Question d'origine :
Bonsoir,
Les Maoris partagent-ils les mêmes rituels/Temps du Rêve que les aborigènes d'Australie ?
Je vous remercie.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 04/06/2018 à 19h10
Bonjour,
Votre question fait suite à votre question précédente, qui portait sur l’histoire du « temps des rêves » chez les Aborigènes d’Australie, et le sens de certains mythes et motifs dans la croyance comme dans la peinture aborigènes.
Cette notion de « temps des rêves » n’existe pas chez les Maoris, au sens ou l’entendent les Aborigènes d’Australie. Cependantil existe bien, au fondement de la culture et de l’identité maories, un récit mythique de la création du monde, et une forme de cosmogonie. Si les croyances, les rituels et les motifs maoris sont donc bien différents de ceux des Aborigènes, on peut convenir qu’il existe une forme de similitude à travers l’existence d’un mythe de la création du monde, des hommes et du territoire maoris, par les faits et actes de leurs ancêtres mythiques.
Dans son ouvrage Les Maoris, David LEWIS dresse (p. 14 et suivantes)l’histoire du peuplement du bassin pacifique , par « des vagabonds des mers polynésiens » et avant cela, par« leurs ancêtres […], disséminés tout au long de la chaîne d’îles indo-mélanésiennes ». L’envahissement de la Nouvelle-Zélande par différents groupes d’immigrants, à des époques distinctes, se serait étendu sur une période allant de 750 ou 1050, selon les historiens, à 1350 : « les pionniers étaient porteurs d’une culture polynésienne orientale indifférenciée, qui plongeait sans doute ses racines dans la zone tahitienne […] et évolua, sans influence extérieure notable, pour devenir, à partir de 1 300, la culture maorie classique. ».
Les Maoris sont ainsi les premiers habitants de la Nouvelle-Zélande, ou Aotearoa, « la terre du long nuage blanc ». L’arrivée des Européens en Nouvelle-Zélande n’aura lieu que bien plus tard, la première visite recensée étant celle d’Abel Tasman, en 1642, puis celle du navigateur anglais James Cook, en 1769, précédant une arrivée massive des émigrants britanniques au 19e siècle.
Les archéologues, ethnologues et historiens conviennent aujourd’hui de désigner comme la période maorie « classique » celle qui s’étend de l’arrivée des Maoris sur l’île à l’arrivée des premiers Britanniques, à la fin du 18e siècle.
C’est une tradition orale, transmise de génération en génération et recueillie depuis le 19e siècle, qui a façonnéle récit originel maori de la création du monde.
Pour appréhender ce mythe et pour en comprendre la traduction dans l’art et l’artisanat mais aussi dans la culture et les croyances maories, nous ne saurions que vous recommander la lecture de Maori. Leurs trésors ont une âme, le catalogue d’une exposition présentée au Musée du Quai Branly en 2011, très complet sur la culture maorie, en particulier le chapitre intitulé Whakapapa, identité et interconnexion, dont les éléments ci-dessous sont extraits (p. 49-51) :
Papatuanuku, la Terre-mère, et Ranginui, le Ciel-père, sont les parents primitifs de toutes les divinités et formes de vie existantes. D’après la légende Papatuanuku et Ranginui vivaient dans la lumière, mais restaient serrés l’un contre l’autre, de sorte que leurs enfants grandissaient dans l’obscurité de leur étreinte. Certains, plus agités, voulurent sortir de ces suffocantes ténèbres. Ils tentèrent de séparer leur mère de leur père, en vain. Finalement, leur fils Tane plaça sa tête et ses mains contre Papa et ses pieds contre Rangi, puis s’étira pour les forcer à s’écarter, inaugurant ainsi le monde de la lumière et de la création.
La représentation des récits de la création, sous forme sculptée, offre un aperçu du modèle maori de l’existence humaine et de l’importance des connexions généalogiques vis à vis de Ranginui et Papatuanuku : on peut en voir de très nombreux exemples dans les formes et les motifs des sculptures traditionnelles maories, riches de puissantes analogies à ce récit mythique originel et aux croyances et divinités qui y sont liées.
