Question d'origine :
Bonjour,
Etudiant la profession d'orfèvre et aussi de graveur au XVIIIe siècle, j'ai découvert que parfois ils étaient "changeurs" et que d'ailleurs certains d'entre eux, ceux de Paris, travaillaient et avaient élu domicile sur ou auprès du pont au change. En quoi donc consistait leur travail de changeur ? C e métier nécessitait-il une formation et une reconnaissance royale pour pouvoir l'exercer comme celui d'orfèvre ou celui de graveur ? Leur responsabilité était-elle mise en jeu lorsqu'il étaient accusés de fraude ? Et que risquaient-ils comme sanctions dans ces cas là ?
Merci et meilleures salutations
Interressus
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 23/08/2018 à 14h25
Bonjour,
Pour commencer nous reprendrons la définition du « change » apportée dans Le Dictionnaire du Moyen Age qui indique que l’ on « appelle change l’opération consistant à échanger une valeur monétaire contre une autre de même pouvoir libératoire. L’Europe des XIe-XIIe s. n’émettait que des deniers, mais tous différents, parce que frappés dans de multiples ateliers. La croissance économique du continent entraîna une circulation monétaire qui allait s’intensifiant à partir du XIIe. S, en même temps qu’elle se compliquait à partir du XIIIe. En raison de la reprise de la frappe, dans beaucoup d’ateliers, de multiples espèces d’argent (les « gros ») et aussi, quoique plus rarement, d’or (…) mais la nécessité pour les voyageurs de payer dans les monnaies du pays, puis la complication extrême des frappes, surtout au XIVe s., contraignirent très tôt les utilisateurs qui se déplacent, ou qui envisagent une transaction importante ou lointaine, à se procurer les espèces spécifiques de chaque affaire. Il leur fallait changer de l’argent. Les petites sommes, mais les grosses aussi, pouvaient faire l’objet d’un change manuel.Des spécialistes, les changeurs, installés derrière leur comptoir, se chargeaient de l’opération . Le terme et la fonction de changeur apparurent en France à la fin du XIe siècle (Angers, 1093), et certainement pas plus tard en Italie. Puis la profession gagna en compétence, elle se répandit partout au XIIe s (villes, foires de Champagne) et elle se structura souvent au XIIIe.s en Métiers ou Arti (paris, florence et même Saint-Gilles, dès la fin du XIIE s.) regroupés ou non tous ces professionnels connaissaient parfaitement les caractères (poids, type) des pièces et leurs défauts (fausses, rognées). »
(…)
Au fil du temps en effet, leurs affaires s’étaient compliquées au point de donner à leur profession (banchieri : ceux qui tiennent un banco, un comptoir de change) les caractères désormais propres aux banques : ils recevaient des dépôts, ouvraient des comptes aux dépositaires procédaient sur leur demande à des virements de compte à compte ils en vinrent aussi, très tôt, à accepter de réaliser ailleurs, et dans des espèces étrangères, des versements pour le compte de leurs clients… »
Dans l’article Les changeurs du royaume sous le règne de Louis XI, publié dans la revue Bibliothèque de l'École des Chartes (1964, 122) Robert Favreau explique :
« A partir du XIVe siècle, les fréquentes mutations monétaires avaient obligé l’Etat à contrôler l’activité des changeurs. Il fallait éviter que celle-ci ne portât tort à la politique monétaire du roi et ne diminuât les profits qu’on en attendait.L’Etat imposa donc progressivement une sorte de registre du commerce : qui conque voudrait exercer fait de change devrait obtenir des lettres vérifiées et enregistrées par la chambre des monnaies . Charles V avait, le 10 août 1374, mandé au gouverneur de la Rochelle et au bailli de Saintonge et Angoumois de faire défense à quiconque d’exercer le change sans avoir en sa possession des lettres royales vérifiées par les Généraux des monnaies et les certifiant suffisants et capables. Il étendit cette mesure aux villes nouvellement reprises .. ;
(…)au milieu du XVe siècle, les changeurs étaient soumis à un contrôle rigoureux. Le marchand ou le bourgeois qui voulait exercer « fait de change » devait demander des lettres de change à la chambre des Monnaies . …
(..) Des quelques sept cent cinquante changeurs (…) quatre cent cinquante – soit 60 % - s’intitulent « marchands ». Une vingtaine d’entre eux seulement s’attribuent la qualité de « bourgeois », cinq se déclarent orfèvres …»
L’auteur poursuit en parlant des changeurs du Pont du Change et mentionne que « pour exercer le change il fallait une grande connaissance des espèces monétaires, même si des « livres de changeurs » - recueils identifiant les diverses espèces de monnaies – permettaient en partie de suppléer à l’expérience.
