dure pas. En effet, vers l’an 1 000, le commerce se développe attirant ceux qui vivent dans les campagnes et, conséquemment, la population des villes grossit, ce qui entraîne des problèmes sanitaires importants :
« Si des extraits de chroniques, des représentations iconographiques, des miniatures du Missel de Juvénal des Ursins, des Chroniques de Normandie, de la Vie de Saint Denis, n’avaient tendance à sublimer les rues, à les représenter pavées et luisantes de propreté, encadrées de maisons parfaitement alignées. La vision que nous allons donner des chaussées est plus proche des “cloactes infects” que des pavés presque point souillés de taches de boue… tout à fait unis, propres et nets que donne un certain Jean de Jandrun dans sa description de Senlis »(Leguay, 1999, p. 6).
L’insalubrité de la ville moyenâgeuse est au reflet des noms de certaines rues, de certaines places des villes françaises telles que « ruelles Sale ou du Bourbier » de Rouen ou la « place Marcadal de Lourdes, dont le nom vient de Marcadaladosa ou quartier fangeux » (Leguay, 1999, p. 7). Les citadins ont rapidement lié les immondices aux odeurs et aux risques que ces amas d’ordures génèrent, ces associations se retrouvent dans le vocabulaire de l’époque, par exemple « vilenie et ordure » (Leguay, 1999, p. 8). Pourtant, un paradoxe existe puisqu’en dépit du lien fait entre immondices et risques, la gestion de la salubrité ne semble préoccuper personne. Les citadins se débarrassent de leurs détritus en les abandonnant dans un coin : la « saleté appelle en quelque sorte la saleté et il existe des lieux où l’on déverse les ordures de préférence : des espaces vides, par exemple les limites entre propriétés, des terrains vagues, des ruines, etc. » (Ballet et al., 2003, p. 129). En outre, les citadins doivent cohabiter avec des animaux ; les caprins, les ovins qui ne sont que de passage, les animaux errants, mais également les volailles ou les porcs qui sont élevés dans l’enceinte des villes. Ce phénomène heurte la vue, l’ouïe et l’hygiène et engendre des risques d’épidémies. Certains, inquiets et dérangés par cette présence, veulent voir disparaître ces animaux de l’enceinte des villes, mais cela est compliqué au regard des intérêts et […] des difficultés d’application surtout quand les détenteurs appartiennent à la haute société » (Leguay, 2002, p. 162). Par ailleurs, les porcs semblent être les seuls capables d’engloutir les immondices, ils jouent le rôle de nettoyeurs, d’éboueurs. Les paysans se réjouissent également de ces dépôts de déchets qu’ils récupèrent pour les transformer en engrais. La pollution des villes moyenâgeuses atteint également l’eau puisque, d’une part les « eaux résiduelles sont tout naturellement évacuées sur le pavé ou dans les rivières » (Leguay, 1999, p. 27) et, d’autre part, les habitants des cités jettent leurs déchets dans les rivières, quand bien même certains citadins boivent l’eau de la Seine.
