Question d'origine :
Comment le féminisme a-t-il commencé?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 07/12/2018 à 10h20
Bonjour,
Sur les débuts du mouvement féministe, voici ce que dit l’Encyclopaedia Universalis, dont vous pouvez consulter la version numérique en bibliothèque sur universalis-edu.com :
« Déjà, pendant la Révolution française, les femmes expriment çà et là une volonté collective où la prise de conscience de leurs problèmes spécifiques va de pair avec leur désir d'appartenir, comme les hommes, à la nouvelle société politique.Des cahiers de doléances, des pétitions, des clubs politiques et la célèbre Déclaration des droits de la femme d'Olympe de Gouges sont les premiers éléments de cette pratique militante. Mais c'est à partir de 1830, avec l'émergence des mouvements utopistes, en particulier saint-simoniens et fouriéristes, que des femmes se présentent clairement comme constituant un groupe de sujets politiques , en dénonçant leur « asservissement séculaire » et en réclamant un « affranchissement » et une « émancipation » propres à leur donner une place égale aux hommes dans la société. Pendant la brève révolution de 1848, on les retrouve encore, aussi bien aux côtés de leurs camarades révolutionnaires, socialistes et républicains, que dans une pratique autonome, dans un club de femmes, dans un quotidien féministe, La Voix des femmes. Or ces trois moments de bouleversement politique – 1789, 1830, 1848 – dessinent, chacun à son tour, une même figure : celle d'une pensée révolutionnaire rendant possible l'expression de l'exigence féministe en même temps que le refus de ses conséquences réelles. »
Ce qui n’empêche pas qu’il y ait eu des figures de femmes fortes luttant pour l’émancipation de leur genre, des siècles avant :
« Avant d'être une pratique collective, le féminisme fut, quitte à ce qu'on emploie le mot de façon anachronique, une attitude individuelle dont on trouve des traces anciennes dans les sociétés occidentales. Dès le xve siècle, après Christine de Pizan, des femmes, et quelques hommes, écrivent pour « défendre » le sexe féminin et imaginer une égalité entre les sexes. Si le féminisme devient, à partir du xixe siècle, un mouvement social et politique, c'est parce que les conditions historiques le rendent possible : l'avènement de la démocratie, l'apparition du travail salarié et le déclin du christianisme sont, notamment, des facteurs propices à une redéfinition du rapport entre les sexes. »
Car l’avènement de la démocratie pour les femmes du XIXè siècle, portait une cruelle contradiction comme le rappelle l’historienne Michelle Perrot dans les colonnes d’alternatives-economiques.fr :
« Pour les femmes, c’est un siècle entre contraintes et libertés. Le processus démocratique en marche depuis 1789 les concerne tout en les excluant : les femmes ont acquis des droits lors de la Révolution, comme l’héritage ou le divorce, mais pas celui de voter. De même, le système éducatif se développe beaucoup au cours du XIXe siècle, mais à un degré moindre pour les femmes. Celles-ci en restent en partie exclues jusqu’à la Troisième République, qui égalise l’accès à l’enseignement primaire (lois Ferry, 1881) et, plus tardivement, à l’enseignement secondaire. Ainsi, c’est seulement à partir de 1924 que les filles passent le même baccalauréat que les garçons. Car on considère jusque-là qu’il leur faut simplement une " bonne éducation ", pour savoir tenir leur maison et être de " bonnes mères ". De même, le code civil, promulgué en 1804 par Napoléon, est extrêmement inégalitaire et patriarcal. Par exemple, le salaire des femmes, lorsqu’elles travaillaient, devait en principe être versé aux maris. On comprend pourquoi George Sand, grande figure féministe du XIXe, parlait de " l’infâme code civil " !
