Espérance dans la boîte de Pandore - signification
DIVERS
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Le 05/02/2019 à 12h30
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Question d'origine :
Bonjour,
J'ai lu qu'au fond de la boîte (jarre) de Pandore il y avait de l'espérance, mais qu'elle n'est pas sortie. Qu'est-ce que cela signifie ?
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 06/02/2019 à 14h25
Bonjour,
Le propre d’un grand mythe est la richesse d’interprétations qu’il permet. Celui de Pandore, figure de l’ambiguïté s’il en est, peut-être plus que les autres. Si bien qu’on ne peut prétendre donner une réponse univoque à une telle question.
Tout d’abord, resituons le personnage de Pandore, tel que le présente l’Encycopaedia universalis :
« Personnage de la mythologie grecque. Hésiode, le premier, raconte l'histoire poétique de cette Ève des Grecs : la première femme fut fabriquée avec de la terre par Héphaïstos, douée de la vie par Athéna (ou Hermès), et parée par les dieux de l'Olympe de toutes les grâces et de tous les attraits, autant de dangereuses séductions.
Irrité contre Prométhée qui avait dérobé le feu du ciel, Zeus lui envoie Pandore comme épouse. Prométhée, méfiant, refuse de la recevoir. Mais son frère Épiméthée accepte Pandore, qui apporte avec elle une boîte mystérieuse. Épiméthée l'ouvre, à moins que ce ne soit Pandore elle-même, poussée par la curiosité : le coffret contenait tous les maux, qui se dispersent à travers le monde. Seule l'espérance reste au fond lorsque Pandore referme le couvercle.
La « boîte de Pandore » et « l'espérance restée au fond » sont l'objet de fréquentes allusions littéraires. Goethe écrivit en 1788 une suite à son Prométhée (œuvre dramatique inachevée) intitulée Pandora, allégorie lyrique où se retrouve bien le dualisme, propre à la pensée allemande, entre pensée et action. Prométhée y symbolise la réalité concrète et pratique ; Épiméthée, animé du souffle divin, s'unit à Pandore, la beauté pure : de cette union naissent tous les arts. »
(universalis-edu.com)
Il n’est pas inutile d’insister sur le fait qu’il s’agit là du mythe de la création de la première femme, qui tient donc le rôle d’Eve dans la mythologie grecque – et qu’à l’instar de son homologue hébraïque, Pandore s’est souvent vu attribuer le rôle désagréable d’instrument de la chute de l’homme. A cet égard, nous nous reporterons à un ouvrage de Jacques Desautels, Dieux et mythes de la Grèce ancienne: la mythologie gréco-romaine, déjà cité ici, et qui développe le propos sur les mythes de la création de l’homme et de la femme, et de la « chute » de l’âge d’or originel :
« Notre époque parle beaucoup de l’âge d’or en l’attribuant, par un curieux euphémisme, à l’inévitable vieillesse des hommes : on semble vouloir, comme les « primitifs », conjurer le mauvais sort. Cette litote, qui ne manque pas d’élégance dans sa naïveté, ne correspond toutefois pas à la vision traditionnelle de l’âge d’or qui depuis toujours hante l’esprit des mortels : l’âge d’or, c’est ce temps primitif et premier où hommes et dieux vivaient en commun un bonheur parfait, dans un respect mutuel, sans contrainte, sans problème, à l’abri du mal, des souffrances et de la mort. C’est ce temps que l’on a un jour perdu tout en perdant l’innocence. Le temps de la nostalgie. L’époque du Paradis perdu, que l’homme continuera longtemps de regretter.
Les mythes que nous allons voir ont en commun de nous renvoyer à cet âge d’or primitif, auquel devait un jour mettre fin l’arrivée dans le monde du mal et de la mort. Ils ont aussi en commun de vouloir expliquer comment la race des hommes, jadis bienheureuse et proche des dieux, a pu devenir mortelle.
Notre expérience et nos lectures nous le montrent, dans tous les systèmes mythologiques, une fois dépassé le chaos original, les premiers êtres qui apparaissent, ce sont des dieux et jamais des hommes. Et tous les systèmes mythologiques sont ensuite confrontés à un même problème, celui de rendre compte de l’arrivée des hommes dans le monde.