Comme pour la gestion des déchets, celle des excréments ne pose pas de problème dans les campagnes où les habitants sont moins nombreux qu’en ville. En revanche, les cités médiévales ne parviennent pas à les gérer efficacement. Des latrines publiques existent dans les villes, telles que Rouen, Amiens, Agen, mais elles sont trop peu nombreuses (Pernoud, 1981). Il semble d’ailleurs que ces installations aient quasiment disparu avec la chute de l’Empire romain. Par conséquent, les individus satisfont leurs besoins comme ils le peuvent. Dans certaines villes, des quartiers et des rues sont affectés à la défécation. Les moins aisés font leurs « besoins naturels à même le pavé » (Leguay, 1999, p. 16) ; les classes les plus riches défèquent dans leur jardin ou dans leurs latrines privés si leur maison en dispose ; c’est d’ailleurs un signe de richesse que de posséder ce confort au sein de sa propriété. Il semblerait que ce soit à Paris que se manifeste le confort maximal. Effectivement, « même des maisons d’artisans s’offrent le luxe de quatre sièges de latrines à chaque niveau d’habitation, reliés à des égouts » (Alexandre-Bidon et Lorcin, 2003, p. 131). Jean-Noël Biraben (1995) souligne quant à lui que les latrines privées sont des dispositifs communs au Moyen Âge : les maisons seraient presque toutes pourvues de w.-c. appelés « privés », « retraits » ou « longaignes ». Des latrines sont également à disposition des religieux et des rois, elles sont presque toujours présentes dans les monastères, dans les couvents et dans les châteaux féodaux. Les excréments se déversent, la plupart du temps, dans une fosse d’aisance, creusée dans la cave, à même le sol. On l’assainit de temps à autre avec la cendre de bois de la cheminée. Elle n’est curée que rarement lorsqu’elle déborde. Dès 1300, deux voiries, Montfaucon et Saint-Marcel, sont principalement affectées aux vidanges (Biraben, 1995). D’autres systèmes que les latrines sont testés au Moyen Âge. C’est le cas du puisard : il s’agit d’un trou de faible profondeur, les déjections s’infiltrent alors dans la terre. Les cours d’eau qui traversent les villes permettent également aux habitants de satisfaire leurs besoins naturels. Enfin, la coutume du « tout-à-la-rue » (Guerrand, 1985, p. 17) reste très utilisée : les citadins ne se gênent pas pour jeter par la fenêtre le contenu de leurs pots de chambre. Cette habitude contribue d’ailleurs à la formation d’une boue épaisse et immonde dans les rues des villes. Émile Zola (1992) dans son roman La Terre décrit parfaitement cette habitude médiévale : « Par la fenêtre ouverte, de l’ordure venait d’être jetée à pleine main. Une volée de merde ramassée au pied de la haie » (p. 190).
L’image de la ville moyenâgeuse est une ville où la saleté règne partout, dans laquelle la puanteur est innommable et l’hygiène déplorable, ce qui offre un terrain propice à la prolifération des maladies. Dominique Lhuilier et Yann Cochin (1999) décrivent parfaitement cette situation :
« Les rues des villes médiévales, non pavées, étroites et tortueuses étaient jonchées d’eaux croupies, chargées de détritus, d’ordures ménagères faisant les délices des chiens et des porcs, et d’excréments humains et animaux. Dans la plupart des quartiers n’existaient ni latrines, ni fosses d’aisance et le “tout-à-la-rue” précédait le “tout-à-la-rivière”. Les rivières sont polluées et la qualité de l’eau est alors plus que médiocre. L’odeur des villes est terriblement nauséabonde » (p. 20).
Cyrille Harpet (1999) indique que c’est uniquement lorsque le souverain est touché par la souillure qu’une série de mesures en faveur d’une gestion des ordures est promulguée : « Tant que le roi n’est point touché, la ville s’accommode de ses miasmes et excréta, de ses boues et immondices. Dès lors que la souillure vient entacher la parure souveraine et amoindrir son degré de “pureté”, il s’agit de faire de l’incident un événement, de l’événement une inauguration » (p. 215).