[…]
Ce sont les contradictions entre avancées démocratiques et mise à l’écart des femmes qui sont à l’origine du féminisme. Le terme lui-même est d’ailleurs apparu dans les années 1830, avec au départ un sens péjoratif ; il s’est généralisé à la fin du XIXe siècle. Les revendications sont d’abord le fait d’individualités, telles George Sand, Eugénie Niboyet, André Léo, Julie-Victoire Daubié - la première bachelière française, en 1861 -, puis d’associations et de ligues de plus en plus nombreuses et qui s’expriment par des manifestes, des pétitions, des réunions, voire des manifestations. Par des journaux, aussi, comme La Citoyenne, d’Hubertine Auclert, ou La Fronde, de Marguerite Durand. »
C’est alors toute une presse nouvelle qui naît, malgré les embûches, la première étant la difficulté d’accès à l’éducation :
« Dans l’Europe des années 1860-1930, parmi les femmes qui osent publier dans la presse féministe ou généraliste, l’autodidaxie est de règle. Même si certaines disposent déjà d’une formation intellectuelle liée à leur milieu familial ou social, rares sont celles qui ont suivi un enseignement secondaire complet et seules quelques privilégiées ont pu accéder à l’enseignement supérieur. Ce déficit de formation correspond à la lente professionnalisation de l’activité journalistique en Europe. Les hommes journalistes furent longtemps hostiles à l’idée qu’il puisse exister des écoles de journalisme ; selon eux, le métier s’apprend « sur le tas » et les femmes n’y auraient pas leur place. À partir du second XIXe siècle cependant, les nouveaux périodiques socialistes ou progressistes, notamment, accueillent plus facilement des chroniqueuses. Ces dernières sont généralement pigistes, des « petites mains » indispensables, mais invisibles ; beaucoup écrivent sous des pseudonymes, parfois masculins, ou ne signent pas les articles. […]
Comment ces femmes accèdent-elles aux organes de presse ? Certaines décident de créer leur propre titre, dans des conditions souvent précaires. Bien que des journaux féminins existent depuis le XVIIIe siècle, les révolutions de 1848 marquent sans aucun doute un tournant : en Allemagne, Mathilde Anneke tente de lancer un quotidien Frauen-Zeitung (le Journal des femmes) ; après la confiscation du troisième numéro, elle émigre aux États-Unis où elle poursuit son entreprise. Quelques mois plus tard, en avril 1849, Luise Otto reprend le même titre Frauen-Zeitung et le publie tant bien que mal jusqu’en 1853. En Angleterre, les associations de femmes chartistes (1838-1848) publient des adresses aux femmes dans le Northern Star. Le premier mensuel de femmes pour les femmes, l’English Woman’s Journal2 (1858-1864, le Journal des Anglaises) fondé par Barbara Bodichon, Mathilda Hayes et Bessie Parks est rapidement publié par Victoria Press, entreprise d’imprimerie aux capitaux et personnels féminins, malgré l’hostilité des métiers de l’imprimerie alors réservés aux hommes. Ce mensuel prend par la suite le titre d’Englishwoman’s Review (1866-1910) avec pour éditorialiste Jessie Boucherett, militante des droits des femmes.
D’autres femmes écrivent d’abord dans la presse généraliste. Ainsi Marguerite Durand publie déjà dans Le Figaro lorsqu’elle est envoyée au Congrès féministe international qui se tient à Paris en 1896. Frappée par « la logique du discours, le bien-fondé des revendications », elle décide de créer La Fronde, un journal pour et par les femmes dont « la publication, la rédaction et aussi la typographie étaient exclusivement faites par des femmes ». En 1892, Clara Zetkin prend la direction de la rédaction de Die Gleichheit (L’Égalité) et en fait une référence pour les femmes sociales-démocrates allemandes ; la même année Arbeiterinnenzeitung (Le Journal des ouvrières) est créé en Autriche. En Angleterre, Shafts (1892-1900) et Woman’s Signal (1894-1899), parmi d’autres, précèdent les titres suffragistes d’avant-guerre.
