Question d'origine :
Cher guichet,
Quelle est l'importance et la manière de travailler des notaires tant en ville qu'à la campagne ?
Merci.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 28/01/2019 à 14h15
Bonjour,
Voici ce que dit l’article « Notaire – ancien régime » de l’Encyclopaedia universalis :
“ Titre recouvrant des fonctions très différentes selon qu'il s'agit du notaire de chancellerie ou du notaire public. Le premier se rencontre déjà dans toutes les administrations de l'Antiquité et n'est autre chose qu'un scribe. Dès le haut Moyen Âge, la chancellerie des différents souverains comprenait des notaires, placés dans la chancellerie carolingienne sous l'autorité de l'archichancelier. Autour du chancelier ou du garde du sceau, les notaires constituaient également la chancellerie capétienne. Ce notariat fut, dès le XIVè siècle, un office irrévocable et, en fait, transmissible et cessible. Les notaires prirent à partir du règne de Charles V le double titre de notaire et secrétaire du roi ; celui de notaire disparut au XVIIè siècle. D'une dizaine au temps de Philippe le Bel, ils étaient devenus trois cents à la veille de la Révolution. La même évolution peut être observée dans la plupart des pays.
[…]
Le notaire public, au contraire du notaire de chancellerie, n'était pas un officier, mais était investi par une autorité dont le pouvoir de justice était suffisamment incontestable pour que pût s'exercer, dans l'intérêt des particuliers, sa juridiction gracieuse, c'est-à-dire pour qu'il pût recevoir les actes juridiques privés et leur donner force d'actes de justice. C'est donc à la fois comme scribe et comme témoin privilégié qu'intervenait le notaire, au nom de l'autorité qui l'avait investi, et c'est par l'apposition de son seing qu'il validait les actes et leur conférait authenticité. Il y eut en France des notaires royaux (établis auprès des juridictions royales de tout le royaume), mais aussi des notaires apostoliques et impériaux (tenant en général leur investiture du pape), des notaires ou tabellions de juridictions ecclésiastiques (officialités diocésaines ou abbatiales), des notaires ou tabellions de communes ou de consulats urbains, enfin. L'organisation du notariat a sensiblement contribué à faciliter les relations économiques en simplifiant la procédure de constitution des preuves.
Propriétaires de leur charge, les notaires sont devenus, lors de la réorganisation napoléonienne, un des principaux corps d'officiers ministériels. La plupart des études actuelles succèdent cependant de manière directe à celles du xve ou du xvie siècle, dont les minutes leur ont été transmises. »
Comme nous l’avons déjà dit ici, « Le statut des notaires sous l’Ancien régime n’est pas aisé à définir. Nous reproduisons ci-dessous un extrait de l’article : La Condition des notaires sous l’Ancien Régime par Humbert de Saint-Prix, faisant état justement de ces difficultés, des évolutions, des limites de ces notions administratives…
«Nous voudrions, de ces documents, tirer des conclusions précises et certaines, ce qui serait aisé si tous abondaient dans un sens à peu près analogue.[…] Peut-être pourrait-on aussi conclure que la profession de notaire, exercée au XVIe siècle par des personnes nobles ou très instruites, tomba à partir du commencement de ce siècle entre des mains indignes, ce qui motiva l’édit de François Ie [arrêt décidant que les notaires seraient censés avoir dérogé et exercé une profession roturière].
