Question d'origine :
Bonjour,
Dans notre monde de plus de sept milliard de population, est ce que l’anglais est la seule langue de diffusion des résultats de recherches et des découvertes ?
Merci et bravo.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 18/03/2019 à 10h14
Bonjour,
D’après les sources que nous avons pu consulter, l’anglais occupe bien une position de quasi-monopole sur les publications scientifiques, du moins en ce qui concerne les sciences dites « dures » (mathématiques, physique, chimie, biologie…) – et ce, contrairement aux sciences humaines. Un constat rappelé par David Monniaux, directeur de recherches au CNRS, à partir d’un débat sur le sujet, il y a quelques années :
« L’anglais est, de fait, la lingua franca des sciences et techniques, comme l’a été le latin par le passé. C’est parce que nos collègues coréens, japonais, italiens, allemands, espagnols, hongrois, etc. écrivent leurs articles scientifiques en anglais que nous, scientifiques français, pouvons les lire : un chercheur dont le métier serait, par exemple, les mathématiques, ne pourrait se permettre d’apprendre toutes ces langues. Cet anglais est, certes, limité - ce n’est ni la langue de Shakespeare ni celle de Nabokov ; mais, si ces articles, ces monographies et ces thèses étaient écrits en français, ils ne seraient ni dans la langue de Montaigne ni dans celle de Proust.
Le langage scientifique se veut précis et univoque, son vocabulaire est codifié : il s’agit de transmettre des faits, des concepts, des idées, des démonstrations, sans se préoccuper de style. Il porte sur des phénomènes indépendants des cultures : une étoile s’éloigne à la même vitesse de la Terre qu’on la voie de Tokyo ou de Paris, un théorème vrai à Madrid l’est encore à Mumbai. […] On comprend fort bien qu’un doctorant travaillant sur Proust ou sur le droit français rédige sa thèse en français, car, de toute façon, son sujet d’étude exige qu’il maîtrise cette langue ; il en sera de même de la très grande majorité de ceux susceptibles d’être intéressés à la lecture de son mémoire. A l’inverse, une thèse sur, par exemple, l’équation de Boltzmann, pourra avoir un lectorat international dont seule une faible part lit le français. »
(Source : liberation.fr)
Cela n’a toujours pas été le cas, comme l’explique le blog vulgarisation-scientifique.com. Entre les XVIème et XIXème siècle, le latin « a progressivement cédé la place à des langues comme l'anglais, le français, l'allemand, l'italien et le russe », si bien qu’ « Au cours du 19ème siècle et du début du 20ème, trois langues occupaient une place centrale en sciences : l'anglais, le français et l'allemand. Chaque discipline avait alors sa langue privilégiée : l'allemand pour la médecine, la biologie, la physique et la chimie ; le français pour le droit et les sciences politiques ; et l'anglais pour l'économie politique et la géologie.
Cet équilibre fut perturbé au cours du 20ème siècle pour des raisons politiques et socio-économiques. La puissance économique et politique des États-Unis à partir de la fin du 19ème siècle, mais aussi et surtout le triomphe américain à la sortie de la seconde guerre mondiale, constituent les facteurs principaux expliquant la dominance actuelle de la langue anglaise dans les publications scientifiques internationales. La science n'est d'ailleurs pas le seul domaine dans lequel l'anglais s'est imposé comme langue internationale : ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle aussi « la langue du commerce », par exemple.
En science, cette dominance anglaise s'est manifestée par l'augmentation significative de la proportion de publications scientifiques faites en anglais plutôt que dans d'autres langues comme l'allemand et le français.
[…]
À la fin du 20ème siècle, l’anglais s'est clairement imposé comme langue dominante : plus de 75% des publications dans les revues scientifiques internationales sont en anglais, chiffre qui monte à plus de 90% si on se limite au domaine des sciences dures.
À l'heure actuelle, l'anglais est devenu incontournable en sciences : toutes les conférences internationales importantes et toutes les revues scientifiques à haut facteur d'impact sont dans la langue de Shakespeare. Des revues scientifiques dans d'autres langues existent toujours (le français et le chinois, notamment), mais elles ont généralement beaucoup moins d'impact : pour s'assurer que les résultats de ses recherches soient lus par ses pairs, un chercheur a tout intérêt à les publier en anglais ! »
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’irréductibles francophones qui résiste encore et toujours aux envahisseurs. Mais ceux-ci sont extrêmement minoritaires, même si c’est à regret :
« La diffusion dans une langue dominante, comme l'anglais, influence nécessairement la production des connaissances. Pour maintenir sa place dans la science mondiale, la Suisse doit publier et former ses chercheurs en anglais. Pour pouvoir discuter de concepts scientifiques dans les langues de la Confédération, elle doit demander à ses chercheurs de préserver leur diversité linguistique. Cela nécessite du temps: il faut rédiger les protocoles de recherche ou les comptes-rendus d'expérience en français, puis systématiquement passer à l'anglais pour diffuser internationalement les connaissances.
Cependant, ces efforts ont des conséquences positives. En effet, à poser les questions scientifiques en différentes langues, on réfléchit différemment. Car les concepts ne sont pas définis de la même manière dans les différentes cultures. Pour discuter de sciences, il faut d'abord en parler. Et cela ne va pas de soi, même à l'intérieur d'une communauté linguistique plus ou moins homogène. Formuler correctement les concepts devient alors une phase importante d'élaboration de la science. La reformulation des connaissances contribue à améliorer et étendre les structures théoriques. La science est donc de meilleure qualité quand les concepts ont été affinés en plusieurs langues. »
(Source : rts.ch)
Comme me remarquait un article du Monde dès 2013, cela semble peine perdue :
« Du point de vue de la place globale de l'anglais dans l'enseignement supérieur, l'enquête de l'INED a le tranchant des vérités qui blessent : l'anglais s'est imposé sans partage. Menée auprès de 1 963 directeurs de laboratoires puis de 8 883 chercheurs entre 2007 et 2009, cette enquête montre que la loi Toubon, qui impose le français dans l'enseignement supérieur, est ouvertement bafouée et n'a eu aucun impact sur la progression de l'anglais.
Bien au contraire... 81 % des directeurs de laboratoire constatent qu'en vingt ans, l'anglais s'est imposée comme la langue dominante. "Les scientifiques français n'ont jamais autant cherché ni enseigné en anglais", poursuit M. Héran.
Les chercheurs interrogés le disent sans ambages : "Pour 83 % d'entre eux, la langue la plus utilisée dans leur propre domaine est l'anglais, le plus souvent en situation de monopole (42 %). Pour 10 % seulement, c'est le français (8 % en monopole)." Huit chercheurs sur dix jugent que l'anglais est "devenu d'usage si courant dans la recherche que le choix de la langue ne se pose plus". »
Bonne journée.
D’après les sources que nous avons pu consulter, l’anglais occupe bien une position de quasi-monopole sur les publications scientifiques, du moins en ce qui concerne les sciences dites « dures » (mathématiques, physique, chimie, biologie…) – et ce, contrairement aux sciences humaines. Un constat rappelé par David Monniaux, directeur de recherches au CNRS, à partir d’un débat sur le sujet, il y a quelques années :
« L’anglais est, de fait, la lingua franca des sciences et techniques, comme l’a été le latin par le passé. C’est parce que nos collègues coréens, japonais, italiens, allemands, espagnols, hongrois, etc. écrivent leurs articles scientifiques en anglais que nous, scientifiques français, pouvons les lire : un chercheur dont le métier serait, par exemple, les mathématiques, ne pourrait se permettre d’apprendre toutes ces langues. Cet anglais est, certes, limité - ce n’est ni la langue de Shakespeare ni celle de Nabokov ; mais, si ces articles, ces monographies et ces thèses étaient écrits en français, ils ne seraient ni dans la langue de Montaigne ni dans celle de Proust.
Le langage scientifique se veut précis et univoque, son vocabulaire est codifié : il s’agit de transmettre des faits, des concepts, des idées, des démonstrations, sans se préoccuper de style. Il porte sur des phénomènes indépendants des cultures : une étoile s’éloigne à la même vitesse de la Terre qu’on la voie de Tokyo ou de Paris, un théorème vrai à Madrid l’est encore à Mumbai. […] On comprend fort bien qu’un doctorant travaillant sur Proust ou sur le droit français rédige sa thèse en français, car, de toute façon, son sujet d’étude exige qu’il maîtrise cette langue ; il en sera de même de la très grande majorité de ceux susceptibles d’être intéressés à la lecture de son mémoire. A l’inverse, une thèse sur, par exemple, l’équation de Boltzmann, pourra avoir un lectorat international dont seule une faible part lit le français. »
(Source : liberation.fr)
Cela n’a toujours pas été le cas, comme l’explique le blog vulgarisation-scientifique.com. Entre les XVIème et XIXème siècle, le latin « a progressivement cédé la place à des langues comme l'anglais, le français, l'allemand, l'italien et le russe », si bien qu’ « Au cours du 19ème siècle et du début du 20ème, trois langues occupaient une place centrale en sciences : l'anglais, le français et l'allemand. Chaque discipline avait alors sa langue privilégiée : l'allemand pour la médecine, la biologie, la physique et la chimie ; le français pour le droit et les sciences politiques ; et l'anglais pour l'économie politique et la géologie.
Cet équilibre fut perturbé au cours du 20ème siècle pour des raisons politiques et socio-économiques. La puissance économique et politique des États-Unis à partir de la fin du 19ème siècle, mais aussi et surtout le triomphe américain à la sortie de la seconde guerre mondiale, constituent les facteurs principaux expliquant la dominance actuelle de la langue anglaise dans les publications scientifiques internationales. La science n'est d'ailleurs pas le seul domaine dans lequel l'anglais s'est imposé comme langue internationale : ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle aussi « la langue du commerce », par exemple.
En science, cette dominance anglaise s'est manifestée par l'augmentation significative de la proportion de publications scientifiques faites en anglais plutôt que dans d'autres langues comme l'allemand et le français.
[…]
À la fin du 20ème siècle, l’anglais s'est clairement imposé comme langue dominante : plus de 75% des publications dans les revues scientifiques internationales sont en anglais, chiffre qui monte à plus de 90% si on se limite au domaine des sciences dures.
À l'heure actuelle, l'anglais est devenu incontournable en sciences : toutes les conférences internationales importantes et toutes les revues scientifiques à haut facteur d'impact sont dans la langue de Shakespeare. Des revues scientifiques dans d'autres langues existent toujours (le français et le chinois, notamment), mais elles ont généralement beaucoup moins d'impact : pour s'assurer que les résultats de ses recherches soient lus par ses pairs, un chercheur a tout intérêt à les publier en anglais ! »
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’irréductibles francophones qui résiste encore et toujours aux envahisseurs. Mais ceux-ci sont extrêmement minoritaires, même si c’est à regret :
« La diffusion dans une langue dominante, comme l'anglais, influence nécessairement la production des connaissances. Pour maintenir sa place dans la science mondiale, la Suisse doit publier et former ses chercheurs en anglais. Pour pouvoir discuter de concepts scientifiques dans les langues de la Confédération, elle doit demander à ses chercheurs de préserver leur diversité linguistique. Cela nécessite du temps: il faut rédiger les protocoles de recherche ou les comptes-rendus d'expérience en français, puis systématiquement passer à l'anglais pour diffuser internationalement les connaissances.
Cependant, ces efforts ont des conséquences positives. En effet, à poser les questions scientifiques en différentes langues, on réfléchit différemment. Car les concepts ne sont pas définis de la même manière dans les différentes cultures. Pour discuter de sciences, il faut d'abord en parler. Et cela ne va pas de soi, même à l'intérieur d'une communauté linguistique plus ou moins homogène. Formuler correctement les concepts devient alors une phase importante d'élaboration de la science. La reformulation des connaissances contribue à améliorer et étendre les structures théoriques. La science est donc de meilleure qualité quand les concepts ont été affinés en plusieurs langues. »
(Source : rts.ch)
Comme me remarquait un article du Monde dès 2013, cela semble peine perdue :
« Du point de vue de la place globale de l'anglais dans l'enseignement supérieur, l'enquête de l'INED a le tranchant des vérités qui blessent : l'anglais s'est imposé sans partage. Menée auprès de 1 963 directeurs de laboratoires puis de 8 883 chercheurs entre 2007 et 2009, cette enquête montre que la loi Toubon, qui impose le français dans l'enseignement supérieur, est ouvertement bafouée et n'a eu aucun impact sur la progression de l'anglais.
Bien au contraire... 81 % des directeurs de laboratoire constatent qu'en vingt ans, l'anglais s'est imposée comme la langue dominante. "Les scientifiques français n'ont jamais autant cherché ni enseigné en anglais", poursuit M. Héran.
Les chercheurs interrogés le disent sans ambages : "Pour 83 % d'entre eux, la langue la plus utilisée dans leur propre domaine est l'anglais, le plus souvent en situation de monopole (42 %). Pour 10 % seulement, c'est le français (8 % en monopole)." Huit chercheurs sur dix jugent que l'anglais est "devenu d'usage si courant dans la recherche que le choix de la langue ne se pose plus". »
Bonne journée.
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