En France, c’est Philippe Auguste, le premier roi qui, suite à un épisode anecdotique, veut régler le problème de l’amoncellement des ordures et des boues dans la capitale française : « Rigord, le chroniqueur de la cour, raconte qu’un jour de l’An de grâce 1184, le roi fut incommodé à la fenêtre de son palais, par la puanteur qu’exhalait la boue. Il fit alors mander le prévôt ainsi que les bourgeois et leur commanda le pavage de toutes les rues et voies de Paris » (De Silguy, 1996, p. 19). Paver les rues apparaît alors comme une nécessité tant sociale qu’économique. Ces pavés doivent permettre de lutter contre les nuisances engendrées par le développement des villes. Il est nécessaire de protéger la voirie, de la rendre plus accessible aux riverains, de « faciliter le passage des animaux de bât et des véhicules hippomobiles de toute dimension » (Leguay, 1999, p. 79). Mais il faut également rendre la ville plus jolie. Philippe Auguste ordonne également la création de canaux et de fossés centraux pour désencombrer certains quartiers. « De cette première manifestation du pouvoir central à l’encontre de l’immondice naquit le “carreau du roi”, les deux seules artères principales qui furent pavées » (Gouilliard et Legendre, 2003, p. 13). Cette action est la première d’« une longue série de décisions et d’arrêtés royaux qui ne se concrétiseront pas ou peu » (Gouilliard et Legendre, 2003, p. 13). Au fil du temps et des rois, les riverains, principalement soucieux de leur survie alimentaire, sont contraints de devenir plus respectueux de leur environnement ; ils doivent « enlever les boues et immondices des chaussées » (De Silguy, 1996, p. 19), déposer leurs ordures à l’extérieur de la ville. Mais les citadins se lassent de ces nouvelles règles et cessent de se charger de ce qu’ils considèrent ne pas être de leur ressort. En 1343, Charles V commande de construire des fossés couverts où chaque habitant doit venir déverser ses immondices. Ces réceptacles sont alors censés couvrir les odeurs qui sont devenues insupportables dans les villes. Georges Vigarello (1985) met en évidence que ces réformes, ou plutôt ces tentatives de réformes sont davantage un souci de désencombrement que de nettoyage. Sans doute, les dirigeants de l’époque veulent aller à l’essentiel et s’inquiètent avant tout de limiter l’amoncellement des ordures dans les villes médiévales plus que de laver leurs rues à grandes eaux. Mais ces évacuations d’ordures sont rendues difficiles par l’absence de pavés sur les chaussées et l’étroitesse des rues. Les habitants sont alors enrôlés dans cette tâche. Cependant, ils ne jouent pas le jeu et continuent de déverser leurs ordures où ils en ont envie : ils refusent de faire le travail de ceux que l’on n’appelle pas encore éboueurs.
Ce manque d’hygiène et cette insalubrité contribuent à la propagation d’épidémies qui s’étendent à toute l’Europe. Catherine de Silguy (1996) précise que « La peste noire fut particulièrement meurtrière faisant des millions de victimes en Europe entre 1346 et 1353. La coqueluche frappa aussi » (p. 20). Cette maladie rencontre assurément un terrain favorable pour se développer : les populations n’ont pas d’anticorps contre cette variante du bacille de la peste, les guerres et les famines sont fréquentes, les rats prolifèrent, les déchets ne sont pas traités. En novembre 1347, la peste « attaque » la France. L’Angleterre est touchée en juin 1348. Le 20 août 1348, elle se déclare à Paris et fait 50 morts quotidiennement. Tous voient leurs villes et leurs pays dévastés par les épidémies, toutefois, peu d’habitants parviennent à faire le lien entre l’insalubrité et la propagation de ces pestes. En dépit des suppositions de quelques médecins qui pensent que ces immondices jouent un rôle dans la multiplication des maladies, les résidents des villes préfèrent mettre en cause l’air nauséabond ou bien encore « des conjonctions astrologiques défavorables » (Zentner, 2001, p. 14). En 1348, pour faire face à ce fléau, le prévôt de Paris rédige une ordonnance sommant les Parisiens de balayer devant leur maison et de faire transporter les boues et les ordures aux endroits prévus : « Tombereaux, hotteurs et porteurs, tous prêts pour porter les dits gravois aux lieux accoutumez et quiconque sera trouvé faisant le contraire, sera tenu de payer au Roye notre sire dix sols d’amende » (De Silguy, 1996, p. 23). Malgré les menaces d’amende, les citadins ne suivent pas le règlement et continuent de décharger leurs détritus où ils le souhaitent, notamment dans la rue ou dans la Seine. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la nouvelle ordonnance défendant quiconque « de jeter dans le fleuve ou dans ses bras, de la boue et du fumier » (De Silguy, 1996, p. 23). Pourtant, bien que les menaces soient de plus en plus strictes, les fautifs ne sont aucunement intimidés et poursuivent leurs mauvaises habitudes ; de nouvelles épidémies allaient encore faire des ravages. »
