Question d'origine :
Comment expliquer -historiquement, politiquement - la fin du polythéisme et l'apparition des monothéismes ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 24/10/2018 à 09h55
Bonjour,
La question déjà posée au Guichet du savoir : Basculement entre paganisme et monothéisme, sans correspondre exactement à la vôtre, vous donne cependant des références essentielles et pourra nourrir votre réflexion.
Le texte La mondialisation impériale des monothéismes, de Jean-Paul Demoule par exemple, insiste beaucoup sur l’aspect politique du développement des monothéismes coïncidant avec celui des empires :
« Un empire n’est pas seulement un (très) grand royaume ; il contient l’idée d’une conquête indéfinie, d’une vocation universelle. Il est frappant qu’à peu près au même moment, après l’épisode éphémère d’Alexandre, se forment l’Empire romain, l’Empire parthe (issu de l’Empire perse) et, à l’autre bout de l’Eurasie, l’Empire chinois des Hans, tandis qu’en Inde l’Empire kouchan succède à l’Empire maurya. Ces empires, contrairement aux royaumes ordinaires, ne se contentent pas d’agresser leurs voisins ou de leur résister. Ils prétendent les absorber dans une fuite en avant sans fin et les organiser en une entité unique fortement structurée et sous la domination d’un seul homme, l’empereur, lui-même divinisé ou à tout le moins représentant et mandataire du divin.Serait-ce un hasard si l’essor des empires coïncide avec celle des monothéismes et des « sagesses » universalistes, quelles que soient leurs formes ? […] Comme leur nom l’indique, les religions du Salut promettent le salut, c’est-à-dire l’espoir d’un avenir meilleur, mais plus tard et dans l’au-delà, alors que les polythéismes antérieurs étaient plus attachés au bonheur pratique immédiat de ce monde-ci et se faisaient de l’au-delà une image assez triste et terne, bien décrite par les poètes grecs et romains. Il est difficile de ne pas mettre en rapport le contrôle plus strict sur les esprits que supposent empires universels et religions universalistes, leur prosélytisme et leur intolérance, avec ces promesses lointaines, qui ont pour premier effet concret de maintenir la soumission des sujets et la cohésion des systèmes politiques .»
Les autres références ainsi que le texte de cette réponse sont également à consulter pour approfondir. A noter que l’interprétation politique de Jan Assman dans Le prix du monothéisme, est un peu différente. Voir l’article en ligne : Le monothéisme : une révolution nécessaire.
Sur les aspects plus historiques, théologiens et historiens s’accordent aujourd’hui à voir dans ce passage du polythéisme ou monothéisme une rupture plus qu’une évolution :
« Le monothéisme désigne la forme de religion selon laquelle il n'existe qu'un Dieu unique. Dans la mesure où l'on entend le monothéisme au sens strict (non seulement comme croyance en un seul Dieu, mais comme négation explicite de tous les autres dieux), il n'y a pour l'histoire des religions que quatre grandes religions monothéistes : la religion d'Israël, la religion de Zarathoustra (mazdéisme), le christianisme et l'islam.
On découvre cependant dans les religions primitives bien des formes de monothéisme qui peuvent coexister avec le polythéisme. On parlera alors plutôt de « monolâtrie » ou d'« hénothéisme » ; le culte rendu à un dieu local ou national n'implique pas nécessairement le refus de l'existence d'autres dieux. Mais, même si l'on peut trouver à l'époque la plus reculée de l'histoire de l'humanité des cas de croyance en un Être suprême, on peut difficilement retenir la thèse d'un monothéisme primitif. Trop de faits mis en relief par l'ethnologie historique récente s'y opposent. Le vrai monothéisme ne se trouve pas au commencement de l'histoire de la religion, mais à son terme.Il ne faudrait pas pour autant en conclure qu'on serait passé par une évolution naturelle, selon un schéma linéaire, de l'animisme et du totémisme au polythéisme pour aboutir enfin au monothéisme. Les théories évolutionnistes du XIXe siècle sont aujourd'hui définitivement abandonnées en histoire des religions . Le monothéisme n'est pas le produit final des religions polythéistes. Il est dû bien plutôt à un refus décidé de tout polythéisme et représente une véritable révolution religieuse.»
Article Monothéisme, Encyclopediae universalis, en libre accès sur les postes de la BML.
A lire aussi l’éclairant article de Christian Décobert sur Polythéisme et monothéisme dans le Dictionnaire des faits religieux.