Comment expliquer la naissance des hommes ? Et du même souffle, comment expliquer l’existence du mal dans le monde, « le malheur des hommes qui mangent le pain », selon l’expression qu’emploiera Hésiode dans la Théogonie (v.512) ?[/i] »
Mais si une lecture superficielle du mythe attribue d’abord à Pandore la culpabilité d’avoir répandu les maux dans le monde humain, le personnage se singularise par son ambiguïté, comme le montre Jean Rudhardt dans Les dieux, le féminin, le pouvoir [Livre] : enquêtes d'un historien des religions /, :
« Comme nous l’avons vu, la sexualité existe dès le début de la cosmogonie ; la dualité des sexes est présente chez les dieux, chez les animaux et chez les hommes. Le mythe de Pandora ne raconte pas l’apparition d’un être de sexe féminin dans l’espèce humaine ; son objet est différent. Il s’inscrit dans le contexte des mythes prométhéens qui racontent, avec l’origine des techniques, l’instauration d’une humanité civilisée ; c’est à l’intérieur d’une société complexe et structurée que Pandora doit prendre place. En fait le texte d’Hésiode est explicite ; elle n’est pas une femme quelconque ; c’est une épouse.
Si l’homme pouvait vivre seul, écrit Hésiode, il se procurerait de quoi se nourrir, sans effort excessif. Mais il a besoin d’enfants qui seront ses héritiers, sans quoi les bien qu’ils possède seront dispersés après sa mort. Or il lui faut travailler beaucoup, pour entretenir une femme et des enfants. En acceptant le cadeau que Zeus lui fait dans la personne de Pandora, c’est une société qu’Epiméthée a choisie.
Pandora a la psychologie qui convient à cette société ; elle joue de ses charmes pour conquérir un riche mari ; elle ruse ; elle essaie de ne pas trop se fatiguer. Il est vrai qu’Hésiode attribue bien des défauts aux femmes mais il en attribue aux hommes de plus nombreux encore et de plus graves. C’est qu’il a une vision pessimiste de l’humanité actuelle, symbolisée par l’image de la race de fer.
Dans cette humanité, un mariage est toujours difficile et une bonne épouse ne fait pas le bonheur de l’homme. Même si quelqu’un a la chance de trouver une bonne épouse, écrit le poète, « dans toute sa vie, le mal contrebalance le bien ». En dépit des apparences, cette proposition ne constitue pas une condamnation de la femme. En effet, dans le cours d’une dégénérescence qui menace la race de fer, nous connaissons aujourd’hui une époque relativement privilégiée, écrit Hésiode, « où les biens se trouvent encore mêlées aux maux ». Dans cette situation, la bonne épouse assure à l’homme la meilleure des existences possibles ; celle où les biens et les maux s’équilibrent. »
Rien d’étonnant à ce que Luc Ferry, dans Prométhée et la boîte de Pandore, relève une ambiguïté de plus « qui concerne le statut de ce fameux « espoir » resté au fond de la jarre » :
« Deux interprétations différentes, voir opposées, sont possibles. On peut d’abord penser qu’il s’agit d’une punition de plus : les malheureux humains n’auront même pas de quoi se raccrocher à un quelconque espoir puisque ce dernier n’est pas sorti de la boîte ! Cette interprétation, qui est la plus courante, est typiquement chrétienne et moderne. Pour nous, […] l’espérance est une bonne chose.
On peut aussi comprendre […] que la seule chose qui reste à portée de main des mortels n’est qu’un piège supplémentaire. […] Dans la culture grecque, l’espoir est un malheur, une tension négative : espérer, c’est toujours être dans le manque, c’est désirer ce que l’on n’a pas et être, par conséquent, en quelque façon insatisfait et malheureux. Quand on espère une richesse, c’est qu’on est pauvre, quand on espère la santé, c’est qu’on est malade, dans tous les cas de figure, on est dans le besoin, le manque, de sorte que l’espérance est davantage un mal qu’un bien. […] cette critique de l’espérance est indissociable d’un autre trait de la culture mythologique que nous avons déjà évoqué […], à savoir l’éloge du présent contre les mirages du passé et du futur. »
Mais ce ne sont que des interprétations parmi d’autres. Pour aller plus loin, vous pouvez également consulter :
-Théogonie [Livre] Les travaux et les jours Bouclier suivis des Hymnes homériques / Hésiode ; texte présenté, trad. et annoté par Jean-Louis Backès
-Au coeur des mythologies [Livre] : en suivant les dieux / Jacques Lacarrière
-Eve et Pandora [Livre] : la création de la femme ; sous la dir. Jean-Claude Schmitt ; Jean-Pierre Vernant, François Lissarrague, Laurent Angliviel de la Beaumelle, [et al.]