Source : Marine Béguin, « L’histoire des ordures : de la préhistoire à la fin du dix-neuvième siècle », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 13 Numéro 3 | décembre 2013
Toujours d’après l’article de Marine Béguin, la Renaissance voit se succéder plusieurs mesures visant à assainir l’espace urbain, mais sans grand succès :
«
Une succession de réformes sans effet sur la salubrité des villes
Louis XII décide en 1506 « que la royauté se chargerait désormais du ramassage des immondices de la capitale et de leur évacuation. Le début de la Renaissance est donc marqué par la création d’un service d’enlèvement des boues, financé quelques années plus tard par le produit d’un impôt spécial » (De Silguy, 1996, p. 23). Les citadins ne sont alors plus contraints de se charger de leurs ordures, d’autres – les boueux – s’occupent de les faire disparaitre du « paysage » urbain. Néanmoins, les habitants n’adhèrent pas à cette réforme, car elle induit une redevance pécuniaire qu’ils ne sont pas prêts à régler. De plus, une nouvelle taxe s’ajoute rapidement à la première. Elle est destinée à pourvoir la capitale d’éclairage permettant de mettre au jour ceux qui profiteraient de la nuit pour déposer leurs immondices où ils le souhaitent. Elle prend le nom de « taxe des boues et des lanternes » (De Silguy, 1996, p. 24). Mais ces nouveaux impôts très impopulaires ne perdureront pas, l’ordonnance de 1506 est laissée à l’abandon.
En 1515, François Ier, successeur de Louis XII, émet de nouvelles idées nouvelles pour assainir Paris. Il propose d’utiliser des paniers pour déposer les ordures qui sont ensuite collectées par les boueux (Forot, 2007). En somme, cela s’apparente à un service organisé de collecte et de transport des ordures avec des hommes et des matériels spécifiquement dédiés à cette tâche. François Ier demande également aux riverains de balayer devant leurs maisons avant que les tombereaux ne passent. Enfin, le souverain exige que les animaux tels que les volailles et les porcs soient envoyés en dehors des villes. « Ainsi le XVIe siècle est celui d’un double mouvement : privatisation du déchet et prise en charge publique » (Lhuilier et Cochin, 1999, p. 21).
En 1562, la France doit faire face à une nouvelle épidémie de peste extrêmement virulente, elle fait plus de 20 000 morts rien qu’à Paris. Une ordonnance est alors rédigée stipulant : « L’obligation de balayer devant sa porte avant le passage des tombereaux et de mettre dans des paniers, les boues, les ordures et autres immondices. Désormais, une clochette avertissait les habitants de l’arrivée des boueux » (De Silguy, 1996, p. 24). De plus, une nouvelle taxe pour financer les dépenses de collecte et le transport des ordures est instaurée, cet impôt nécessite un recouvrement par un entrepreneur privé. Mais cette esquisse de privatisation ne sera que de courte durée, car les riverains sont toujours hostiles à payer pour le ramassage de leurs déchets. La gestion des déchets revient alors au royaume.
Si le métier de chiffonnier semble très ancien : « depuis la nuit des temps, les déshérités glanent dans les déchets des plus nantis tout ce qui peut les aider à survivre » (De Silguy, 1996, p. 61). Au XVIIe siècle, la profession se développe véritablement. Que fait le chiffonnier ? Il est celui qui a la rue comme lieu de travail puisque c’est là qu’il collecte tout ce qui pourra ensuite être revendu, le plus souvent des chiffons et des os. Il n’a besoin que d’une hotte et d’un crochet pour se mettre au travail, il peut également utiliser une lanterne quand les collectes se font nocturnes. Parfois, il investit dans la location ou même l’achat d’une charrette pour faciliter le transport des rebuts. Au gré des époques, les glaneurs d’ordures se sont appelés différemment, « loquetières » au XIIIe siècle, « pattiers » ou « drilliers », toutes ces dénominations découlent de l’objet récupéré à savoir des loques, pattes ou drilles qui désignent des étoffes usagées (De Silguy, 1996, p. 61). Le chiffonnier est donc celui qui collecte et revend, d’abord et principalement des chiffons, mais peu à peu, la gamme des objets recueillis s’élargit. Il récupère également des os, des vieux papiers, des métaux, des cuirs, des peaux, des cheveux. Le chiffonnier est souvent considéré comme le premier recycleur, car les matières récoltées sont transformées en de nouveaux objets. Si ce métier n’a pas un rôle encore très défini au XVIIe siècle, il connaîtra un essor considérable après la Révolution et deviendra « une figure de la vie parisienne au XIXe siècle » (Barles, 2011a, p. 45).