Mais sur la définition exacte du monothéisme, ses rapports avec le polythéisme, sa genèse (Akhenaton en est-il le précurseur ?, Moïse a-t-il existé ?, la Bible parle-t-elle vraiment d’un Dieu unique ? …), les versions peuvent différer.
Le n° de Sciences Humaines, Les monothéismes : des origines à aujourd'hui, coordonné par Laurent Testot et surtout l’ouvrage collectif Enquête sur le Dieu unique, ont le mérite de présenter clairement les principales questions liées à ces changements. Voir aussi en ligne une interview de son préfacier : Un Dieu unique, le rejet d’un ciel trop plein, propos de Thomas Römer, recueillis par Virginie Larousse pour le Monde des religions.
Pour en savoir plus :
- La Recension de Naissance du monothéisme : point de vue d'un historien, André Lemaire, par Isabelle de Castelbajac, Labyrinthe [En ligne], 18 | 2004 (2). Et l’ouvrage lui-même bien sûr …
- Akhénaton, précurseur du monothéisme ?, Christian Cannuyer.
- Monothéisme et mémoire. Le Moïse de Freud et la tradition biblique, Jan Assmann, Annales 54, Nr. 5, 1999, P. 1011-1026.
- Atonisme et monothéisme, quelques étapes d’un débat moderne, Youri Volokhine, Université de Genève
- Pourquoi le monothéisme, Jean Soler, texte paru dans Commentaire, 2005/4 (Numéro 112)
- Note sur l’origine et les usages du terme «monothéisme», Etienne Balibar, Critique, 2006/1
- D’un monothéisme à l’autre. Politique islamique entre lettre et esprit, Anoush Ganjipour, Les Temps modernes, 2017/4
- De l’apparition d’un monothéisme dans la religion d’Israël(IIIe siècle av. J.-C. ou plus tard ?), Arnaud Sérandour, Diogène, 2004/1
Résumé :
"Monothéisme. Le mot désigne un système de pensée reposant sur la reconnaissance de la divinité d’un seul dieu à l’exclusion de tout autre. Ce caractère exclusif distingue le monothéisme de l’hénothéisme ou de la monolâtrie. C’est pourquoi le monothéisme est affaire de croyance, au contraire des religions orientales traditionnelles dont celle de l’Ancien Testament. L’article démontre que le caractère monothéiste est en réalité absent de la bible hébraïque, en examinant notamment les récits de la Création et le lexique de l’unicité du divin.
C’est à l’époque romaine, en particulier chez Philon d’Alexandrie que se rencontrent des écrits plus proprement monothéistes, à la faveur d’exégèses fondées sur les mythes cosmogoniques, au premier rang desquels le récit biblique dit de la Création. Il aura fallu que le pouvoir impérial prenne des traits véritablement universels pour que la notion d’un dieu unique garant de ce pouvoir émerge de la multitude."
Ces trois derniers articles sont disponibles en ligne sur Cairn, consultable à la Bibliothèque.
Bonnes lectures !
La question déjà posée au Guichet du savoir : Basculement entre paganisme et monothéisme, sans correspondre exactement à la vôtre, vous donne cependant des références essentielles et pourra nourrir votre réflexion.
Le texte La mondialisation impériale des monothéismes, de Jean-Paul Demoule par exemple, insiste beaucoup sur l’aspect politique du développement des monothéismes coïncidant avec celui des empires :
« Un empire n’est pas seulement un (très) grand royaume ; il contient l’idée d’une conquête indéfinie, d’une vocation universelle. Il est frappant qu’à peu près au même moment, après l’épisode éphémère d’Alexandre, se forment l’Empire romain, l’Empire parthe (issu de l’Empire perse) et, à l’autre bout de l’Eurasie, l’Empire chinois des Hans, tandis qu’en Inde l’Empire kouchan succède à l’Empire maurya. Ces empires, contrairement aux royaumes ordinaires, ne se contentent pas d’agresser leurs voisins ou de leur résister. Ils prétendent les absorber dans une fuite en avant sans fin et les organiser en une entité unique fortement structurée et sous la domination d’un seul homme, l’empereur, lui-même divinisé ou à tout le moins représentant et mandataire du divin.
Les autres références ainsi que le texte de cette réponse sont également à consulter pour approfondir. A noter que l’interprétation politique de Jan Assman dans Le prix du monothéisme, est un peu différente. Voir l’article en ligne : Le monothéisme : une révolution nécessaire.
