Comment expliquer les paroles du christ " elie elie pourquoi
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 04/04/2018 à 12h49
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Question d'origine :
Comment expliquer les paroles du christ " elie elie pourquoi
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 07/04/2018 à 11h12
Bonjour,
Si l’on en croit les deux évangiles dans lesquelles elle est citée, Marc (chap. 15, verset 34) et Matthieu (27, 46), Jésus, crucifié, prononce au seuil de la mort la phrase suivante :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Plus exactement, cette parole est citée deux fois par les évangélistes, dont une première fois en araméen, langue que parlait Jésus : « Eli, Eli, lema sabaqthani ».
Ce qui appelle immédiatement un premier point d’interprétation : vous écrivez dans votre question « Elie, Elie, pourquoi… » Or, Jésus n’appelle pas Elie, le prophète d’Israël, mais bien « El-i », « mon Dieu ». D’ailleurs, Marc comme Matthieu, sans l’expliciter davantage, indiquent que les badauds qui passent devant la croix à ce moment se méprennent : « Certains de ceux qui étaient là disaient, en l’entendant : “tiens, le voilà qui appelle “Elie” ».
Cette sentence constitue l’une des sept dernières paroles du Christ si l’on compile l’ensemble des phrases que Jésus prononce dans les quatre Evangiles canoniques (Marc, Matthieu, Luc et Jean). Dans la récente encyclopédie sur Jésus, dirigée par Joseph Doré, Jérôme Prigent revient sur cette tradition des 7 dernières paroles : « Les quatre évangiles attribuent diverses “dernières paroles” prononcées par Jésus sur la croix. Marc et Matthieu ne connaissent qu’une seule parole, le fameux “Eloi, Eloï, lama sabaqhtani”, qui est une citation des Psaumes [le début du Psaume 22] ; ce sont surtout Luc et Jean qui font parler Jésus sur la croix. Le Moyen-Age chrétien, dans la ligne de la tradition antique des ultima verba, a isolé ces “sept dernières paroles” comme si Jésus les avait toutes prononcées. Cela correspond à la tentative de composer un diatessaron, c’est-à-dire une vie de Jésus compilée à partir des quarte évangiles ».
Pour s’en tenir à une interprétation théologique traditionnelle, nous pouvons nous appuyer sur Le Nouveau Testament commenté, qu’ont dirigé Camille Focant et Daniel Marguerat. « Pour Jésus, ce jour de deuil est aussi un jour d’abandon. Récitant le Ps 22, il dit son incompréhension de ce qui lui arrive : le proclamateur de la proximité du Royaume des cieux se retrouve seul devant la mort. Jésus n’est pas un héros tragique qui combat la mort sans la craindre. Au cœur de la tourmente, il ne lui reste que les mots du psalmiste. Cette tradition biblique lui permet d’exprimer son désespoir avec les mots de la foi au cœur même du doute le plus profond […]. Ce psaume est le cri de désespoir du croyant abandonné de tous. On rappellera qu’il se termine par la découverte, au cœur même de l’angoisse et de la mort, de la présente surprenante de Dieu à ses côtés. Sans doute Matthieu et les premiers chrétiens connaissaient-ils l’ensemble de ce psaume : ils savaient donc qu’il se termine par cette confiance du psalmiste en son Dieu ».
Le commentaire proposé par l’ouvrage collectif Les Evangiles, textes et commentaires, publié chez Bayard, ne dit pas autre chose lorsqu’il précise que « dans la mentalité juive ancienne […] prononcer le verset d’un psaume, c’est en appeler à tout le psaume, c’est-à-dire ici, l’action de grâce qui clôture le poème […]. Dans la dernière parole de Jésus se profile l’espérance de la résurrection ».
Néanmoins, cette interprétation, assez courante, est loin d'être la seule. L’historien Régis Brunet propose ainsi dans ses Paroles de la Bible un vertigineux panorama des exégèses possibles de cette ultime parole. Il rappelle que « ce cri ultime est certainement l’un des plus commentés de toute l’histoire du christianisme » et sans doute parce qu’au cœur de ce cri, il y a un comme un scandale : « Jésus, voyant la mort s’approcher, aurait-il cédé au désespoir ? » « En conclusion d’une vie qui ne cesse de prêcher la victoire sur la mort et la présence de Dieu, voilà qui a de quoi choquer ! »
Voici quelques interprétations parmi celles que recense Régis Brunet :
« Dans les premiers temps de l’Eglise, le cri a servi de pierre angulaire à la construction de la théologie sur les deux natures. Jésus, Dieu fait homme, est à la fois vrai Dieu et vrai homme. On vit donc dans ce cri la preuve ultime que Dieu ne faisait pas “semblant” de s’incarner, mais ressentit avec violence la souffrance de la mort ».
