Simone Weil
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 12/04/2019 à 16h09
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Question d'origine :
Bonjour,
Dans les cahiers de Marseille, cahier VI Simone Weil écrit : Le péché en moi dit "je". À corriger." Je" ne fais pas que 7 + 8 = 15 ; par une fausse addition "je" fais, en un sens, que 7 + 8 = 16. Mais tant que je suis dans l'erreur, je dis seulement : 7 + 8 = 16. etc etc
Pouvez-vous me dire ce qu'elle veut dire par ces chiffres ?
Savez-vous si dans son oeuvre il y a d'autres passages où elle parle ainsi avec des chiffres ?
Cela m'intrigue et je ne trouve pas de réel sens à ses calculs !
Si vous pouviez m'aider. Merci d'avance.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 15/04/2019 à 15h18
Bonjour,
Afin de remettre ce passage en contexte, voici le début de l’extrait du Cahier VI (K6) de Simone Weil dont il est tiré (nous avons dû omettre certains caractères qui ne sont pas supportés par notre site) :
« L’imagination, d’une part, va à combler les vides ; d’autre part est enchaînée à l’état présent ; oscille parfois entre ces deux conditions. Là où elle peut combler les besoins sans entraves, on est à l’aise. Ainsi elle fabrique de mauvaises interprétations pour des gens condamnés par l’opinion, si on ne leur est pas lié de quelque manière. C’est agréable. Elle fabrique des vertus aux forts, des crimes aux malheureux. Ou le contraire, s’il s’agit de force et de malheur un peu lointains : compensation dans les deux cas. (Le malheur romanesque appelle appelle l’image de la vertu, et le malheur réel celle du crime ou du moins de la non-valeur.)
Malaise, quand dans son effort de fabrication l’imagination est enchaînée par la réalité. Quand le conflit est violent, sentiment d’ « impossibilité ». (Impossible qu’il faille mourir avant de voir le soleil de demain…)
Le beau : arrêt de l’imagination fabricatrice.
Un être aimé qui déçoit. Je lui ai écrit. Impossible qu’il ne me réponde pas ce que je me suis dit à moi-même en son nom. [un trait fléché relie ce paragraphe au texte infra commençant par : « Débiteurs ».]
[Gita Krishna donne aux uns son armée, aux autres sa puissance | personne.]
Débiteurs. Les hommes nous doivent ce que nous imaginons qu’ils nous donneront. Leur remettre cette dette.
Accepter qu’ils soient autres que les créatures de notre imagination, c’est imiter le renoncement de Dieu. Accepter qu’ils soient.
Passion, renoncement de la création transposé à l’échelle humaine.
Moi aussi, je suis autre que ce que je m’imagine être. Le savoir, c’est le pardon.
[ms. 8]
Supporter le désaccord entre l’imagination et le fait. Ne pas se refaire un autre système imaginaire adapté au fait nouveau.
« Je souffre. » Cela vaut mieux que : « Ce paysage est laid. »
[« Le péché en moi dit « je ». A corriger. « Je » ne fais pas que 7 + 8 = 15 ; par une fausse addition « je » fais, en un sens, que 7 + 8 = 16. Mais tant que je suis dans l’erreur, je dis seulement : 7 + 8 = 16.
« Le péché en moi dit « je », par rapport au bien. Je donne, je fais un beau poème… Mais mon mal, je le mets hors de moi et j’en fais un absolu. Non pas : je suis en colère, mais : il est exaspérant.]
[Connais-toi toi-même]. C’est de cela sans doute qu’il s’agit. »
En lisant ce passage, il nous semble que les additions sont une manière d’illustrer le propos sur l’imagination et le réel.
Le « fait », la réalité objective, est donc représenté par l’addition correcte (7 + 8 = 15), alors que l’imagination, subjective, a une interprétation déformée des faits qui est représentée par l’addition fausse (7 + 8 = 16).
Notons que ce passage semble être la reformulation d’une réflexion déjà présente dans le Cahier IV :
« Je suis tout. Mais ce « je » là est Dieu. Et ce n’est pas un « je ».
Le mal fait la distinction, empêche que Dieu soit équivalent à tout.
C’est ma misère qui fait que je suis « je ». C’est la misère de l’univers qui fait que, en un sens, Dieu est « je » (i.e. une personne).
Si je dis que 7 + 8 = 16, je me trompe ; je fais, d’une certaine manière, que 7 + 8 = 16. Mais ce n’est pas moi qui fais que 7 + 8 = 15.
Un théorème mathématique nouveau ; un beau vers ; reflets de cette grande vérité…
Je suis absent de tout ce qui est vrai, ou beau, ou bien.
[ms. 92]
Je pèche.
Et encore, en considérant le péché, dans l’ordre du monde, sous l’aspect où il est un bien, ce n’est pas moi.
[En un autre sens, en le regardant comme un mal, ce n’est pas moi, car je le désavoue ; mais l’autre formule est la plus vraie.] »
Malheureusement nous n’avons trouvé aucun document qui éclairerait davantage le sens de ces extraits… Peut-être que les avant-propos et notes des différents tomes des cahiers (4 dans l'édition possédée par la BmL, à la cote silo K17901) vous aideront à mieux appréhender la pensée de Simone Weil. Le temps qui nous est imparti pour vous répondre ne nous permet pas de nous plonger dans une lecture approfondie de ces documents.