Le Roi-Soleil, fatigué d’entendre que Paris est le lieu le plus sale d’Europe et constatant que les villes françaises et leurs rues ne sont toujours pas propres, décide de mettre en place de nouvelles règles. Son médecin, inquiété de l’état de l’eau des fleuves, l’alerte. En 1650, il est alors conseillé à tous de ne plus boire l’eau de la rivière. En 1666, un nouvel édit vise à réguler le ramassage des ordures, ainsi les horaires de dépôt, de collecte et les itinéraires sont fixés. Celui qu’on appelle « Maître Fifi » signale chaque jour aux habitants des villes qu’il est temps de déposer ses ordures devant sa porte, car les tombereaux vont passer. Si des contrevenants dépassent l’heure prescrite, Maître Fifi a la possibilité de sanctionner ceux-ci par une amende (De Silguy, 1996). Le 5 mai 1668, une nouvelle ordonnance de police impose, sous peine d’amende, un nettoyage quotidien et à grandes eaux des rues ainsi que l’entassement localisé des boues. Les déchets sont portés tous les matins dans les tombereaux. À Paris, ce sont finalement des entrepreneurs privés qui se chargent de ramasser les boues et de les emmener hors de la ville pour servir d’engrais (Gouilliard et Legendre, 2003). À Lyon, en 1672, un texte assez similaire à l’édit de 1666 est rédigé, sommant les habitants des villes d’entasser devant leurs maisons les immondices dont ils souhaitent se débarrasser. Cette action vise à faciliter le travail de ceux qui sont appelés en région lyonnaise les « âniers », parce qu’ils utilisent des charrettes tirées par des ânes, ils sont responsables de débarrasser la ville de toutes ses ordures. En somme, ce sont des éboueurs. Mais, comme à Paris, les Lyonnais ne se soustraient pas à cette règle de bonne conduite et préfèrent déverser leurs déchets dans les rivières. En 1697, D’Argenson, alors nouveau chef de la police, observe que « les habitants du quartier Saint-Denis jettent encore, jour et nuit, par les portes et fenêtres, toutes leurs eaux, ordures, saletés, urines et matières » (De Silguy, 1996, p. 61).
Les rois qui se sont succédé tout au long du XVIe et du XVIIe siècle n’ont finalement pas réussi à rendre salubres les espaces publics. Au XVIIe siècle, malgré quelques réformes en ce qui concerne la collecte des ordures qui n’ont d’ailleurs pas abouti : la gestion des espaces publics, leur nettoiement, leur assainissement ne semblent pas avoir réellement suscité d’intérêts. La propreté du XVIIe siècle est donc très largement restée sur une recherche de propreté faite d’apparences plutôt que sur une recherche de propreté effective et réelle. »
- La laideur de la rue polluée à la fin du Moyen Age : "Immondicités, fiens et bouillons" accumulés sur les chaussées des villes du royaume de France et des grands fiefs au xvème siècle", Jean-Pierre Leguay
- Traitement des excréments au Moyen Âge, dinosoria.com
- La petite histoire des toilettes et de l’élimination des excréments humains, ici.radio-canada.ca
Concernant les usages cosmétiques des excréments, on en trouve une brève mention dans un article de Marie-Geneviève Grossel, Entre médecine et magie, les gestes de beauté (l’Ornatus mulierum) :
« “Une vieille me conta qu’elle prenait des crottes de chèvre, les faisait cuire dans de l’huile, oignait les cheveux et ils devenaient fournis”. (§ XIX)
L’usage des excréments dut être fréquent puisque Rutebeuf le raille dans son Herberie. Quant à l’huile d’olive, véritable bénédiction pour les cheveux, elle est le plus souvent présente à côté du vinaigre dans lequel on fait bouillir les herbes et qui joue un rôle évident d’astringent et de nettoyant. »
