Question d'origine :
Bonjour,
L' expression "starfallah" est souvent utilisée par les adolescents d'origine maghrébine an France. La proposition de traduction littérale "Dieu me pardonne" ne me semble pas correspondre à l'usage courant que les ados font de ce mot.
Pouvez-vous m'indiquer la traduction la plus juste de cet usage? Et également m'indiquer comment on est passé du sens premier "Dieu me pardonne" à cet usage?
Des ouvrages comme les dictionnaires d'Alain Rey s'intéressent-ils à ce mot arabe, ou à d'autres également souvent utilisés en France comme "wallah"?
Merci Guichet du savoir!
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 18/01/2019 à 11h23
Bonjour,
Il est difficile de donner une réponse certaine à votre question. Nous n’avons en effet trouvé que peu de sources évoquant le terme «starfallah », ou ses orthographes alternatives, « starfoullah » ou « starforlah ».
Ce que nous pouvons dire, c’est que, sans préjuger de l’intérêt d’Alain Rey pour le terme, il est absent des Robert, petit et grand, historique et culturel - comme il l’est des dictionnaires d’argot que nous avons consultés, les lexiques de « parler jeune » tels que Dictionnaire des ados français, et même le Dictionnaire des mots français d’origine arabe… à vrai dire, nous n’avons trouvé aucune source plus fiable que le Wiktionnaire, qui donne cette définition :
«De l'arabe أستغفر الله, ʾastaḡfirullāh : Que Dieu me pardonne". »
Notre absence de compétence en la matière ne nous permet pas de vous certifier l’exactitude de la transcription phonétique entre les alphabets arabe et latin. Nous pouvons en revanche, affirmer que starfallah, de wallah, sartek et autres interjections courante dans les milieux bilingues ne sont pas, ou pas encore, entrés dans la langue française. Ce qui signifie que la pratique linguistique qui vous intéresse ne relève pas de la création argotique, mais plutôt de "L’alternance codique, c’est-à-dire les passages dynamiques d’une langue à l’autre, [qui] est l’une des manifestations les plus significatives du parler bilingue. »
(Source : portail-du-fle.info)
Or, et cela ne facilite pas notre recherche, l’arabe dialectal, dont fait partie le verbe qui nous occupe, n’est pas, ou peu, une langue écrite. L’idée même que les petits Algériens pourraient l’apprendre à l’école a provoqué un tollé il y a quelques années.
Tout se passe donc comme si le mot n’avait droit de cité de quelque côté de la Méditerranée que ce soit, à l’écrit du moins.
Nous avons toutefois trouvé un article intéressant sur le site du Centro di Documentazione e di ricerca per la Didattica della lingua francese nell’Università italiana (Centre de recherche et de documentation pour la didactique de la langue française de l’université italienne), dorif.it. L’universitaire Lorenzo Devilla s’y intéresse aux « pratiques langagières des jeunes urbains dans le cinéma français sur la banlieue », et relève de nombreuses occurrences de starfallah (ou starforlah) dans le film L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche [/url]. Voici comment il définit le terme :
« Starforlah !exclamation qui exprime le remords . « Starforlah ! J’ai été méchante avec lui ! L’étonnement ou l’indignation . « Starforlah ! Ce chauffard a failli écraser les enfants qui traversaient. Étymologie : L’expression « je demande pardon à Allah », astaghfiroullah ! en arabe classique, est très usuelle dans le monde musulman, où la tradition rapporte que le prophète avait pour habitude de demander pardon plus de cent fois par jour. (Lexik) »
Plus loin, l’auteur remarque :
« Or, il est intéressant de souligner que dans L’Esquive c’est Lydia, la jeune fille française blanche et blonde jouée par Sara Forestier, seule actrice professionnelle du film, qui les emploie le plus souvent. Ainsi, même si on sait que dans les banlieues il y a aussi des Françaises « de souche » et des filles non issues de l’immigration maghrébine ou noire africaine, c’est comme si Kechiche avait voulu renverser ici le stéréotype du jeune de banlieue en concentrant tous ces traits chez ce personnage :
Je suis contente, franchement, elle est belle, Psartek ! (Lydia à propos de sa robe)
Vas-y, beh, une autre fois Inchallah
Starfallah , mais…(Lydia à Frida qui ne veut pas que Krimo assiste à la répétition de la pièce)
Franchement, woullah, ça fait trop (Lydia à Frida) »
Mais il n’en résulte pas forcément que l’usage de l’expression par des « petites blanches » comme Lydia soit synonyme d’intégration au français. Dans un autre article, toujours sur dorif.it, Lorenzo Devilla note à ce sujet :
« Lorsque l’on s’interroge sur l’apport des langues de l’immigration au français standard, une telle problématique se justifie, nous semble-t-il, dans la mesure où l’on sait que ces traits ont des chances d’être intégrés dans le langage commun seulement s’ils arrivent à franchir les frontières.Il faut en effet que ces mots « soient sortis des cités et qu’ils soient allés dans les cours de récréation » là où « toutes les classes de la société les emploient » (CELOTTI, 2008 : 208). Leur lexicalisation dans les dictionnaires « généraux » dépend, comme l’explique Alain Rey (2007 : 16), de la place qu’ils auront acquise dans la société. »
C’est peut-être justement parce que le terme n’est pas français que Lydia en abuse ; au-delà de son sens premier, elle en fait un signe de reconnaissance, une façon d’attester en permanence de son appartenance à la banlieue.
