Question d'origine :
Bonjour,
J'ai entendu il y a quelques années à la radio ou à la télévision je ne sais plus, qu'au Moyen Âge, il y avait trois étapes dans l'union d'un couple : promisailles, fiançailles et épousailles. Je ne trouve rien au sujet des "promisailles" sur internet, pouvez vous m'aider ?
Merci à vous
Marie
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 31/01/2019 à 12h54
Bonjour,
Malgré nos recherches nous n’avons trouvé aucune occurrence du terme que vous citez . Non seulement les moteurs de recherche sont tout à fait muets sur la question, mais également les dictionnaires en plusieurs volumes, le Furetière, le Littré (du XVIIè siècle), et les dictionnaires d’ancien et de moyen français que nous avons consultés.
Même le terme « promis(e) », sur lequel « promisaille » semble construit, ne désignait pas particulièrement des fiancés. Nous avons pensé que vous aviez pu faire une confusion avec « promission », usité en ancien et moyen français, puis en français classique. Mais ce terme ne désignait que le pays de Canaan offert par Dieu au peuple élu, dans l’expression figée « terre de promission ».
Vous auriez aussi pu faire la confusion avec le terme vieilliaccordailles :
« Pop. Réunion de caractère généralement familial au cours de laquelle sont conclus les accords et échangées les promesses préliminaires à un mariage :
[…]
− P. ext. Promesse de mariage échangée entre les deux intéressés (avec ou sans témoins) : »
(Source : cnrtl.fr)
Le terme, attesté seulement depuis 1539 d’après le Dictionnaire culturel en langue française a donc le double sens de « réunion où se décident les termes du contrat de mariage » et de « cérémonie de promesse de mariage », deux sens presque contradictoires que revêtirent justement les fiançailles au cours du moyen-âge. Et qui traduit l’évolution du mariage, mais aussi les rapports parfois conflictuels de l’Eglise et de la société laïque à ce sujet :
« Dans le droit de l’époque romaine classique, [les fiançailles] précédaient normalement le mariage, parfois de plusieurs années. Conclues le plus souvent pour des jeunes enfants par le père ou celui qui avait la puissance paternelle sur eux, ces sponsalia s’accompagnaient de cérémonies familiales, sociales et religieuses. Sans grande conséquence juridique, elles pouvaient être rompues. Dans le droit romain tardif, les fiançailles acquirent une place plus importante et leur bris devint plus difficile. En particulier, l’Église voulait assurer leur publicité et leur solidité et ne tolérait plus leur rupture que pour un motif sérieux. Les fiançailles s’accompagnaient de la remise d’un anneau, de cadeaux et, depuis le IVe siècle, d’arrhes de fiançailles qui confirmaient la promesse et servaient de gage de mariage.
Pour sa part, le monde germanique ne connaissait pas vraiment les fiançailles. Le terme desponsatio, proche de sponsalia, en usage du VIe au XIIe siècle, était surtout utilisé pour décrire la première des deux étapes du mariage germanique. Cette étape représentait davantage qu’une promesse de mariage ; elle constituait le premier geste fondateur de l’union matrimoniale. Accompagnée du versement d’une somme d’argent, la desponsatio créait un matrimonium initiatum. Elle impliquait le consentement au mariage et donnait à l’homme l’autorité sur sa femme. Ce n’est qu’ensuite, parfois après un intervalle très long, que le mariage était complété par la traditio puellae et que la femme était remise à son époux, le mariage consommé et la vie commune établie.
Durant tout le haut Moyen Âge, le mariage par étape continua à dominer en théorie comme en pratique. Jusqu’au XIIe siècle, les canonistes n’utilisaient même pas l’expression sponsalia. Ils se référaient plutôt au terme équivoque de desponsatio, sans qu’il soit clair s’ils la considéraient comme la promesse d’un mariage futur ou la conclusion d’un accord matrimonial.
