Question d'origine :
Bonjour,
En quoi la technologie serait-elle un facteur d’exclusion?
Merci.
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 25/07/2018 à 15h17
Bonjour,
Dans l’article « L’accès aux technologies et leur maîtrise, premier facteur d’exclusion », publié dans Le Monde du 1er juillet 2018, Beatrice Madeline revient sur ce phénomène et rapporte qu’aujourd’hui, « ne pas savoir se servir d’un ordinateur pour chercher un emploi ou même remplir un formulaire pour accéder aux aides sociales est une véritable barrière. Or, on estime qu’en France 12 % de la population ne se connecte jamais à Internet . Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), parmi la population adulte des pays membres, une personne sur deux est incapable de mener à bien une tâche aussi simple que de surfer sur le Web (« Policy Brief on the Future of Work. Skills for a Digital World », 2016).
« Peur de casser l’ordinateur »
Jen Schradie, chercheuse à l’Institut d’études avancées (IEA) de Toulouse, travaille depuis une dizaine d’années sur le sujet. «Utiliser les technologies numériques apparaît compliqué parce qu’il y a sans cesse de nouvelles applications, de nouveaux appareils, de nouveaux logiciels , et que c’est intimidant pour beaucoup de personnes, souligne-t-elle. Beaucoup de gens issus de milieux populaires, au cours de mes enquêtes, disent que le digital, ce n’est pas eux. Une personne m’a dit un jour qu’elle n’osait pas utiliser son ordinateur de peur de le casser. »
Ce à quoi il faut ajouterun aspect financier , rappelle la chercheuse : « Certains ont un ordinateur pour toute la famille, et ils ne peuvent avoir accès à Internet que rarement. S’il faut se serrer la ceinture financièrement, on peut aussi renoncer à payer un accès à Internet. Et si l’ordinateur tombe en panne, il ne sera pas réparé... »
Vous pourrez consulter cet article dans son intégralité à partir de la base de données Europresse , disponible dans les bibliothèques municipales de Lyon
La Gazette des communes consacre un dossier sur cette thématique dans lequel vous trouverez de nombreux points de vue dont celui du chercheur Pierre Mazet pour qui la dématérialisation est un facteur :
« Selon l’association Emmaüs Connect, née du mouvement Emmaüs, qui défriche le sujet, 17 % des Français se sentent « déconnectés », dont une majorité sont en situation de précarité, avec également une surreprésentation des personnes seules et des personnes âgées. Une étude d’Eurostat de 2015 révélait que 12 % des Français n’avaient jamais utilisé internet de leur vie. En comparaison, ils sont 1 % en Islande et 6 % en Suède. Le mal-logement, les difficultés linguistiques ou l’absence de compte bancaire expliquent, en partie, le phénomène. En fin de compte, pour les publics fragiles, l’exclusion numérique – ou e-exclusion – qui les prive d’un bien devenu essentiel, ajoute de la difficulté à la difficulté.
Les associations qui les accompagnent dénoncent une « dématérialisation sauvage » des services publics. Des institutions, comme la CAF, s’engagent à maintenir des points d’accueil physique pour les personnes les plus en difficulté, mais sans préciser si cet accueil sera assuré par des travailleurs sociaux dûment formés. Désormais, se pose la question : comment simplifier et dématérialiser sans exclure ? Entretien avec Pierre Mazet, chercheur à l’Odenore.
La simplification administrative ambitionne d’instaurer une nouvelle relation entre l’administration et le citoyen. Peut-on y voir un outil pour lutter contre le non-recours ?
Concernant le sujet qui nous occupe à l’Odenore, et les personnes dont nous observons les trajectoires, principalement des publics fragiles, nous ne pouvons pas dire que nous percevons un mouvement de simplification mais bien plutôt une complexification pour les usagers, comme pour les acteurs chargés de les accompagner. La simplification administrative est annoncée depuis des années, voire des décennies. Actuellement, on note une très forte accélération de la dématérialisation, qui est souvent présentée comme le sésame de la simplification. Comme on a pu le voir avec la prime d’activité (1), prestation 100 % dématérialisée. Contrairement à l’introduction d’autres aides sociales par le passé, son lancement a été préparé et annoncé en amont, avec une importante campagne de communication. N’oublions pas cependant que le Premier ministre, Manuel Valls, avait voulu rassurer en rappelant qu’a priori on verrait un taux de non-recours à cette aide de 50 % ! Pour l’heure, on n’a pas encore assez de temps de recul pour faire un bilan significatif, sinon que le taux de recours à son départ a été très bon. Il faudra observer le parcours de ceux qui basculeront du RSA à la prime d’activité. Plus globalement, il est important de signaler que les administrations axent leur simplification sur les supports, matériels ou dématérialisés, mais qu’elles ne travaillent que très rarement à la simplification des contenus ou des conditions d’éligibilité.
