Question d'origine :
Bonjour, Les mythes et légendes germaniques, celtes, greco-romains ou encore égyptiens sont plutôt bien connues. La mythologie slave et notamment tchèque l'est beaucoup moins. Quelles sont les divinités, créatures et monstres propres à la mythologie tchèque ? Wikipédia est assez disert mais peu précis, les références mélangeant Russie/Pologne/Hongrie, etc S'il existe des livres sur le sujet, cela peut m'intéresser aussi. Merci pour votre temps. Joshua I.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 01/04/2019 à 13h41
Bonjour,
Sur le paganisme tchèque, les sources sont malheureusement fort rares. De plus tout porte à croire que nombre de ses divinités aient été partagées par l’ensemble des peuples formant cette famille, ce qui explique l’indistinction de l’article Wikipedia :
« Les slaves se composent de plusieurs peuples, des Katchoubes, au Nord, aux Macédoniens, au Sud, et chaque groupe possède sa propre langue, qui reflète une identité bien distincte. Cependant, en raison de leur relative jeunesse au sein des peuples européens, les Slaves partagent en grande partie un patrimoine de mythes commun . Cet ensemble de mythes n’a pas pu être conservé sous forme écrit e, puisque les premiers écrits datent seulement du IXè ou du Xè siècle, avec la conversion au christianisme qui ignorait, dénaturait ou condamnait les pratiques païennes. Mais le retard économique et l’isolement (surtout en Russie) ont permis la survivance, même sous un aspect déformé, d’une grande variété de mythes d’origine ancienne. La mythologie slave met en scène des êtres surnaturels auxquels les mortels se trouvent confrontés, en général à leurs risques et périls. Des noms de dieux païens ont été conservés, mais on sait peu de choses sur leurs cultes, sauf cas exceptionnels […] »
(Source : Mythologies du monde entier [Livre] / sous la dir. de Roy Willis ;)
C’est à travers cette survivance dans le folklore qu’un slaviste tel que Konstantin Jireček a pu s’appuyer pour son ouvrage La Mythologie slave (1876), consultable sur bibliotheque-russe-et-slave.com. Il décrit comme suit ce panthéon commun :
« Le Dieu suprême des Slaves se nommait Svarog (en sanscrit Svar signifie ciel ; en vieux tchèque, Svor, Zodiaque). Les fils étaient Plunce (le soleil) et Ohen (le feu). Plunce s’appelait aussi Dazdbog et Chrəs. On ne trouve pas trace, chez les Slaves du Sud, de Svatovit et de Perun, dont le culte eut tant d’importance chez les Polabes et les Russes, ni de Triglav. Des apocryphes d’origine bulgare, que nous ont conservés des manuscrits russes, parlent, l’un du culte de Trajan, Chrəs, Veles, Perun, l’autre du culte de Perun, Chrəs, Dyj, (Ζεύς, gen. Διός) et Trajan. Ces passages ont-ils fait partie de l’original bulgare, ou ont-ils été interpolés dans le texte russe, c’est ce qu’il est impossible d’affirmer dans l’état actuel de la science. Vêles, le Dieu des troupeaux, était honoré chez les Russes et les Tchèques ; quelques traces de son culte se rencontrent aussi chez les Slaves du Sud.
Le culte se célébrait en plein air, dans les forêts, sur les hauteurs, les rochers. On accompagnait de chants les sacrifices. On célébrait de grandes fêtes aux changements de saisons, si importants pour un peuple agriculteur. Ces fêtes, ces sacrifices ont traversé tout le moyen-âge et se célèbrent encore dans la presqu’île du Balkan. Le mot obet (sacrifice) signifie en vieux slave une promesse, un engagement pris envers les Dieux ; ce sacrifice de louange et de reconnaissance s’appelle zratva. Les mots vestəc (augure, racine ved, scire), vləchv (mage), zrec (voyant, zreti, zriti, voir) sont communs à tous les Slaves ; avec le temps, ces derniers augures purent former une caste sacerdotale.
