La vie dans les couvents de jeunes filles en 1970
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 12/02/2019 à 22h35
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Question d'origine :
Bonjour,
Je recherche des informations sur la vie dans les couvents de jeunes filles dans les années 1970.. les règles de fonctionnement, les types d'enseignement, la discipline, la description des "cellules" ou des "dortoirs". les règles sur l'envoi et la réception du courrier.
Quels étaient les couvents/internats en activité entre 1968 et 1975 en France.
Merci d'avance.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 15/02/2019 à 16h18
Bonjour,
Si nous comprenons bien, vous ne cherchez pas à vous renseigner sur la vie des jeunes religieuses, mais sur le fonctionnement des internats catholiques pour filles. A cet égard, la période qui vous intéresse, entre mai 68 et les lois Weil, sont une période charnière pour les pensionnats de jeunes filles : c’est à cette époque que le système d’éducation catholique destiné aux jeunes filles se disloque, en particulier les maisons de correction.
« Les Bon-Pasteur reçoivent généralement deux catégories de pensionnaires : les préservées, qui sont des cas sociaux, souvent les plus jeunes, regroupées sous le nom de « Petite Classe » (entre 60 et 120 à Saint-Omer), et les pénitentes regroupées au sein de la « Grande Classe » (plus tard, les « caractérielles ») ; ces grandes adolescentes, les plus nombreuses (150 à 250), sont aussi les cas les plus lourds. Les madeleines (15 à 50) sont d’anciennes filles de l’établissement entrées en religion mais en ordre mineur, vaquant à des occupations subalternes. Enfin, pour l’encadrement, la congrégation a son cloître et à Saint-Omer, elles sont entre 15 et 40 (en moyenne : 20 à 25 sœurs).
Les différentes sections de pensionnaires et de madeleines ne se rencontrent jamais, circulant sur des parcours intérieurs différents. Les valeurs inculquées sont en adéquation avec l’époque : la religion, la morale, le travail. Le premier but recherché est de sauver les âmes par la religion. Concernant la morale, toute la vie quotidienne est organisée pour que les individus soient en harmonie avec la vie du Bon-Pasteur. Quant au travail, la formation professionnelle n’existant pas, il faut inspirer à ces enfants pauvres l’amour du travail et les rendre habiles à l’ouvrage. Jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, on entre rarement au Bon-Pasteur par décision judiciaire ; c’est la société qui se charge des placements par l’intermédiaire de personnalités locales (curé, maire, sous-préfet). Les contributions financières sont minimes et ne concernent qu’à peine le 10e des pensionnaires du Bon-Pasteur (estimation). Pour faire vivre la communauté, il faut donc travailler dur dès 7 ans et jusqu’à la sortie (21 ans souvent). On se lève à 5 h 15 pour la messe chaque matin, puis on travaille toute la journée avec une heure de coupure le midi, six jours par semaine. Un peu de scolarité est dispensée au début des années 1930 et les premiers certificats d’études sont passés en 1935. On place souvent par correction paternelle, pour vagabondage ou de menus vols alimentaires. Les filles, en plus, le sont pour des faits touchant les mœurs (inceste, mœurs légères) qui troublent surtout la morale. En entrant au Bon-Pasteur, on quitte son nom de famille et on prend un prénom d’emprunt pas encore utilisé, les filles récupérant leurs vrais noms et prénoms à la sortie. Les raisons invoquées sont l’anonymat et surtout la volonté de provoquer un changement radical des anciens modes de vie et des mauvaises habitudes.
Le Bon-Pasteur de Saint-Omer a été créé en 1845 ; on y travaille beaucoup et la vie y est très dure car la maison est pauvre. Lorsque les religieuses partent, il y a 56 pensionnaires, toutes des cas difficiles (Grande Classe). De mémoire, le prix de journée en 1968 est de 12 francs (multiplié par 4 fin 1968 et par 8 en 1969). L’Association sanitaire et sociale de la région de Lille rachète l’ensemble, en 1998, pour la somme de 6 millions de francs.