Notons pour finir que d’autres passages des cahiers de Simone Weil font appel aux mathématiques, à des formules ou des figures. Le Cahier V en particulier rassemble des notes de lectures scientifiques sur Galilée, le Traité de mécanique de D’Alembert, et des réflexions sur la physique moderne, entre autres.
Bonne journée.
Afin de remettre ce passage en contexte, voici le début de l’extrait du Cahier VI (K6) de Simone Weil dont il est tiré (nous avons dû omettre certains caractères qui ne sont pas supportés par notre site) :
« L’imagination, d’une part, va à combler les vides ; d’autre part est enchaînée à l’état présent ; oscille parfois entre ces deux conditions. Là où elle peut combler les besoins sans entraves, on est à l’aise. Ainsi elle fabrique de mauvaises interprétations pour des gens condamnés par l’opinion, si on ne leur est pas lié de quelque manière. C’est agréable. Elle fabrique des vertus aux forts, des crimes aux malheureux. Ou le contraire, s’il s’agit de force et de malheur un peu lointains : compensation dans les deux cas. (Le malheur romanesque appelle appelle l’image de la vertu, et le malheur réel celle du crime ou du moins de la non-valeur.)
Malaise, quand dans son effort de fabrication l’imagination est enchaînée par la réalité. Quand le conflit est violent, sentiment d’ « impossibilité ». (Impossible qu’il faille mourir avant de voir le soleil de demain…)
Le beau : arrêt de l’imagination fabricatrice.
Un être aimé qui déçoit. Je lui ai écrit. Impossible qu’il ne me réponde pas ce que je me suis dit à moi-même en son nom. [un trait fléché relie ce paragraphe au texte infra commençant par : « Débiteurs ».]
[Gita Krishna donne aux uns son armée, aux autres sa puissance | personne.]
Débiteurs. Les hommes nous doivent ce que nous imaginons qu’ils nous donneront. Leur remettre cette dette.
Accepter qu’ils soient autres que les créatures de notre imagination, c’est imiter le renoncement de Dieu. Accepter qu’ils soient.
Passion, renoncement de la création transposé à l’échelle humaine.
Moi aussi, je suis autre que ce que je m’imagine être. Le savoir, c’est le pardon.
[ms. 8]
Supporter le désaccord entre l’imagination et le fait. Ne pas se refaire un autre système imaginaire adapté au fait nouveau.
« Je souffre. » Cela vaut mieux que : « Ce paysage est laid. »
[« Le péché en moi dit « je ». A corriger. « Je » ne fais pas que 7 + 8 = 15 ; par une fausse addition « je » fais, en un sens, que 7 + 8 = 16. Mais tant que je suis dans l’erreur, je dis seulement : 7 + 8 = 16.
« Le péché en moi dit « je », par rapport au bien. Je donne, je fais un beau poème… Mais mon mal, je le mets hors de moi et j’en fais un absolu. Non pas : je suis en colère, mais : il est exaspérant.]
[Connais-toi toi-même]. C’est de cela sans doute qu’il s’agit. »
En lisant ce passage, il nous semble que les additions sont une manière d’illustrer le propos sur l’imagination et le réel.
Le « fait », la réalité objective, est donc représenté par l’addition correcte (7 + 8 = 15), alors que l’imagination, subjective, a une interprétation déformée des faits qui est représentée par l’addition fausse (7 + 8 = 16).
Notons que ce passage semble être la reformulation d’une réflexion déjà présente dans le Cahier IV :
« Je suis tout. Mais ce « je » là est Dieu. Et ce n’est pas un « je ».
Le mal fait la distinction, empêche que Dieu soit équivalent à tout.
C’est ma misère qui fait que je suis « je ». C’est la misère de l’univers qui fait que, en un sens, Dieu est « je » (i.e. une personne).
Si je dis que 7 + 8 = 16, je me trompe ; je fais, d’une certaine manière, que 7 + 8 = 16. Mais ce n’est pas moi qui fais que 7 + 8 = 15.
Un théorème mathématique nouveau ; un beau vers ; reflets de cette grande vérité…
Je suis absent de tout ce qui est vrai, ou beau, ou bien.
[ms. 92]
Je pèche.
Et encore, en considérant le péché, dans l’ordre du monde, sous l’aspect où il est un bien, ce n’est pas moi.
[En un autre sens, en le regardant comme un mal, ce n’est pas moi, car je le désavoue ; mais l’autre formule est la plus vraie.] »
Malheureusement nous n’avons trouvé aucun document qui éclairerait davantage le sens de ces extraits… Peut-être que les avant-propos et notes des différents tomes des cahiers (4 dans l'édition possédée par la BmL, à la cote silo K17901) vous aideront à mieux appréhender la pensée de Simone Weil. Le temps qui nous est imparti pour vous répondre ne nous permet pas de nous plonger dans une lecture approfondie de ces documents.
Notons pour finir que d’autres passages des cahiers de Simone Weil font appel aux mathématiques, à des formules ou des figures. Le Cahier V en particulier rassemble des notes de lectures scientifiques sur Galilée, le Traité de mécanique de D’Alembert, et des réflexions sur la physique moderne, entre autres.
Bonne journée.
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