[…]
Procope nous apprend que les Slaves ne croyaient pas à la fatalité. « Ils ne connaissaient pas le destin (Είμαρμένη) ne lui attribuent aucun pouvoir sur l’homme, mais quand quelqu’un se trouve en danger de mort, soit qu’il soit malade, soit qu’il parte pour la guerre, il promet aussitôt à Dieu de lui offrir un sacrifice (θυσίαν ποιήσειν) si sa protection le fait échapper au péril. Et s’il échappe en effet, il accomplit la promesse qu’il a faite, persuadé que c’est elle qui lui a sauvé la vie. » Que l’homme soit depuis sa naissance sous la domination des Dieux qui déterminent son destin, n’était pas une idée étrangère aux Slaves ; nous en avons la preuve dans les légendes tchèques sur les sudicky (divinités attachées à chaque homme et qui ont une influence décisive sur son bonheur) ; chez les Russes elles se nomment rozanice, chez les Serbes et les Croates rodjenice ou sudjenice, chez les Bulgares nanenici, et dans quelques régions orisnici. »
Il faut par ailleurs se garder de voir dans l’ancienne religion slave l’équivalent du polythéisme gréco-latin. D’après l’Encyclopaedia Universalis, elle relevait plutôt d’un culte animiste de la nature, au panthéon non fixé :
« Panthéistes et animistes, les anciens Slaves adoraientde nombreux dieux personnifiant, sous différentes formes, les forces de la nature , et notamment le Soleil, créateur de vie : Jarilo, le soleil brillant de tout son éclat ; Ivan Kupalo, le soleil se baignant dans l'eau pour renaître ; Volos, le protecteur des troupeaux ; Svarog, le feu ; Perun, le tonnerre et la foudre ; Svjatovit ou Sventovit, le vent aux quatre visages ; Mokoš, personnifiant la pluie, la terre humide et héritière à la fois de Gê, la déesse mère des Grecs et de la Grande Déesse scythe, ainsi que des êtres mythiques tel l'oiseau-chien Simargl emprunté au bestiaire iranien. Ils semblent avoir conçu l'idée d'un dieu suprême, dominant tous les autres dieux et maître de la terre entière, dieu tabou et terrible dont on ne prononçait jamais le nom et qu'aurait symbolisé parfois une épée. En même temps qu'ils dotaient les animaux de parole, ils peuplaient la nature entière comme la vie quotidienne d'une quantité de déités, d'esprits, de lutins et de farfadets, bienveillants ou néfastes, et souvent l'un et l'autre au gré des circonstances : le domovoj ou génie de la maison, le dvornik ou esprit de la cour, la kikimora, aide ménagère ou fileuse qui dans ses bons jours ne dédaigne pas de terminer le fuseau de la femme qui s'est endormie à l'ouvrage, le lešij, sylvain des forêts, le vodjanoj ou esprit des eaux à la longue barbe verte de mousse, tapi au plus profond des rivières, la rusalka, ondine et sirène des eaux et des bois, ensorceleuse et maléfique, etc. Ils croyaient aussi à la vie en l'au-delà et rendaient un culte aux morts. »
Voici pour la religion slave antique. Notons que nombre de déités mineures continuèrent à peupler bois et maisons après l'évangélisation, à la manière des lutins et des fées des pays nordiques. On trouve dans l'ouvrage Mythologie [Livre] : mythes et légendes du monde entier un article assez émouvant sur les Domovoï (ou domovij), esprits du foyer facétieux mais bienveillants pourvu qu'on les respecte, ou le bannik (esprit du bain), par égard de qui on évitait de placer une icône chrétienne dans la pièce où l'on se lavait !
Mais il existe en Tchéquie une autre forme de folklore mythologique, entourant l’origine du peuple tchèque et la fondation de Prague :
« Libuše était la plus jeune des filles du voïvode Krok. Elle prophétisa la fondation de la ville de Prague.