-Pandora, la première femme [Livre] / Jean-Pierre Vernant
Bonne journée.
Le propre d’un grand mythe est la richesse d’interprétations qu’il permet. Celui de Pandore, figure de l’ambiguïté s’il en est, peut-être plus que les autres. Si bien qu’on ne peut prétendre donner une réponse univoque à une telle question.
Tout d’abord, resituons le personnage de Pandore, tel que le présente l’Encycopaedia universalis :
« Personnage de la mythologie grecque. Hésiode, le premier, raconte l'histoire poétique de cette Ève des Grecs : la première femme fut fabriquée avec de la terre par Héphaïstos, douée de la vie par Athéna (ou Hermès), et parée par les dieux de l'Olympe de toutes les grâces et de tous les attraits, autant de dangereuses séductions.
Irrité contre Prométhée qui avait dérobé le feu du ciel, Zeus lui envoie Pandore comme épouse. Prométhée, méfiant, refuse de la recevoir. Mais son frère Épiméthée accepte Pandore, qui apporte avec elle une boîte mystérieuse. Épiméthée l'ouvre, à moins que ce ne soit Pandore elle-même, poussée par la curiosité : le coffret contenait tous les maux, qui se dispersent à travers le monde. Seule l'espérance reste au fond lorsque Pandore referme le couvercle.
La « boîte de Pandore » et « l'espérance restée au fond » sont l'objet de fréquentes allusions littéraires. Goethe écrivit en 1788 une suite à son Prométhée (œuvre dramatique inachevée) intitulée Pandora, allégorie lyrique où se retrouve bien le dualisme, propre à la pensée allemande, entre pensée et action. Prométhée y symbolise la réalité concrète et pratique ; Épiméthée, animé du souffle divin, s'unit à Pandore, la beauté pure : de cette union naissent tous les arts. »
(universalis-edu.com)
Il n’est pas inutile d’insister sur le fait qu’il s’agit là du mythe de la création de la première femme, qui tient donc le rôle d’Eve dans la mythologie grecque – et qu’à l’instar de son homologue hébraïque, Pandore s’est souvent vu attribuer le rôle désagréable d’instrument de la chute de l’homme. A cet égard, nous nous reporterons à un ouvrage de Jacques Desautels, Dieux et mythes de la Grèce ancienne: la mythologie gréco-romaine, déjà cité ici, et qui développe le propos sur les mythes de la création de l’homme et de la femme, et de la « chute » de l’âge d’or originel :
« Notre époque parle beaucoup de l’âge d’or en l’attribuant, par un curieux euphémisme, à l’inévitable vieillesse des hommes : on semble vouloir, comme les « primitifs », conjurer le mauvais sort. Cette litote, qui ne manque pas d’élégance dans sa naïveté, ne correspond toutefois pas à la vision traditionnelle de l’âge d’or qui depuis toujours hante l’esprit des mortels : l’âge d’or, c’est ce temps primitif et premier où hommes et dieux vivaient en commun un bonheur parfait, dans un respect mutuel, sans contrainte, sans problème, à l’abri du mal, des souffrances et de la mort. C’est ce temps que l’on a un jour perdu tout en perdant l’innocence. Le temps de la nostalgie. L’époque du Paradis perdu, que l’homme continuera longtemps de regretter.
Les mythes que nous allons voir ont en commun de nous renvoyer à cet âge d’or primitif, auquel devait un jour mettre fin l’arrivée dans le monde du mal et de la mort. Ils ont aussi en commun de vouloir expliquer comment la race des hommes, jadis bienheureuse et proche des dieux, a pu devenir mortelle.
Notre expérience et nos lectures nous le montrent, dans tous les systèmes mythologiques, une fois dépassé le chaos original, les premiers êtres qui apparaissent, ce sont des dieux et jamais des hommes. Et tous les systèmes mythologiques sont ensuite confrontés à un même problème, celui de rendre compte de l’arrivée des hommes dans le monde.