Il nous semble en effet, au regard des occurrences du mot que nous avons trouvées, que dans bien des cas, il avait perdu son sens d’expression du remords et s’employait comme une pure interjection. Les sources que nous avons trouvées sont de deux ordres : romans contemporains d’une part, spécifiquement centrés sur la banlieue, et, d’autre part, textes de rap.
Si Lacrim, dans la chanson « Sale époque, pt 2 » (2015)
, emploie l’expression dans son sens propre :
«Starfoullah pardonnez-moi, mon Dieu mais j'en profite
Les épreuves me ralentissent mais mon fils grandit trop vite
Amour, passion, bonheur, loyal
Cassure, mensonge, colère, noyade »
on trouve aussi le terme dans la chanson d’Alonzo "Finis les"
, dont le propos n’est pas exactement à la contrition, pas plus que l'étonnement, d'ailleurs :
« Starfallah , ils parlent tous de moi
Ils me connaissent pas, c'est que des mythomanes
Quoique je fasse, je sais qu'tu vas parler
Starfallah, ils parlent tous de moi »
En 2016, La Fouine va encore plus loin dans l’invective, dans une chanson engagée sobrement intitulée « Donald Trump » :
« La chatte à Donald, pas d'accolade
Avec ces gens-là, starfoullah
Pour eux hagra, c'est la routine
Contrôle comme Poutine
Hmmmmm
La trump Tower, dans ton postérieur »
Dans le roman contemporain, les deux usages sont aussi attestés. Dans la peau d'un Thug 2de Nargesse Bibimoune a l’avantage de comporter des notes de bas de page. Voici comment la jeune auteure lyonnaise traduit « starfallah » :
« « Qu’Allah me pardonne ». Expression également utilisée pour montrer sa surprise. »
En revanche, starfoullah devient une simple marque d’insistance dans le roman La Muette, d’Alexandre Lacroix :
« Non, le défaut, c’était pas la mocheté. C’est qu’elle avait trop l’air triste. Imagine la banquise en hiver. Pas un rayon de soleil pendant des mois. Bah elle, c’était pareil. Son visage, il voyait jamais un sourire. Elle me filait l’angoisse, starfoullah ! »
C’est aussi le cas dans Omnia: Le sang des sorcières de Denis Labbé :
« - Starfallah ! Je m’en vais ! lâcha Aleyna. Qu’est-ce que c’est que ces malades ? Il est hors de question que je me déshabille devant tout le monde. »
Enfin, dans Terminus nord, aventure de Nestor Burma publiée en 2018 par Jérôme Leroy :
« - Nestor, starfallah, ce que tu m’as fait rire, sérieux. M’amener chez les keufs…
- Ouais, mais ceux-là, c’est les gentils…
- Nestor, me prends pas pour un hagoun, les flics, y en a pas de bons. »
Nous laissons évidemment au jeune personnage la responsabilité de son appréciation, mais cet usage tendrait vers l’usage de l’expression en tant que juron, invective, interjection, en même temps qu’affirmation d’appartenance (à la « culture banlieue ») , au même titre que les « con » et « putain » chers à nos compatriotes méridionaux...
Bonne journée.
Il est difficile de donner une réponse certaine à votre question. Nous n’avons en effet trouvé que peu de sources évoquant le terme «
Ce que nous pouvons dire, c’est que, sans préjuger de l’intérêt d’Alain Rey pour le terme, il est absent des Robert, petit et grand, historique et culturel - comme il l’est des dictionnaires d’argot que nous avons consultés, les lexiques de « parler jeune » tels que Dictionnaire des ados français, et même le Dictionnaire des mots français d’origine arabe… à vrai dire, nous n’avons trouvé aucune source plus fiable que le Wiktionnaire, qui donne cette définition :
«
Notre absence de compétence en la matière ne nous permet pas de vous certifier l’exactitude de la transcription phonétique entre les alphabets arabe et latin. Nous pouvons en revanche, affirmer que starfallah, de wallah, sartek et autres interjections courante dans les milieux bilingues ne sont pas, ou pas encore, entrés dans la langue française. Ce qui signifie que la pratique linguistique qui vous intéresse ne relève pas de la création argotique, mais plutôt de "L’alternance codique, c’est-à-dire les passages dynamiques d’une langue à l’autre, [qui] est l’une des manifestations les plus significatives du parler bilingue. »
(Source : portail-du-fle.info)
Or, et cela ne facilite pas notre recherche, l’arabe dialectal, dont fait partie le verbe qui nous occupe, n’est pas, ou peu, une langue écrite. L’idée même que les petits Algériens pourraient l’apprendre à l’école a provoqué un tollé il y a quelques années.