[…] Concernant le Refuge de Versailles, la congrégation est dispersée en 1792 mais se reconstitue peu à peu à partir du Concordat (1801). Les anciens monastères se regroupent et le Refuge de Versailles est le premier de cette génération après la Révolution. Il s’installe à Versailles et un décret de Napoléon 1er (1811) agrée le monastère de Notre-Dame de Charité du Refuge de Versailles « pour recevoir des fillettes et des adolescentes particulièrement exposées dans la société ». Le xixe siècle est une période de transformations anachroniques : les locaux se juxtaposent les uns aux autres sans recherche d’harmonie, si ce n’est monacale. La pédagogie n’est guère présente et ce qui est encore perceptible à la fin du xxe siècle, ce sont les soucis de protection, de sécurité et de séparation entre le secteur des sœurs, celui des filles, celui des fidèles. Quand j’arrive en 1976, il y a toujours une sœur tourière et un parloir destiné aux familles pour voir leurs filles. On ne mélange pas les populations et les espaces sont clos de hauts murs (4 m), fermés de lourdes portes, avec une communication minimum extrêmement contrôlée. Quand les religieuses font un héritage, c’est la congrégation qui hérite ; celles qui n’ont pas de fortune, les sœurs oblates, sont au service des autres sœurs et résident dans une zone sans confort, ce qui illustre une hiérarchie sociale au sein de la congrégation. Enfin, quelques anciennes pensionnaires (qui ne sont pas des madeleines) restent car elles auraient du mal à s’insérer dans la société.
En 1976, malgré une certaine modernisation de la maison, les principes fondateurs sont encore très prégnants. La recherche du pardon par la rédemption étant essentielle, les filles ont leur destin tout tracé : devenir de bonnes mères de famille. Si les chambres constituent un progrès par rapport aux grands dortoirs, elles ressemblent à des cellules. Les formations dispensées concernent la lingerie, la dactylo, la couture, la formation ménagère ; bien entendu, l’enseignement religieux, prisé par les religieuses, reste très présent. On signale comme réussite chaque baptême, chaque première communion et le summum, la vocation religieuse d’une fille. En 1976, il y avait une éducatrice spécialisée et je n’étais pas le troisième homme, mais le quatrième !
Source : Passer la main : La laïcisation de trois établissements congréganistes (les Bon-Pasteur de Bourges et de Saint-Omer, le Refuge de Versailles, Gisèle Fiche et Claire Dumas, VST - Vie sociale et traitements, vol. 106, no. 2, 2010, pp. 38-48.
Annick Bietry a raconté ses souvenirs ainsi que le fruit de ses recherches sur l’histoire du couvent Notre-Dame d’Orbec, dans le Calvados. Le témoignage, accessible en ligne est intitulé Nous, les couventines. La description des dortoirs est précise :
« Au premier, sur un large palier, s’ouvre la porte du dortoir des petites : le dortoir de l’Enfant Jésus. Il aligne, de chaque côté de l’allée centrale, une vingtaine de lits séparés par une table de nuit sur laquelle les fillettes font leur toilette dans une cuvette émaillée. Dans l’angle, près de la porte d’entrée, le lit de la religieuse surveillante, derrière les lourds rideaux de toile écrue qui volent dans les courants d’air et révèlent la nuit, en ombres chinoises, celle qui l’occupe.
À la suite du dortoir, deux classes, la 7e et la 6e, se succèdent le long d’un petit couloir. À droite, une chambre d'isolement. Malgré l’opprobre qui s’y rattache la fenêtre s’ouvrant sur la campagne réconforte l’occupante. Le pallier dessert également le dortoir de l'infirmerie comprenant fort peu de lits et l'infirmerie elle-même. Au-dessus, le grenier où personne n’a accès, sauf les élèves qui étendent avec honte le linge mouillé de la nuit.
