L'homme allongé fait partie des objets - Heidegger ?
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 21/04/2018 à 18h19
815 vues
Question d'origine :
Bonjour,
Je me souviens avoir lu quelque part chez Heidegger (j'espère que c'est bien lui) une digression sur l'homme allongé. L'homme est un être qui passe son temps debout et c'est ce qui lui donne ce statut si particulier par rapport aux objets qu'il maitrise. Une fois allongé, l'homme passe dans une autre dimension, il devient partie du monde, cela lui permet de se rapprocher du monde des objets. Et cela s'accentue avec le sommeil.
Pourriez-vous m'aider à retrouver la référence du texte afin que je puisse avoir une base solide et le raisonnement exact de l'auteur ?
Merci beaucoup
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 26/04/2018 à 08h54
Réponse du département Civilisation :
Bonjour,
Malgré nos recherches, nous n’avons malheureusement pu trouver, dans les textes de Heidegger, la référence précise du passage auquel vous faites allusion. Peut-être s’inscrit-il dans un texte secondaire, un cours ou une conférence que nous n’avons pu repérer parmi l’important ensemble de sources possibles, mais il est à signaler qu’aucune mention de ce passage n’apparaît dans les différents dictionnaires, bibliographies et ouvrages d’analyse de la philosophie de Heidegger que nous avons pu consulter.
Pour autant, il est bien certain que le philosophe aborde la question de la métaphysique de la veille et du sommeil dans son questionnement ontologique sur la réalité de l’être, objet principal de l’ouvrage majeur que constitue Être et temps, mais sans mention d’une analyse spécifiquement liée à la position de l’homme, debout ou allongé, ni à son rapport aux objets, tels que vous vous en faites l’écho dans votre question.
Au regret de ne pouvoir répondre précisément à votre question, nous vous proposons tout de même quelques pistes de réflexion afin d’approfondir vos recherches sur ce thème si vous le souhaitez, chez Heidegger ou auprès d’autres philosophes :
Martin HEIDEGGER, Etre et temps (1927)
Pierre CARRIQUE, Rêve, vérité. Essai sur la philosophie du sommeil et de la veille (Gallimard, NRF Essais, 2002)
Dans son ouvrage, Pierre CARRIQUE consacre un chapitre àl’approche du rêve et de la réalité dans la philosophie de Heidegger (p. 243 à 258) : « Présent en de nombreux lieux de l’œuvre et jusqu’à la fin, le questionnement sur le rêve et son essence n’est d’abord touché dans Être et temps qu’à travers la critique générale du concept de réalité ».
L’auteur renvoie plus particulièrement au§ 43 de Être et temps, intitulé « Dasein, mondanéité et réalité » . Dans cette partie de son œuvre, Heidegger évoque en effet le problème de la réalité et la rupture entre la conscience et le réel dans son questionnement ontologique, bien que sa démonstration ne rencontre pas nommément le rêve, le sommeil ou même la position allongée.
Pierre CARRIQUE rappelle que dans son analyse, Heidegger commente et critiquele théorème kantien , puis le cogito cartésien , avant de faire sienne l’affirmation de Platon , selon laquelle la différence entre l’homme qui philosophe et celui qui ne philosophe pas est tenue pour la différence entre la veille et le sommeil : l’homme qui ne philosophe pas existe bien, mais il dort (La République).
Michel PUECH, Homo Sapiens technologicus (Le Pommier, 2008, extraits disponibles en ligne)
Dans son ouvrage, le philosophe Michel PUECH étudiela manière pour l’homme d’appréhender la technique et la technologie, et donc les objets . Il consacre un chapitre à la philosophie de Heidegger (dans la première partie de l’ouvrage, et p. 10 à 18 dans l’extrait disponible en ligne), dans lequel il analyse sa démonstration du concept d’habiter technologiquement le monde , principalement exposée dans Être et temps :
« Dans ce questionnement sur l’être, le temps et la mort comme « horizon » de l’existence humaine, le livre de Heidegger, Être et Temps, voit une forme de pensée « authentique », et c’est la direction que suivra la pensée ultérieure de son auteur. Mais, avant cela, Heidegger analyse – et, à vrai dire, dénonce – le fait que ce dont nous nous occupons et nous préoccupons quotidiennement, ce ne sont plus de grandes questions, mais de petits soucis, ceux du quotidien.
