Question d'origine :
Bonjour,
Comment ça se fait que, pour la société, le lien entre une mère et un enfant (et entre un enfant et sa mère) a l'air d'être "plus fort que tout" (plus fort que le lien père-enfant par exemple) et incassable ?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 29/03/2019 à 10h11
Bonjour,
Vous touchez là un vif débat, qui touche tant à la philosophie qu’à l’histoire, à la psychologie, à la biologie et aux neurosciences ! Sans prétendre entrer dans les détails, nous pouvons résumer les trois tendances principales qui existent à ce sujet. En commençant par les « culturalistes », pour qui l’attachement maternel est une pure construction sociale. A cet égard, il faut évoquer la figure d’Elisabeth Badinter . Un article de Sciences humaines résume son propos :
« Contre cette évidence de l'instinct maternel, Elisabeth Badinter avait écrit en 1980 un livre choc, L'Amour en plus (Flammarion). Loin d'être une donnée naturelle, un instinct inscrit dans les gènes des femmes, l'amour maternel serait profondément modelé par le poids des cultures. Son dossier - bien ficelé - était de nature à ébranler les certitudes. Reprenant les travaux sur l'histoire de l'enfance, l'auteur en concluait que l'idée d'un amour maternel était une idée relativement neuve en Occident, qu'elle datait précisément des environs de 1760. Auparavant, du fait du nombre d'enfants qui mouraient en bas âge, des contraintes économiques qui pesaient sur la femme et, surtout, du peu de considération que l'on portait aux enfants (qu'on jugeait comme une sorte d'ébauche grossière d'être humain), l'attention apportée aux petits n'était pas si forte. De fait, le nombre d'enfants abandonnés ou laissés en nourrice montrait que beaucoup de mères n'étaient pas attachées à leurs petits. La littérature révèle aussi un nombre important de mères distantes et parfois brutales. Pour E. Badinter, ce n'est qu'à la fin du xviiie siècle que le rôle de mère a été valorisé et que le regard sur l'enfance a changé. C'est alors que l'on a enfermé les femmes dans le rôle de mère nourricière exigeant un dévouement total à sa progéniture. »
(Source : Jean-François Dortier, « Ya-t-il un instinct maternel ? » lisible à la BmL sur cairn.info)
Elisabeth Badinter s’inscrivait dans une tradition féministe qui considérait que si la société voyait le lien mère-enfant comme une évidence naturelle, c’était en raison des structures patriarcales de ladite société :
« [Les] féministes matérialistes des années 1970 […] se sont attachées à dénoncer l’association entre féminité et maternité. Ici, l’idée de particularités biologiques propres aux femmes et sources d’un « sentiment maternel » méritent d’être déconstruite pour engager une réflexion sur la construction historique, sociale et politique de cette faculté (Badinter, 1980), et le processus de socialisation des petites filles et les rapports de pouvoir qu’il sous-tend (Beauvoir, 1949). Pour les matérialistes, le mariage, la maternité et la famille opèrent comme des institutions du système patriarcal où se cristallise la triple oppression sexuelle, socio-économique et politique des femmes […]. elles dénoncent l’appropriation du travail des femmes par la « classe des hommes » qui se joue autour de la maternité et de l’institution familiale. S’attachant à critiquer la division sexuelle du travail, ces féministes des courants marxistes s’opposent aux féministes de la première vague : elles cherchent à dénaturaliser les valeurs dites « féminines » pour mettre l’accent sur les privilèges que l’assignation des femmes à la maternité et la sphère privée procure à la « classe des hommes », laquelle valorise ainsi sa propre force de travail et assure sa reproduction. »
Le philosophe Thibaut de Saint-Maurice résumait ainsi sur l’antenne de France inter :
« Les culturalistes soutiennent au contraire que l’instinct maternel est une construction sociale et qui dépend donc d’une histoire et qui répond à des besoins sociaux. Ce n’est pas parce que les mères sont le plus souvent attachées à leurs enfants, que cet attachement est naturel. »
Selon ce philosophe, c’est en réalité à une critique de l’assignation à la maternité que se livre le courant des culturalistes ; et il voit dans la négation de la notion d’instinct maternel un moyen d’émancipation des femmes, ainsi qu’une chance pour les pères de vivre plus pleinement leur paternité.