Un grand escalier solennel descend face aux parloirs. À angle droit et fermant la cour, un bâtiment plus récent : le nouveau pensionnat, construit en 1927, abrite au rez-de-chaussée et sur toute sa superficie la grande salle lieu de rassemblement où se forment les rangs et où se déroulent les récréations en hiver. À l’une des extrémités se dresse la scène utilisée pour les diverses représentations, de l’audition musicale à la distribution des prix. De chaque côté, entre les fenêtres s’alignent dans les placards les manteaux, chapeaux, chaussures et les boites à chaussures. C’est là que s’effectue « le cirage ». Près de la scène, un placard renferme les objets perdus.
Au-dessus, le dortoir Sainte-Marie aligne une vingtaine de lits toujours séparés par la table de nuit et la cuvette de toilette. Au bout, derrière un paravent, le seau hygiénique à utiliser la nuit. Des W.-C. communs aux deux dortoirs sont sur le palier mais, la nuit, la porte du dortoir est fermée à clé. Il nous est impossible de sortir même pour une telle nécessité.
À la suite, destiné aux plus grandes élèves, le dortoir du Sacré-Cœur aligne des boxes que nous appelons des « chambrettes » fermées par des rideaux de toile écrue qui isolent leurs occupantes, et qui abritent, outre le lit, la table de nuit surmontée de la cuvette et d’un petit miroir (ce qui constitue un nouveau confort). Au bout, près de la chambrette de la surveillante, les sanitaires : deux W.-C. et deux salles de bain qui doivent seules suffire à l’hygiène de toutes les élèves. »
L’éducation au couvent se faisait selon des principes éducatifs pour le moins primaires :
« Comme dans toutes les écoles, un cours comprenait la récitation du travail appris, la correction du devoir précédent, l'explication de la leçon suivante, et la distribution du travail à faire pour le prochain cours.
Les leçons étaient globales et les problèmes individuels n'étaient pas pris en compte. Ce qui signifie, pour ma part, que, d'un bout à l'autre de ma scolarité, j'ai buté régulièrement sur les mêmes difficultés opératoires. Tout échec était considéré uniquement d'un point de vue moral comme la preuve de paresse, d'une « mauvaise volonté » et donc sanctionné par des reproches, des mauvaises notes et, lorsqu'elles s'additionnaient, par une punition. Je ne pense pas que nos maîtresses remettaient jamais en question la qualité de leur enseignement.
Le travail personnel était très lourd, nous avions de nombreuses notes, les religieuses ne rechignaient pas à corriger les cahiers. Ces notes s'additionnaient et donnaient une moyenne résumée par une mention : très bien, bien, assez bien, médiocre, mal. À ces notes de travail s'ajoutaient les notes de conduite ordre, politesse, propreté, obéissance, silence, etc. Notes de travail et notes de conduite, bien que séparées en deux rubriques, pesaient du même poids dans l'appréciation de l'élève.
La Mère Préfète faisait en public la lecture des résultats du mois, elle y ajoutait des commentaires, avec toute la solennité requise. Les félicitations étaient succinctes (il est normal de bien travailler) par contre les reproches étaient cinglants et les humiliations publiques sévères. Cependant, peu à peu, nous construisions des défenses contre ces blessures narcissiques et nous nous installions dans une belle indifférence. Pour ma part je considérais comme une fatalité d'être à la fois sale, désordonnée, paresseuse, molle, nulle en grammaire et en orthographe… »
Il faut mentionner un cas particulier : les maisons de correction.
Claire Dumas a beaucoup travaillé sur le sujet, notamment dans l’ouvrage Filles de justice : du Bon-Pasteur à l’éducation surveillée, coécrit avec Françoise Têtard. Pour elle aussi, 1968 est le début de la fin de ce type de centres fermés et leur remplacement (très progressif) par des systèmes laïcs.