La notion de whakapapa exprime l’évolution et les rapports entre toutes choses créées. Au sein de la société maorie, le whakapapa s’exprime à travers les généalogies, les rites et les histoires. Ensemble, ces héritages forment la base d’un savoir qui permet aux hommes de définir qui ils sont et comment ils sont liés les uns aux autres, ainsi qu’au monde qui les entoure.
Dans son ouvrage Mythe et stratégie identitaire chez les Maoris de Nouvelle-Zélande (L’Harmattan, 1992), Georges-Goulven LE CAM étudie et analyse plus en profondeur la tradition maorie de la naissance du monde et de la séparation du Ciel et de la Terre, ainsi qu’un ensemble de mythes, riches d’un corpus important de récits et de nombreux héros , autour du motif récurrent de la séparation, et des figures principales et fondatrices que sont les parents, la terre, la femme, le soleil et le feu.
D’une manière distincte de la tradition aborigène en Australie, pour laquelle les peintures associaient, incarnaient et représentaient le temps des rêves sur certains sites du territoire, sur les corps humains et dans les arts, dans la culture maorie, ces croyances et représentations mythiques, identitaires et culturelles, semblent davantage transmises au travers destaonga, les trésors maoris : tangibles ou non, ils peuvent réunir tout autant les objets rituels et traditionnels que les terres, la langue, ou les croyances.
Les taonga maoris ont fait l’objet d’une exposition, présentée au Musée du Quai Branly en 2011, Maori. Leurs trésors ont une âme. L’introduction du catalogue consacré à l’exposition, déjà cité plus haut, les définit ainsi :
« Les Maori nomment « taonga » les expressions – tangibles ou non – de leur culture […]. A l’époque traditionnelle, les individus ou les groupes pouvaient appeler leurs biens les plus précieux « taonga », mais le mot évoquait également les ressources et objets de la vie quotidienne, tout ce que les gens considéraient comme leur appartenant irrévocablement, de façon inaliénable. A présent que la culture Maori a considérablement changé, au même titre que le milieu dans lequel elle évolue, le sens d’objet précieux prévaut.Un taonga a valeur d’expression authentique d’identité, de connexion et d’héritage . Il peut même évoquer la préciosité d’une chose qui mérite d’être défendue et préservée […]. Pour les Maori, ces taonga sont bien plus que des objets d’art : ils sont dotés de mauri, ou « force vitale », qui transcende le temps, reliant les générations d’hier à celles d’aujourd’hui et de demain […]. Certains taonga représentent des ancêtres, d’autres commémorent par leur nom des événements historiques ou des occasions importantes. Nombre d’entre eux dénotent un sens profond du monde spirituel d’où ils proviennent […). Ils entretiennent une relation vitale avec une culture vivante. Ils sont les liens sacrés du passé qui existe dans le présent et guide les Maori vers l’avenir. Les taonga expriment non seulement les histoires, les identités et les points de vue des Maori, mais aussi les futures aspirations politiques de cette culture puissante et résistante. »
Le catalogue présente et commente ensuite plusieurs taonga, qui illustrent la vision du monde des Maoris. En premier lieu,les waka (les pirogues sculptées), les whare tupuna (les maisons de réunion ancestrales) et le ta moko (l’art du tatouage) incarnent cette vision. C’est le cas également du pounamu, le jade de Nouvelle-Zélande , pierre sacrée dans la culture maorie et, depuis des siècles, matériau de prédilection pour la fabrication des outils, armes et ornements, symbole fort de prestige et d’identité culturelle.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter également :
- La pierre sacrée des Maori (Musée du Quai Branly Jacques Chirac / Actes Sud, 2017)
- Hervé SCHMOOR, La renaissance de la culture maori (DVD documentaire, Zaradoc, 2013).
Bonnes lectures.
Votre question fait suite à votre question précédente, qui portait sur l’histoire du « temps des rêves » chez les Aborigènes d’Australie, et le sens de certains mythes et motifs dans la croyance comme dans la peinture aborigènes.
