histocompatibilité différente chez un même individu
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 28/01/2019 à 22h00
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Question d'origine :
Bonjour,
J'ai lu que le tueur en série russe Andreï Tchikatilo avait un complexe majeur d'histocompatibilité différente entre son sang et son sperme.
Est-ce vrai et surtout est-ce possible?
Si oui, pourriez-vous m'en expliquer le mécanisme?
Si non, pourquoi l'identification par cette méthode du criminel précédemment cité a t-elle échoué ?
Je vous remercie.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 30/01/2019 à 11h20
Bonjour,
Nous comprenons votre perplexité. La qualité principale de la police soviétique n’étant pas la transparence, nous ne vous ferons pas grief d’avoir quelques doutes. De là à penser et que l’explication de la « rarissime anomalie » génétique de Tchikatilo soit un simple prétexte pour expliquer la lenteur d’une traque qui dura tout de même de 1978 à 1990, il n’y a qu’un pas. D’autant que, comme le rappelle Didier Decoin dans son Dictionnaire amoureux des faits divers, l’enquête avait déjà été ralentie par des tabous idéologiques :
« Malgré le mode opératoire toujours identique […] les enquêteurs refusèrent longtemps l’hypothèse d’un tueur unique, car les tueurs en série étaient emblématiques des perversions des sociétés occidentales et ne pouvaient tout simplement pas exister dans le monde soviétique . »
Cependant, Decoin poursuit :
« D’après les échantillons de sperme recueillis sur les victimes, le sang du tueur était du groupe AB tandis que celui de Tchikatilo appartenait au groupe A. Ce qui l’innocentait. En fait, les enquêteurs ignoraient qu’il existait une minorité d’individu dont le sang était « non sécréteur » : il n’avait pas de signature externe valable et ne pouvait être identifié que par ponction directement dans la veine. »
Être sécréteur ou non sécréteur, telle est-elle la question ? Regardons-y plus de plus :
« Sécréteur (angl. secretor ) Qualifie un individu dont certaines sécrétions, notamment la salive, contiennent des antigènes ABH. Ce caractère est déterminé par le gène Se . Les homozygotes de l’allèle récessif se ne sont pas sécréteurs. »
(Dictionnaire de biologie [Livre] /Jacques Berthet ; en collaboration avec Alain Amar-Costesec)
Le groupe sanguin d’un individu n’est donc pas toujours décelable dans son sperme. D’après les sources consultées, C’est d’ailleurs le cas d’environ 20% de la population ! Cependant, cette hypothèse laisse une question en suspens : si l’ « ogre de Rostov » avait été non sécréteur, comment expliquer que son sperme induise un groupe sanguin AB ?
La solution est peut-être à chercher du côté du chimérisme . Selon le dictionnaire de biologie cité plus haut, une chimère est un « Organisme constitué de cellules qui n’ont pas toutes le même génotype. Les causes spontanées de formation d’une chimère peuvent être une mutation somatique précoce durant la vie embryonnaire, ou l’adoption de cellules d’un jumeau non identique. »
L’article « Hybridation » de l’Encyclopaedia universalis est plus précise :
« Dans la population des jumeaux dizygotes, frères et sœurs simultanés issus de deux ovocytes et de deux spermatozoïdes différents, l'existence d'une chimère sanguine n'est pas exceptionnelle, puisqu'elle survient dans 8 p. 100 des cas environ, la pratique de la fécondation in vitro ayant en outre considérablement augmenté le nombre des grossesses multiples. Cet échange se produit au niveau du placenta, par « anastomose placentaire », permettant l'échange, entre jumeaux dizygotes, de cellules hématopoïétiques rendant possible une greffe de cellules d'un jumeau (donneur) dans la moelle osseuse de l'autre jumeau (receveur), assez tôt pour ne pas entraîner de rejet du système immunitaire. Ce chimérisme, dit congénital, peut perdurer des années, voire toute la vie, révélant parfois l'existence d'un jumeau disparu pendant la période embryonnaire, jusque-là totalement méconnu, à moins qu'il n'ait été perçu en échographie fœtale au début de la grossesse. Découvert lors de l'établissement d'une carte de groupe sanguin, ce chimérisme montre une double population d'érythrocytes de phénotype différent dont les proportions sont variables selon les cas. »
Si Tchikatilo a, au cours de ses quinze premiers jours de vie embryonnaire, fusionné avec un jumeau disparu, il y a peu de chances qu’on l’ait diagnostiqué, en 1937 en Ukraine ! A vrai dire, le chimérisme génétique chez l’homme est de découverte si récente qu’il n’y a pas, à notre connaissance, de données sur sa prévalence dans la population. Il est peut-être plus courant qu’on ne croit… et pourrait le devenir encore plus, du fait du recours à la PMA.