C’est au XIIe siècle, dans leur élaboration de la doctrine matrimoniale, que les théologiens français renouèrent avec les sponsalia à la romaine. Ces simples promesses de mariage, baptisées verbo de futuro par Pierre Lombard (v. 1100-1160), ne créaient plus de matrimonium iniatum ; elles ne représentaient que l’annonce d’un mariage. En incorporant ces fiançailles au rituel ecclésiastique, les théologiens français ne sanctionnaient donc plus le mariage par étapes. Ils considéraient plutôt qu’une union se nouait par le seul échange des verba de presenti au moment des épousailles. D’abord rejetée par les théologiens italiens, leur conception des fiançailles et du mariage finit par s’imposer au XIIIe siècle. Désormais, les fiançailles, simple engagement vers la voie du mariage, n’étaient plus obligatoires. Elles proposaient toutefois un temps d’arrêt aux futurs mariés afin qu’ils réfléchissent aux obligations et à l’indissolubilité que leur union entraînerait et qu’ils se préparent à la grâce que ce sacrement leur conférerait. »
C’est cette conception revue et corrigée par l’Eglise qui va s’imposer peu à peu et aboutir à la conception moderne des fiançailles :
« Les fiançailles, qui prennent place entre les pourparlers et le mariage lui-même, constituent une étape clé du processus matrimonial. En effet, elles représentent l’aboutissement de négociations qui peuvent avoir duré des mois, voire des années. Elles accompagnent et scellent le traité de mariage qui consigne par écrit l’entente établie entre parents et amis des futurs mariés. Elles préparent le terrain pour les épousailles et l’établissement de la vie commune. »
(Source : Geneviève Ribordy, « Les fiançailles dans le rituel matrimonial de la noblesse française à la fin du Moyen Âge : tradition laïque ou création ecclésiastique ? » cairn.info)
Peut-être est-ce en évoquant ces « pourparlers », ces « négociations » entre familles et (parfois) futurs époux que la personne que vous avez entendue à la radio (ou à la télé) parlait de « promisailles », créant le mot pour éviter une confusion ?
Quoi qu’il en soit, voici quelques suggestions de documents pour aller plus loin :
-Mariage et sexualité au Moyen Age [Livre] : accord ou crise ? / colloque international de Conques, [15-18 oct. 1998] ; [/url] sous la dir. de Michel Rouche
-L'évolution de la famille et du mariage en Europe [Livre] / Jack Goody ; traduction de Marthe Blinoff ; introduction de Martine Segalen ; préface de Didier Lett ; avant-propos de Jack Goody ; préfa...
- Dictionnaire du Moyen Age [Livre] / sous la dir. de Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink
Bonnes lectures.
Malgré nos recherches
Même le terme « promis(e) », sur lequel « promisaille » semble construit, ne désignait pas particulièrement des fiancés. Nous avons pensé que vous aviez pu faire une confusion avec « promission », usité en ancien et moyen français, puis en français classique. Mais ce terme ne désignait que le pays de Canaan offert par Dieu au peuple élu, dans l’expression figée « terre de promission ».
Vous auriez aussi pu faire la confusion avec le terme vieilli
« Pop. Réunion de caractère généralement familial au cours de laquelle
[…]
− P. ext.
(Source : cnrtl.fr)
Le terme, attesté seulement depuis 1539 d’après le Dictionnaire culturel en langue française a donc le double sens de « réunion où se décident les termes du contrat de mariage » et de « cérémonie de promesse de mariage », deux sens presque contradictoires que revêtirent justement les fiançailles au cours du moyen-âge. Et qui traduit l’évolution du mariage, mais aussi les rapports parfois conflictuels de l’Eglise et de la société laïque à ce sujet :
« Dans le droit de l’époque romaine classique, [les fiançailles] précédaient normalement le mariage, parfois de plusieurs années. Conclues le plus souvent pour des jeunes enfants par le père ou celui qui avait la puissance paternelle sur eux, ces sponsalia s’accompagnaient de cérémonies familiales, sociales et religieuses. Sans grande conséquence juridique, elles pouvaient être rompues. Dans le droit romain tardif, les fiançailles acquirent une place plus importante et leur bris devint plus difficile. En particulier, l’Église voulait assurer leur publicité et leur solidité et ne tolérait plus leur rupture que pour un motif sérieux. Les fiançailles s’accompagnaient de la remise d’un anneau, de cadeaux et, depuis le IVe siècle, d’arrhes de fiançailles qui confirmaient la promesse et servaient de gage de mariage.
