Question d'origine :
Bonjour
avez-vous des liens valides sur le théâtre et la démocratie athénienne et surtout
est-ce que les femmes étaient admises à assister aux spectacles eux mêmes?
Je sais qu'elles ne pouvaient jouer mais...
merci
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 07/12/2018 à 09h02
Bonjour,
Des femmes faisaient-elles partie du public lors des représentations théâtrales de l'Athènes classique ?
Les historiens ne semblent pas unanimes sur ce sujet :
" Comme nous l’avons dit, l’interprétation de notre passage soulève la question connue et controversée de la présence féminine au théâtre,une question qui a été et qui est toujours au centre d’un débat encore ouvert . Dans cette longue querelle, de nombreux savants se sont opposés : certains d’entre eux, comme Haigh, Podlecki, Henderson, Mastromarco, Gerö et Johnsson, soutiennent que les femmes étaient présentes parmi le public des concours dramatiques ; d’autres préfèrent supposer leur exclusion. On compte parmi ces derniers Rogers, Willems, Box, Wilson et Thiercy. Quant aux sources dont ils se servent pour soutenir l’une ou l’autre hypothèse, il s’agit pour la plupart de passages tirés de textes comiques, mais il y a aussi quelques passages tragiques. On a également invoqué des passages de Platon et d’Aristote, ainsi que des sources plus tardives, scholies et anecdotes. "
source : Le public féminin du théâtre grec. A propos de la Lysistrata d’Aristophane / Angela Maria Andrisano - Methodos [Online], 7 | 2007
Voici quelques extraits d'articles qui pourront vous intéresser :
"Les femmes athéniennes ne relèvent pas de la citoyenneté politique. Elles ne participent ni à la délibération ni aux jugements qui définissent , chez Aristote, l’appartenance à la citoyenneté, même s’il existe l’idée d’une certaine citoyenneté féminine découlant de la loi de Périclès de 451 qui stipule pour tout citoyen l’obligation de descendre d’un père et d’une mère de la cité (astoi). On ne trouve pas le mot singulier féminin astē, si ce n’est une éventuelle exception , avant Périclès, et il est possible que le pluriel (astoi) ait désigné l’ensemble de la communauté civique chez Homère y compris les femmes. En tout cas, cette « appartenance citoyenne » est souvent associée à la légitimité du couple et à la transmission de la citoyenneté par les hommes chez les orateurs du IV e siècle. Dès lors, astē est la femme qui a la capacité de donner des héritiers légitimes (gnēsios) à la polis. À Athènes, l’astē est, depuis la règlementation solonienne, une femme originaire du territoire attique, fille de père athénien, légitimement mariée grâce à l’enguē¸ sans doute comme ses parents, qui produit des enfants mâles, futurs citoyens.
Être astē ne donne aucune qualité pour participer aux délibérations ou aux actes politiques.
source : Valdés Guía Miriam, «Fêtes de citoyennes, délibération et justice féminine sur l’Aréopage (Athènes, ve siècle avant J.-C.) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2017/1 (n° 45), p. 279-307.
"À la différence du spectateur du théâtre du XIXe siècle, tenu au silence, plongé dans l’obscurité pour mieux se faire oublier des autres, voire de lui-même, en Grèce ancienne, les spectateurs participent activement à la représentation dramatique. La notion d’illusion dramatique ne saurait en effet s’appliquer au théâtre grec : les représentations avaient lieu en plein air et en plein jour. Jouées exclusivement dans le cadre de concours dédiés à Dionysos, pendant la fête des Grandes Dionysies et celle des Lénéennes, les pièces s’enchaînaient tout au long de la journée, sans interruption. C’est pourquoi les spectateurs mangeaient sur place et bavardaient. Il faut se figurer un public bruyant et réactif, qui n’hésitait pas à applaudir, à siffler, à lancer des projectiles sur les acteurs (Moretti, 2001, p. 79-88 ; p. 271-277).
Situé sur le flanc sud-est de l’Acropole athénienne, le théâtre de Dionysos Éleuthéreus pouvait accueillir, pour la période qui nous intéresse, entre 10 000 et 15 000 spectateurs, répartis sur environ 45 gradins (Moretti, 2000, p. 295). Parmi ce public, les citoyens athéniens étaient largement majoritaires. À ce dèmos spectateur, il faudrait sans doute ajouter des enfants (Aristophane, Paix, 50-53 et 765-766 ; Nuées, 537-539), ainsi que,selon toute probabilité, des femmes (Sourvinou-Inwood, 2003, p. 177-184) . Les métèques et les étrangers étaient également présents en nombre. Les esclaves, quant à eux, semblent avoir été autorisés à se rendre au théâtre, à condition que leurs maîtres paient pour eux (Platon, Gorgias, 502 d 5-7). "
source : Villacèque Noémie, « Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l'Athènes classique », Participations, 2012/2 (N° 3), p. 49-69.