La dématérialisation est présentée comme un sésame de la simplification, disiez-vous… Qu’observez-vous sur le terrain ?
De plus en plus souvent, pour avoir accès à une prestation sociale, il faut avoir une adresse mail, que n’ont pas nombre de personnes, pour différentes raisons. Il arrive que les professionnels qui les accompagnent ouvrent cette adresse mail pour les aider et débloquer la procédure. Or, d’une part, une telle intervention pose la question de la confidentialité des informations personnelles, de leur transmission, etc. D’autre part, certains usagers ne comprennent pas du tout en quoi consiste cette adresse mail, ne pensent donc pas à l’utiliser, et se retrouvent parfois en difficulté parce qu’ils manquent des informations sur leur dossier. Dans certains cas, ils peuvent même perdre leurs droits, de manière plus ou moins transitoire. En fait, la dématérialisation a été mise en place sans que l’on se demande si les administrés sont équipés, maîtrisent les outils et les usages, avec un risque très réel d’aggravation de situation de non-recours, et une difficulté accrue pour ces usagers « hors radar ».
Qu’en est-il alors de l’éducation au numérique ?
Il existe bien un plan gouvernemental numérique et un Conseil national du numérique, mais rien n’a été pensé pour les publics éloignés de cette évolution. Nous avons constaté que les espaces publics numériques, destinés à l’accompagnement de tous les publics aux usages du numérique, n’offrent pas le même service d’un territoire à l’autre. Une personne qui aurait besoin d’être guidée peut se retrouver seule face à l’ordinateur. Autre problème de fond : on ne dispose pas de données précises sur la relation à internet des publics fragiles et localement les acteurs publics sont généralement démunis. Pourtant, on peut facilement comprendre combien cette mise en difficulté peut être violente. De ce point de vue, la dite révolution numérique constitue aussi une exclusion médiatique. Pour certains, l’effet d’isolement est redoublé. Aujourd’hui, c’est une association, Emmaüs Connect, issue du mouvement Emmaüs, qui alerte et agit contre l’exclusion numérique. C’est significatif.
A l’Etat donc de rectifier au plus vite et aux administrations d’intensifier leurs échanges ?
Sans doute ! Dans ce que l’on a pu observer, les problèmes surgissent surtout au niveau local. Aujourd’hui, c’est peut-être aux territoires de se mobiliser pour apporter, rapidement, des solutions. Il est urgent que les divers acteurs publics et administrations – conseil départemental, caisse d’allocations familiales, caisse primaire d’assurance maladie, centre communal d’action sociale… – se mettent en réseau pour travailler ensemble sur cette question, analysent les conséquences de la dématérialisation et voient comment accompagner les publics concernés. Des territoires s’interrogent déjà, comme dans le Finistère. Il faut à la fois penser l’équipement, la pédagogie et l’usage au long cours. Concernant, cette fois, les administrations, il y a, en France, un tel cloisonnement ! Chaque institution a sa propre culture. On l’a bien vu encore récemment avec l’échec de l’expérience du dossier unique (2), une mesure du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, alors même que les personnes engagées dans ce projet étaient très motivées. D’autres pays sont bien plus en avance. Par exemple, la Belgique, avec la Banque-carrefour de la sécurité sociale, une plateforme qui permet aux institutions de partager des informations concernant un usager, qui en est averti. Et pourtant, les échanges entre les administrations françaises sont possibles : elles savent communiquer entre elles quand il s’agit de faire des contrôles. »
Vous pourrez approfondir la question en parcourant :
• Luc Vodoz, Fracture numérique, fracture sociale : aux frontières de l'intégration et de l'exclusion, SociologieS , Dossiers, Frontières sociales, frontières culturelles, frontières techniques, mis en ligne le 27 décembre 2010.