Pour sa part, le monde germanique ne connaissait pas vraiment les fiançailles. Le terme desponsatio, proche de sponsalia, en usage du VIe au XIIe siècle, était surtout utilisé pour décrire la première des deux étapes du mariage germanique. Cette étape représentait davantage qu’une promesse de mariage ; elle constituait le premier geste fondateur de l’union matrimoniale. Accompagnée du versement d’une somme d’argent, la desponsatio créait un matrimonium initiatum. Elle impliquait le consentement au mariage et donnait à l’homme l’autorité sur sa femme. Ce n’est qu’ensuite, parfois après un intervalle très long, que le mariage était complété par la traditio puellae et que la femme était remise à son époux, le mariage consommé et la vie commune établie.
Durant tout le haut Moyen Âge, le mariage par étape continua à dominer en théorie comme en pratique. Jusqu’au XIIe siècle, les canonistes n’utilisaient même pas l’expression sponsalia. Ils se référaient plutôt au terme équivoque de desponsatio, sans qu’il soit clair s’ils la considéraient comme la promesse d’un mariage futur ou la conclusion d’un accord matrimonial.
C’est au XIIe siècle, dans leur élaboration de la doctrine matrimoniale, que les théologiens français renouèrent avec les sponsalia à la romaine. Ces simples promesses de mariage, baptisées verbo de futuro par Pierre Lombard (v. 1100-1160), ne créaient plus de matrimonium iniatum ; elles ne représentaient que l’annonce d’un mariage. En incorporant ces fiançailles au rituel ecclésiastique, les théologiens français ne sanctionnaient donc plus le mariage par étapes. Ils considéraient plutôt qu’une union se nouait par le seul échange des verba de presenti au moment des épousailles. D’abord rejetée par les théologiens italiens, leur conception des fiançailles et du mariage finit par s’imposer au XIIIe siècle. Désormais, les fiançailles, simple engagement vers la voie du mariage, n’étaient plus obligatoires. Elles proposaient toutefois un temps d’arrêt aux futurs mariés afin qu’ils réfléchissent aux obligations et à l’indissolubilité que leur union entraînerait et qu’ils se préparent à la grâce que ce sacrement leur conférerait. »
C’est cette conception revue et corrigée par l’Eglise qui va s’imposer peu à peu et aboutir à la conception moderne des fiançailles :
« Les fiançailles, qui prennent place entre les pourparlers et le mariage lui-même, constituent une étape clé du processus matrimonial. En effet, elles représentent l’aboutissement de négociations qui peuvent avoir duré des mois, voire des années. Elles accompagnent et scellent le traité de mariage qui consigne par écrit l’entente établie entre parents et amis des futurs mariés. Elles préparent le terrain pour les épousailles et l’établissement de la vie commune. »
(Source : Geneviève Ribordy, « Les fiançailles dans le rituel matrimonial de la noblesse française à la fin du Moyen Âge : tradition laïque ou création ecclésiastique ? » cairn.info)
Peut-être est-ce en évoquant ces « pourparlers », ces « négociations » entre familles et (parfois) futurs époux que la personne que vous avez entendue à la radio (ou à la télé) parlait de « promisailles », créant le mot pour éviter une confusion ?
Quoi qu’il en soit, voici quelques suggestions de documents pour aller plus loin :
-Mariage et sexualité au Moyen Age [Livre] : accord ou crise ? / colloque international de Conques, [15-18 oct. 1998] ; [/url] sous la dir. de Michel Rouche
-L'évolution de la famille et du mariage en Europe [Livre] / Jack Goody ; traduction de Marthe Blinoff ; introduction de Martine Segalen ; préface de Didier Lett ; avant-propos de Jack Goody ; préfa...
- Dictionnaire du Moyen Age [Livre] / sous la dir. de Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink
Bonnes lectures.
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