Pour l’époque moderne de l’Ancien régime, les textes sont formels :
1. dérogeance générale jusqu’en 1673
2. à partir de cette année, exception en faveur des notaires de Paris
3. à partir de 1706, exception en faveur des Notaires syndics des villes et des bourgs
4. à partir de 1775 cessation absolue de la dérogeance ;
III
Quel était l’état de fait, la position, le rang des Notaires dans la hiérarchie sociale indépendamment de l’état fiscal et administratif que nous venons d’étudier. […]
Voyons-nous les familles de Notaires, dans les campagnes, conserver longtemps les traditions aristocratiques de leurs prédécesseurs. Ces familles s’alliaient souvent entre elles, et souvent aussi avec les familles de noblesse de race, leurs voisines. […] les Notaires urbains étaient moins appréciés parce qu’ils étaient moins connus, en raison du nombre et du peu de stabilité de la population. »
Dans un recueil d’actes de colloque : Notaires, notariat et société sous l’Ancien régime , il est traité du cas des notaires en milieu rural à partir d’un exemple en Haute-Auvergne. [...] Il est ainsi traité des dynasties notariales :
« L’origine des dynastie notariales est primordiale pour comprendre l’enchaînement des situations et faire l’esquisse d’une histoire des mentalités notariales. Quand on consulte la sous-série E des Archives départementales du Cantal on constate que la grande abondance des minutes d’Ancien régime est le fait des XVIIe et XVIIIe siècle, mais qu’elle s’amorce dès le XVIe siècle. Par ailleurs, les dynasties, qu’elles soient rurales ou urbaines, se forment durant cette période dite moderne, pour certaines mordent allègrement sur le XIXe siècle. […]
Car une constatation s’impose dès que la recherche débute : l’origine de ce notariat rural en Haute-Auvergne n’est nullement obscure et les lignées qui se prolongent sur deux ou trois générations ont la même origine, une origine marchande. Dès la naissance de leurs études, ces dynasties sont étroitement liées à l’univers de l’argent et des échanges commerciaux. […] L’accès au notariat ne serait pas la première marche de l’ascension sociale de ces travailleurs de la terre, mais la seconde. Plus exactement cet accès au notariat serait une marche à part, moins souhaitée comme une promotion au sein de la communauté rurale que comme une confirmation. C’est reconnaître à ces deux mondes une interaction constante. Et le premier –celui du commerce – ne dévalue en rien le second, le monde de la judicature. Au contraire ! Ainsi Maître Miquel, en 1752, marie en grandes pompes son fils installé marchand avec une jeune femme également issue de cette strate sociale. De la même façon, c’est le négoce qui attend certains des fils Carrier. […] En résumé, il semble primordial pour les possédants nantis de pouvoir confirmer aux yeux des autres habitants une progression sociale par une profession ou mieux une charge qui utilise le savoir lire et écrire.
[…]
Les Carrier, pendant trois générations, vont prendre femme dans l’Aristocratie terrienne des environs.[…] De ces unions, qui en somme, font le tour de ce que la région compte d’aristocratie, ces notaires tirent des avantages évidents. Tout d’abord un enracinement dans des familles réputées, à tort ou à raison, comme les plus anciennes. Leurs portent désormais s’ouvrent et les Carrier peuvent ainsi participer au brassage des lignées tout en fortifiant par ces nouvelles relations leur place prépondérante dans la communauté. » (un article de Marie Bardet)"
Les notaires forment donc une profession relativement puissante, même si jusqu’au XVIIIè siècle ne sera jamais tranchée la question de savoir si la profession est « vile », c’est-à-dire interdite aux nobles sous peine de « dérogeance ». Un ouvrage du XVIIè siècle, Traité de la noblesse et de ses différentes espèces de Gilles-André de la Roque de la Lontière (consultables sur books.google.fr, se fait écho de ce débat, et montre que l’ancien régime, en termes de distinction, n’était pas égal selon que le notariat s’exerçait au service du roi ou localement, car « comme disent les docteurs, les notaires des Princes et des Empereurs sont en dignité, et les autres sont serviteurs du public. […] Ainsi les notaires royaux gentilshommes ne sont point sujets à la dérogeance. »
Un article du site des Archives de l’Yonne nous éclaire sur les conditions de travail des notaires d’ancien régime, dans leur diversité :