« Les mystiques du Moyen-Age projetèrent sur Jésus leur propre expérience de la douleur de se sentir un homme pécheur. Pour eux, le Christ fit preuve de la compassion ultime. Tout en étant Dieu, il voulut expérimenter “la souffrance de l’âme qui se voit dans l’hiver de l’abandon, l’abandon des créatures, plus que cela, l’abandon de Dieu”, selon les mots de Jean Tauler. Il renoua avec le cri de toutes les âmes pécheresses prenant conscience de leur misère ».
« C’est à partir du XVIIIe siècle que l’interprétation du verset changea radicalement de sens. En effet, imprégnée par le rationalisme des Lumières, les commentateurs osèrent penser la dualité des natures, voire abandonnèrent l’idée que Jésus était Dieu. Les premiers réfléchissaient en termes de conscience. Pour eux, la conscience d’être Dieu et la conscience d’être homme se combattaient dans l’esprit de Jésus. En ce moment d’absolue déréliction, la conscience humaine, submergée par l’horreur de la situation, domina tout l’être et offusqua la conscience divine. En plein drame, seul le cri de désespoir parvint à se faire entendre. Les seconds voyaient au contraire dans ce verset la preuve que Jésus n’était pas le Dieu que les siècles précédents cherchaient à construire : le cri d’agonie marque pour eux le moment de lucidité suprême, où Jésus ne croit plus en Dieu ».
Cette ultime parole suscite encore aujourd’hui des interprétations. Ainsi la romancière Sylvie Germain, dans l’encyclopédie Jésus déjà mentionnée, propose-t-elle une lecture personnelle, tout entière tournée vers le thème de l’abandon radical : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Pour quoi, à quoi ? La question peut s’entendre en deux directions : tournée vers l’amont, visant la cause de cet abandon, ou vers un aval, interrogeant un dessein, une destination. Dans les deux cas, la question bée dans un vide abyssal et vibre d’effarement ; ses bourreaux et les railleurs ne savent pas ce qu’ils font car ils ignorent qui il est, et lui, l’innocent supplicié qui a toujours su ce qu’il faisait, au nom de qui il œuvrait, ne sait plus rien. Sa solitude est radicale, il appelle un absent, il meurt en orphelin, méconnu de tous, oublié de Dieu, inconnu à lui-même ».
Si vous souhaitez aller plus loin dans la lecture et la compréhension de la Bible, nous vous recommandons la lecture des livres de la collection « mon ABC de la Bible » publiée par les éditions du Cerf. Vous y trouverez entre autres des analyses très claires, par des spécialistes en théologie, des différents évangiles, ainsi que des Actes des Apôtres.
Si l’on en croit les deux évangiles dans lesquelles elle est citée, Marc (chap. 15, verset 34) et Matthieu (27, 46), Jésus, crucifié, prononce au seuil de la mort la phrase suivante :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Plus exactement, cette parole est citée deux fois par les évangélistes, dont une première fois en araméen, langue que parlait Jésus : « Eli, Eli, lema sabaqthani ».
Ce qui appelle immédiatement un premier point d’interprétation : vous écrivez dans votre question « Elie, Elie, pourquoi… » Or, Jésus n’appelle pas Elie, le prophète d’Israël, mais bien « El-i », « mon Dieu ». D’ailleurs, Marc comme Matthieu, sans l’expliciter davantage, indiquent que les badauds qui passent devant la croix à ce moment se méprennent : « Certains de ceux qui étaient là disaient, en l’entendant : “tiens, le voilà qui appelle “Elie” ».
Cette sentence constitue l’une des sept dernières paroles du Christ si l’on compile l’ensemble des phrases que Jésus prononce dans les quatre Evangiles canoniques (Marc, Matthieu, Luc et Jean). Dans la récente encyclopédie sur Jésus, dirigée par Joseph Doré, Jérôme Prigent revient sur cette tradition des 7 dernières paroles : « Les quatre évangiles attribuent diverses “dernières paroles” prononcées par Jésus sur la croix. Marc et Matthieu ne connaissent qu’une seule parole, le fameux “Eloi, Eloï, lama sabaqhtani”, qui est une citation des Psaumes [le début du Psaume 22] ; ce sont surtout Luc et Jean qui font parler Jésus sur la croix. Le Moyen-Age chrétien, dans la ligne de la tradition antique des ultima verba, a isolé ces “sept dernières paroles” comme si Jésus les avait toutes prononcées. Cela correspond à la tentative de composer un diatessaron, c’est-à-dire une vie de Jésus compilée à partir des quarte évangiles ».
