Question d'origine :
Bonjour.
Je viens de voir sur Internet qu’en ce moment à Paris, il y a une exposition temporaire au musée de l’Homme sur les accessoires utilisés par les rescapés du naufrage de l’Utile sur l’ile Tromelin (au large de Madagascar).
Cela m’a marqué parce quelques mois auparavant, des membres de ma famille en avaient découvert l’histoire en ayant lu le livre d’Irene Frain sur les naufragés de l’ile Tromelin que je viens de commencer pour profiter à fond de l’expo que je veux donc aller voir.
Ces membres de ma famille ne sont pas historiens, ils m’en ont raconté les extraits qui les ont le plus marqué. Mais le récit de ces extraits m’a rappelé un autre naufrage célèbre mais ultérieur: celui de la Méduse.
Y a t il de véritables similitudes voire des coïncidences troublantes entre les deux histoires ? Y a t il un livre qui les a étudiées ?
Quand l’affaire de la Méduse a été révélée en France, cela a causé une grave crise politique qui a failli renverser Louis XVIII qui venait d’arriver au pouvoir. La révélation en France métropolitaine que les rescapés avaient été abandonnés sur l’ile Tromelin a t elle causé des troubles en France métropolitaine ?
Cordialement.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 27/02/2019 à 15h30
Bonjour,
Pour une approche historique de l’épisode de l’île de Tromelin, il faut bien sûr se référer aux archéologues Thomas Romon et Max Guérout, commissaires scientifiques de l’exposition du Musée de l’homme et auteurs de Tromelin : l'île aux esclaves oubliés, qui présente le récit du naufrage et les résultats de leurs fouilles effectuées sur l’île.
Dans L’archéologie et l’actualité de «Tromelin, l’île des esclaves oubliés», interview sur le site RFI, Thomas Romon résume ainsi le naufrage : « C’est l’histoire d’un bateau de la Compagnie des Indes qui quitte Bayonne dans les années 1760 pour rejoindre l’île Maurice, à l’époque appelée l’ile de France. De l’île Maurice, le bateau part à Madagascar pour chercher du riz et du bœuf, mais il embarque aussi - clandestinement, parce qu’il n’avait pas l’autorisation - des esclaves. Lors de son voyage retour, le bateau échoue sur une petite île dans l’Océan indien, l’île de Tromelin [à l’époque appelée île de Sables, elle portera plus tard le nom du chevalier de Tromelin qui avait secouru les naufragés, ndlr]. Les naufragés, environ 120 hommes d’équipage et autour de 80 à 100 esclaves, y construisent un puits, parce qu’il n’y avait pas d’eau sur cette île. Ensuite, ils construisent un bateau. Trop petit, seuls les marins français peuvent repartir avec le bateau et regagner Madagascar en promettant aux esclaves de revenir les chercher. Une chose qui sera faite uniquement 15 ans plus tard et il ne restera plus (sur l'île) que sept naufragés et un enfant de huit mois au moment de leur sauvetage en 1776. »
L’article La véritable histoire du radeau de la Méduse de Pierre Anthonioz sur le site de L’Histoire, est quant à lui un bon résumé de celui de la Méduse.
S’il ne semble pas y avoir d’ouvrage entièrement consacré aux ressemblances entre ces deux histoires de naufrages, vous n’êtes pas le seul à les avoir remarquées.
Max Guérout notamment dans la même interview sur RFI, situe le naufrage sur l’île Tromelin « entre Robinson Crusoé et le Radeau de la Méduse » : « Robinson Crusoé est l’un des archétypes de l’abandon. Mais autour de Robinson Crusoé, il y avait tellement d’auteurs qui ont écrit leur vision. Il y a toute une réflexion autour de la solitude et la manière dont on peut la vivre ou pas. Le drame du Radeau de la Méduse, c’est qu’une partie des gens est sauvée, mais tout le monde s’en fiche du reste. »
Un article : Un autre drame de la traite négrière, sous titré « Un drame humain remis au jour par l’archéologie, entre Robinson Crusoé et le naufrage de la Méduse » de J. E. Monnier revient sur cette comparaison : « Si les deux auteurs, Max Guérout, archéologue sous-marin au GRAN, et Thomas Romon, archéologue terrestre à l’INRAP, font référence à la célèbre histoire de Robinson Crusoé parue en 1719 et au non moins fameux naufrage de la Méduse en 1816, c’est parce qu’entre temps s’est déroulé le drame de l’Utile, qui condense les caractéristiques des deux autres . »
La recension de l’ouvrage des deux archéologues par Mathieu Claveyrolas dans L'Homme 2017/1 (n° 221), pages 223 à 224 y revient également : « Au-delà de ses dimensions d’enquête documentaire, le récit croise bien des thèmes de l’histoire au XVIIIe siècle.