Ainsi, un article du 2 novembre 2015 de « Sciences et avenir » (consultable sur europresse.com avec l’abonnement BmL) évoque la surprise d’un couple américain après un test de paternité réalisé en juin 2014 :
« Les résultats sont stupéfiants. L'homme n'est pas le père biologique de l'enfant mais... son oncle ! La réaction logique consiste à penser que la mère a trompé son mari avec son beau-frère. Sauf que son mari n'a pas de frère... À ce stade, c'est à n'y rien comprendre. Mais pour le généticien, il y a une explication rationnelle : elle se nomme "chimérisme" (terme emprunté de la créature de la mythologie grecque qui a une tête de lion, un corps de chèvre et une queue de serpent). Un phénomène extrêmement rare qui survient lors d'une double fécondation : les deux foetus (des "faux" jumeaux - voir encadré ci-dessous) fusionnent, un seul continuant à se développer normalement. Ainsi, deux génomes cohabitent dans ce même organisme. On peut donc dire sans l'offenser que ce monsieur est une chimère.
[…]
Concrètement, que s'est-il passé ? Le père biologique a eu, in utero, un faux jumeau, porteur d'un "B" dans son groupe sanguin. L'embryon de ce jumeau - qui ne s'est pas développé - a été "absorbé" et assimilé par le foetus du père. Lequel a ensuite fabriqué des cellules porteuses des gènes de ce frère, qui n'est jamais né. Ainsi, dans environ 10 % des spermatozoïdes qu'il fabrique, c'est l'ADN de son faux jumeau qui s'exprime. Son fils a de cette façon hérité de l'ADN de son "oncle". Autrement dit, il est le fils d'un "fantôme"... Même si d'autres cas de chimérisme ont été découverts auparavant, Barry Starr et ses collègues soulignent que c'est la première fois que ce phénomène est découvert après un test de paternité. Ils craignent qu'en raison de la multiplication des procréations médicalement assistées (PMA), où plusieurs embryons sont transférés dans l'utérus des femmes, les cas de chimérisme ne deviennent de plus en plus fréquents... »
Bonne journée.
Nous comprenons votre perplexité. La qualité principale de la police soviétique n’étant pas la transparence, nous ne vous ferons pas grief d’avoir quelques doutes. De là à penser et que l’explication de la « rarissime anomalie » génétique de Tchikatilo soit un simple prétexte pour expliquer la lenteur d’une traque qui dura tout de même de 1978 à 1990, il n’y a qu’un pas. D’autant que, comme le rappelle Didier Decoin dans son Dictionnaire amoureux des faits divers, l’enquête avait déjà été ralentie par des tabous idéologiques :
« Malgré le mode opératoire toujours identique […] les enquêteurs refusèrent longtemps l’hypothèse d’un tueur unique, car les tueurs en série
Cependant, Decoin poursuit :
« D’après les échantillons de sperme recueillis sur les victimes, le sang du tueur était du groupe AB tandis que celui de Tchikatilo appartenait au groupe A. Ce qui l’innocentait. En fait, les enquêteurs ignoraient qu’il existait une minorité d’individu dont le sang était « non sécréteur » : il n’avait pas de signature externe valable et ne pouvait être identifié que par ponction directement dans la veine. »
Être sécréteur ou non sécréteur, telle est-elle la question ? Regardons-y plus de plus :
«
(Dictionnaire de biologie [Livre] /Jacques Berthet ; en collaboration avec Alain Amar-Costesec)
Le groupe sanguin d’un individu n’est donc pas toujours décelable dans son sperme. D’après les sources consultées, C’est d’ailleurs le cas d’environ 20% de la population ! Cependant, cette hypothèse laisse une question en suspens : si l’ « ogre de Rostov » avait été non sécréteur, comment expliquer que son sperme induise un groupe sanguin AB ?