Outre le fait que cette idée met en opposition « nature » et « rapports et besoin sociaux », elle fait également abstraction des études scientifiques récentes qui tendent tout de même à suggérer que la spécificité du lien mère-enfant est une réalité… neuronale :
« Les pleurs des bébés activent des régions spécifiques, liées aux mouvements et à la parole, du cerveau de leur mère, relève une vaste étude publiée dans les Comptes rendus de l'Académie américaine des sciences (PNAS) et qui conforterait la réalité biologique de l'instinct maternel. Selon cette étude menée dans onze pays, une mère entendant son enfant pleurer aura tendance à toujours avoir le même comportement : le prendre dans les bras et lui parler pour le rassurer. Elle ne porte toutefois pas sur l'instinct paternel et plus largement parental, puisque les pères n'ont pas été inclus dans ce travail.
Comprendre ces réactions et les activités correspondantes dans le cerveau des femmes pourrait aider à identifier les risques de maltraitance encourus par les enfants, selon les chercheurs des Instituts nationaux américains de la santé (NIH) à l'origine de cette étude. Ces derniers ont étudié le comportement maternel et le cerveau - via des imageries par résonance magnétique (IRM) - d'un groupe de 684 femmes récemment devenues mères pour la première fois en Argentine, Belgique, Brésil, Cameroun, France, Israël, Italie, Japon, Kenya, Corée du Sud et Etats-Unis.
Les interactions que celles-ci ont eu avec leur bébé de cinq mois ont été observées et enregistrées, afin de voir si elles répondaient aux pleurs de leur enfant en montrant de l'affection, en le distrayant, le nourrissant, lui changeant la couche, le prenant dans les bras ou en lui parlant. En analysant des IRM d'autres groupes de femmes, ces chercheurs ont constaté en outre que les jeunes mères et celles qui avaient eu plusieurs enfants activaient des régions similaires de leur cerveau lorsque leur bébé pleurait.
L'étude constate que ces pleurs activent chez la plupart des femmes une région cérébrale liée à l'intention de se déplacer et de parler, ainsi que des zones frontales du cerveau impliquées dans le langage et la capacité de parler et d'interpréter des sons. "Ces résultats laissent penser que les réponses des mères aux pleurs de leur bébé sont bien programmées dans le cerveau et communes à l'ensemble des cultures", concluent les auteurs de l'étude. »
(Source : Sciences et avenir cite ainsi une étude réalisée] sciencesetavenir.fr [/url])
Ce qui ne revient pas à priver les mères de libre-arbitre : l’article de Jean-François Dortier cité plus haut évoque ainsi la position de la sociobiologiste Sarah Blaffer Hrdy pour qui, si le lien mère-enfant relève bien de l’instinct, il n’est ni « plus fort que tout », ni « incassable » :
« Dans Les Instincts maternels, défend une thèse qui se démarque à la fois du déterminisme implacable des gènes et de la thèse culturaliste, qui fait de l'amour maternel une pure « construction sociale ». Pour l'auteur, il ne fait aucun doute qu'il existe des mécanismes biologiques qui attachent la mère à son petit. Mais ces mécanismes ne sont pas des pulsions aussi implacables que le besoin de manger ou de dormir. Pour passer de la prédisposition à l'amour maternel effectif, il y a une cascade de logiques qui s'enchaînent. Et c'est la complexité de ces mécanismes qu'elle entreprend de décrire.
[…]
Hormones, odeurs, gènes... il existe donc de puissants motifs biologiques pour encourager les mères à s'occuper de leurs petits. Mais cela suffit-il à faire de toutes les jeunes femmes des mères aimantes et attentionnées ? En aucun cas. […] L'importance de l'abandon et de l'infanticide suffit à remettre en cause l'idée d'un instinct maternel irrépressible. Certes, les mères qui se débarrassent de leurs enfants ont d'impérieuses raisons : la pauvreté, la solitude, l'enfant illégitime qu'il faut éliminer, le désarroi... La plupart des femmes qui s'y sont résolues l'ont fait la mort dans l'âme. Mais le fait même qu'elles aient cédé à ces pressions sociales prouve que l'instinct ne commande pas tout et qu'on peut lui désobéir. Infanticide, abandon, mise en nourrice, maltraitance... En somme, il ne faisait pas bon être enfant dans les temps anciens. Voilà pourquoi, selon S. Blaffer Hrdy, il a fallu que les enfants déploient des stratégies pour séduire les adultes et empêcher qu'on les rejette. Car l'amour maternel ne vient pas que de la mère : il suppose une intervention active de l'enfant pour se faire aimer. En termes évolutionnistes, plusieurs stratégies de séduction sont déployées par les nourrissons. Il y a d'abord les pleurs et les sourires. Les cris de bébé, tout comme les miaulements du petit chat, provoquent spontanément des réactions de compassion. De même, plus tard, la physionomie du nourrisson : grands yeux, visage rond, petite main potelée sont des prototypes qui stimulent chez l'adulte l'attendrissement. Et ce mécanisme ne touche pas que la mère mais aussi les personnes alentour.