Les autrices ont fait appel aux témoignages d’anciennes pensionnaires – ou détenues –, des années 20 aux années 70 dont Solange, pensionnaire en 1967-68 des maisons fermées de Bourges, puis de Pau. Ses souvenirs de la première sont particulièrement traumatisants. L’absence d’intimité du dortoir alterne avec la mise à l’isolement :
« L’envie d’en finir, une autre femme en a témoigné : Solange qui, une dizaine d’années plus tard, est passée comme Michèle par la case Bon Pasteur, à 17 ans. À Bourges de fin 1967 à juillet 1968, avant de partir pour 3 ans au Bon Pasteur de Pau, d’où ses souvenirs sont moins douloureux. […]
« […] j’ai découvert que j’étais à Bourges au moment de cette période charnière où les religieuses ont vendu l’établissement et que je l’avais quitté peu de temps avant leur départ, ce dont je n’avais absolument pas connaissance (mais ceci reflète bien l’ignorance dans laquelle nous étions entretenues en nous coupant du monde extérieur et même de ce qui se passait à l’intérieur.) Elle décrit ce qui s’est passé pour elle à son entrée : cette notion de clôture que vous évoquez, c’était bien ce sentiment qui nous submergeait dès la porte franchie, nous étions « enfermées », « piégées ».
Par contre, dans le livre, elle ne retrouve pas trace des traumatismes, vécus au Bon Pasteur de Bourges, qui l’ont personnellement marquée à vie : Rien sur les chambres d’isolement fermées à clé où nous étions placées « en observation » dès notre arrivée comme de vulgaires criminelles ! Cela m’a paru interminable !! Mes seuls souvenirs sont le bruit des clés dans la serrure, les fenêtres au verre cathédrale qui m’empêchaient de voir à l’extérieur, les repas pris seule dans la chambre, la rupture totale et brutale avec la famille et les amis, la non-réponse aux questions posées et donc l’incompréhension totale de la situation dans laquelle je me trouvais plongée seule face à moi-même dans un univers inconnu : tout ceci constituait le terreau idéal à la germination d’idées suicidaires que j’avoue avoir eues […] Rien non plus sur ces visites médicales que l’on subissait (il fallait bien s’assurer de notre virginité ou des actes répréhensibles que nous aurions pu commettre ou des maladies que nous aurions pu contracter à l’extérieur !) et ce, sans aucune explication, sans aucune pudeur, ni accompagnement psychologique. Rien non plus sur la rupture imposée avec nos familles, nos amis. Nous étions dépouillées de tout notre passé comme si tout était mauvais en nous et autour de nous (combien de liens se sont brisés à cette époque-là et n’ont jamais pu être renoués). Il fallait abandonner et renier sa propre identité pour en reconstruire une autre en conformité avec les grands principes de la « rééducation» (quelle ineptie !) Elle ajoute enfin : « cette période est une parenthèse dont on ne souhaite pas (ou on ne peut pas) parler, car elle a trop souvent été vécue comme une agression, une injustice, un viol moral. Pour ma part, peu de gens connaissent cette tranche de ma vie, même chez des personnes qui me sont proches […] car parler c’est évoquer un passé que l’on veut oublier et surtout dont on a honte […] On préférait enfermer ces « filles en difficulté » plutôt que les écouter.
Outre que, comme dit encore Solange, enfermer la misère la rend invisible aux yeux et permet de donner bonne conscience, il me faut ajouter que, pour ces religieuses qui se sont donné pour missions de sauver des âmes, c’était un principe non discutable que de couper les filles de leurs familles, estimées a priori nocives ; tout comme il ne servait à rien de les aider à évoquer leur passé, la notion de redressement et de correction faisant totalement écran à celle de réparation. »
Source : L’enfermement, vu de l’intérieur (XXe siècle) : Témoignages commentés, Claire Dumas
Pour aller plus loin :
- La rééducation des filles en internat (1945-1965), Anne Thomazeau
- Genre et éducation des filles : des clartés de tout, Nicole Mosconi
- 1968. Bourges. Du Bon Pasteur au complexe éducatif cycle de conférences filmées.