L’habitude d’utiliser les excréments dans des préparations cosmétiques n’a rien de nouvelle : on la retrouve aussi à l’Antiquité :
« Les Grecques s’enduisaient les lèvres de miel et s’appliquaient des crèmes animales à base d’excréments de taureau et de brebis dans du suif. »
Source : La cosmétologie à travers les âges, Yannick de Roeck-Holtzhauer, Revue d'Histoire de la Pharmacie Année 1988 279 pp. 397-399
En médecine et en pharmacie, les matières fécales et les urines humaines et animales ont fait l’objet de nombreux emplois traditionnels jusqu’au XIXe siècle… L’ouvrage de Martin Monestier, Histoire et bizarreries des excréments des origines à nos jours, vous donnera de nombreuses informations sur le sujet. En attendant, voici une petite mise en bouche :
« Pour voiler l’origine de leurs pharmacopées, mais aussi pour lui accorder une dimension mystérieuse et magique, les médecins stercoraires vont établir au fil du temps un lexique composé de détournements de sens, d’antiphrases, de métaphores, et de désignations ronflantes. Chez les Romains, les matières fécales prennent le nom de « carbon humanum », d’ « oletum », puis avec les siècles apparaissent le « sulfure occidental », le « souffre oriental », le « musc occidental », les « sels de lune ». La « boisson d’or », destinée encore à la fin du XVIIe siècle à combattre le scorbut, la jaunisse et l’épilepsie, désigne un breuvage fait à partir de l’urine d’un garçon de douze ans qui a bu du vin et que l’on a placée dans un récipient entouré de crottin de cheval que l’on fait décoter ( ?) sur des excréments humains avant de la distiller dans un alambic.
Les déjections animales subissent les mêmes dissimulations. Le « strecus negrum » désigne la crotte de rat, très conseillée pour la constipation. La « fleur de mélanpuis », réputée contre les mots de gorge est de l’excrément de chien. Lorsque celui-ci a été nourri exclusivement d’os de mouton et privé de boisson, ses déjections prennent alors le nom de « album groecum », et sont excellentes contre la dysenterie. Au XVIIe siècle, « l’eau des mille fleurs » est tirée de la bouse du bétail qui a séjourné au pâturage. Les praticiens anciens ont des subtilités qui nous échappent. Lorsque la bouse est séchée, elle devient du « musc indigène ». D’autres dénominations la désignent spécifiquement selon qu’elle provient d’une jeune vache, d’une génisse pleine, d’un bœuf ou d’un taureau. Certains malades deviennent « accro ». Les annales médicales donnent le cas d’un patient qui, ayant expérimenté les crottes de souris pour une quelconque maladie, prit l’habitude de les recueillir sur le plancher de sa maison avant que la servante ne balaye.
[…] En Europe, des populations entières croient aux vertus thérapeutiques des excréments. Martin Luther mange une cuillère de sa propre matière fécale tous les matins. Il écrit : « Je suis surpris que Dieu ait mis dans les fientes des remèdes si importants et si utiles. » Près d’un siècle plus tard, le grand médecin allemand Christian Franz Paullini déclare la merde et la pisse « trésors véritables ». Il publie un ouvrage au titre sans détour : La Pharmacopée de la merde qui restera un texte de référence jusqu’au XIXe siècle.
Cet enthousiasme déborde la simple corporation des médecins stercoraires. L’éminent philosophe Pierre Bayle vante les effets externes et internes des excréments dans un traité publié en 1692. A la même époque, une recette pour rendre centenaire fait fureur. « Un étron d’homme de guerre, mélangé à de la foire de marmotte et de la merde de chien, le tout délayé dans de la pisse de vieille. »
Bonne journée.
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