Cette stratégie est payante. Beaucoup d'enfants délaissés par leur mère pourront être adoptés et recueillis par des « alloparents » (tantes, grands-parents) ou des étrangers. La nature a donc pourvu les nourrissons de défense contre les défaillances possibles de leur mère. Il est à remarquer que, dans beaucoup de sociétés de mammifères, les alloparents jouent un rôle important dans la prise en charge des petits. Chez les chimpanzés, les femelles et les mâles se disputent pour prendre un nourrisson, le petit exerçant sur eux une force quasi magnétique. »
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik insiste, lui, sur l’aspect évolutif et non figé du lien mère-enfant – et rappelle le rôle de ce dernier dans cette construction :
« Puisque nous sommes aussi des animaux, nous sommes programmés pour la survie de l’espèce, et le lien mère-enfant en est la condition sine qua non. « Dès sa naissance, l’enfant “imprime” sa figure d’attachement, que ce soit sa mère, son père, ou un autre », rappelle Boris Cyrulnik. Autrement dit, il apprend à reconnaître son odeur, son goût, sa voix. Et plus tard, son visage. C’est à partir de cette « empreinte » que le lien va se faire.
Or, pour des raisons génétiques, des dysfonctionnements organiques de la mère ou de l’enfant, cette empreinte peut ne pas se former. « L’attachement est un tissu qu’un enfant et sa mère tricotent toute leur vie, souligne Boris Cyrulnik. S’ils sont séparés à la naissance, ou si les débuts se passent mal, le tricot se fait avec un trou, que la suite des événements va plus ou moins pouvoir réparer. »
Car parallèlement se tisse l’attachement affectif, puis culturel. L’humain n’évolue pas dans un univers exclusivement biologique : l’environnement sensoriel et familial affecte directement son cerveau. Des découvertes récentes l’ont prouvé. Dans son dernier ouvrage (De chair et d’âme, Odile Jacob, 2006), Boris Cyrulnik rapporte des études menées dans des orphelinats roumains, où les enfants sont élevés dans un isolement quasi total, et un examen au scanner montre une atrophie du lobe préfrontal et du cerveau limbique, responsable des émotions. Quand certains de ces enfants sont placés en famille d’accueil, leurs zones reprennent une taille normale dans l’année qui suit. « On construit ce lien, même biologique, toute sa vie, poursuit le neuropsychiatre, il peut donc se rompre. L’amour, même pour sa mère, n’est pas inaltérable. »
Ce lien si fort est donc fragile, mouvant, et la querelle entre les tenants du « tout-biologique » (l’attachement mère-enfant est programmé biologiquement) et ceux du « tout-culturel » (l’amour pour sa mère relève de la norme sociale) n’a plus lieu d’être. « Il faut dépasser ces clivages obsolètes, assure Boris Cyrulnik. L’inné, l’acquis, c’est un vocabulaire idéologique. La biologie n’est rien sans la culture, et vice versa. »
(Source : psychologies.com)
Pour aller plus loin :
-Les instincts maternels [Livre] / Sarah Blaffer Hrdy ; trad. de l'américain Françoise Bouillot
-L'amour en plus [Livre] : histoire de l'amour maternel, XVIIe-XXe siècle / Elisabeth Badinter
-Sous le signe du lien [Livre] : une histoire naturelle de l'attachement / Boris Cyrulnik
-Les mots des mères [Livre] : du XVIIe siècle à nos jours : histoire et anthologie / Yvonne Knibiehler, Martine Sagaert
-La relation mère-enfant [Livre] : instinct ou intuition ? / Marie-Dominique Amy
Bonnes lectures.