La solution est peut-être à chercher du côté du
L’article « Hybridation » de l’Encyclopaedia universalis est plus précise :
« Dans la population des jumeaux dizygotes, frères et sœurs simultanés issus de deux ovocytes et de deux spermatozoïdes différents, l'existence d'une chimère sanguine n'est pas exceptionnelle, puisqu'elle survient dans 8 p. 100 des cas environ, la pratique de la fécondation in vitro ayant en outre considérablement augmenté le nombre des grossesses multiples. Cet échange se produit au niveau du placenta, par « anastomose placentaire », permettant l'échange, entre jumeaux dizygotes, de cellules hématopoïétiques rendant possible une greffe de cellules d'un jumeau (donneur) dans la moelle osseuse de l'autre jumeau (receveur), assez tôt pour ne pas entraîner de rejet du système immunitaire. Ce chimérisme, dit congénital, peut perdurer des années, voire toute la vie, révélant parfois l'existence d'un jumeau disparu pendant la période embryonnaire, jusque-là totalement méconnu, à moins qu'il n'ait été perçu en échographie fœtale au début de la grossesse. Découvert lors de l'établissement d'une carte de groupe sanguin, ce chimérisme montre une double population d'érythrocytes de phénotype différent dont les proportions sont variables selon les cas. »
Si Tchikatilo a, au cours de ses quinze premiers jours de vie embryonnaire, fusionné avec un jumeau disparu, il y a peu de chances qu’on l’ait diagnostiqué, en 1937 en Ukraine ! A vrai dire, le chimérisme génétique chez l’homme est de découverte si récente qu’il n’y a pas, à notre connaissance, de données sur sa prévalence dans la population. Il est peut-être plus courant qu’on ne croit… et pourrait le devenir encore plus, du fait du recours à la PMA.
Ainsi, un article du 2 novembre 2015 de « Sciences et avenir » (consultable sur europresse.com avec l’abonnement BmL) évoque la surprise d’un couple américain après un test de paternité réalisé en juin 2014 :
« Les résultats sont stupéfiants. L'homme n'est pas le père biologique de l'enfant mais... son oncle ! La réaction logique consiste à penser que la mère a trompé son mari avec son beau-frère. Sauf que son mari n'a pas de frère... À ce stade, c'est à n'y rien comprendre. Mais pour le généticien, il y a une explication rationnelle : elle se nomme "chimérisme" (terme emprunté de la créature de la mythologie grecque qui a une tête de lion, un corps de chèvre et une queue de serpent). Un phénomène extrêmement rare qui survient lors d'une double fécondation : les deux foetus (des "faux" jumeaux - voir encadré ci-dessous) fusionnent, un seul continuant à se développer normalement. Ainsi, deux génomes cohabitent dans ce même organisme. On peut donc dire sans l'offenser que ce monsieur est une chimère.
[…]
Concrètement, que s'est-il passé ? Le père biologique a eu, in utero, un faux jumeau, porteur d'un "B" dans son groupe sanguin. L'embryon de ce jumeau - qui ne s'est pas développé - a été "absorbé" et assimilé par le foetus du père. Lequel a ensuite fabriqué des cellules porteuses des gènes de ce frère, qui n'est jamais né. Ainsi, dans environ 10 % des spermatozoïdes qu'il fabrique, c'est l'ADN de son faux jumeau qui s'exprime. Son fils a de cette façon hérité de l'ADN de son "oncle". Autrement dit, il est le fils d'un "fantôme"... Même si d'autres cas de chimérisme ont été découverts auparavant, Barry Starr et ses collègues soulignent que c'est la première fois que ce phénomène est découvert après un test de paternité. Ils craignent qu'en raison de la multiplication des procréations médicalement assistées (PMA), où plusieurs embryons sont transférés dans l'utérus des femmes, les cas de chimérisme ne deviennent de plus en plus fréquents... »
Bonne journée.
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