Cette notion de « temps des rêves » n’existe pas chez les Maoris, au sens ou l’entendent les Aborigènes d’Australie. Cependant
Dans son ouvrage Les Maoris, David LEWIS dresse (p. 14 et suivantes)
Les archéologues, ethnologues et historiens conviennent aujourd’hui de désigner comme la période maorie « classique » celle qui s’étend de l’arrivée des Maoris sur l’île à l’arrivée des premiers Britanniques, à la fin du 18e siècle.
C’est une tradition orale, transmise de génération en génération et recueillie depuis le 19e siècle, qui a façonné
Pour appréhender ce mythe et pour en comprendre la traduction dans l’art et l’artisanat mais aussi dans la culture et les croyances maories, nous ne saurions que vous recommander la lecture de Maori. Leurs trésors ont une âme, le catalogue d’une exposition présentée au Musée du Quai Branly en 2011, très complet sur la culture maorie, en particulier le chapitre intitulé Whakapapa, identité et interconnexion, dont les éléments ci-dessous sont extraits (p. 49-51) :
Papatuanuku, la Terre-mère, et Ranginui, le Ciel-père, sont les parents primitifs de toutes les divinités et formes de vie existantes. D’après la légende Papatuanuku et Ranginui vivaient dans la lumière, mais restaient serrés l’un contre l’autre, de sorte que leurs enfants grandissaient dans l’obscurité de leur étreinte. Certains, plus agités, voulurent sortir de ces suffocantes ténèbres. Ils tentèrent de séparer leur mère de leur père, en vain. Finalement, leur fils Tane plaça sa tête et ses mains contre Papa et ses pieds contre Rangi, puis s’étira pour les forcer à s’écarter, inaugurant ainsi le monde de la lumière et de la création.
La représentation des récits de la création, sous forme sculptée, offre un aperçu du modèle maori de l’existence humaine et de l’importance des connexions généalogiques vis à vis de Ranginui et Papatuanuku : on peut en voir de très nombreux exemples dans les formes et les motifs des sculptures traditionnelles maories, riches de puissantes analogies à ce récit mythique originel et aux croyances et divinités qui y sont liées.
Dans son ouvrage Mythe et stratégie identitaire chez les Maoris de Nouvelle-Zélande (L’Harmattan, 1992), Georges-Goulven LE CAM étudie et analyse plus en profondeur la tradition maorie de la naissance du monde et de la séparation du Ciel et de la Terre, ainsi qu’
D’une manière distincte de la tradition aborigène en Australie, pour laquelle les peintures associaient, incarnaient et représentaient le temps des rêves sur certains sites du territoire, sur les corps humains et dans les arts, dans la culture maorie, ces croyances et représentations mythiques, identitaires et culturelles, semblent davantage transmises au travers des
Les taonga maoris ont fait l’objet d’une exposition, présentée au Musée du Quai Branly en 2011, Maori. Leurs trésors ont une âme. L’introduction du catalogue consacré à l’exposition, déjà cité plus haut, les définit ainsi :
« Les Maori nomment « taonga » les expressions – tangibles ou non – de leur culture […]. A l’époque traditionnelle, les individus ou les groupes pouvaient appeler leurs biens les plus précieux « taonga », mais le mot évoquait également les ressources et objets de la vie quotidienne, tout ce que les gens considéraient comme leur appartenant irrévocablement, de façon inaliénable. A présent que la culture Maori a considérablement changé, au même titre que le milieu dans lequel elle évolue, le sens d’objet précieux prévaut.
Le catalogue présente et commente ensuite plusieurs taonga, qui illustrent la vision du monde des Maoris. En premier lieu,
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter également :
- La pierre sacrée des Maori (Musée du Quai Branly Jacques Chirac / Actes Sud, 2017)
- Hervé SCHMOOR, La renaissance de la culture maori (DVD documentaire, Zaradoc, 2013).
Bonnes lectures.
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