" Tout l’enjeu est donc pour les orateurs de capter le regard de leurs concitoyens et de garder leur attention. Et pour cela, n’en déplaise aux détracteurs de la démocratie , il faut faire du théâtre. [...]
Ainsi, faire du théâtre à la tribune, au tribunal comme à l’Assemblée, était un moyen délibérément utilisé par les orateurs pour capter le regard, et donc l’attention, des citoyens. Pour les adversaires du régime démocratique, capter le regard, cela signifiait (ou du moins feignaient-ils de le croire) hypnotiser et manipuler les foules : c’est ce que tente de démontrer Platon par exemple, au livre VIII de la République, lorsqu’il présente la démocratie comme un fabuleux manteau brodé, bigarré, qui subjugue, par sa beauté trompeuse, hommes, femmes et enfants ; de même pour le philosophe, les orateurs « ensorcellent les âmes » en « brodant pour ainsi dire en mots les plus magnifiques variations »… la rhétorique, multicolore, bigarrée, devient ainsi visible et fascine les regards. Mais n’est-il pas paradoxal que ces auteurs, partisans d’une oligarchie plus ou moins affirmée, s’insurgent contre la manipulation du peuple par quelques-uns ? Ils sont en fait bien conscients, que, pour les orateurs, capter le regard de leurs concitoyens assemblés, ce n’est pas le manipuler, loin de là : c’est, au contraire, le prendre à témoin, lui transmettre un savoir, l’instruire voire l’éduquer, et l’inciter ainsi à la délibération. Le regard est essentiel à la souveraineté du dèmos, à son kratos.
source : Villacèque Noémie, « « Voyez-vous cela, vous autres ? ». À Athènes, le regard en public », Raison publique, 2017/1 (N° 21), p. 49-62.
Pour aller plus loin :
- Le théâtre d'Aristophane et la dérision de la démocratie / Audrey SABIT - HERMES, n°29 - mai 2001
- Réflexions sur l'activité théâtrale dans le monde hellénique : à propos de trois synthèses récentes / Le Guen Brigitte. In: Topoi, volume 8/1, 1998. pp. 53-94.
- Flacelière R. D'un certain féminisme grec. In: Revue des Études Anciennes. Tome 64, 1962, n°1-2. pp. 109-116.
- Théâtre et démocratie / Linflux
Quelques ouvrages :
- Spectateurs de paroles ! : délibération démocratique et théâtre à Athènes à l'époque classique / Noémie Villacèque ; préface de Pascal Payen
Cet essai revient sur le contexte historique de la naissance de l'argument anti-démocratique qui veut que le pouvoir populaire est impossible, puisque toujours manipulé par des démagogues. Ce pouvoir populaire fut en activité à Athènes aux Ve et IVe siècles avant J.-C., dans les prises de décisions à l'Assemblée et dans les tribunaux populaires.
- A l'Assemblée comme au théâtre : pratiques délibératives des anciens, perceptions et résonances modernes / sous la direction de Noémie Villacèque
Théâtre et démocratie sont liés historiquement. Ces études interrogent le statut et les enjeux de la théâtralité dans les pratiques délibératives en démocratie, de l'Athènes classique à l'Inde contemporaine en passant par la République romaine et les assemblées étudiantes de 2006 à 2010.
Bonne journée.
Des femmes faisaient-elles partie du public lors des représentations théâtrales de l'Athènes classique ?
Les historiens ne semblent pas unanimes sur ce sujet :
" Comme nous l’avons dit, l’interprétation de notre passage soulève la question connue et controversée de la présence féminine au théâtre,
source : Le public féminin du théâtre grec. A propos de la Lysistrata d’Aristophane / Angela Maria Andrisano - Methodos [Online], 7 | 2007
Voici quelques extraits d'articles qui pourront vous intéresser :
"
source : Valdés Guía Miriam, «Fêtes de citoyennes, délibération et justice féminine sur l’Aréopage (Athènes, ve siècle avant J.-C.) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2017/1 (n° 45), p. 279-307.