Ces femmes – à quelques exceptions près – se heurtent à une hostilité généralisée. Des pressions financières, politiques ainsi que les législations réglementant la presse entravent leur activité. La mesure la plus emblématique demeure la Lex Otto de 1850 qui interdit en Saxe à une femme d’être rédactrice en chef. Le dénigrement permanent de ces femmes par l’immense majorité de leurs collègues masculins ou par d’autres femmes est un obstacle de taille. Il s’agit alors pour celles qui s’engagent de défendre « leur » journal en se délivrant le plus possible des tutelles, aux prix de certains compromis ou de choix politiques douloureux. Lorsqu’elles n’évoluent pas dans des structures explicitement féministes, nombreuses sont celles qui font l’expérience que le journal auquel elles s’identifient, que le leader qui porte au plus près leurs aspirations, que « leur » parti y compris socialiste, social-démocrate ou communiste, laissent de côté un pan entier d’elles-mêmes, que le sort des femmes n’est généralement pas abordé, ou pas comme elles l’auraient souhaité. Dans une première étape, les mêmes revendications sont le plus souvent formulées : droit à la parole, droit à l’éducation, égalité dans le mariage et dans la société, droit au travail, équité face à l’impôt, revendication du suffrage. Puis, timidement, avant la Première Guerre mondiale, pointe la revendication de disposer librement de son corps. La diversité des positionnements des femmes journalistes à l’égard du féminisme est cependant manifeste. Certaines se sont engagées dans les rangs impérialistes, antisuffragistes, fascistes ou nationaux-socialistes d'autres, nombreuses, dans ceux des associations catholiques. L’Autrichienne Grete Rehor-Daurer, la Belge Jeanne Cappe ou la Française Ella Sauvageot, cofondatrice de Radio-Cinéma futur Télérama, ont fait l’objet d’études universitaires ou d’hagiographies qui ont mis en lumière les contradictions de celles qui de facto ont encouragé le travail féminin dans un mouvement et une Église qui y sont fondamentalement opposés.
[…] d'autres voies existent pour les militantes décidées à propager leurs idées. Ainsi, Olympe Audouard, femme de lettres […], cherche à s’imposer dans les milieux du journalisme à égalité avec les hommes. Si elle crée son propre organe de presse – pas moins de cinq revues généralistes en vingt ans – elle ambitionne de s’exprimer sur tous les sujets, et de ne pas se cantonner à une presse féministe ou féminine. Les difficultés rencontrées, tout comme les réactions d’une presse qui oscille entre hostilité et bienveillance, révèlent de fait les résistances à la mixité professionnelle. La sociale-démocrate autrichienne, Therese Schlesinger, examinée par Jean-Numa Ducange, s’insère quant à elle dans des réseaux éditoriaux variés, militants et concurrents. À la fin du XIXe siècle, ses contributions au sein des grandes revues de la social-démocratie allemande, essentiellement via des comptes rendus d’ouvrages et des brochures, illustrent comment des militantes parviennent à inscrire dans les « grandes » revues du mouvement les thématiques féministes. De même, la suffragiste anglaise Teresa Billington-Greig, dont la trajectoire est retracée par Myriam Boussahba-Bravard, joue sur plusieurs niveaux en écrivant dans la presse militante, suffragiste et féministe, mais également dans la presse généraliste. Cependant, ses activités journalistiques se limitent à sa période de militantisme actif, et ce malgré sa motivation et son talent ainsi que sa réelle notoriété. Enfin, les libérales et suffragistes britanniques étudiées par Stéphanie Prévost utilisent la presse féminine pour dénoncer les « abominations ottomanes » de 1894-1896, dont sont principalement victimes les femmes. L’expression de leur solidarité et sororité vis-à-vis des femmes arméniennes de l’Empire ottoman rejoint leur intérêt pour l’émancipation des femmes en général, la campagne de presse alors orchestrée devenant un outil pour internationaliser le combat des femmes pour le droit de vote. »
(Extraits de Femmes, militantisme et presse en Europe (1860-1930), article de Myriam Boussahba-Bravard et Paul Pasteur accessible sur openedition.org [)
Le chemin sera encore long, puisque le droit de vote sera accordé aux femme en… 1944 (source : franceculture.fr)
Pour aller plus loin, nous vous invitons à découvrir le large choix d’ouvrages consacrés au féminisme sur le catalogue de la BmL ainsi que de nombreuses conférences filmées sur le sujet, disponibles sur notre site.