« Le notariat présente dans les pays d'Yonne, comme ailleurs dans le nord du royaume de France, un visage très varié, fruit d'une histoire institutionnelle longue. À la fin du Moyen-Âge, à côté de la fonction de notaire proprement dit, qui rédige les actes qu'il soumet à l'authentification de la juridiction dont il dépend, on distingue celle de tabellion ou garde-notes , chargé de conserver la trace de la transaction, puis de la mettre au net et d'en délivrer autant de copie qu'il est besoin. Dans l'Yonne, très tôt et sous l'impulsion du pouvoir royal et la pression des corporations, les fonctions tendent à se rapprocher, notamment en ville . Durant l'Ancien Régime, selon l'autorité qui les a investis, exercent trois types de notaires : à côté des notaires apostoliques, établis par l'Église, se trouvent des notaires royaux, clairement distingués des notaires « subalternes », très nombreux, qui tirent leur charge d'un seigneur dont ils ne peuvent exercer que dans les limites de la seigneurie . À partir du XVIe siècle au moins, les notaires royaux sont titulaires de leur charge en vertu d'un office qu'ils achètent au roi, et qu'ils transmettent à leur successeur (souvent un parent), et qu'ils peuvent revendre. »
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les notaires ne sont pas alors des diplômés en droit. A vrai dire, leur formation, empirique, revêt un caractère presque artisanal :
« Comme les huissiers, les greffiers et les procureurs, les notaires appartiennent à la classe des praticiens de l'Ancien Régime, qui ne suivent généralement aucune étude de droit.Leur formation repose donc sur la pratique juridique. Empirique, elle débute dès l'enfance, commence par de longues pages de copies de formules notariales avant de se poursuivre par des séances de signature et de calcul. Le clerc de notaire ainsi formé n'est pas habilité à établir des actes, et ce n'est que très tardivement dans sa formation, lorsqu'il a acquis le statut de praticien, qu'il est appelé à fournir des expéditions, appelées aussi grosses, recopiées à partir des minutes. Le statut du clerc de notaire évolue après la Révolution, sous l'impulsion des chambres des notaires. Devenus salariés de l'étude, les clercs de notaires suivent désormais une carrière inscrite dans des registres qui consignent l'évolution de leur emploi et leur degré de formation. »
Détail pratique, selon les Archives de l’Yonne (source déjà citée) les notaires royaux doivent se mettre à deux pour authentifier un acte, contrairement aux notaires ruraux qui travaillaient seuls, mais ne dressaient leurs actes qu’en présence de deux témoins extérieurs . Ce qui dénote la gravité du rôle du notaire dans la vie locale et quotidienne, car, s’il a un rôle important aujourd’hui, « sous l'Ancien Régime son rôle revêtait une importance encore plus grande car sa signature et la présence de témoins constituaient pour beaucoup d'intéressés,pour la plupart illettrés, le seul critère d'authenticité et de garantie. »
(Source : Les Amis des archives de Haute-Garonne)
C’est que la profession s’est peu à peu organisée pour défendre sa dignité et ses intérêts, selon la tradition des corporations :
« Dès le XIIe siècle, des corps de métiers apparaissent, c’est-à-dire un ensemble de personnes ayant la même profession et qui se groupent dans une même ville pour défendre des intérêts communs. Du XIIIe au XVIIe siècle, sous l’effet notamment du développement urbain, ces organisations structurées vont s'étendre à bon nombre de métiers. Elles se dotent de statuts dont les objectifs sont de limiter les exigences fiscales de la ville ou de la royauté, d’éliminer la concurrence, d’établir une hiérarchie, etc.
Les organisations de notaires semblent exister depuis le XIVe siècle. Dans le Tarn, elles sont repérées à partir du XVIe siècle, sont organisées par localités et prennent différentes formes.
A Cordes, nous relevons l’existence d’une confrérie, créée en 1516 et existant encore au milieu du XVIIIe siècle. Placés sous le patronage de saint Yves de l’église Saint-Michel, les juristes de la ville, dont les notaires (ils sont 9 en 1542 et 7 en 1557), s’organisent. A la tête de l’organisation se trouvent deux bayles nommés, chaque membre devant honorer une cotisation d’entrée puis une somme annuelle. Les donations permettent d’augmenter les revenus : ainsi, en 1520, la veuve du notaire Bertrand Las Cases fait le legs d'une rente d'un setier de blé à la confrérie. Les statuts de 1542 prévoient que toutes les semaines deux messes seront célébrées dans la chapelle Saint-Yves ; ceux de 1640 maintiennent une messe hebdomadaire et pour les jours de fêtes. L’activité est essentiellement religieuse et charitable (une messe est donnée à la mort d’un confrère).
La profession semble aussi s’organiser selon les besoins et les circonstances. Ainsi en 1629, les notaires royaux des dix reduits en heredité de la ville d’Albi s’assemblent pour constituer leur syndic et procureur Raymond Noyrit. Ce dernier reçoit des indemnités pour représenter ses confrères devant le parlement de Toulouse dans une affaire qui les oppose aux soit disant notaires du faubourg du Bout-du-Pont.