Vous touchez là un vif débat, qui touche tant à la philosophie qu’à l’histoire, à la psychologie, à la biologie et aux neurosciences ! Sans prétendre entrer dans les détails, nous pouvons résumer les trois tendances principales qui existent à ce sujet. En commençant par les « culturalistes », pour qui l’attachement maternel est une pure construction sociale. A cet égard, il faut évoquer la figure d’
« Contre cette évidence de l'instinct maternel, Elisabeth Badinter avait écrit en 1980 un livre choc, L'Amour en plus (Flammarion). Loin d'être une donnée naturelle, un instinct inscrit dans les gènes des femmes, l'amour maternel serait profondément modelé par le poids des cultures. Son dossier - bien ficelé - était de nature à ébranler les certitudes. Reprenant les travaux sur l'histoire de l'enfance, l'auteur en concluait que l'idée d'un amour maternel était une idée relativement neuve en Occident, qu'elle datait précisément des environs de 1760. Auparavant, du fait du nombre d'enfants qui mouraient en bas âge, des contraintes économiques qui pesaient sur la femme et, surtout, du peu de considération que l'on portait aux enfants (qu'on jugeait comme une sorte d'ébauche grossière d'être humain), l'attention apportée aux petits n'était pas si forte. De fait, le nombre d'enfants abandonnés ou laissés en nourrice montrait que beaucoup de mères n'étaient pas attachées à leurs petits. La littérature révèle aussi un nombre important de mères distantes et parfois brutales. Pour E. Badinter, ce n'est qu'à la fin du xviiie siècle que le rôle de mère a été valorisé et que le regard sur l'enfance a changé. C'est alors que l'on a enfermé les femmes dans le rôle de mère nourricière exigeant un dévouement total à sa progéniture. »
(Source : Jean-François Dortier, « Ya-t-il un instinct maternel ? » lisible à la BmL sur cairn.info)
Elisabeth Badinter s’inscrivait dans une tradition féministe qui considérait que si la société voyait le lien mère-enfant comme une évidence naturelle, c’était en raison des structures patriarcales de ladite société :
« [Les] féministes matérialistes des années 1970 […] se sont attachées à dénoncer l’association entre féminité et maternité. Ici, l’idée de particularités biologiques propres aux femmes et sources d’un « sentiment maternel » méritent d’être déconstruite pour engager une réflexion sur la construction historique, sociale et politique de cette faculté (Badinter, 1980), et le processus de socialisation des petites filles et les rapports de pouvoir qu’il sous-tend (Beauvoir, 1949). Pour les matérialistes, le mariage, la maternité et la famille opèrent comme des institutions du système patriarcal où se cristallise la triple oppression sexuelle, socio-économique et politique des femmes […]. elles dénoncent l’appropriation du travail des femmes par la « classe des hommes » qui se joue autour de la maternité et de l’institution familiale. S’attachant à critiquer la division sexuelle du travail, ces féministes des courants marxistes s’opposent aux féministes de la première vague : elles cherchent à dénaturaliser les valeurs dites « féminines » pour mettre l’accent sur les privilèges que l’assignation des femmes à la maternité et la sphère privée procure à la « classe des hommes », laquelle valorise ainsi sa propre force de travail et assure sa reproduction. »
Le philosophe Thibaut de Saint-Maurice résumait ainsi sur l’antenne de France inter :
« Les culturalistes soutiennent au contraire que l’instinct maternel est une construction sociale et qui dépend donc d’une histoire et qui répond à des besoins sociaux. Ce n’est pas parce que les mères sont le plus souvent attachées à leurs enfants, que cet attachement est naturel. »
Selon ce philosophe, c’est en réalité à une critique de l’assignation à la maternité que se livre le courant des culturalistes ; et il voit dans la négation de la notion d’instinct maternel un moyen d’émancipation des femmes, ainsi qu’une chance pour les pères de vivre plus pleinement leur paternité.