• Nouvelle économie, nouvelles exclusions ? / ouvrage collectif coord. par Philippe Moati, 2003 : Etudie l'avènement, depuis la fin du XXe siècle, d'une nouvelle économie (économie des NTIC, économie du savoir) et le développement des inégalités et de l'exclusion. Tente de comprendre les raisons de cette dualité paradoxale et de dégager des pistes de réflexion pour la réduire. [1]
Etudes et rapports
• Ambition numérique: pour une politique française et européenne de la transition numérique / collectif, 2016.
• Les bibliothèques et la transition numérique: Les ateliers Internet / Pascal Plantard
• Rapport d'information sur l'évaluation de la modernisation numérique de l'Etat.De Corinne Erhel , Michel Piron , Comité d'évaluation et de contrôle.
Dans l’article « L’accès aux technologies et leur maîtrise, premier facteur d’exclusion », publié dans Le Monde du 1er juillet 2018, Beatrice Madeline revient sur ce phénomène et rapporte qu’aujourd’hui, «
« Peur de casser l’ordinateur »
Jen Schradie, chercheuse à l’Institut d’études avancées (IEA) de Toulouse, travaille depuis une dizaine d’années sur le sujet. «
Ce à quoi il faut ajouter
Vous pourrez consulter cet article dans son intégralité à partir de la base de données Europresse , disponible dans les bibliothèques municipales de Lyon
La Gazette des communes consacre un dossier sur cette thématique dans lequel vous trouverez de nombreux points de vue dont celui du chercheur Pierre Mazet pour qui la dématérialisation est un facteur :
« Selon l’association Emmaüs Connect, née du mouvement Emmaüs, qui défriche le sujet, 17 % des Français se sentent « déconnectés », dont une majorité sont en situation de précarité, avec également une surreprésentation des personnes seules et des personnes âgées. Une étude d’Eurostat de 2015 révélait que 12 % des Français n’avaient jamais utilisé internet de leur vie. En comparaison, ils sont 1 % en Islande et 6 % en Suède. Le mal-logement, les difficultés linguistiques ou l’absence de compte bancaire expliquent, en partie, le phénomène. En fin de compte, pour les publics fragiles, l’exclusion numérique – ou e-exclusion – qui les prive d’un bien devenu essentiel, ajoute de la difficulté à la difficulté.
Les associations qui les accompagnent dénoncent une « dématérialisation sauvage » des services publics. Des institutions, comme la CAF, s’engagent à maintenir des points d’accueil physique pour les personnes les plus en difficulté, mais sans préciser si cet accueil sera assuré par des travailleurs sociaux dûment formés. Désormais, se pose la question : comment simplifier et dématérialiser sans exclure ? Entretien avec Pierre Mazet, chercheur à l’Odenore.
La simplification administrative ambitionne d’instaurer une nouvelle relation entre l’administration et le citoyen. Peut-on y voir un outil pour lutter contre le non-recours ?
Concernant le sujet qui nous occupe à l’Odenore, et les personnes dont nous observons les trajectoires, principalement des publics fragiles, nous ne pouvons pas dire que nous percevons un mouvement de simplification mais bien plutôt une complexification pour les usagers, comme pour les acteurs chargés de les accompagner. La simplification administrative est annoncée depuis des années, voire des décennies. Actuellement, on note une très forte accélération de la dématérialisation, qui est souvent présentée comme le sésame de la simplification. Comme on a pu le voir avec la prime d’activité (1), prestation 100 % dématérialisée. Contrairement à l’introduction d’autres aides sociales par le passé, son lancement a été préparé et annoncé en amont, avec une importante campagne de communication. N’oublions pas cependant que le Premier ministre, Manuel Valls, avait voulu rassurer en rappelant qu’a priori on verrait un taux de non-recours à cette aide de 50 % ! Pour l’heure, on n’a pas encore assez de temps de recul pour faire un bilan significatif, sinon que le taux de recours à son départ a été très bon. Il faudra observer le parcours de ceux qui basculeront du RSA à la prime d’activité. Plus globalement, il est important de signaler que les administrations axent leur simplification sur les supports, matériels ou dématérialisés, mais qu’elles ne travaillent que très rarement à la simplification des contenus ou des conditions d’éligibilité.
La dématérialisation est présentée comme un sésame de la simplification, disiez-vous… Qu’observez-vous sur le terrain ?