De même dans Le phénomène financier et les marchés financiers en perspective historique : des sociétés antiques à la création de la bourse de Paris, en 1724 publié dans la Revue d’économie financière (1998), Jean Marie Thiveaud (1998, 48) relate que «L’ordonnance de février 1304 est l’un des plus anciens documents relatifs aux activités de change à Paris, il établit les courretiers de change, en officialisant le lieu du change, déjà fixé au reste, par Louis VII en 1141, sur le Pont-au-Change ».
Dans L’outillage mental des changeurs, en France, à la fin du Moyen Âge, Yves Coaty revient notamment sur les compétences nécessaires au changeur.
En outre, sachez, puisque vous en parlez, qu’en 1553, les orfèvres furent interdis d’exercer le métier de changeur. Cette période fut alors marquée par l’agiotage (source : histoires-de-paris.fr
Quant à votre dernière question, Nicole Gonthier aborde dans Chapitre II. Le traitement du crime tiré de l’ouvrage Le châtiment du crime au Moyen Âge : XIIe-XVIe siècles, les délits et sanctions. On apprend ainsi :
« À Metz, en 1435, un changeur, maître de la monnaie, nommé Biaise est arrêté et retenu trois jours entiers afin de déterminer sa culpabilité éventuelle dans la falsification des gros de la ville. L'accusation qui pèse contre lui s'appuie sur quelques indices sérieux : une bourse contenant cette fausse monnaie, trouvée sur son étal, ses deux tentatives de fuite, une lettre compromettante qui en fait la cheville ouvrière d'un réseau de faussaires allant jusqu'en Lombardie. Il est donc « forment gehanné et examinés » mais se montre « cy résolus d'endurer et de souffrir que pour gehinne ne toursure qu'on luy sceust faire, il n'en voult jamais riens congnoistre ». En conséquence on doit le laisser aller. Toutefois, même « delivrés à son grant honneurs » il se voit banni pour douze ans à dix lieues de Metz et doit payer cent sous de messins d'amende »
Pour compléter ces premières informations, nous vous laissons parcourir :
• De la fraude à la falsification : le faux monnayage en France à la fin du Moyen Âge / Yves Coativy, 2006.
• La monnaie, le prince et le marchand: une analyse économique des phénomènes monétaires au Moyen âge / Benoît Santiano, 2018
Pour commencer nous reprendrons la définition du « change » apportée dans Le Dictionnaire du Moyen Age qui indique que l’ on « appelle change l’opération consistant à échanger une valeur monétaire contre une autre de même pouvoir libératoire. L’Europe des XIe-XIIe s. n’émettait que des deniers, mais tous différents, parce que frappés dans de multiples ateliers. La croissance économique du continent entraîna une circulation monétaire qui allait s’intensifiant à partir du XIIe. S, en même temps qu’elle se compliquait à partir du XIIIe. En raison de la reprise de la frappe, dans beaucoup d’ateliers, de multiples espèces d’argent (les « gros ») et aussi, quoique plus rarement, d’or (…) mais la nécessité pour les voyageurs de payer dans les monnaies du pays, puis la complication extrême des frappes, surtout au XIVe s., contraignirent très tôt les utilisateurs qui se déplacent, ou qui envisagent une transaction importante ou lointaine, à se procurer les espèces spécifiques de chaque affaire. Il leur fallait changer de l’argent. Les petites sommes, mais les grosses aussi, pouvaient faire l’objet d’un change manuel.