Libuše avait deux sœurs aînées, qui avaient elles aussi des pouvoirs surnaturels. Kazi avait des dons de guérisseuse, Teta parlait aux esprits et Libuše prédisait l'avenir. Sur les souhaits de son père, la plus jeune des sœurs devait prendre sa suite, devenir princesse et juge. Bien qu'elle ait été juste et sage, les hommes la méprisaient pour sa douceur. Elle
choisit pour mari Přemysl de Stadice le Laboureur.
C'est, dit-on, depuis son château de Libušín (ou de celui de Vyšehrad, d'après les légendes plus tardives) que Libuše prophétisa la fondation de la ville de Prague. Un beau jour, tandis qu'elle se tenait dans la cour du château avec Přemysl et scrutait le paysage, sa vision s'obscurcit et elle eut une vision : celle d'une ville immense.
La légende veut que c'est sur cette prophétie que Prague ait été fondée. »
(Source : digital-guide.cz)
Figure mythologique proprement tchèque, elle fut mise à l’honneur par le courant romantique, au moment de l’émergence de la conscience nationale tchèque, et inspira de nombreux artistes.
Pour aller plus loin :
-Larousse des mythologies du monde [Livre] / Fernand Comte
-Mythologie [Livre] : mythes et légendes du monde entier
-Vaclav Machek," Essai comparatif sur la mythologie slave", sur persee.fr
-Alexander H. Krappe, "La légende de Libuše et de Přemysl" sur persee.fr
-"Légendes de l'ancienne Bohême: inspiration de chefs-d'oeuvres de la musique tchèque", émission sur radio.cz
Bonne journée.
Sur le paganisme tchèque, les sources sont malheureusement fort rares. De plus tout porte à croire que nombre de ses divinités aient été partagées par l’ensemble des peuples formant cette famille, ce qui explique l’indistinction de l’article Wikipedia :
« Les slaves se composent de plusieurs peuples, des Katchoubes, au Nord, aux Macédoniens, au Sud, et chaque groupe possède sa propre langue, qui reflète une identité bien distincte. Cependant,
(Source : Mythologies du monde entier [Livre] / sous la dir. de Roy Willis ;)
C’est à travers cette survivance dans le folklore qu’un slaviste tel que Konstantin Jireček a pu s’appuyer pour son ouvrage La Mythologie slave (1876), consultable sur bibliotheque-russe-et-slave.com. Il décrit comme suit ce panthéon commun :
« Le Dieu suprême des Slaves se nommait Svarog (en sanscrit Svar signifie ciel ; en vieux tchèque, Svor, Zodiaque). Les fils étaient Plunce (le soleil) et Ohen (le feu). Plunce s’appelait aussi Dazdbog et Chrəs. On ne trouve pas trace, chez les Slaves du Sud, de Svatovit et de Perun, dont le culte eut tant d’importance chez les Polabes et les Russes, ni de Triglav. Des apocryphes d’origine bulgare, que nous ont conservés des manuscrits russes, parlent, l’un du culte de Trajan, Chrəs, Veles, Perun, l’autre du culte de Perun, Chrəs, Dyj, (Ζεύς, gen. Διός) et Trajan. Ces passages ont-ils fait partie de l’original bulgare, ou ont-ils été interpolés dans le texte russe, c’est ce qu’il est impossible d’affirmer dans l’état actuel de la science. Vêles, le Dieu des troupeaux, était honoré chez les Russes et les Tchèques ; quelques traces de son culte se rencontrent aussi chez les Slaves du Sud.
Le culte se célébrait en plein air, dans les forêts, sur les hauteurs, les rochers. On accompagnait de chants les sacrifices. On célébrait de grandes fêtes aux changements de saisons, si importants pour un peuple agriculteur. Ces fêtes, ces sacrifices ont traversé tout le moyen-âge et se célèbrent encore dans la presqu’île du Balkan. Le mot obet (sacrifice) signifie en vieux slave une promesse, un engagement pris envers les Dieux ; ce sacrifice de louange et de reconnaissance s’appelle zratva. Les mots vestəc (augure, racine ved, scire), vləchv (mage), zrec (voyant, zreti, zriti, voir) sont communs à tous les Slaves ; avec le temps, ces derniers augures purent former une caste sacerdotale.