Cette préoccupation remplit notre champ de conscience avec une grande densité, à tout instant, du réveil à l’endormissement – et peut-être même pendant le rêve. Elle constitue une dimension propre de notre existence, sa quotidienneté (…). Quelle forme d’authenticité reste encore possible dans le triomphe de la quotidienneté ? »
Cette interrogation ouvre, chez Heidegger, à l’étude du souci, de l’ustensilité et de la déréliction, et ainsi àune philosophie de la technologie , poursuit M. PUECH dans son commentaire :
« Les objets qui nous entourent nous apparaissent le plus souvent sous forme d’outils, invitant à un usage : l’étant se manifeste à nous comme « ustensilité », dit Heidegger. Cette ustensilité est le mode naturel, quotidien de notre rapport au monde, de notre présence-au-monde. Les objets du monde, même lorsque nous ne sommes pas directement en train de les utiliser, restent compris comme des ustensiles potentiels. Nous comprenons l’étant (les objets) comme étant-disponible, prêt à l’usage, destiné à l’utilisation, explique Heidegger. La mise à disposition de l’étant caractérise incontestablement la modernité : nous nous servons. Nous nous servons de tout sans avoir besoin pour cela de réflexion, de méditation, d’enquête, que ce soit sur la légitimité ou sur la finalité de cette disponibilité permanente de l’étant. »
Hans Georg GADAMER, les Chemins de Heidegger (Vrin, 1983, également disponible en ligne)
Élève et ami de Heidegger, GADAMER retrace le cheminement de la pensée de son maître, et analyse notamment dans son texte le mouvement de pensée qui a conduit à ce que Heidegger a appelé « le tournant », qui marquera dans les années 1930 une rupture avec l’ontologie fondamentale exposée dans Être et temps (p. 76 et suivantes dans l’extrait disponible en ligne).
Jean STAROBINSKI, Le Philosophe couché (Revue Argument, n°4 vol. 2, printemps été 2002, disponible en ligne)
Dans ce texte, Jean STAROBINSKI recenseles différentes mentions, dans la tradition philosophique, de l’image de l’homme couché , dans l’analyse et les interprétations d’une perception de l’intériorité et de l’extériorité de la sensibilité de l’homme :
« L’homme couché a interrompu les mouvements dont se composent les gestes utiles. Il se trouve aux confins de l’absence, il est plongé dans le rêve, ou au contraire il s’éveille, il éprouve la fatigue ou le bien-être de son corps, sa pesanteur ou sa légèreté. Les rapports du dedans et du dehors se simplifient, mais pour la conscience qui les observe, ils s’amplifient, ils deviennent plus mystérieux, plus problématiques. Dans la posture de l’abandon, une révélation peut être accueillie ».
Descartes avait déjà interrogé, dans les Méditations métaphysiques, la réalité du rêve : STAROBINSKI indique ainsi : « sa méditation sur les étranges similitudes de la veille et du sommeil l’avait conduit à affirmer, comme Platon, l’existence autonome de l’âme, substance pensante », proposant une claire distinction entre trois catégories de perceptions : celles « que nous rapportons aux objets qui sont hors de nous » ; celles « que nous rapportons à notre corps » ; et « celles que nous rapportons à notre Âme » (Traité des passions de l'Âme, 23-25).
Dans Le Rêve de d'Alembert,Diderot « dit exemplairement l’importance de la sensation corporelle », selon STAROBINSKI : « Il met en scène, dans le dialogue central, un philosophe couché, rêvant à haute voix et construisant sans son délire lucide le système de la vie universelle (…). L’entrelacs du sensible, de l’imaginaire et du rationnel dans la personne du géomètre endormi, met en pleine évidence la triade corps-esprit-monde (…). Dans ce qu’éprouve en son corps l’homme couché, lorsqu’il cesse momentanément de prêter attention à la réalité externe, se manifeste et se révèle aussi bien, de manière immédiate et impérieuse, la grande loi du monde ».
Ouvrant également sa réflexion aux contributions littéraires de Valéry, Tolstoï, Proust, Supervielle ou encore Michaux, STAROBINSKI conclut : « Assurément, les révélations du corps actif ne sont pas moins précieuses que celles du corps couché ».
Bonnes lectures,
Et avec toutes nos excuses pour un délai de réponse cette fois-ci légèrement dépassé.