[…]
A la veille de la Révolution, l’arsenal législatif encadrant la fonction de notaires est stable. La profession est organisée et malgré les tentatives régulières de sa réduction, le nombre de notaires ne cesse d’augmenter. En effet, la diminution semble à peu près stoppée avec un palier autour de 215-217 notaires jusqu’en 1775, et la tendance repart à la hausse pour atteindre 268 notaires pendant la période révolutionnaire. Le rapport de Favard, préparatoire à la loi de ventôse an XI, souligne les abus liés à l’autorisation donnée à l’administration de nommer des notaires : partout le nombre des notaires aurait dû être diminué, et partout il a été augmenté. »
Et les Archives de l’Yonne soulignent encore leur omniprésence dans la société d’ancien régime :
« Habilités par des juridictions seigneuriales ou accrédités par le pouvoir royal, les notaires sont indispensables à tous les ordres de la société d'Ancien Régime. De ce fait, leur intégrité est mise à l'épreuve dans un monde où le pouvoir seigneurial tente parfois de détourner les lois à son profit. Mais sur ce point, les notaires résistent. Dans les campagnes, ils rédigent les actes d'assemblée et seront les premiers transcripteurs des cahiers de doléance de 1789. »
Pour aller plus loin :
-Notaires, notariat et société sous l'Ancien Régime [Livre] : actes du colloque de Toulouse, 15 et 16 décembre 1989 / [organisé par l'] Université des sciences sociales de Toulouse, Centre d'histoir...
-De la condition des notaires sous l'ancien régime [Livre] / Humbert de Saint-Prix. Les burins et les chizerots / Fleury Vindry
-Article de Julie Claustre, « La prééminence du notaire (Paris, XIVe et XVe siècle) » sur halshs.archives-ouvertes.fr
-Article de Gilbert Imbert, « Les domaines d’intervention du notaire de campagne en Rouergue, sous l’ancien régime » sur 2a31.net
Bonne journée.
Voici ce que dit l’article « Notaire – ancien régime » de l’Encyclopaedia universalis :
“ Titre recouvrant des fonctions très différentes selon qu'il s'agit du notaire de chancellerie ou du notaire public. Le premier se rencontre déjà dans toutes les administrations de l'Antiquité et n'est autre chose qu'un scribe. Dès le haut Moyen Âge, la chancellerie des différents souverains comprenait des notaires, placés dans la chancellerie carolingienne sous l'autorité de l'archichancelier. Autour du chancelier ou du garde du sceau, les notaires constituaient également la chancellerie capétienne. Ce notariat fut, dès le XIVè siècle, un office irrévocable et, en fait, transmissible et cessible. Les notaires prirent à partir du règne de Charles V le double titre de notaire et secrétaire du roi ; celui de notaire disparut au XVIIè siècle. D'une dizaine au temps de Philippe le Bel, ils étaient devenus trois cents à la veille de la Révolution. La même évolution peut être observée dans la plupart des pays.
[…]
Le notaire public, au contraire du notaire de chancellerie, n'était pas un officier, mais était investi par une autorité dont le pouvoir de justice était suffisamment incontestable pour que pût s'exercer, dans l'intérêt des particuliers, sa juridiction gracieuse, c'est-à-dire pour qu'il pût recevoir les actes juridiques privés et leur donner force d'actes de justice. C'est donc à la fois comme scribe et comme témoin privilégié qu'intervenait le notaire, au nom de l'autorité qui l'avait investi, et c'est par l'apposition de son seing qu'il validait les actes et leur conférait authenticité. Il y eut en France des notaires royaux (établis auprès des juridictions royales de tout le royaume), mais aussi des notaires apostoliques et impériaux (tenant en général leur investiture du pape), des notaires ou tabellions de juridictions ecclésiastiques (officialités diocésaines ou abbatiales), des notaires ou tabellions de communes ou de consulats urbains, enfin. L'organisation du notariat a sensiblement contribué à faciliter les relations économiques en simplifiant la procédure de constitution des preuves.
Propriétaires de leur charge, les notaires sont devenus, lors de la réorganisation napoléonienne, un des principaux corps d'officiers ministériels. La plupart des études actuelles succèdent cependant de manière directe à celles du xve ou du xvie siècle, dont les minutes leur ont été transmises. »
Comme nous l’avons déjà dit ici, « Le statut des notaires sous l’Ancien régime n’est pas aisé à définir. Nous reproduisons ci-dessous un extrait de l’article : La Condition des notaires sous l’Ancien Régime par Humbert de Saint-Prix, faisant état justement de ces difficultés, des évolutions, des limites de ces notions administratives…
«Nous voudrions, de ces documents, tirer des conclusions précises et certaines, ce qui serait aisé si tous abondaient dans un sens à peu près analogue.[…] Peut-être pourrait-on aussi conclure que la profession de notaire, exercée au XVIe siècle par des personnes nobles ou très instruites, tomba à partir du commencement de ce siècle entre des mains indignes, ce qui motiva l’édit de François Ie [arrêt décidant que les notaires seraient censés avoir dérogé et exercé une profession roturière].