Pourraient vous intéresser particulièrement :
Histoire du féminisme [Livre] / Michèle Riot-Sarcey
Les filles de Marianne [Livre] : histoire des féminismes : 1914-1940 / Christine Bard
Histoire mondiale des féminismes [Livre] / Florence Rochefort
Olympe de Gouges [Livre] / Catel et Bocquet
Cette biographie de l'une des premières féministes met en avant son engagement humaniste, au profit des femmes et des déshérités.
Au cœur du cœur de l'écrin Anne Kawala
Longue évocation poétique de figures de femmes fortes à la charnière du moyen-âge et de la Renaissance.
Bonnes lectures.
Sur les débuts du mouvement féministe, voici ce que dit l’Encyclopaedia Universalis, dont vous pouvez consulter la version numérique en bibliothèque sur universalis-edu.com :
« Déjà, pendant la Révolution française, les femmes expriment çà et là une volonté collective où la prise de conscience de leurs problèmes spécifiques va de pair avec leur désir d'appartenir, comme les hommes, à la nouvelle société politique.
Ce qui n’empêche pas qu’il y ait eu des figures de femmes fortes luttant pour l’émancipation de leur genre, des siècles avant :
« Avant d'être une pratique collective, le féminisme fut, quitte à ce qu'on emploie le mot de façon anachronique, une attitude individuelle dont on trouve des traces anciennes dans les sociétés occidentales. Dès le xve siècle, après Christine de Pizan, des femmes, et quelques hommes, écrivent pour « défendre » le sexe féminin et imaginer une égalité entre les sexes. Si le féminisme devient, à partir du xixe siècle, un mouvement social et politique, c'est parce que les conditions historiques le rendent possible : l'avènement de la démocratie, l'apparition du travail salarié et le déclin du christianisme sont, notamment, des facteurs propices à une redéfinition du rapport entre les sexes. »
Car l’avènement de la démocratie pour les femmes du XIXè siècle, portait une cruelle contradiction comme le rappelle l’historienne Michelle Perrot dans les colonnes d’alternatives-economiques.fr :
« Pour les femmes, c’est un siècle entre contraintes et libertés. Le processus démocratique en marche depuis 1789 les concerne tout en les excluant : les femmes ont acquis des droits lors de la Révolution, comme l’héritage ou le divorce, mais pas celui de voter. De même, le système éducatif se développe beaucoup au cours du XIXe siècle, mais à un degré moindre pour les femmes. Celles-ci en restent en partie exclues jusqu’à la Troisième République, qui égalise l’accès à l’enseignement primaire (lois Ferry, 1881) et, plus tardivement, à l’enseignement secondaire. Ainsi, c’est seulement à partir de 1924 que les filles passent le même baccalauréat que les garçons. Car on considère jusque-là qu’il leur faut simplement une " bonne éducation ", pour savoir tenir leur maison et être de " bonnes mères ". De même, le code civil, promulgué en 1804 par Napoléon, est extrêmement inégalitaire et patriarcal. Par exemple, le salaire des femmes, lorsqu’elles travaillaient, devait en principe être versé aux maris. On comprend pourquoi George Sand, grande figure féministe du XIXe, parlait de " l’infâme code civil " !
