Source d'inspiration "Le rouge et le noir" de Stendhal
LANGUES ET LITTÉRATURES
+ DE 2 ANS
Le 24/09/2018 à 11h38
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Question d'origine :
Bonjour,
Il est couramment admis que Stendhal se serait inspiré d'un fait divers pour la trame de son roman "Le rouge et le noir".
Or, dans une conférence sur la neutralité de Wikipédia (https://youtu.be/q9DNNfTGSJU?t=1988), le Youtubeur Histony semble dire que dans le milieu universitaire spécialisé, on aurait la preuve, depuis longtemps, que cette information (pourtant généralement crue par les non-spécialistes) serait fausse. Malheureusement, cette affirmation n'est pas sourcée.
Je n'ai pas non plus trouvé de réponse dans Wikipedia, ni sur le net en général.
Auriez-vous d'autres éléments de réponse à m'apporter pour me positionner dans cette controverse insoupçonnée du commun des mortels ?
Merci beaucoup.
Xavier Meunier
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 26/09/2018 à 15h22
Bonjour,
Le rouge et le noir est paru en 1830. Stendhal s’est-il inspiré d’un fait divers ? La réponse est oui … et non !
Dans les notes et appendices des Œuvres romanesques complètes de Stendhal, édition établie par
en voici les extraits les plus significatifs :
Dans sa Notice de 1854, Romain Colomb [l’éditeur de Stendhal] écrit : « Beyle a pris le sujet de ce roman [Le rouge et le noir] dans un procès criminel qui eut beaucoup de retentissement en Dauphiné [dans la commune de Brangues], dans l’année 1828. Le séminariste Berthet, en proie à une atroce jalousie, tira deux coups de pistolet sur Mme M… […]. La cause, très dramatique par elle-même, offrait à Beyle un intérêt particulier […]. » Il n’en fallait pas plus pour que les commentateurs fassent de Berthet le modèle de Julien Sorel […]. En 1911, dans l’Introduction à son édition du Rouge et le noir, Casimir Stryienski naturalise, officialise la filiation universitaire entre Antoine Berthet et Julien Sorel : la réduction du roman au fait divers est telle que Stryienski n’hésite pas à parler des « états d’âme de Berthet-Sorel ».
Aujourd’hui, la cause semble désormais jugée, et définitivement classée : il est communément admis que le drame de Brangues est à l’origine du "Rouge et le noir". […] ce sont les doctes qui, très à postériori, ont monté en épingle ce crime passionnel, qui ont transformé un vulgaire fait divers en une notable « affaire » (le plus intéressant dans « l’affaire Berthet », ce sont assurément les avatars historiques d’un discours critique universitaire ayant médiatisé le drame de Brangues, et imposé une lecture du "Rouge" passablement aberrante, au mépris même des intentions de Stendhal et de son texte) […]
Que Stendhal se soit inspiré d’un procès criminel c’est bien possible, mais il importe de rappeler que c’est Romain Colomb qui a parlé du drame de Brangues, que Stendhal qui, dans les nombreuses marges de ses textes, ne fait pas grand mystère de ses « pilotis », n’a jamais explicitement avoué cette « source ».
Ansel et Berthier expliquent que dans les années 50 pour la critique universitaire « la source était tout : l’alpha et l’oméga du commentaire » ; cet angle d’analyse a conforté l’idée d’un "Rouge et le noir" simple fait divers romancé. Puis dans les années 1960-1970 la nouvelle critique s’est attachée aux signes, au texte même. « Théoriquement, la lecture du "Rouge et le noir" eût dû en être changée, et Berthet relégué aux oubliettes d’où il n’eût jamais dû sortir. Point. Berthet est toujours là, trône en bonne place dans toutes les éditions et tous les commentaires, et l’idée reçue persiste, inchangée, inaltérable […] »
Quelques lignes encore des éditeurs scientifiques de l’édition Pléiade en guise de conclusion pour rejoindre et éclairer les propos de Histony :
Que Stendhal ait emprunté des « petits faits vrais » à « l’affaire Berthet », qu’il ait repris des « détails » du crime commis par Adrien Lafargue [ébéniste jugé en 1828 devant les assises des Hautes-Pyrénées pour avoir assassiné sa maîtresse], peut-être, mais croire que : « La pire des erreurs [sic] sur le Rouge est d’oublier les sources du roman, deux crimes, ceux de Berthet et de Lafargue » [Il s’agit d’un extrait de l’introduction d’une édition en livre de poche du Rouge et le noir de 1997. Les idées reçues ont la vie dure !], et conclure qu’il y ait eu « influence » de ces deux faits divers sur l’écriture du Rouge, ce sont là déductions pour le moins hasardeuses.
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