Bonne journée.
Si nous comprenons bien, vous ne cherchez pas à vous renseigner sur la vie des jeunes religieuses, mais sur le fonctionnement des internats catholiques pour filles. A cet égard, la période qui vous intéresse, entre mai 68 et les lois Weil, sont une période charnière pour les pensionnats de jeunes filles : c’est à cette époque que le système d’éducation catholique destiné aux jeunes filles se disloque, en particulier les maisons de correction.
« Les Bon-Pasteur reçoivent généralement deux catégories de pensionnaires : les préservées, qui sont des cas sociaux, souvent les plus jeunes, regroupées sous le nom de « Petite Classe » (entre 60 et 120 à Saint-Omer), et les pénitentes regroupées au sein de la « Grande Classe » (plus tard, les « caractérielles ») ; ces grandes adolescentes, les plus nombreuses (150 à 250), sont aussi les cas les plus lourds. Les madeleines (15 à 50) sont d’anciennes filles de l’établissement entrées en religion mais en ordre mineur, vaquant à des occupations subalternes. Enfin, pour l’encadrement, la congrégation a son cloître et à Saint-Omer, elles sont entre 15 et 40 (en moyenne : 20 à 25 sœurs).
Les différentes sections de pensionnaires et de madeleines ne se rencontrent jamais, circulant sur des parcours intérieurs différents. Les valeurs inculquées sont en adéquation avec l’époque : la religion, la morale, le travail. Le premier but recherché est de sauver les âmes par la religion. Concernant la morale, toute la vie quotidienne est organisée pour que les individus soient en harmonie avec la vie du Bon-Pasteur. Quant au travail, la formation professionnelle n’existant pas, il faut inspirer à ces enfants pauvres l’amour du travail et les rendre habiles à l’ouvrage. Jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, on entre rarement au Bon-Pasteur par décision judiciaire ; c’est la société qui se charge des placements par l’intermédiaire de personnalités locales (curé, maire, sous-préfet). Les contributions financières sont minimes et ne concernent qu’à peine le 10e des pensionnaires du Bon-Pasteur (estimation). Pour faire vivre la communauté, il faut donc travailler dur dès 7 ans et jusqu’à la sortie (21 ans souvent). On se lève à 5 h 15 pour la messe chaque matin, puis on travaille toute la journée avec une heure de coupure le midi, six jours par semaine. Un peu de scolarité est dispensée au début des années 1930 et les premiers certificats d’études sont passés en 1935. On place souvent par correction paternelle, pour vagabondage ou de menus vols alimentaires. Les filles, en plus, le sont pour des faits touchant les mœurs (inceste, mœurs légères) qui troublent surtout la morale. En entrant au Bon-Pasteur, on quitte son nom de famille et on prend un prénom d’emprunt pas encore utilisé, les filles récupérant leurs vrais noms et prénoms à la sortie. Les raisons invoquées sont l’anonymat et surtout la volonté de provoquer un changement radical des anciens modes de vie et des mauvaises habitudes.
Le Bon-Pasteur de Saint-Omer a été créé en 1845 ; on y travaille beaucoup et la vie y est très dure car la maison est pauvre. Lorsque les religieuses partent, il y a 56 pensionnaires, toutes des cas difficiles (Grande Classe). De mémoire, le prix de journée en 1968 est de 12 francs (multiplié par 4 fin 1968 et par 8 en 1969). L’Association sanitaire et sociale de la région de Lille rachète l’ensemble, en 1998, pour la somme de 6 millions de francs.