Pour s’en tenir à une interprétation théologique traditionnelle, nous pouvons nous appuyer sur Le Nouveau Testament commenté, qu’ont dirigé Camille Focant et Daniel Marguerat. « Pour Jésus, ce jour de deuil est aussi un jour d’abandon. Récitant le Ps 22, il dit son incompréhension de ce qui lui arrive : le proclamateur de la proximité du Royaume des cieux se retrouve seul devant la mort. Jésus n’est pas un héros tragique qui combat la mort sans la craindre. Au cœur de la tourmente, il ne lui reste que les mots du psalmiste. Cette tradition biblique lui permet d’exprimer son désespoir avec les mots de la foi au cœur même du doute le plus profond […]. Ce psaume est le cri de désespoir du croyant abandonné de tous. On rappellera qu’il se termine par la découverte, au cœur même de l’angoisse et de la mort, de la présente surprenante de Dieu à ses côtés. Sans doute Matthieu et les premiers chrétiens connaissaient-ils l’ensemble de ce psaume : ils savaient donc qu’il se termine par cette confiance du psalmiste en son Dieu ».
Le commentaire proposé par l’ouvrage collectif Les Evangiles, textes et commentaires, publié chez Bayard, ne dit pas autre chose lorsqu’il précise que « dans la mentalité juive ancienne […] prononcer le verset d’un psaume, c’est en appeler à tout le psaume, c’est-à-dire ici, l’action de grâce qui clôture le poème […]. Dans la dernière parole de Jésus se profile l’espérance de la résurrection ».
Néanmoins, cette interprétation, assez courante, est loin d'être la seule. L’historien Régis Brunet propose ainsi dans ses Paroles de la Bible un vertigineux panorama des exégèses possibles de cette ultime parole. Il rappelle que « ce cri ultime est certainement l’un des plus commentés de toute l’histoire du christianisme » et sans doute parce qu’au cœur de ce cri, il y a un comme un scandale : « Jésus, voyant la mort s’approcher, aurait-il cédé au désespoir ? » « En conclusion d’une vie qui ne cesse de prêcher la victoire sur la mort et la présence de Dieu, voilà qui a de quoi choquer ! »
Voici quelques interprétations parmi celles que recense Régis Brunet :
« Dans les premiers temps de l’Eglise, le cri a servi de pierre angulaire à la construction de la théologie sur les deux natures. Jésus, Dieu fait homme, est à la fois vrai Dieu et vrai homme. On vit donc dans ce cri la preuve ultime que Dieu ne faisait pas “semblant” de s’incarner, mais ressentit avec violence la souffrance de la mort ».
« Les mystiques du Moyen-Age projetèrent sur Jésus leur propre expérience de la douleur de se sentir un homme pécheur. Pour eux, le Christ fit preuve de la compassion ultime. Tout en étant Dieu, il voulut expérimenter “la souffrance de l’âme qui se voit dans l’hiver de l’abandon, l’abandon des créatures, plus que cela, l’abandon de Dieu”, selon les mots de Jean Tauler. Il renoua avec le cri de toutes les âmes pécheresses prenant conscience de leur misère ».
« C’est à partir du XVIIIe siècle que l’interprétation du verset changea radicalement de sens. En effet, imprégnée par le rationalisme des Lumières, les commentateurs osèrent penser la dualité des natures, voire abandonnèrent l’idée que Jésus était Dieu. Les premiers réfléchissaient en termes de conscience. Pour eux, la conscience d’être Dieu et la conscience d’être homme se combattaient dans l’esprit de Jésus. En ce moment d’absolue déréliction, la conscience humaine, submergée par l’horreur de la situation, domina tout l’être et offusqua la conscience divine. En plein drame, seul le cri de désespoir parvint à se faire entendre. Les seconds voyaient au contraire dans ce verset la preuve que Jésus n’était pas le Dieu que les siècles précédents cherchaient à construire : le cri d’agonie marque pour eux le moment de lucidité suprême, où Jésus ne croit plus en Dieu ».
Cette ultime parole suscite encore aujourd’hui des interprétations. Ainsi la romancière Sylvie Germain, dans l’encyclopédie Jésus déjà mentionnée, propose-t-elle une lecture personnelle, tout entière tournée vers le thème de l’abandon radical : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Pour quoi, à quoi ? La question peut s’entendre en deux directions : tournée vers l’amont, visant la cause de cet abandon, ou vers un aval, interrogeant un dessein, une destination. Dans les deux cas, la question bée dans un vide abyssal et vibre d’effarement ; ses bourreaux et les railleurs ne savent pas ce qu’ils font car ils ignorent qui il est, et lui, l’innocent supplicié qui a toujours su ce qu’il faisait, au nom de qui il œuvrait, ne sait plus rien. Sa solitude est radicale, il appelle un absent, il meurt en orphelin, méconnu de tous, oublié de Dieu, inconnu à lui-même ».
Si vous souhaitez aller plus loin dans la lecture et la compréhension de la Bible, nous vous recommandons la lecture des livres de la collection « mon ABC de la Bible » publiée par les éditions du Cerf. Vous y trouverez entre autres des analyses très claires, par des spécialistes en théologie, des différents évangiles, ainsi que des Actes des Apôtres.
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