Outre le fait que cette idée met en opposition « nature » et « rapports et besoin sociaux », elle fait également abstraction des études scientifiques récentes qui tendent tout de même à suggérer que la spécificité du lien mère-enfant est une réalité… neuronale :
« Les pleurs des bébés activent des régions spécifiques, liées aux mouvements et à la parole, du cerveau de leur mère, relève une vaste étude publiée dans les Comptes rendus de l'Académie américaine des sciences (PNAS) et qui conforterait la réalité biologique de l'instinct maternel. Selon cette étude menée dans onze pays, une mère entendant son enfant pleurer aura tendance à toujours avoir le même comportement : le prendre dans les bras et lui parler pour le rassurer. Elle ne porte toutefois pas sur l'instinct paternel et plus largement parental, puisque les pères n'ont pas été inclus dans ce travail.
Comprendre ces réactions et les activités correspondantes dans le cerveau des femmes pourrait aider à identifier les risques de maltraitance encourus par les enfants, selon les chercheurs des Instituts nationaux américains de la santé (NIH) à l'origine de cette étude. Ces derniers ont étudié le comportement maternel et le cerveau - via des imageries par résonance magnétique (IRM) - d'un groupe de 684 femmes récemment devenues mères pour la première fois en Argentine, Belgique, Brésil, Cameroun, France, Israël, Italie, Japon, Kenya, Corée du Sud et Etats-Unis.
Les interactions que celles-ci ont eu avec leur bébé de cinq mois ont été observées et enregistrées, afin de voir si elles répondaient aux pleurs de leur enfant en montrant de l'affection, en le distrayant, le nourrissant, lui changeant la couche, le prenant dans les bras ou en lui parlant. En analysant des IRM d'autres groupes de femmes, ces chercheurs ont constaté en outre que les jeunes mères et celles qui avaient eu plusieurs enfants activaient des régions similaires de leur cerveau lorsque leur bébé pleurait.
L'étude constate que ces pleurs activent chez la plupart des femmes une région cérébrale liée à l'intention de se déplacer et de parler, ainsi que des zones frontales du cerveau impliquées dans le langage et la capacité de parler et d'interpréter des sons. "Ces résultats laissent penser que les réponses des mères aux pleurs de leur bébé sont bien programmées dans le cerveau et communes à l'ensemble des cultures", concluent les auteurs de l'étude. »
(Source : Sciences et avenir cite ainsi une étude réalisée] sciencesetavenir.fr [/url])
Ce qui ne revient pas à priver les mères de libre-arbitre : l’article de Jean-François Dortier cité plus haut évoque ainsi la position de la sociobiologiste Sarah Blaffer Hrdy pour qui, si le lien mère-enfant relève bien de l’instinct, il n’est ni « plus fort que tout », ni « incassable » :
« Dans Les Instincts maternels, défend une thèse qui se démarque à la fois du déterminisme implacable des gènes et de la thèse culturaliste, qui fait de l'amour maternel une pure « construction sociale ». Pour l'auteur, il ne fait aucun doute qu'il existe des mécanismes biologiques qui attachent la mère à son petit. Mais ces mécanismes ne sont pas des pulsions aussi implacables que le besoin de manger ou de dormir. Pour passer de la prédisposition à l'amour maternel effectif, il y a une cascade de logiques qui s'enchaînent. Et c'est la complexité de ces mécanismes qu'elle entreprend de décrire.
[…]
Hormones, odeurs, gènes... il existe donc de puissants motifs biologiques pour encourager les mères à s'occuper de leurs petits. Mais cela suffit-il à faire de toutes les jeunes femmes des mères aimantes et attentionnées ? En aucun cas. […] L'importance de l'abandon et de l'infanticide suffit à remettre en cause l'idée d'un instinct maternel irrépressible. Certes, les mères qui se débarrassent de leurs enfants ont d'impérieuses raisons : la pauvreté, la solitude, l'enfant illégitime qu'il faut éliminer, le désarroi... La plupart des femmes qui s'y sont résolues l'ont fait la mort dans l'âme. Mais le fait même qu'elles aient cédé à ces pressions sociales prouve que l'instinct ne commande pas tout et qu'on peut lui désobéir. Infanticide, abandon, mise en nourrice, maltraitance... En somme, il ne faisait pas bon être enfant dans les temps anciens. Voilà pourquoi, selon S. Blaffer Hrdy, il a fallu que les enfants déploient des stratégies pour séduire les adultes et empêcher qu'on les rejette. Car l'amour maternel ne vient pas que de la mère : il suppose une intervention active de l'enfant pour se faire aimer. En termes évolutionnistes, plusieurs stratégies de séduction sont déployées par les nourrissons. Il y a d'abord les pleurs et les sourires. Les cris de bébé, tout comme les miaulements du petit chat, provoquent spontanément des réactions de compassion. De même, plus tard, la physionomie du nourrisson : grands yeux, visage rond, petite main potelée sont des prototypes qui stimulent chez l'adulte l'attendrissement. Et ce mécanisme ne touche pas que la mère mais aussi les personnes alentour.