[…] Concernant le Refuge de Versailles, la congrégation est dispersée en 1792 mais se reconstitue peu à peu à partir du Concordat (1801). Les anciens monastères se regroupent et le Refuge de Versailles est le premier de cette génération après la Révolution. Il s’installe à Versailles et un décret de Napoléon 1er (1811) agrée le monastère de Notre-Dame de Charité du Refuge de Versailles « pour recevoir des fillettes et des adolescentes particulièrement exposées dans la société ». Le xixe siècle est une période de transformations anachroniques : les locaux se juxtaposent les uns aux autres sans recherche d’harmonie, si ce n’est monacale. La pédagogie n’est guère présente et ce qui est encore perceptible à la fin du xxe siècle, ce sont les soucis de protection, de sécurité et de séparation entre le secteur des sœurs, celui des filles, celui des fidèles. Quand j’arrive en 1976, il y a toujours une sœur tourière et un parloir destiné aux familles pour voir leurs filles. On ne mélange pas les populations et les espaces sont clos de hauts murs (4 m), fermés de lourdes portes, avec une communication minimum extrêmement contrôlée. Quand les religieuses font un héritage, c’est la congrégation qui hérite ; celles qui n’ont pas de fortune, les sœurs oblates, sont au service des autres sœurs et résident dans une zone sans confort, ce qui illustre une hiérarchie sociale au sein de la congrégation. Enfin, quelques anciennes pensionnaires (qui ne sont pas des madeleines) restent car elles auraient du mal à s’insérer dans la société.
En 1976, malgré une certaine modernisation de la maison, les principes fondateurs sont encore très prégnants. La recherche du pardon par la rédemption étant essentielle, les filles ont leur destin tout tracé : devenir de bonnes mères de famille. Si les chambres constituent un progrès par rapport aux grands dortoirs, elles ressemblent à des cellules. Les formations dispensées concernent la lingerie, la dactylo, la couture, la formation ménagère ; bien entendu, l’enseignement religieux, prisé par les religieuses, reste très présent. On signale comme réussite chaque baptême, chaque première communion et le summum, la vocation religieuse d’une fille. En 1976, il y avait une éducatrice spécialisée et je n’étais pas le troisième homme, mais le quatrième !
Source : Passer la main : La laïcisation de trois établissements congréganistes (les Bon-Pasteur de Bourges et de Saint-Omer, le Refuge de Versailles, Gisèle Fiche et Claire Dumas, VST - Vie sociale et traitements, vol. 106, no. 2, 2010, pp. 38-48.
Annick Bietry a raconté ses souvenirs ainsi que le fruit de ses recherches sur l’histoire du couvent Notre-Dame d’Orbec, dans le Calvados. Le témoignage, accessible en ligne est intitulé Nous, les couventines. La description des dortoirs est précise :
« Au premier, sur un large palier, s’ouvre la porte du dortoir des petites : le dortoir de l’Enfant Jésus. Il aligne, de chaque côté de l’allée centrale, une vingtaine de lits séparés par une table de nuit sur laquelle les fillettes font leur toilette dans une cuvette émaillée. Dans l’angle, près de la porte d’entrée, le lit de la religieuse surveillante, derrière les lourds rideaux de toile écrue qui volent dans les courants d’air et révèlent la nuit, en ombres chinoises, celle qui l’occupe.
À la suite du dortoir, deux classes, la 7e et la 6e, se succèdent le long d’un petit couloir. À droite, une chambre d'isolement. Malgré l’opprobre qui s’y rattache la fenêtre s’ouvrant sur la campagne réconforte l’occupante. Le pallier dessert également le dortoir de l'infirmerie comprenant fort peu de lits et l'infirmerie elle-même. Au-dessus, le grenier où personne n’a accès, sauf les élèves qui étendent avec honte le linge mouillé de la nuit.