De plus en plus souvent, pour avoir accès à une prestation sociale, il faut avoir une adresse mail, que n’ont pas nombre de personnes, pour différentes raisons. Il arrive que les professionnels qui les accompagnent ouvrent cette adresse mail pour les aider et débloquer la procédure. Or, d’une part, une telle intervention pose la question de la confidentialité des informations personnelles, de leur transmission, etc. D’autre part, certains usagers ne comprennent pas du tout en quoi consiste cette adresse mail, ne pensent donc pas à l’utiliser, et se retrouvent parfois en difficulté parce qu’ils manquent des informations sur leur dossier. Dans certains cas, ils peuvent même perdre leurs droits, de manière plus ou moins transitoire. En fait, la dématérialisation a été mise en place sans que l’on se demande si les administrés sont équipés, maîtrisent les outils et les usages, avec un risque très réel d’aggravation de situation de non-recours, et une difficulté accrue pour ces usagers « hors radar ».
Qu’en est-il alors de l’éducation au numérique ?
Il existe bien un plan gouvernemental numérique et un Conseil national du numérique, mais rien n’a été pensé pour les publics éloignés de cette évolution. Nous avons constaté que les espaces publics numériques, destinés à l’accompagnement de tous les publics aux usages du numérique, n’offrent pas le même service d’un territoire à l’autre. Une personne qui aurait besoin d’être guidée peut se retrouver seule face à l’ordinateur. Autre problème de fond : on ne dispose pas de données précises sur la relation à internet des publics fragiles et localement les acteurs publics sont généralement démunis. Pourtant, on peut facilement comprendre combien cette mise en difficulté peut être violente. De ce point de vue, la dite révolution numérique constitue aussi une exclusion médiatique. Pour certains, l’effet d’isolement est redoublé. Aujourd’hui, c’est une association, Emmaüs Connect, issue du mouvement Emmaüs, qui alerte et agit contre l’exclusion numérique. C’est significatif.
A l’Etat donc de rectifier au plus vite et aux administrations d’intensifier leurs échanges ?
Sans doute ! Dans ce que l’on a pu observer, les problèmes surgissent surtout au niveau local. Aujourd’hui, c’est peut-être aux territoires de se mobiliser pour apporter, rapidement, des solutions. Il est urgent que les divers acteurs publics et administrations – conseil départemental, caisse d’allocations familiales, caisse primaire d’assurance maladie, centre communal d’action sociale… – se mettent en réseau pour travailler ensemble sur cette question, analysent les conséquences de la dématérialisation et voient comment accompagner les publics concernés. Des territoires s’interrogent déjà, comme dans le Finistère. Il faut à la fois penser l’équipement, la pédagogie et l’usage au long cours. Concernant, cette fois, les administrations, il y a, en France, un tel cloisonnement ! Chaque institution a sa propre culture. On l’a bien vu encore récemment avec l’échec de l’expérience du dossier unique (2), une mesure du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, alors même que les personnes engagées dans ce projet étaient très motivées. D’autres pays sont bien plus en avance. Par exemple, la Belgique, avec la Banque-carrefour de la sécurité sociale, une plateforme qui permet aux institutions de partager des informations concernant un usager, qui en est averti. Et pourtant, les échanges entre les administrations françaises sont possibles : elles savent communiquer entre elles quand il s’agit de faire des contrôles. »
Vous pourrez approfondir la question en parcourant :
• Luc Vodoz, Fracture numérique, fracture sociale : aux frontières de l'intégration et de l'exclusion, SociologieS , Dossiers, Frontières sociales, frontières culturelles, frontières techniques, mis en ligne le 27 décembre 2010.
• Nouvelle économie, nouvelles exclusions ? / ouvrage collectif coord. par Philippe Moati, 2003 : Etudie l'avènement, depuis la fin du XXe siècle, d'une nouvelle économie (économie des NTIC, économie du savoir) et le développement des inégalités et de l'exclusion. Tente de comprendre les raisons de cette dualité paradoxale et de dégager des pistes de réflexion pour la réduire. [1]
Etudes et rapports
• Ambition numérique: pour une politique française et européenne de la transition numérique / collectif, 2016.
• Les bibliothèques et la transition numérique: Les ateliers Internet / Pascal Plantard
• Rapport d'information sur l'évaluation de la modernisation numérique de l'Etat.De Corinne Erhel , Michel Piron , Comité d'évaluation et de contrôle.
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