[…]
Ce sont les contradictions entre avancées démocratiques et mise à l’écart des femmes qui sont à l’origine du féminisme. Le terme lui-même est d’ailleurs apparu dans les années 1830, avec au départ un sens péjoratif ; il s’est généralisé à la fin du XIXe siècle. Les revendications sont d’abord le fait d’individualités, telles George Sand, Eugénie Niboyet, André Léo, Julie-Victoire Daubié - la première bachelière française, en 1861 -, puis d’associations et de ligues de plus en plus nombreuses et qui s’expriment par des manifestes, des pétitions, des réunions, voire des manifestations. Par des journaux, aussi, comme La Citoyenne, d’Hubertine Auclert, ou La Fronde, de Marguerite Durand. »
C’est alors toute une presse nouvelle qui naît, malgré les embûches, la première étant la difficulté d’accès à l’éducation :
« Dans l’Europe des années 1860-1930, parmi les femmes qui osent publier dans la presse féministe ou généraliste, l’autodidaxie est de règle. Même si certaines disposent déjà d’une formation intellectuelle liée à leur milieu familial ou social, rares sont celles qui ont suivi un enseignement secondaire complet et seules quelques privilégiées ont pu accéder à l’enseignement supérieur. Ce déficit de formation correspond à la lente professionnalisation de l’activité journalistique en Europe. Les hommes journalistes furent longtemps hostiles à l’idée qu’il puisse exister des écoles de journalisme ; selon eux, le métier s’apprend « sur le tas » et les femmes n’y auraient pas leur place. À partir du second XIXe siècle cependant, les nouveaux périodiques socialistes ou progressistes, notamment, accueillent plus facilement des chroniqueuses. Ces dernières sont généralement pigistes, des « petites mains » indispensables, mais invisibles ; beaucoup écrivent sous des pseudonymes, parfois masculins, ou ne signent pas les articles. […]
Comment ces femmes accèdent-elles aux organes de presse ? Certaines décident de créer leur propre titre, dans des conditions souvent précaires. Bien que des journaux féminins existent depuis le XVIIIe siècle, les révolutions de 1848 marquent sans aucun doute un tournant : en Allemagne, Mathilde Anneke tente de lancer un quotidien Frauen-Zeitung (le Journal des femmes) ; après la confiscation du troisième numéro, elle émigre aux États-Unis où elle poursuit son entreprise. Quelques mois plus tard, en avril 1849, Luise Otto reprend le même titre Frauen-Zeitung et le publie tant bien que mal jusqu’en 1853. En Angleterre, les associations de femmes chartistes (1838-1848) publient des adresses aux femmes dans le Northern Star. Le premier mensuel de femmes pour les femmes, l’English Woman’s Journal2 (1858-1864, le Journal des Anglaises) fondé par Barbara Bodichon, Mathilda Hayes et Bessie Parks est rapidement publié par Victoria Press, entreprise d’imprimerie aux capitaux et personnels féminins, malgré l’hostilité des métiers de l’imprimerie alors réservés aux hommes. Ce mensuel prend par la suite le titre d’Englishwoman’s Review (1866-1910) avec pour éditorialiste Jessie Boucherett, militante des droits des femmes.
D’autres femmes écrivent d’abord dans la presse généraliste. Ainsi Marguerite Durand publie déjà dans Le Figaro lorsqu’elle est envoyée au Congrès féministe international qui se tient à Paris en 1896. Frappée par « la logique du discours, le bien-fondé des revendications », elle décide de créer La Fronde, un journal pour et par les femmes dont « la publication, la rédaction et aussi la typographie étaient exclusivement faites par des femmes ». En 1892, Clara Zetkin prend la direction de la rédaction de Die Gleichheit (L’Égalité) et en fait une référence pour les femmes sociales-démocrates allemandes ; la même année Arbeiterinnenzeitung (Le Journal des ouvrières) est créé en Autriche. En Angleterre, Shafts (1892-1900) et Woman’s Signal (1894-1899), parmi d’autres, précèdent les titres suffragistes d’avant-guerre.