Un grand escalier solennel descend face aux parloirs. À angle droit et fermant la cour, un bâtiment plus récent : le nouveau pensionnat, construit en 1927, abrite au rez-de-chaussée et sur toute sa superficie la grande salle lieu de rassemblement où se forment les rangs et où se déroulent les récréations en hiver. À l’une des extrémités se dresse la scène utilisée pour les diverses représentations, de l’audition musicale à la distribution des prix. De chaque côté, entre les fenêtres s’alignent dans les placards les manteaux, chapeaux, chaussures et les boites à chaussures. C’est là que s’effectue « le cirage ». Près de la scène, un placard renferme les objets perdus.
Au-dessus, le dortoir Sainte-Marie aligne une vingtaine de lits toujours séparés par la table de nuit et la cuvette de toilette. Au bout, derrière un paravent, le seau hygiénique à utiliser la nuit. Des W.-C. communs aux deux dortoirs sont sur le palier mais, la nuit, la porte du dortoir est fermée à clé. Il nous est impossible de sortir même pour une telle nécessité.
À la suite, destiné aux plus grandes élèves, le dortoir du Sacré-Cœur aligne des boxes que nous appelons des « chambrettes » fermées par des rideaux de toile écrue qui isolent leurs occupantes, et qui abritent, outre le lit, la table de nuit surmontée de la cuvette et d’un petit miroir (ce qui constitue un nouveau confort). Au bout, près de la chambrette de la surveillante, les sanitaires : deux W.-C. et deux salles de bain qui doivent seules suffire à l’hygiène de toutes les élèves. »
L’éducation au couvent se faisait selon des principes éducatifs pour le moins primaires :
« Comme dans toutes les écoles, un cours comprenait la récitation du travail appris, la correction du devoir précédent, l'explication de la leçon suivante, et la distribution du travail à faire pour le prochain cours.
Les leçons étaient globales et les problèmes individuels n'étaient pas pris en compte. Ce qui signifie, pour ma part, que, d'un bout à l'autre de ma scolarité, j'ai buté régulièrement sur les mêmes difficultés opératoires. Tout échec était considéré uniquement d'un point de vue moral comme la preuve de paresse, d'une « mauvaise volonté » et donc sanctionné par des reproches, des mauvaises notes et, lorsqu'elles s'additionnaient, par une punition. Je ne pense pas que nos maîtresses remettaient jamais en question la qualité de leur enseignement.
Le travail personnel était très lourd, nous avions de nombreuses notes, les religieuses ne rechignaient pas à corriger les cahiers. Ces notes s'additionnaient et donnaient une moyenne résumée par une mention : très bien, bien, assez bien, médiocre, mal. À ces notes de travail s'ajoutaient les notes de conduite ordre, politesse, propreté, obéissance, silence, etc. Notes de travail et notes de conduite, bien que séparées en deux rubriques, pesaient du même poids dans l'appréciation de l'élève.
La Mère Préfète faisait en public la lecture des résultats du mois, elle y ajoutait des commentaires, avec toute la solennité requise. Les félicitations étaient succinctes (il est normal de bien travailler) par contre les reproches étaient cinglants et les humiliations publiques sévères. Cependant, peu à peu, nous construisions des défenses contre ces blessures narcissiques et nous nous installions dans une belle indifférence. Pour ma part je considérais comme une fatalité d'être à la fois sale, désordonnée, paresseuse, molle, nulle en grammaire et en orthographe… »
Il faut mentionner un cas particulier : les maisons de correction.
Claire Dumas a beaucoup travaillé sur le sujet, notamment dans l’ouvrage Filles de justice : du Bon-Pasteur à l’éducation surveillée, coécrit avec Françoise Têtard. Pour elle aussi, 1968 est le début de la fin de ce type de centres fermés et leur remplacement (très progressif) par des systèmes laïcs.