Le motif du naufrage s’impose, tout d’abord, entre puissant imaginaire et « actualité omniprésente » de l’époque (p. 189). Un premier manuscrit du Voyage à l’île de France de Bernardin de Saint-Pierre mentionnait le naufrage de L’Utile, et Condorcet le cite dans ses Réflexions sur l’esclavage des nègres (1781).On pense également aux plus célèbres mythes en la matière, Robinson (1719) et Le Radeau de la Méduse (1819) (p. 190). Les auteurs spéculent d’ailleurs sur le fait qu’un exemplaire du livre de Defoe aurait pu se trouver sur L’Utile. Les naufragés de La Méduse, quant à eux, ont évoqué l’aventure des survivants de L’Utile dans leurs propres témoignages. »
En effet, pour l’Utile, « comme sur La Méduse au célèbre naufrage, c'est l'entêtement orgueilleux du capitaine qui est la cause du drame » (article La mémoire retrouvée des esclaves sur le blog diacritiques). Un bateau dans un cas, un radeau dans l’autre sont construits après le naufrage. Puis, dans les deux cas, c’est l’abandon, en fonction de la race pour les occupants de l’Utile (les esclaves sont laissés sur l’île), en fonction de la classe pour ceux de la Méduse (les soldats et les ouvriers sont abandonnés sur le radeau) qui rend les histoires si horribles. Enfin, c’est le sauvetage des quelques rescapés.
En revanche, le naufrage de l’Utile n’a pas provoqué de troubles comparables à ceux engendrés par les récits du radeau de la Méduse :
« On ne tint en effet jamais la promesse faite aux Malgaches de venir les secourir. Furieux de la désobéissance du capitaine de Lafargue auquel il avait interdit de ramener des esclaves, et de la perte d’un navire de la Compagnie,Antoine Desforges-Boucher, gouverneur de l’île de France, opposa un refus catégorique à la proposition d’envoyer un bâtiment de secours. Certains s’indignèrent, mais on était en pleine guerre de Sept Ans, la Compagnie vacillait sur ses bases ; on se plia à sa volonté et à quelques exceptions près on oublia cette histoire ».
Max Guérout et Thomas Romon, « Tromelin (océan Indien) », Les nouvelles de l'archéologie [En ligne], 108/109 | 2007.
La p. 27, paragraphe Desforges-Boucher face aux critiques de ses contemporains du Dossier pédagogique de l’exposition Tromelin, l’île aux esclaves oubliés, Musée d’Aquitaine, 12 décembre 2016 - 30 avril 2017, revient sur les quelques critiques parues à l’époque, qui ne firent apparemment pas grand bruit.
On peut également y lire p. 28 que l’exposition présente une reproduction du radeau de la Méduse de Géricault en 1818, ainsi commentée : « Deux ans après le naufrage de la Méduse, l’ingénieur Alexandre Corréard et le chirurgien de la marine Henri Savigny écrivent une relation du calvaire qu’ils ont enduré pendant treize jours à bord du radeau. Ils font directement référence à l’histoire de l’Utile sur le caractère inconcevable de laisser d’autres naufragés derrière soi sans rien tenter pour les secourir faisant ainsi écho à la critique de l’abbé Rochon. Le tableau de Géricault semble aussi faire référence à l’événement, un noir juché sur la pointe du radeau qui pourrait évoquer celle de l’île de Sable dans un ensemble associant espoir et désespoir. »
A voir :
L'Utile, 1761. Esclaves oubliés
Les esclaves oubliés de l'île Tromelin
A lire :
Les esclaves oubliés de Tromelin, Sylvain Savoia ; d'après les recherches menées par Max Guérout, Thomas Romon et leur équipe
Les naufragés de la Méduse, Jacques-Olivier Boudon.
Le naufrage de la Méduse, Corréard et Savigny
Le naufrage de la Méduse : journal d’un rescapé, récit de Charles-Marie Brédif
Pour une approche historique de l’épisode de l’île de Tromelin, il faut bien sûr se référer aux archéologues Thomas Romon et Max Guérout, commissaires scientifiques de l’exposition du Musée de l’homme et auteurs de Tromelin : l'île aux esclaves oubliés, qui présente le récit du naufrage et les résultats de leurs fouilles effectuées sur l’île.
Dans L’archéologie et l’actualité de «Tromelin, l’île des esclaves oubliés», interview sur le site RFI, Thomas Romon résume ainsi le naufrage : « C’est l’histoire d’un bateau de la Compagnie des Indes qui quitte Bayonne dans les années 1760 pour rejoindre l’île Maurice, à l’époque appelée l’ile de France. De l’île Maurice, le bateau part à Madagascar pour chercher du riz et du bœuf, mais il embarque aussi - clandestinement, parce qu’il n’avait pas l’autorisation - des esclaves. Lors de son voyage retour, le bateau échoue sur une petite île dans l’Océan indien, l’île de Tromelin [à l’époque appelée île de Sables, elle portera plus tard le nom du chevalier de Tromelin qui avait secouru les naufragés, ndlr]. Les naufragés, environ 120 hommes d’équipage et autour de 80 à 100 esclaves, y construisent un puits, parce qu’il n’y avait pas d’eau sur cette île. Ensuite, ils construisent un bateau. Trop petit, seuls les marins français peuvent repartir avec le bateau et regagner Madagascar en promettant aux esclaves de revenir les chercher. Une chose qui sera faite uniquement 15 ans plus tard et il ne restera plus (sur l'île) que sept naufragés et un enfant de huit mois au moment de leur sauvetage en 1776. »
L’article La véritable histoire du radeau de la Méduse de Pierre Anthonioz sur le site de L’Histoire, est quant à lui un bon résumé de celui de la Méduse.
