Explication de texte : À Peine Défigurée de Paul Éluard
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 26/09/2018 à 23h04
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Question d'origine :
Bonsoir,
J'apprécie particulièrement un poème de Paul Éluard, À Peine Défigurée :
Adieu tristesse,
Bonjour tristesse.
Tu es inscrite dans les lignes du plafond.
Tu es inscrite dans les yeux que j'aime
Tu n'es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.
Bonjour tristesse.
Amour des corps aimables.
Puissance de l'amour
Dont l'amabilité surgit
Comme un monstre sans corps.
Tête desappointée.
Tristesse, beau visage.
J'ai peur de le comprendre de travers. Est-ce qu'il existe une analyse de texte ? Pouvez-vous m'aider à en comprendre le sens ?
Par avance, je vous remercie.
Julie.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 28/09/2018 à 09h25
Bonjour,
Nous n’avons pas trouvé d’analyse de texte portant sur ce poème d’Eluard. On trouve cependant sur erudit.org, un article qui analyse de près la structure du recueil dont il est tiré, La Vie immédiate (1932), et dont l’auteur insiste sur le fait que « la contradiction [est] ce qui [fait] le propos même de La Vie immédiate. »
Ainsi, « Il s'agit pour le poète d'enregistrer des variations d'humeur, deretranscrire des états d'esprit successifs et contradictoires » traduisant « tour à tour, l'éblouissement et le désespoir s'arrachent le cœur du poète. »
On ne s’étonnera pas alors de voir les premiers vers : « Adieu tristesse/Bonjour tristesse » placer le poème sous le signe d’une succession ininterrompue de contradictions, créant une forme d'inconfort, sur un fond de mélancolie envahissant à la fois l’espace physique et l’espace psychique :
« Tu es inscrite dans les lignes du plafond./Tu es inscrite dans les yeux que j'aime »
Mais si elle est omniprésente, la tristesse est tout aussi volatile :
« Tu n'es pas tout à fait la misère
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire. »
L’article remarque aussi que dès le poème liminaire, le recueil La Vie immédiate « nie par avance tout espoir de résolution, toute possibilité d'atteindre le bonheur : il est déjà comme un aveu d'échec dès l'ouverture du recueil ».
C’est l’expression « tout espoir de résolution » qu’il faut remarquer ici : tout le poème joue sur le doute et l’incertitude, jusqu’au titre : parle-t-on d’une femme aimée « à peine défigurée » par la tristesse inscrite dans ses yeux ? Ou c’est la peine elle-même qui est défigurée, soit par le sourire du vers 7, soit parce qu’elle sort des yeux aimés au vers 4 pour se promener sur les « corps aimables » du vers 9, avant de se muer en « monstre sans corps », pour réintégrer in extremis le « beau visage » de la fin ?
Le fait de ne surtout pas décider est la grande force du texte. C’est ce qui permet à Eluard d’aller au bout de sa logique : il ne semble même pas pouvoir se fier à la tristesse même, que les vers 8-9-10 assimilent la tristesse à l’ « amour des corps aimables » puis à la « puissance de l’amour ».
Tout cela contribue à dresser un tableau dynamique de l’expérience intense, ambigüe et toujours mouvante, d’une mélancolie omniprésente mais qui n’empêche pas l’attachement amoureux – voire l’attachement amoureux à la tristesse même.
Ceci n’est bien sûr qu’une lecture parmi d’autres. Comme le dit d’écrivain Claude Roy sans son article consacré à Eluard sur universalis-edu.com :
« Dès les premiers poèmes signés du nom d'Eluard, une inimitable simplicité s'affirme, une innocence souveraine, une candeur juvénile à travers les années, miroir où vont se refléter, directement, perpendiculairement, les sentiments à leur naissance »
Ce n’est pas un hasard alors si le poème est rétif à une analyse intellectuelle univoque. Et si vous êtes sensible à cette « réflexion des sentiments à leur naissance », nous aurions tendance à penser que votre lecture est bonne, et que l’idée même de le « comprendre de travers » paraît peu pertinente.
Bonne lecture.
Nous n’avons pas trouvé d’analyse de texte portant sur ce poème d’Eluard. On trouve cependant sur erudit.org, un article qui analyse de près la structure du recueil dont il est tiré, La Vie immédiate (1932), et dont l’auteur insiste sur le fait que « la contradiction [est] ce qui [fait] le propos même de La Vie immédiate. »
Ainsi, « Il s'agit pour le poète d'enregistrer des variations d'humeur, de
On ne s’étonnera pas alors de voir les premiers vers : « Adieu tristesse/Bonjour tristesse » placer le poème sous le signe d’une succession ininterrompue de contradictions, créant une forme d'inconfort, sur un fond de mélancolie envahissant à la fois l’espace physique et l’espace psychique :
« Tu es inscrite dans les lignes du plafond./Tu es inscrite dans les yeux que j'aime »
Mais si elle est omniprésente, la tristesse est tout aussi volatile :
« Tu n'es pas tout à fait la misère
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire. »
L’article remarque aussi que dès le poème liminaire, le recueil La Vie immédiate « nie par avance tout espoir de résolution, toute possibilité d'atteindre le bonheur : il est déjà comme un aveu d'échec dès l'ouverture du recueil ».
C’est l’expression « tout espoir de résolution » qu’il faut remarquer ici : tout le poème joue sur le doute et l’incertitude, jusqu’au titre : parle-t-on d’une femme aimée « à peine défigurée » par la tristesse inscrite dans ses yeux ? Ou c’est la peine elle-même qui est défigurée, soit par le sourire du vers 7, soit parce qu’elle sort des yeux aimés au vers 4 pour se promener sur les « corps aimables » du vers 9, avant de se muer en « monstre sans corps », pour réintégrer in extremis le « beau visage » de la fin ?
Le fait de ne surtout pas décider est la grande force du texte. C’est ce qui permet à Eluard d’aller au bout de sa logique : il ne semble même pas pouvoir se fier à la tristesse même, que les vers 8-9-10 assimilent la tristesse à l’ « amour des corps aimables » puis à la « puissance de l’amour ».
Tout cela contribue à dresser un tableau dynamique de l’expérience intense, ambigüe et toujours mouvante, d’une mélancolie omniprésente mais qui n’empêche pas l’attachement amoureux – voire l’attachement amoureux à la tristesse même.
Ceci n’est bien sûr qu’une lecture parmi d’autres. Comme le dit d’écrivain Claude Roy sans son article consacré à Eluard sur universalis-edu.com :
« Dès les premiers poèmes signés du nom d'Eluard, une inimitable simplicité s'affirme, une innocence souveraine, une candeur juvénile à travers les années, miroir où vont se refléter, directement, perpendiculairement, les sentiments à leur naissance »
Ce n’est pas un hasard alors si le poème est rétif à une analyse intellectuelle univoque. Et si vous êtes sensible à cette « réflexion des sentiments à leur naissance », nous aurions tendance à penser que votre lecture est bonne, et que l’idée même de le « comprendre de travers » paraît peu pertinente.
Bonne lecture.
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