Question d'origine :
Bonjour,
Je lis actuellement pas mal de livres universitaires sur le sujet même si j'ai du mal à comprendre concrètement : en histoire quelles sont les différences entre un "fait" et un "événement"? et pourquoi certains historiens s'affrontent sur ces deux notions?
Merci d'avance.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 24/08/2018 à 12h47
Bonjour,
Les statuts de l’événement et du fait historique ont été l’objet de nombreux débats en effet dans la communauté des historiens, au début essentiellement pour rompre avec ce que l’on appelait l’« histoire événementielle », au profit des structures et du temps long, ensuite pour interroger la démarche de l’historien et sa place dans l’écriture de l’histoire.
En première définition, sans entrer dans les débats historiographiques, on pourrait dire en quoi l’événement se distingue :
« Comment le concept [d’événement] est-il défini par les historiens ? Les déterminations qui en sont données peuvent varier par certains détails, elles s’accordent sur une essence de l’événement, qu’on retrouve quels que soient les auteurs et dont je rappelle les principaux traits : la singularité (l’événement lorsqu’il survient se présente comme incomparable, à nul autre pareil), la césure, c’est-à-dire la puissance séparatrice (par l’événement une totalité jusqu’alors signifiante se défait, tandis qu’une autre se configure), enfin le brouillage ou la rupture d’intelligibilité (le sens est comme en suspens) »
Marlène Zarader, citée Événement, événementialité, traces, par Christian Jouhaud et Dinah Ribard, Recherches de Science religieuse, 2014/1.
Mais reste à savoir par qui et comment il est jugé tel.
L’article «Fait historique » de François Dosse dans le Dictionnaire de l’historien (2015) résume les implications de l’opposition entre fait historique et événement dans la réflexion sur l’acte d’écrire l’histoire surtout après le « tournant linguistique » :
« Quelle est la différence entre événement et fait historique ? On reprendra ici la distinction faite par Hayden White […]. Il préconise simplement la distinction entre « event » et « fact », considérant qu’à la différence des événements, les faits sont des constructions historiennes révisables , ouvertes vers un futur qui va les reconfigurer chaque fois différemment. A l’affirmation de Roland Barthes selon laquelle les faits historiques n’ont d’existence que linguistique, il ajoute l’affirmation selon laquelle les faits, à la différence des événements, sont des entités linguistiques , et par là il entend signifier que, comme le philosophe Arthur Danto l’a établi, les «faits » sont des « événements » sous une description. Quant à la relation entre faits et événements, elle est sans cesse à reprendre ; elle est la matière même de la communauté historienne et toujours ouverte à de nouvelles conceptualisations, non pas parce que les événements du passé changent, mais parce que notre manière de les conceptualiser diffère . […] [Ricoeur] rappelle la distinction, essentielle, qu’il fait en suivant les analyses d’ordre linguistique, entre fait historique et événement réel. Il conçoit le fait historique comme une construction discursive, alors que l’événement renvoie à la factualité, à ce qui a eu lieu. […] L’événement se trouve donc placé dans une position ontologique qui renvoie à ce dont on parle, au référent, et cette visée est tout à fait essentielle selon Ricoeur qui insiste sur l’importance de cette distinction pour mettre en valeur le statut essentiel de la factualité désignée sous le vocable de l’événement : « C’est pour préserver ce statut de vis-à-vis du discours historique que je distingue le fait en tant que « la chose dite », le quoi du discours historique, de l’événement en tant que « la chose dont on parle « , « le au sujet de quoi » est le discours historique. ».
Il faut bien sûr lire cet article dans son entier pour bien saisir les tenants et aboutissants de ces distinctions.
Il faut aussi préciser que cette réflexion sur l’histoire n’a cessé de se poursuivre et que l’événement a lui aussi été interrogé, comme vous pourrez le lire dans l’article « Evénement » du même Dictionnaire, par le même François Dosse, également auteur de Renaissance de l’événement.
Pour résumer :
« La chronique, le document-monument, qui nous transmettent la mémoire d'un événement, en réalité, l'ont aussi produit. Non seulement il serait demeuré, sans eux, enfoui dans le passé mais il aurait été englué dans l'ensemble de la durée historique. En fait, l'événement ainsi conçu est le triomphe de la problématique des Annales. Celles-ci ont montré contre les historiens positivistes que le fait historique n'était pas un donné mais un produit du questionnement et de l'activité de l'historien. Cette conception de la production de l'histoire s'étend désormais à l'événement. »
Les « retours » dans l'historiographie française actuelle, Jacques Le Goff, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [Online], 22 | 1999.