Bonjour,
Malgré nos recherches, nous n’avons malheureusement pu trouver, dans les textes de Heidegger, la référence précise du passage auquel vous faites allusion. Peut-être s’inscrit-il dans un texte secondaire, un cours ou une conférence que nous n’avons pu repérer parmi l’important ensemble de sources possibles, mais il est à signaler qu’aucune mention de ce passage n’apparaît dans les différents dictionnaires, bibliographies et ouvrages d’analyse de la philosophie de Heidegger que nous avons pu consulter.
Pour autant, il est bien certain que le philosophe aborde la question de la métaphysique de la veille et du sommeil dans son questionnement ontologique sur la réalité de l’être, objet principal de l’ouvrage majeur que constitue Être et temps, mais sans mention d’une analyse spécifiquement liée à la position de l’homme, debout ou allongé, ni à son rapport aux objets, tels que vous vous en faites l’écho dans votre question.
Au regret de ne pouvoir répondre précisément à votre question, nous vous proposons tout de même quelques pistes de réflexion afin d’approfondir vos recherches sur ce thème si vous le souhaitez, chez Heidegger ou auprès d’autres philosophes :
Dans son ouvrage, Pierre CARRIQUE consacre un chapitre à
L’auteur renvoie plus particulièrement au
Pierre CARRIQUE rappelle que dans son analyse, Heidegger commente et critique
Dans son ouvrage, le philosophe Michel PUECH étudie
« Dans ce questionnement sur l’être, le temps et la mort comme « horizon » de l’existence humaine, le livre de Heidegger, Être et Temps, voit une forme de pensée « authentique », et c’est la direction que suivra la pensée ultérieure de son auteur. Mais, avant cela, Heidegger analyse – et, à vrai dire, dénonce – le fait que ce dont nous nous occupons et nous préoccupons quotidiennement, ce ne sont plus de grandes questions, mais de petits soucis, ceux du quotidien.
Cette préoccupation remplit notre champ de conscience avec une grande densité, à tout instant, du réveil à l’endormissement – et peut-être même pendant le rêve. Elle constitue une dimension propre de notre existence, sa quotidienneté (…). Quelle forme d’authenticité reste encore possible dans le triomphe de la quotidienneté ? »
Cette interrogation ouvre, chez Heidegger, à l’étude du souci, de l’ustensilité et de la déréliction, et ainsi à
« Les objets qui nous entourent nous apparaissent le plus souvent sous forme d’outils, invitant à un usage : l’étant se manifeste à nous comme « ustensilité », dit Heidegger. Cette ustensilité est le mode naturel, quotidien de notre rapport au monde, de notre présence-au-monde. Les objets du monde, même lorsque nous ne sommes pas directement en train de les utiliser, restent compris comme des ustensiles potentiels. Nous comprenons l’étant (les objets) comme étant-disponible, prêt à l’usage, destiné à l’utilisation, explique Heidegger. La mise à disposition de l’étant caractérise incontestablement la modernité : nous nous servons. Nous nous servons de tout sans avoir besoin pour cela de réflexion, de méditation, d’enquête, que ce soit sur la légitimité ou sur la finalité de cette disponibilité permanente de l’étant. »
Élève et ami de Heidegger, GADAMER retrace le cheminement de la pensée de son maître, et analyse notamment dans son texte le mouvement de pensée qui a conduit à ce que Heidegger a appelé « le tournant », qui marquera dans les années 1930 une rupture avec l’ontologie fondamentale exposée dans Être et temps (p. 76 et suivantes dans l’extrait disponible en ligne).
Dans ce texte, Jean STAROBINSKI recense
« L’homme couché a interrompu les mouvements dont se composent les gestes utiles. Il se trouve aux confins de l’absence, il est plongé dans le rêve, ou au contraire il s’éveille, il éprouve la fatigue ou le bien-être de son corps, sa pesanteur ou sa légèreté. Les rapports du dedans et du dehors se simplifient, mais pour la conscience qui les observe, ils s’amplifient, ils deviennent plus mystérieux, plus problématiques. Dans la posture de l’abandon, une révélation peut être accueillie ».
Dans Le Rêve de d'Alembert,
Ouvrant également sa réflexion aux contributions littéraires de Valéry, Tolstoï, Proust, Supervielle ou encore Michaux, STAROBINSKI conclut : « Assurément, les révélations du corps actif ne sont pas moins précieuses que celles du corps couché ».
Bonnes lectures,
Et avec toutes nos excuses pour un délai de réponse cette fois-ci légèrement dépassé.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter