Question d'origine :
Bonjour,
Nous entendons souvent (et lisons) l'expression "voire même". Il me semblait qu'il y avait là une redondance ... Qu'en est-il vraiment ?
Merci
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 27/02/2019 à 13h38
Bonjour,
Reportons-nous d’abord à l’histoire et au sens de l’adverbe VOIRE :
« Voire, adv :
A. − Vx. [Empl. comme particule d'assertion] Vraiment, certes, assurément. Édouard, entre les mains de Philippe de Valois, avait accepté par le mot voire (oui) ce serment français qu'il viola (Chateaubr., Litt. angl., t. 1, 1836, p. 94).
B. − Vieilli, littér. ou p. plaisant. [Empl. p. antiphr. pour nier qqc. ou exprimer un doute] Nous avions beau alléger notre défaite en y mettant de l'ironie, nous nous sentions cocus, certes, et pas contents. Pas contents? Voire. À l'occasion, nous y allions encore d'un beau discours (Abellio, Pacifiques, 1946, p. 277).Mara: (...) voilà que tout est pour elle et rien pour moi. La Mère: Tu auras ta part. Mara: Voire! (Claudel, Annonce, 1948, I, 2, p. 154).
C. − Littér. [Sert à renforcer une assertion, à renchérir] Même, et même. Il y a de ces heures, non pas seulement d'aberration, comme vous dites, mais de souffrance réelle, intolérable, qui peuvent conduire à des folies et détruire toute une vie, voire deux (Rolland, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1226).J'eus l'occasion de constater que mon amie aurait pu être ma mère, voire ma grand'mère (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 372).
♦ Voire même. Le texte nous est parvenu en si mauvais état qu'il est souvent très difficile, voire même impossible de deviner ce que l'auteur a voulu dire (Mérimée, Lettres Delessert, 1848, p. 40).Le chasseur (...), il lui faut étouffer le bruit de ses pas, se courber, voire même ramper si les eaux sont hautes (Vidron, Chasse, 1945, p. 74).
Rem.L'expr. voire même est souvent considérée comme un pléonasme fautif et notée fam. ds Ac. 1835, 1878. »
(Source : cnrtl.fr)
Les sources lexicographiques que nous avons pu consulter, telles que le Grand Robert, se bornent à constater que « ce tour estcritiqué comme pléonasme », mais sans le condamner clairement. Dans Le Bon usage, Grevisse est quant à lui plus précis :
« On trouve plus souvent dans le même sens voire même, parfois condamné comme pléonastique, mais qui peut alléguer en sa faveur son ancienneté et l’approbation de l’Académie et de Littré : Quelques-uns, VOIRE MÊME beaucoup, ont voulu prendre leur part de sa gloire (Mérimée). […]
Vaugelas ne le trouvait pas d’un excellent usage, mais ne le condamnait pas cependant. Il était assez fréquent [au XVIIè siècle]. »
Le tour voire même est donc bien un pléonasme ; pour autant, il est tout à fait français. La revue L’Intermédiaire des chercheurs et des curieuxremarquait déjà en 1874 :
« En définitive, le mot même ajouté à voire peut passer pour un pléonasme : en certains cas pourtant, il semble donner plus de force à l’expression […] »
D’ailleurs, ses contempteurs, pour le dénigrer, ne font jamais appel aux règles sacro-saintes du « bon français » - ils usent du vocabulaire du mépris :
« L’Académie admet, dans le style familier, cette expression, qui est en effet usitée aujourd’hui, mais n’en vaut pas mieux. »
(B. Jullien, Le Langage vicieux corrigé, 1853)
Ou bien de l’aversion affective :
« Ne craignons pas d’être un peu puriste. A bon escient du moins. Voire à mauvais escient ! On a ses faiblesses :je déteste quant à moi le pléonasme voire même. »
(Bernard Cerquiglini, Petites chroniques du français comme on l’aime, 2012)
Ce déchaînement de passions trouve peut-être son origine dans la longue romance qu’a entretenu l’adverbe « voire » avec les pléonasmes au cours des siècles… et dont « voire même » est loin d’être l'avatar le plus abracadabrantesque ! Plongeons-nous dans le Dictionnaire historique de la langue française (Robert) :
« A partir du XVIè siècle, [VOIRE] est renforcé par des adverbes, même (1601,voire même ), vraiment voire vraiment (1530), mais voire mais (1538) […] voire s’employait aussi (1607), surtout par plaisanterie, pour marquer le doute . »
On constate que l’adverbe VOIRE, avec ses composés, a très tôt acquis une connotation ironique, moqueuse, parodique et sceptique. L’utiliser ou non ne fera donc pas de vous quelqu’un qui parle bien ou mal le français, mais quelqu’un qui se présente ou non comme puriste, qui admet ou qui moque l’esprit de sérieux.
Bonne journée.
Reportons-nous d’abord à l’histoire et au sens de l’adverbe VOIRE :
« Voire, adv :
A. − Vx. [Empl. comme particule d'assertion] Vraiment, certes, assurément. Édouard, entre les mains de Philippe de Valois, avait accepté par le mot voire (oui) ce serment français qu'il viola (Chateaubr., Litt. angl., t. 1, 1836, p. 94).
B. − Vieilli, littér. ou p. plaisant. [Empl. p. antiphr. pour nier qqc. ou exprimer un doute] Nous avions beau alléger notre défaite en y mettant de l'ironie, nous nous sentions cocus, certes, et pas contents. Pas contents? Voire. À l'occasion, nous y allions encore d'un beau discours (Abellio, Pacifiques, 1946, p. 277).Mara: (...) voilà que tout est pour elle et rien pour moi. La Mère: Tu auras ta part. Mara: Voire! (Claudel, Annonce, 1948, I, 2, p. 154).
C. − Littér. [Sert à renforcer une assertion, à renchérir] Même, et même. Il y a de ces heures, non pas seulement d'aberration, comme vous dites, mais de souffrance réelle, intolérable, qui peuvent conduire à des folies et détruire toute une vie, voire deux (Rolland, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1226).J'eus l'occasion de constater que mon amie aurait pu être ma mère, voire ma grand'mère (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 372).
♦ Voire même. Le texte nous est parvenu en si mauvais état qu'il est souvent très difficile, voire même impossible de deviner ce que l'auteur a voulu dire (Mérimée, Lettres Delessert, 1848, p. 40).Le chasseur (...), il lui faut étouffer le bruit de ses pas, se courber, voire même ramper si les eaux sont hautes (Vidron, Chasse, 1945, p. 74).
Rem.
(Source : cnrtl.fr)
Les sources lexicographiques que nous avons pu consulter, telles que le Grand Robert, se bornent à constater que « ce tour est
« On trouve plus souvent dans le même sens voire même,
Vaugelas ne le trouvait pas d’un excellent usage, mais ne le condamnait pas cependant. Il était assez fréquent [au XVIIè siècle]. »
Le tour voire même est donc bien un pléonasme ; pour autant, il est tout à fait français. La revue L’Intermédiaire des chercheurs et des curieuxremarquait déjà en 1874 :
« En définitive, le mot même ajouté à voire peut passer pour un pléonasme : en certains cas pourtant, il semble donner plus de force à l’expression […] »
D’ailleurs, ses contempteurs, pour le dénigrer, ne font jamais appel aux règles sacro-saintes du « bon français » - ils usent du vocabulaire du mépris :
« L’Académie admet, dans le style familier, cette expression, qui est en effet usitée aujourd’hui, mais n’en vaut pas mieux. »
(B. Jullien, Le Langage vicieux corrigé, 1853)
Ou bien de l’aversion affective :
« Ne craignons pas d’être un peu puriste. A bon escient du moins. Voire à mauvais escient ! On a ses faiblesses :
(Bernard Cerquiglini, Petites chroniques du français comme on l’aime, 2012)
Ce déchaînement de passions trouve peut-être son origine dans la longue romance qu’a entretenu l’adverbe « voire » avec les pléonasmes au cours des siècles… et dont « voire même » est loin d’être l'avatar le plus abracadabrantesque ! Plongeons-nous dans le Dictionnaire historique de la langue française (Robert) :
« A partir du XVIè siècle, [VOIRE] est renforcé par des adverbes, même (1601,
On constate que l’adverbe VOIRE, avec ses composés, a très tôt acquis une connotation ironique, moqueuse, parodique et sceptique. L’utiliser ou non ne fera donc pas de vous quelqu’un qui parle bien ou mal le français, mais quelqu’un qui se présente ou non comme puriste, qui admet ou qui moque l’esprit de sérieux.
Bonne journée.
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