Cette stratégie est payante. Beaucoup d'enfants délaissés par leur mère pourront être adoptés et recueillis par des « alloparents » (tantes, grands-parents) ou des étrangers. La nature a donc pourvu les nourrissons de défense contre les défaillances possibles de leur mère. Il est à remarquer que, dans beaucoup de sociétés de mammifères, les alloparents jouent un rôle important dans la prise en charge des petits. Chez les chimpanzés, les femelles et les mâles se disputent pour prendre un nourrisson, le petit exerçant sur eux une force quasi magnétique. »
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik insiste, lui, sur l’aspect évolutif et non figé du lien mère-enfant – et rappelle le rôle de ce dernier dans cette construction :
« Puisque nous sommes aussi des animaux, nous sommes programmés pour la survie de l’espèce, et le lien mère-enfant en est la condition sine qua non. « Dès sa naissance, l’enfant “imprime” sa figure d’attachement, que ce soit sa mère, son père, ou un autre », rappelle Boris Cyrulnik. Autrement dit, il apprend à reconnaître son odeur, son goût, sa voix. Et plus tard, son visage. C’est à partir de cette « empreinte » que le lien va se faire.
Or, pour des raisons génétiques, des dysfonctionnements organiques de la mère ou de l’enfant, cette empreinte peut ne pas se former. « L’attachement est un tissu qu’un enfant et sa mère tricotent toute leur vie, souligne Boris Cyrulnik. S’ils sont séparés à la naissance, ou si les débuts se passent mal, le tricot se fait avec un trou, que la suite des événements va plus ou moins pouvoir réparer. »
Car parallèlement se tisse l’attachement affectif, puis culturel. L’humain n’évolue pas dans un univers exclusivement biologique : l’environnement sensoriel et familial affecte directement son cerveau. Des découvertes récentes l’ont prouvé. Dans son dernier ouvrage (De chair et d’âme, Odile Jacob, 2006), Boris Cyrulnik rapporte des études menées dans des orphelinats roumains, où les enfants sont élevés dans un isolement quasi total, et un examen au scanner montre une atrophie du lobe préfrontal et du cerveau limbique, responsable des émotions. Quand certains de ces enfants sont placés en famille d’accueil, leurs zones reprennent une taille normale dans l’année qui suit. « On construit ce lien, même biologique, toute sa vie, poursuit le neuropsychiatre, il peut donc se rompre. L’amour, même pour sa mère, n’est pas inaltérable. »
Ce lien si fort est donc fragile, mouvant, et la querelle entre les tenants du « tout-biologique » (l’attachement mère-enfant est programmé biologiquement) et ceux du « tout-culturel » (l’amour pour sa mère relève de la norme sociale) n’a plus lieu d’être. « Il faut dépasser ces clivages obsolètes, assure Boris Cyrulnik. L’inné, l’acquis, c’est un vocabulaire idéologique. La biologie n’est rien sans la culture, et vice versa. »
(Source : psychologies.com)
-Les instincts maternels [Livre] / Sarah Blaffer Hrdy ; trad. de l'américain Françoise Bouillot
-L'amour en plus [Livre] : histoire de l'amour maternel, XVIIe-XXe siècle / Elisabeth Badinter
-Sous le signe du lien [Livre] : une histoire naturelle de l'attachement / Boris Cyrulnik
-Les mots des mères [Livre] : du XVIIe siècle à nos jours : histoire et anthologie / Yvonne Knibiehler, Martine Sagaert
-La relation mère-enfant [Livre] : instinct ou intuition ? / Marie-Dominique Amy
Bonnes lectures.
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