(…)
Au fil du temps en effet, leurs affaires s’étaient compliquées au point de donner à leur profession (banchieri : ceux qui tiennent un banco, un comptoir de change) les caractères désormais propres aux banques : ils recevaient des dépôts, ouvraient des comptes aux dépositaires procédaient sur leur demande à des virements de compte à compte ils en vinrent aussi, très tôt, à accepter de réaliser ailleurs, et dans des espèces étrangères, des versements pour le compte de leurs clients… »
Dans l’article Les changeurs du royaume sous le règne de Louis XI, publié dans la revue Bibliothèque de l'École des Chartes (1964, 122) Robert Favreau explique :
« A partir du XIVe siècle, les fréquentes mutations monétaires avaient obligé l’Etat à contrôler l’activité des changeurs. Il fallait éviter que celle-ci ne portât tort à la politique monétaire du roi et ne diminuât les profits qu’on en attendait.
(…)
(..) Des quelques sept cent cinquante changeurs (…) quatre cent cinquante – soit 60 % - s’intitulent « marchands ». Une vingtaine d’entre eux seulement s’attribuent la qualité de « bourgeois », cinq se déclarent orfèvres …»
L’auteur poursuit en parlant des changeurs du Pont du Change et mentionne que « pour exercer le change il fallait une grande connaissance des espèces monétaires, même si des « livres de changeurs » - recueils identifiant les diverses espèces de monnaies – permettaient en partie de suppléer à l’expérience.
De même dans Le phénomène financier et les marchés financiers en perspective historique : des sociétés antiques à la création de la bourse de Paris, en 1724 publié dans la Revue d’économie financière (1998), Jean Marie Thiveaud (1998, 48) relate que «
Dans L’outillage mental des changeurs, en France, à la fin du Moyen Âge, Yves Coaty revient notamment sur les compétences nécessaires au changeur.
En outre, sachez, puisque vous en parlez, qu’en 1553, les orfèvres furent interdis d’exercer le métier de changeur. Cette période fut alors marquée par l’agiotage (source : histoires-de-paris.fr
Quant à votre dernière question, Nicole Gonthier aborde dans Chapitre II. Le traitement du crime tiré de l’ouvrage Le châtiment du crime au Moyen Âge : XIIe-XVIe siècles, les délits et sanctions. On apprend ainsi :
« À Metz, en 1435, un changeur, maître de la monnaie, nommé Biaise est arrêté et retenu trois jours entiers afin de déterminer sa culpabilité éventuelle dans la falsification des gros de la ville. L'accusation qui pèse contre lui s'appuie sur quelques indices sérieux : une bourse contenant cette fausse monnaie, trouvée sur son étal, ses deux tentatives de fuite, une lettre compromettante qui en fait la cheville ouvrière d'un réseau de faussaires allant jusqu'en Lombardie. Il est donc « forment gehanné et examinés » mais se montre « cy résolus d'endurer et de souffrir que pour gehinne ne toursure qu'on luy sceust faire, il n'en voult jamais riens congnoistre ». En conséquence on doit le laisser aller. Toutefois, même « delivrés à son grant honneurs » il se voit banni pour douze ans à dix lieues de Metz et doit payer cent sous de messins d'amende »
Pour compléter ces premières informations, nous vous laissons parcourir :
• De la fraude à la falsification : le faux monnayage en France à la fin du Moyen Âge / Yves Coativy, 2006.
• La monnaie, le prince et le marchand: une analyse économique des phénomènes monétaires au Moyen âge / Benoît Santiano, 2018
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