Tout se passe donc comme si le mot n’avait droit de cité de quelque côté de la Méditerranée que ce soit, à l’écrit du moins.
Nous avons toutefois trouvé un article intéressant sur le site du Centro di Documentazione e di ricerca per la Didattica della lingua francese nell’Università italiana (Centre de recherche et de documentation pour la didactique de la langue française de l’université italienne), dorif.it. L’universitaire Lorenzo Devilla s’y intéresse aux « pratiques langagières des jeunes urbains dans le cinéma français sur la banlieue », et relève de nombreuses occurrences de starfallah (ou starforlah) dans le film L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche [/url]. Voici comment il définit le terme :
« Starforlah !
Plus loin, l’auteur remarque :
« Or, il est intéressant de souligner que dans L’Esquive c’est Lydia, la jeune fille française blanche et blonde jouée par Sara Forestier, seule actrice professionnelle du film, qui les emploie le plus souvent. Ainsi, même si on sait que dans les banlieues il y a aussi des Françaises « de souche » et des filles non issues de l’immigration maghrébine ou noire africaine, c’est comme si Kechiche avait voulu renverser ici le stéréotype du jeune de banlieue en concentrant tous ces traits chez ce personnage :
Je suis contente, franchement, elle est belle, Psartek ! (Lydia à propos de sa robe)
Vas-y, beh, une autre fois Inchallah
Franchement, woullah, ça fait trop (Lydia à Frida) »
Mais il n’en résulte pas forcément que l’usage de l’expression par des « petites blanches » comme Lydia soit synonyme d’intégration au français. Dans un autre article, toujours sur dorif.it, Lorenzo Devilla note à ce sujet :
« Lorsque l’on s’interroge sur l’apport des langues de l’immigration au français standard, une telle problématique se justifie, nous semble-t-il, dans la mesure où l’on sait que ces traits ont des chances d’être intégrés dans le langage commun seulement s’ils arrivent à franchir les frontières.
C’est peut-être justement parce que le terme n’est pas français que Lydia en abuse ; au-delà de son sens premier, elle en fait un signe de reconnaissance, une façon d’attester en permanence de son appartenance à la banlieue.
Il nous semble en effet, au regard des occurrences du mot que nous avons trouvées, que dans bien des cas, il avait perdu son sens d’expression du remords et s’employait comme une pure interjection. Les sources que nous avons trouvées sont de deux ordres : romans contemporains d’une part, spécifiquement centrés sur la banlieue, et, d’autre part, textes de rap.
Si Lacrim, dans la chanson « Sale époque, pt 2 » (2015)
, emploie l’expression dans son sens propre :
«
Les épreuves me ralentissent mais mon fils grandit trop vite
Amour, passion, bonheur, loyal
Cassure, mensonge, colère, noyade »
on trouve aussi le terme dans la chanson d’Alonzo "Finis les"
, dont le propos n’est pas exactement à la contrition, pas plus que l'étonnement, d'ailleurs :
«
Ils me connaissent pas, c'est que des mythomanes
Quoique je fasse, je sais qu'tu vas parler
Starfallah, ils parlent tous de moi »
En 2016, La Fouine va encore plus loin dans l’invective, dans une chanson engagée sobrement intitulée « Donald Trump » :
« La chatte à Donald, pas d'accolade
Pour eux hagra, c'est la routine
Contrôle comme Poutine
Hmmmmm
La trump Tower, dans ton postérieur »
Dans le roman contemporain, les deux usages sont aussi attestés. Dans la peau d'un Thug 2de Nargesse Bibimoune a l’avantage de comporter des notes de bas de page. Voici comment la jeune auteure lyonnaise traduit « starfallah » :
« « Qu’Allah me pardonne ». Expression également utilisée pour montrer sa surprise. »
En revanche, starfoullah devient une simple marque d’insistance dans le roman La Muette, d’Alexandre Lacroix :
« Non, le défaut, c’était pas la mocheté. C’est qu’elle avait trop l’air triste. Imagine la banquise en hiver. Pas un rayon de soleil pendant des mois. Bah elle, c’était pareil. Son visage, il voyait jamais un sourire. Elle me filait l’angoisse, starfoullah ! »
C’est aussi le cas dans Omnia: Le sang des sorcières de Denis Labbé :
« - Starfallah ! Je m’en vais ! lâcha Aleyna. Qu’est-ce que c’est que ces malades ? Il est hors de question que je me déshabille devant tout le monde. »
Enfin, dans Terminus nord, aventure de Nestor Burma publiée en 2018 par Jérôme Leroy :
« - Nestor, starfallah, ce que tu m’as fait rire, sérieux. M’amener chez les keufs…
- Ouais, mais ceux-là, c’est les gentils…
- Nestor, me prends pas pour un hagoun, les flics, y en a pas de bons. »
Nous laissons évidemment au jeune personnage la responsabilité de son appréciation, mais cet usage tendrait vers l’usage de l’expression
Bonne journée.
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