S’il ne semble pas y avoir d’ouvrage entièrement consacré aux ressemblances entre ces deux histoires de naufrages, vous n’êtes pas le seul à les avoir remarquées.
Max Guérout notamment dans la même interview sur RFI, situe le naufrage sur l’île Tromelin « entre Robinson Crusoé et le Radeau de la Méduse » : « Robinson Crusoé est l’un des archétypes de l’abandon. Mais autour de Robinson Crusoé, il y avait tellement d’auteurs qui ont écrit leur vision. Il y a toute une réflexion autour de la solitude et la manière dont on peut la vivre ou pas. Le drame du Radeau de la Méduse, c’est qu’une partie des gens est sauvée, mais tout le monde s’en fiche du reste. »
Un article : Un autre drame de la traite négrière, sous titré « Un drame humain remis au jour par l’archéologie, entre Robinson Crusoé et le naufrage de la Méduse » de J. E. Monnier revient sur cette comparaison : « Si les deux auteurs, Max Guérout, archéologue sous-marin au GRAN, et Thomas Romon, archéologue terrestre à l’INRAP, font référence à la célèbre histoire de Robinson Crusoé parue en 1719 et au non moins fameux naufrage de la Méduse en 1816, c’est parce qu’
La recension de l’ouvrage des deux archéologues par Mathieu Claveyrolas dans L'Homme 2017/1 (n° 221), pages 223 à 224 y revient également : « Au-delà de ses dimensions d’enquête documentaire, le récit croise bien des thèmes de l’histoire au XVIIIe siècle.
Le motif du naufrage s’impose, tout d’abord, entre puissant imaginaire et « actualité omniprésente » de l’époque (p. 189). Un premier manuscrit du Voyage à l’île de France de Bernardin de Saint-Pierre mentionnait le naufrage de L’Utile, et Condorcet le cite dans ses Réflexions sur l’esclavage des nègres (1781).
En effet, pour l’Utile, « comme sur La Méduse au célèbre naufrage, c'est l'entêtement orgueilleux du capitaine qui est la cause du drame » (article La mémoire retrouvée des esclaves sur le blog diacritiques). Un bateau dans un cas, un radeau dans l’autre sont construits après le naufrage. Puis, dans les deux cas, c’est l’abandon, en fonction de la race pour les occupants de l’Utile (les esclaves sont laissés sur l’île), en fonction de la classe pour ceux de la Méduse (les soldats et les ouvriers sont abandonnés sur le radeau) qui rend les histoires si horribles. Enfin, c’est le sauvetage des quelques rescapés.
En revanche, le naufrage de l’Utile n’a pas provoqué de troubles comparables à ceux engendrés par les récits du radeau de la Méduse :
« On ne tint en effet jamais la promesse faite aux Malgaches de venir les secourir. Furieux de la désobéissance du capitaine de Lafargue auquel il avait interdit de ramener des esclaves, et de la perte d’un navire de la Compagnie,
Max Guérout et Thomas Romon, « Tromelin (océan Indien) », Les nouvelles de l'archéologie [En ligne], 108/109 | 2007.
La p. 27, paragraphe Desforges-Boucher face aux critiques de ses contemporains du Dossier pédagogique de l’exposition Tromelin, l’île aux esclaves oubliés, Musée d’Aquitaine, 12 décembre 2016 - 30 avril 2017, revient sur les quelques critiques parues à l’époque, qui ne firent apparemment pas grand bruit.
On peut également y lire p. 28 que l’exposition présente une reproduction du radeau de la Méduse de Géricault en 1818, ainsi commentée : « Deux ans après le naufrage de la Méduse, l’ingénieur Alexandre Corréard et le chirurgien de la marine Henri Savigny écrivent une relation du calvaire qu’ils ont enduré pendant treize jours à bord du radeau.
A voir :
L'Utile, 1761. Esclaves oubliés
Les esclaves oubliés de l'île Tromelin
A lire :
Les esclaves oubliés de Tromelin, Sylvain Savoia ; d'après les recherches menées par Max Guérout, Thomas Romon et leur équipe
Les naufragés de la Méduse, Jacques-Olivier Boudon.
Le naufrage de la Méduse, Corréard et Savigny
Le naufrage de la Méduse : journal d’un rescapé, récit de Charles-Marie Brédif
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