[…]
Procope nous apprend que les Slaves ne croyaient pas à la fatalité. « Ils ne connaissaient pas le destin (Είμαρμένη) ne lui attribuent aucun pouvoir sur l’homme, mais quand quelqu’un se trouve en danger de mort, soit qu’il soit malade, soit qu’il parte pour la guerre, il promet aussitôt à Dieu de lui offrir un sacrifice (θυσίαν ποιήσειν) si sa protection le fait échapper au péril. Et s’il échappe en effet, il accomplit la promesse qu’il a faite, persuadé que c’est elle qui lui a sauvé la vie. » Que l’homme soit depuis sa naissance sous la domination des Dieux qui déterminent son destin, n’était pas une idée étrangère aux Slaves ; nous en avons la preuve dans les légendes tchèques sur les sudicky (divinités attachées à chaque homme et qui ont une influence décisive sur son bonheur) ; chez les Russes elles se nomment rozanice, chez les Serbes et les Croates rodjenice ou sudjenice, chez les Bulgares nanenici, et dans quelques régions orisnici. »
Il faut par ailleurs se garder de voir dans l’ancienne religion slave l’équivalent du polythéisme gréco-latin. D’après l’Encyclopaedia Universalis, elle relevait plutôt d’un culte animiste de la nature, au panthéon non fixé :
« Panthéistes et animistes, les anciens Slaves adoraient
Voici pour la religion slave antique. Notons que nombre de déités mineures continuèrent à peupler bois et maisons après l'évangélisation, à la manière des lutins et des fées des pays nordiques. On trouve dans l'ouvrage Mythologie [Livre] : mythes et légendes du monde entier un article assez émouvant sur les Domovoï (ou domovij), esprits du foyer facétieux mais bienveillants pourvu qu'on les respecte, ou le bannik (esprit du bain), par égard de qui on évitait de placer une icône chrétienne dans la pièce où l'on se lavait !
Mais il existe en Tchéquie une autre forme de folklore mythologique, entourant l’origine du peuple tchèque et la fondation de Prague :
« Libuše était la plus jeune des filles du voïvode Krok. Elle prophétisa la fondation de la ville de Prague.
Libuše avait deux sœurs aînées, qui avaient elles aussi des pouvoirs surnaturels. Kazi avait des dons de guérisseuse, Teta parlait aux esprits et Libuše prédisait l'avenir. Sur les souhaits de son père, la plus jeune des sœurs devait prendre sa suite, devenir princesse et juge. Bien qu'elle ait été juste et sage, les hommes la méprisaient pour sa douceur. Elle
choisit pour mari Přemysl de Stadice le Laboureur.
C'est, dit-on, depuis son château de Libušín (ou de celui de Vyšehrad, d'après les légendes plus tardives) que Libuše prophétisa la fondation de la ville de Prague. Un beau jour, tandis qu'elle se tenait dans la cour du château avec Přemysl et scrutait le paysage, sa vision s'obscurcit et elle eut une vision : celle d'une ville immense.
La légende veut que c'est sur cette prophétie que Prague ait été fondée. »
(Source : digital-guide.cz)
Figure mythologique proprement tchèque, elle fut mise à l’honneur par le courant romantique, au moment de l’émergence de la conscience nationale tchèque, et inspira de nombreux artistes.
Pour aller plus loin :
-Larousse des mythologies du monde [Livre] / Fernand Comte
-Mythologie [Livre] : mythes et légendes du monde entier
-Vaclav Machek," Essai comparatif sur la mythologie slave", sur persee.fr
-Alexander H. Krappe, "La légende de Libuše et de Přemysl" sur persee.fr
-"Légendes de l'ancienne Bohême: inspiration de chefs-d'oeuvres de la musique tchèque", émission sur radio.cz
Bonne journée.
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