Pour l’époque moderne de l’Ancien régime, les textes sont formels :
1. dérogeance générale jusqu’en 1673
2. à partir de cette année, exception en faveur des notaires de Paris
3. à partir de 1706, exception en faveur des Notaires syndics des villes et des bourgs
4. à partir de 1775 cessation absolue de la dérogeance ;
Quel était l’état de fait, la position, le rang des Notaires dans la hiérarchie sociale indépendamment de l’état fiscal et administratif que nous venons d’étudier. […]
Voyons-nous les familles de Notaires, dans les campagnes, conserver longtemps les traditions aristocratiques de leurs prédécesseurs. Ces familles s’alliaient souvent entre elles, et souvent aussi avec les familles de noblesse de race, leurs voisines. […] les Notaires urbains étaient moins appréciés parce qu’ils étaient moins connus, en raison du nombre et du peu de stabilité de la population. »
Dans un recueil d’actes de colloque : Notaires, notariat et société sous l’Ancien régime , il est traité du cas des notaires en milieu rural à partir d’un exemple en Haute-Auvergne. [...] Il est ainsi traité des dynasties notariales :
« L’origine des dynastie notariales est primordiale pour comprendre l’enchaînement des situations et faire l’esquisse d’une histoire des mentalités notariales. Quand on consulte la sous-série E des Archives départementales du Cantal on constate que la grande abondance des minutes d’Ancien régime est le fait des XVIIe et XVIIIe siècle, mais qu’elle s’amorce dès le XVIe siècle. Par ailleurs, les dynasties, qu’elles soient rurales ou urbaines, se forment durant cette période dite moderne, pour certaines mordent allègrement sur le XIXe siècle. […]
Car une constatation s’impose dès que la recherche débute : l’origine de ce notariat rural en Haute-Auvergne n’est nullement obscure et les lignées qui se prolongent sur deux ou trois générations ont la même origine, une origine marchande. Dès la naissance de leurs études, ces dynasties sont étroitement liées à l’univers de l’argent et des échanges commerciaux. […] L’accès au notariat ne serait pas la première marche de l’ascension sociale de ces travailleurs de la terre, mais la seconde. Plus exactement cet accès au notariat serait une marche à part, moins souhaitée comme une promotion au sein de la communauté rurale que comme une confirmation. C’est reconnaître à ces deux mondes une interaction constante. Et le premier –celui du commerce – ne dévalue en rien le second, le monde de la judicature. Au contraire ! Ainsi Maître Miquel, en 1752, marie en grandes pompes son fils installé marchand avec une jeune femme également issue de cette strate sociale. De la même façon, c’est le négoce qui attend certains des fils Carrier. […] En résumé, il semble primordial pour les possédants nantis de pouvoir confirmer aux yeux des autres habitants une progression sociale par une profession ou mieux une charge qui utilise le savoir lire et écrire.
[…]
Les Carrier, pendant trois générations, vont prendre femme dans l’Aristocratie terrienne des environs.[…] De ces unions, qui en somme, font le tour de ce que la région compte d’aristocratie, ces notaires tirent des avantages évidents. Tout d’abord un enracinement dans des familles réputées, à tort ou à raison, comme les plus anciennes. Leurs portent désormais s’ouvrent et les Carrier peuvent ainsi participer au brassage des lignées tout en fortifiant par ces nouvelles relations leur place prépondérante dans la communauté. » (un article de Marie Bardet)"
Les notaires forment donc une profession relativement puissante, même si jusqu’au XVIIIè siècle ne sera jamais tranchée la question de savoir si la profession est « vile », c’est-à-dire interdite aux nobles sous peine de « dérogeance ». Un ouvrage du XVIIè siècle, Traité de la noblesse et de ses différentes espèces de Gilles-André de la Roque de la Lontière (consultables sur books.google.fr, se fait écho de ce débat, et montre que l’ancien régime, en termes de distinction, n’était pas égal selon que le notariat s’exerçait au service du roi ou localement, car « comme disent les docteurs, les notaires des Princes et des Empereurs sont en dignité, et les autres sont serviteurs du public. […] Ainsi les notaires royaux gentilshommes ne sont point sujets à la dérogeance. »
Un article du site des Archives de l’Yonne nous éclaire sur les conditions de travail des notaires d’ancien régime, dans leur diversité :
« Le notariat présente dans les pays d'Yonne, comme ailleurs dans le nord du royaume de France, un visage très varié, fruit d'une histoire institutionnelle longue. À la fin du Moyen-Âge,
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les notaires ne sont pas alors des diplômés en droit. A vrai dire, leur formation, empirique, revêt un caractère presque artisanal :
« Comme les huissiers, les greffiers et les procureurs, les notaires appartiennent à la classe des praticiens de l'Ancien Régime, qui ne suivent généralement aucune étude de droit.