Comment expliquer la naissance des hommes ? Et du même souffle, comment expliquer l’existence du mal dans le monde, « le malheur des hommes qui mangent le pain », selon l’expression qu’emploiera Hésiode dans la Théogonie (v.512) ?[/i] »
Mais si une lecture superficielle du mythe attribue d’abord à Pandore la culpabilité d’avoir répandu les maux dans le monde humain, le personnage se singularise par son ambiguïté, comme le montre Jean Rudhardt dans Les dieux, le féminin, le pouvoir [Livre] : enquêtes d'un historien des religions /, :
« Comme nous l’avons vu, la sexualité existe dès le début de la cosmogonie ; la dualité des sexes est présente chez les dieux, chez les animaux et chez les hommes. Le mythe de Pandora ne raconte pas l’apparition d’un être de sexe féminin dans l’espèce humaine ; son objet est différent. Il s’inscrit dans le contexte des mythes prométhéens qui racontent, avec l’origine des techniques, l’instauration d’une humanité civilisée ; c’est à l’intérieur d’une société complexe et structurée que Pandora doit prendre place. En fait le texte d’Hésiode est explicite ; elle n’est pas une femme quelconque ; c’est une épouse.
Si l’homme pouvait vivre seul, écrit Hésiode, il se procurerait de quoi se nourrir, sans effort excessif. Mais il a besoin d’enfants qui seront ses héritiers, sans quoi les bien qu’ils possède seront dispersés après sa mort. Or il lui faut travailler beaucoup, pour entretenir une femme et des enfants. En acceptant le cadeau que Zeus lui fait dans la personne de Pandora, c’est une société qu’Epiméthée a choisie.
Pandora a la psychologie qui convient à cette société ; elle joue de ses charmes pour conquérir un riche mari ; elle ruse ; elle essaie de ne pas trop se fatiguer. Il est vrai qu’Hésiode attribue bien des défauts aux femmes mais il en attribue aux hommes de plus nombreux encore et de plus graves. C’est qu’il a une vision pessimiste de l’humanité actuelle, symbolisée par l’image de la race de fer.
Dans cette humanité, un mariage est toujours difficile et une bonne épouse ne fait pas le bonheur de l’homme. Même si quelqu’un a la chance de trouver une bonne épouse, écrit le poète, « dans toute sa vie, le mal contrebalance le bien ». En dépit des apparences, cette proposition ne constitue pas une condamnation de la femme. En effet, dans le cours d’une dégénérescence qui menace la race de fer, nous connaissons aujourd’hui une époque relativement privilégiée, écrit Hésiode, « où les biens se trouvent encore mêlées aux maux ». Dans cette situation, la bonne épouse assure à l’homme la meilleure des existences possibles ; celle où les biens et les maux s’équilibrent. »
Rien d’étonnant à ce que Luc Ferry, dans Prométhée et la boîte de Pandore, relève une ambiguïté de plus « qui concerne le statut de ce fameux « espoir » resté au fond de la jarre » :
« Deux interprétations différentes, voir opposées, sont possibles. On peut d’abord penser qu’il s’agit d’une punition de plus : les malheureux humains n’auront même pas de quoi se raccrocher à un quelconque espoir puisque ce dernier n’est pas sorti de la boîte ! Cette interprétation, qui est la plus courante, est typiquement chrétienne et moderne. Pour nous, […] l’espérance est une bonne chose.
On peut aussi comprendre […] que la seule chose qui reste à portée de main des mortels n’est qu’un piège supplémentaire. […] Dans la culture grecque, l’espoir est un malheur, une tension négative : espérer, c’est toujours être dans le manque, c’est désirer ce que l’on n’a pas et être, par conséquent, en quelque façon insatisfait et malheureux. Quand on espère une richesse, c’est qu’on est pauvre, quand on espère la santé, c’est qu’on est malade, dans tous les cas de figure, on est dans le besoin, le manque, de sorte que l’espérance est davantage un mal qu’un bien. […] cette critique de l’espérance est indissociable d’un autre trait de la culture mythologique que nous avons déjà évoqué […], à savoir l’éloge du présent contre les mirages du passé et du futur. »
Mais ce ne sont que des interprétations parmi d’autres. Pour aller plus loin, vous pouvez également consulter :
-Théogonie [Livre] Les travaux et les jours Bouclier suivis des Hymnes homériques / Hésiode ; texte présenté, trad. et annoté par Jean-Louis Backès
-Au coeur des mythologies [Livre] : en suivant les dieux / Jacques Lacarrière
-Eve et Pandora [Livre] : la création de la femme ; sous la dir. Jean-Claude Schmitt ; Jean-Pierre Vernant, François Lissarrague, Laurent Angliviel de la Beaumelle, [et al.]
-Pandora, la première femme [Livre] / Jean-Pierre Vernant
Bonne journée.
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