Sur les aspects plus historiques, théologiens et historiens s’accordent aujourd’hui à voir dans ce passage du polythéisme ou monothéisme une rupture plus qu’une évolution :
« Le monothéisme désigne la forme de religion selon laquelle il n'existe qu'un Dieu unique. Dans la mesure où l'on entend le monothéisme au sens strict (non seulement comme croyance en un seul Dieu, mais comme négation explicite de tous les autres dieux), il n'y a pour l'histoire des religions que quatre grandes religions monothéistes : la religion d'Israël, la religion de Zarathoustra (mazdéisme), le christianisme et l'islam.
On découvre cependant dans les religions primitives bien des formes de monothéisme qui peuvent coexister avec le polythéisme. On parlera alors plutôt de « monolâtrie » ou d'« hénothéisme » ; le culte rendu à un dieu local ou national n'implique pas nécessairement le refus de l'existence d'autres dieux. Mais, même si l'on peut trouver à l'époque la plus reculée de l'histoire de l'humanité des cas de croyance en un Être suprême, on peut difficilement retenir la thèse d'un monothéisme primitif. Trop de faits mis en relief par l'ethnologie historique récente s'y opposent. Le vrai monothéisme ne se trouve pas au commencement de l'histoire de la religion, mais à son terme.
Article Monothéisme, Encyclopediae universalis, en libre accès sur les postes de la BML.
A lire aussi l’éclairant article de Christian Décobert sur Polythéisme et monothéisme dans le Dictionnaire des faits religieux.
Mais sur la définition exacte du monothéisme, ses rapports avec le polythéisme, sa genèse (Akhenaton en est-il le précurseur ?, Moïse a-t-il existé ?, la Bible parle-t-elle vraiment d’un Dieu unique ? …), les versions peuvent différer.
Le n° de Sciences Humaines, Les monothéismes : des origines à aujourd'hui, coordonné par Laurent Testot et surtout l’ouvrage collectif Enquête sur le Dieu unique, ont le mérite de présenter clairement les principales questions liées à ces changements. Voir aussi en ligne une interview de son préfacier : Un Dieu unique, le rejet d’un ciel trop plein, propos de Thomas Römer, recueillis par Virginie Larousse pour le Monde des religions.
Pour en savoir plus :
- La Recension de Naissance du monothéisme : point de vue d'un historien, André Lemaire, par Isabelle de Castelbajac, Labyrinthe [En ligne], 18 | 2004 (2). Et l’ouvrage lui-même bien sûr …
- Akhénaton, précurseur du monothéisme ?, Christian Cannuyer.
- Monothéisme et mémoire. Le Moïse de Freud et la tradition biblique, Jan Assmann, Annales 54, Nr. 5, 1999, P. 1011-1026.
- Atonisme et monothéisme, quelques étapes d’un débat moderne, Youri Volokhine, Université de Genève
- Pourquoi le monothéisme, Jean Soler, texte paru dans Commentaire, 2005/4 (Numéro 112)
- Note sur l’origine et les usages du terme «monothéisme», Etienne Balibar, Critique, 2006/1
- D’un monothéisme à l’autre. Politique islamique entre lettre et esprit, Anoush Ganjipour, Les Temps modernes, 2017/4
- De l’apparition d’un monothéisme dans la religion d’Israël(IIIe siècle av. J.-C. ou plus tard ?), Arnaud Sérandour, Diogène, 2004/1
Résumé :
"Monothéisme. Le mot désigne un système de pensée reposant sur la reconnaissance de la divinité d’un seul dieu à l’exclusion de tout autre. Ce caractère exclusif distingue le monothéisme de l’hénothéisme ou de la monolâtrie. C’est pourquoi le monothéisme est affaire de croyance, au contraire des religions orientales traditionnelles dont celle de l’Ancien Testament. L’article démontre que le caractère monothéiste est en réalité absent de la bible hébraïque, en examinant notamment les récits de la Création et le lexique de l’unicité du divin.
C’est à l’époque romaine, en particulier chez Philon d’Alexandrie que se rencontrent des écrits plus proprement monothéistes, à la faveur d’exégèses fondées sur les mythes cosmogoniques, au premier rang desquels le récit biblique dit de la Création. Il aura fallu que le pouvoir impérial prenne des traits véritablement universels pour que la notion d’un dieu unique garant de ce pouvoir émerge de la multitude."
Ces trois derniers articles sont disponibles en ligne sur Cairn, consultable à la Bibliothèque.
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