"À la différence du spectateur du théâtre du XIXe siècle, tenu au silence, plongé dans l’obscurité pour mieux se faire oublier des autres, voire de lui-même, en Grèce ancienne, les spectateurs participent activement à la représentation dramatique. La notion d’illusion dramatique ne saurait en effet s’appliquer au théâtre grec : les représentations avaient lieu en plein air et en plein jour. Jouées exclusivement dans le cadre de concours dédiés à Dionysos, pendant la fête des Grandes Dionysies et celle des Lénéennes, les pièces s’enchaînaient tout au long de la journée, sans interruption. C’est pourquoi les spectateurs mangeaient sur place et bavardaient. Il faut se figurer un public bruyant et réactif, qui n’hésitait pas à applaudir, à siffler, à lancer des projectiles sur les acteurs (Moretti, 2001, p. 79-88 ; p. 271-277).
Situé sur le flanc sud-est de l’Acropole athénienne, le théâtre de Dionysos Éleuthéreus pouvait accueillir, pour la période qui nous intéresse, entre 10 000 et 15 000 spectateurs, répartis sur environ 45 gradins (Moretti, 2000, p. 295). Parmi ce public, les citoyens athéniens étaient largement majoritaires. À ce dèmos spectateur, il faudrait sans doute ajouter des enfants (Aristophane, Paix, 50-53 et 765-766 ; Nuées, 537-539), ainsi que,
source : Villacèque Noémie, « Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l'Athènes classique », Participations, 2012/2 (N° 3), p. 49-69.
" Tout l’enjeu est donc pour les orateurs de capter le regard de leurs concitoyens et de garder leur attention. Et pour cela, n’en déplaise aux détracteurs de la démocratie , il faut faire du théâtre. [...]
Ainsi, faire du théâtre à la tribune, au tribunal comme à l’Assemblée, était un moyen délibérément utilisé par les orateurs pour capter le regard, et donc l’attention, des citoyens. Pour les adversaires du régime démocratique, capter le regard, cela signifiait (ou du moins feignaient-ils de le croire) hypnotiser et manipuler les foules : c’est ce que tente de démontrer Platon par exemple, au livre VIII de la République, lorsqu’il présente la démocratie comme un fabuleux manteau brodé, bigarré, qui subjugue, par sa beauté trompeuse, hommes, femmes et enfants ; de même pour le philosophe, les orateurs « ensorcellent les âmes » en « brodant pour ainsi dire en mots les plus magnifiques variations »… la rhétorique, multicolore, bigarrée, devient ainsi visible et fascine les regards. Mais n’est-il pas paradoxal que ces auteurs, partisans d’une oligarchie plus ou moins affirmée, s’insurgent contre la manipulation du peuple par quelques-uns ? Ils sont en fait bien conscients, que, pour les orateurs, capter le regard de leurs concitoyens assemblés, ce n’est pas le manipuler, loin de là : c’est, au contraire, le prendre à témoin, lui transmettre un savoir, l’instruire voire l’éduquer, et l’inciter ainsi à la délibération. Le regard est essentiel à la souveraineté du dèmos, à son kratos.
source : Villacèque Noémie, « « Voyez-vous cela, vous autres ? ». À Athènes, le regard en public », Raison publique, 2017/1 (N° 21), p. 49-62.
Pour aller plus loin :
- Le théâtre d'Aristophane et la dérision de la démocratie / Audrey SABIT - HERMES, n°29 - mai 2001
- Réflexions sur l'activité théâtrale dans le monde hellénique : à propos de trois synthèses récentes / Le Guen Brigitte. In: Topoi, volume 8/1, 1998. pp. 53-94.
- Flacelière R. D'un certain féminisme grec. In: Revue des Études Anciennes. Tome 64, 1962, n°1-2. pp. 109-116.
- Théâtre et démocratie / Linflux
Quelques ouvrages :
- Spectateurs de paroles ! : délibération démocratique et théâtre à Athènes à l'époque classique / Noémie Villacèque ; préface de Pascal Payen
Cet essai revient sur le contexte historique de la naissance de l'argument anti-démocratique qui veut que le pouvoir populaire est impossible, puisque toujours manipulé par des démagogues. Ce pouvoir populaire fut en activité à Athènes aux Ve et IVe siècles avant J.-C., dans les prises de décisions à l'Assemblée et dans les tribunaux populaires.
- A l'Assemblée comme au théâtre : pratiques délibératives des anciens, perceptions et résonances modernes / sous la direction de Noémie Villacèque
Théâtre et démocratie sont liés historiquement. Ces études interrogent le statut et les enjeux de la théâtralité dans les pratiques délibératives en démocratie, de l'Athènes classique à l'Inde contemporaine en passant par la République romaine et les assemblées étudiantes de 2006 à 2010.
Bonne journée.
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