Détail pratique, selon les Archives de l’Yonne (source déjà citée) les notaires royaux doivent se mettre à deux pour authentifier un acte, contrairement aux notaires ruraux qui travaillaient seuls, mais
(Source : Les Amis des archives de Haute-Garonne)
C’est que la profession s’est peu à peu organisée pour défendre sa dignité et ses intérêts, selon la tradition des corporations :
« Dès le XIIe siècle, des corps de métiers apparaissent, c’est-à-dire un ensemble de personnes ayant la même profession et qui se groupent dans une même ville pour défendre des intérêts communs. Du XIIIe au XVIIe siècle, sous l’effet notamment du développement urbain, ces organisations structurées vont s'étendre à bon nombre de métiers. Elles se dotent de statuts dont les objectifs sont de limiter les exigences fiscales de la ville ou de la royauté, d’éliminer la concurrence, d’établir une hiérarchie, etc.
Les organisations de notaires semblent exister depuis le XIVe siècle. Dans le Tarn, elles sont repérées à partir du XVIe siècle, sont organisées par localités et prennent différentes formes.
A Cordes, nous relevons l’existence d’une confrérie, créée en 1516 et existant encore au milieu du XVIIIe siècle. Placés sous le patronage de saint Yves de l’église Saint-Michel, les juristes de la ville, dont les notaires (ils sont 9 en 1542 et 7 en 1557), s’organisent. A la tête de l’organisation se trouvent deux bayles nommés, chaque membre devant honorer une cotisation d’entrée puis une somme annuelle. Les donations permettent d’augmenter les revenus : ainsi, en 1520, la veuve du notaire Bertrand Las Cases fait le legs d'une rente d'un setier de blé à la confrérie. Les statuts de 1542 prévoient que toutes les semaines deux messes seront célébrées dans la chapelle Saint-Yves ; ceux de 1640 maintiennent une messe hebdomadaire et pour les jours de fêtes. L’activité est essentiellement religieuse et charitable (une messe est donnée à la mort d’un confrère).
La profession semble aussi s’organiser selon les besoins et les circonstances. Ainsi en 1629, les notaires royaux des dix reduits en heredité de la ville d’Albi s’assemblent pour constituer leur syndic et procureur Raymond Noyrit. Ce dernier reçoit des indemnités pour représenter ses confrères devant le parlement de Toulouse dans une affaire qui les oppose aux soit disant notaires du faubourg du Bout-du-Pont.
[…]
A la veille de la Révolution, l’arsenal législatif encadrant la fonction de notaires est stable. La profession est organisée et malgré les tentatives régulières de sa réduction, le nombre de notaires ne cesse d’augmenter. En effet, la diminution semble à peu près stoppée avec un palier autour de 215-217 notaires jusqu’en 1775, et la tendance repart à la hausse pour atteindre 268 notaires pendant la période révolutionnaire. Le rapport de Favard, préparatoire à la loi de ventôse an XI, souligne les abus liés à l’autorisation donnée à l’administration de nommer des notaires : partout le nombre des notaires aurait dû être diminué, et partout il a été augmenté. »
Et les Archives de l’Yonne soulignent encore leur omniprésence dans la société d’ancien régime :
« Habilités par des juridictions seigneuriales ou accrédités par le pouvoir royal, les notaires sont indispensables à tous les ordres de la société d'Ancien Régime. De ce fait, leur intégrité est mise à l'épreuve dans un monde où le pouvoir seigneurial tente parfois de détourner les lois à son profit. Mais sur ce point, les notaires résistent. Dans les campagnes, ils rédigent les actes d'assemblée et seront les premiers transcripteurs des cahiers de doléance de 1789. »
-Notaires, notariat et société sous l'Ancien Régime [Livre] : actes du colloque de Toulouse, 15 et 16 décembre 1989 / [organisé par l'] Université des sciences sociales de Toulouse, Centre d'histoir...
-De la condition des notaires sous l'ancien régime [Livre] / Humbert de Saint-Prix. Les burins et les chizerots / Fleury Vindry
-Article de Julie Claustre, « La prééminence du notaire (Paris, XIVe et XVe siècle) » sur halshs.archives-ouvertes.fr
-Article de Gilbert Imbert, « Les domaines d’intervention du notaire de campagne en Rouergue, sous l’ancien régime » sur 2a31.net
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