Ces femmes – à quelques exceptions près – se heurtent à une hostilité généralisée. Des pressions financières, politiques ainsi que les législations réglementant la presse entravent leur activité. La mesure la plus emblématique demeure la Lex Otto de 1850 qui interdit en Saxe à une femme d’être rédactrice en chef. Le dénigrement permanent de ces femmes par l’immense majorité de leurs collègues masculins ou par d’autres femmes est un obstacle de taille. Il s’agit alors pour celles qui s’engagent de défendre « leur » journal en se délivrant le plus possible des tutelles, aux prix de certains compromis ou de choix politiques douloureux. Lorsqu’elles n’évoluent pas dans des structures explicitement féministes, nombreuses sont celles qui font l’expérience que le journal auquel elles s’identifient, que le leader qui porte au plus près leurs aspirations, que « leur » parti y compris socialiste, social-démocrate ou communiste, laissent de côté un pan entier d’elles-mêmes, que le sort des femmes n’est généralement pas abordé, ou pas comme elles l’auraient souhaité. Dans une première étape, les mêmes revendications sont le plus souvent formulées : droit à la parole, droit à l’éducation, égalité dans le mariage et dans la société, droit au travail, équité face à l’impôt, revendication du suffrage. Puis, timidement, avant la Première Guerre mondiale, pointe la revendication de disposer librement de son corps. La diversité des positionnements des femmes journalistes à l’égard du féminisme est cependant manifeste. Certaines se sont engagées dans les rangs impérialistes, antisuffragistes, fascistes ou nationaux-socialistes d'autres, nombreuses, dans ceux des associations catholiques. L’Autrichienne Grete Rehor-Daurer, la Belge Jeanne Cappe ou la Française Ella Sauvageot, cofondatrice de Radio-Cinéma futur Télérama, ont fait l’objet d’études universitaires ou d’hagiographies qui ont mis en lumière les contradictions de celles qui de facto ont encouragé le travail féminin dans un mouvement et une Église qui y sont fondamentalement opposés.
[…] d'autres voies existent pour les militantes décidées à propager leurs idées. Ainsi, Olympe Audouard, femme de lettres […], cherche à s’imposer dans les milieux du journalisme à égalité avec les hommes. Si elle crée son propre organe de presse – pas moins de cinq revues généralistes en vingt ans – elle ambitionne de s’exprimer sur tous les sujets, et de ne pas se cantonner à une presse féministe ou féminine. Les difficultés rencontrées, tout comme les réactions d’une presse qui oscille entre hostilité et bienveillance, révèlent de fait les résistances à la mixité professionnelle. La sociale-démocrate autrichienne, Therese Schlesinger, examinée par Jean-Numa Ducange, s’insère quant à elle dans des réseaux éditoriaux variés, militants et concurrents. À la fin du XIXe siècle, ses contributions au sein des grandes revues de la social-démocratie allemande, essentiellement via des comptes rendus d’ouvrages et des brochures, illustrent comment des militantes parviennent à inscrire dans les « grandes » revues du mouvement les thématiques féministes. De même, la suffragiste anglaise Teresa Billington-Greig, dont la trajectoire est retracée par Myriam Boussahba-Bravard, joue sur plusieurs niveaux en écrivant dans la presse militante, suffragiste et féministe, mais également dans la presse généraliste. Cependant, ses activités journalistiques se limitent à sa période de militantisme actif, et ce malgré sa motivation et son talent ainsi que sa réelle notoriété. Enfin, les libérales et suffragistes britanniques étudiées par Stéphanie Prévost utilisent la presse féminine pour dénoncer les « abominations ottomanes » de 1894-1896, dont sont principalement victimes les femmes. L’expression de leur solidarité et sororité vis-à-vis des femmes arméniennes de l’Empire ottoman rejoint leur intérêt pour l’émancipation des femmes en général, la campagne de presse alors orchestrée devenant un outil pour internationaliser le combat des femmes pour le droit de vote. »
(Extraits de Femmes, militantisme et presse en Europe (1860-1930), article de Myriam Boussahba-Bravard et Paul Pasteur accessible sur openedition.org [)
Le chemin sera encore long, puisque le droit de vote sera accordé aux femme en… 1944 (source : franceculture.fr)
Pour aller plus loin, nous vous invitons à découvrir le large choix d’ouvrages consacrés au féminisme sur le catalogue de la BmL ainsi que de nombreuses conférences filmées sur le sujet, disponibles sur notre site.
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Cette biographie de l'une des premières féministes met en avant son engagement humaniste, au profit des femmes et des déshérités.
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