Les autrices ont fait appel aux témoignages d’anciennes pensionnaires – ou détenues –, des années 20 aux années 70 dont Solange, pensionnaire en 1967-68 des maisons fermées de Bourges, puis de Pau. Ses souvenirs de la première sont particulièrement traumatisants. L’absence d’intimité du dortoir alterne avec la mise à l’isolement :
« L’envie d’en finir, une autre femme en a témoigné : Solange qui, une dizaine d’années plus tard, est passée comme Michèle par la case Bon Pasteur, à 17 ans. À Bourges de fin 1967 à juillet 1968, avant de partir pour 3 ans au Bon Pasteur de Pau, d’où ses souvenirs sont moins douloureux. […]
« […] j’ai découvert que j’étais à Bourges au moment de cette période charnière où les religieuses ont vendu l’établissement et que je l’avais quitté peu de temps avant leur départ, ce dont je n’avais absolument pas connaissance (mais ceci reflète bien l’ignorance dans laquelle nous étions entretenues en nous coupant du monde extérieur et même de ce qui se passait à l’intérieur.) Elle décrit ce qui s’est passé pour elle à son entrée : cette notion de clôture que vous évoquez, c’était bien ce sentiment qui nous submergeait dès la porte franchie, nous étions « enfermées », « piégées ».
Par contre, dans le livre, elle ne retrouve pas trace des traumatismes, vécus au Bon Pasteur de Bourges, qui l’ont personnellement marquée à vie : Rien sur les chambres d’isolement fermées à clé où nous étions placées « en observation » dès notre arrivée comme de vulgaires criminelles ! Cela m’a paru interminable !! Mes seuls souvenirs sont le bruit des clés dans la serrure, les fenêtres au verre cathédrale qui m’empêchaient de voir à l’extérieur, les repas pris seule dans la chambre, la rupture totale et brutale avec la famille et les amis, la non-réponse aux questions posées et donc l’incompréhension totale de la situation dans laquelle je me trouvais plongée seule face à moi-même dans un univers inconnu : tout ceci constituait le terreau idéal à la germination d’idées suicidaires que j’avoue avoir eues […] Rien non plus sur ces visites médicales que l’on subissait (il fallait bien s’assurer de notre virginité ou des actes répréhensibles que nous aurions pu commettre ou des maladies que nous aurions pu contracter à l’extérieur !) et ce, sans aucune explication, sans aucune pudeur, ni accompagnement psychologique. Rien non plus sur la rupture imposée avec nos familles, nos amis. Nous étions dépouillées de tout notre passé comme si tout était mauvais en nous et autour de nous (combien de liens se sont brisés à cette époque-là et n’ont jamais pu être renoués). Il fallait abandonner et renier sa propre identité pour en reconstruire une autre en conformité avec les grands principes de la « rééducation» (quelle ineptie !) Elle ajoute enfin : « cette période est une parenthèse dont on ne souhaite pas (ou on ne peut pas) parler, car elle a trop souvent été vécue comme une agression, une injustice, un viol moral. Pour ma part, peu de gens connaissent cette tranche de ma vie, même chez des personnes qui me sont proches […] car parler c’est évoquer un passé que l’on veut oublier et surtout dont on a honte […] On préférait enfermer ces « filles en difficulté » plutôt que les écouter.
Outre que, comme dit encore Solange, enfermer la misère la rend invisible aux yeux et permet de donner bonne conscience, il me faut ajouter que, pour ces religieuses qui se sont donné pour missions de sauver des âmes, c’était un principe non discutable que de couper les filles de leurs familles, estimées a priori nocives ; tout comme il ne servait à rien de les aider à évoquer leur passé, la notion de redressement et de correction faisant totalement écran à celle de réparation. »
Source : L’enfermement, vu de l’intérieur (XXe siècle) : Témoignages commentés, Claire Dumas
- La rééducation des filles en internat (1945-1965), Anne Thomazeau
- Genre et éducation des filles : des clartés de tout, Nicole Mosconi
- 1968. Bourges. Du Bon Pasteur au complexe éducatif cycle de conférences filmées.
Bonne journée.
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