Ces nouvelles conceptions ont donc provoqué quelques controverses car elles remettaient à nouveau en question l’objectivité en histoire et pouvait ouvrir la porte au relativisme, même si leur but est plutôt de réfléchir à la production de l’histoire.
Pour comprendre le contexte historiographique :
Ressources narratives et connaissance historique, Jacques Revel, Les terrains de l’enquête, 1/1995
Le récit en histoire, Marc Deleplace
Histoire quantitative et construction du fait historique, François Furet, Annales Année 1971 26-1 pp. 63-75
Qu’est-ce qu’un fait historique ?, sur Clio-texte
L’écriture de l’histoire, Michel de Certeau
La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paul Ricoeur
Bonnes lectures !
Les statuts de l’événement et du fait historique ont été l’objet de nombreux débats en effet dans la communauté des historiens, au début essentiellement pour rompre avec ce que l’on appelait l’« histoire événementielle », au profit des structures et du temps long, ensuite pour interroger la démarche de l’historien et sa place dans l’écriture de l’histoire.
En première définition, sans entrer dans les débats historiographiques, on pourrait dire en quoi l’événement se distingue :
« Comment le concept [d’événement] est-il défini par les historiens ? Les déterminations qui en sont données peuvent varier par certains détails, elles s’accordent sur une essence de l’événement, qu’on retrouve quels que soient les auteurs et dont je rappelle les principaux traits : la singularité (l’événement lorsqu’il survient se présente comme incomparable, à nul autre pareil), la césure, c’est-à-dire la puissance séparatrice (par l’événement une totalité jusqu’alors signifiante se défait, tandis qu’une autre se configure), enfin le brouillage ou la rupture d’intelligibilité (le sens est comme en suspens) »
Marlène Zarader, citée Événement, événementialité, traces, par Christian Jouhaud et Dinah Ribard, Recherches de Science religieuse, 2014/1.
Mais reste à savoir par qui et comment il est jugé tel.
L’article «Fait historique » de François Dosse dans le Dictionnaire de l’historien (2015) résume les implications de l’opposition entre fait historique et événement dans la réflexion sur l’acte d’écrire l’histoire surtout après le « tournant linguistique » :
« Quelle est la différence entre événement et fait historique ? On reprendra ici la distinction faite par Hayden White […]. Il préconise simplement la distinction entre « event » et « fact », considérant qu’
Il faut bien sûr lire cet article dans son entier pour bien saisir les tenants et aboutissants de ces distinctions.
Il faut aussi préciser que cette réflexion sur l’histoire n’a cessé de se poursuivre et que l’événement a lui aussi été interrogé, comme vous pourrez le lire dans l’article « Evénement » du même Dictionnaire, par le même François Dosse, également auteur de Renaissance de l’événement.
Pour résumer :
« La chronique, le document-monument, qui nous transmettent la mémoire d'un événement, en réalité, l'ont aussi produit. Non seulement il serait demeuré, sans eux, enfoui dans le passé mais il aurait été englué dans l'ensemble de la durée historique. En fait, l'événement ainsi conçu est le triomphe de la problématique des Annales. Celles-ci ont montré contre les historiens positivistes que le fait historique n'était pas un donné mais un produit du questionnement et de l'activité de l'historien. Cette conception de la production de l'histoire s'étend désormais à l'événement. »
Les « retours » dans l'historiographie française actuelle, Jacques Le Goff, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [Online], 22 | 1999.
Ces nouvelles conceptions ont donc provoqué quelques controverses car elles remettaient à nouveau en question l’objectivité en histoire et pouvait ouvrir la porte au relativisme, même si leur but est plutôt de réfléchir à la production de l’histoire.
Pour comprendre le contexte historiographique :
Ressources narratives et connaissance historique, Jacques Revel, Les terrains de l’enquête, 1/1995
Le récit en histoire, Marc Deleplace
Histoire quantitative et construction du fait historique, François Furet, Annales Année 1971 26-1 pp. 63-75
Qu’est-ce qu’un fait historique ?, sur Clio-texte
L’écriture de l’histoire, Michel de Certeau
La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paul Ricoeur
Bonnes lectures !
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