Pourquoi utilise-t-on le pronom "on" pour "nous" ?
LANGUES ET LITTÉRATURES
+ DE 2 ANS
Le 18/03/2018 à 22h30
994 vues
Question d'origine :
Bonjour,
Nous aurions aimé savoir : quelle est la différence entre "on" et nous ?
Et on aurait aussi aimé savoir : depuis quand et pourquoi utilise-t-on souvent l'un pour l'autre ?
Merci !
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 21/03/2018 à 10h16
Réponse du Département Langues et Littératures :
Bonjour,
voici quelques pistes pour mieux comprendre le pronom on et ses multiples usages.
Etymologie
Si l’on s’interroge sur ce pronom indéfini qu’est on, il semblerait que celui-ci soit tout simplement né avec la langue française.
En effet, l’ensemble des dictionnaires étymologiques replacent sa 1e apparition en 842, dans Les Serments de Strasbourg. Traité d’alliance militaire co-signé par Charles le Chauve et Louis le Germanique contre leur frère Lothaire Ier, ce texte est considéré comme « l’acte de naissance de la langue française » car il est le 1er document officiel à avoir été rédigé en langue vulgaire, c’est-à-dire dans la langue parlée par le peuple, plutôt qu’en latin comme cela était jusqu’alors le cas.
« Pro Deo amur et pro Christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cumom per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit. »
« Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, commeon doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles. »
On qui s’écrivait alors om semble ainsi avoir dès le début cette même fonction pronominale qu’on lui confère encore aujourd’hui.
Si l’on se penche sur ses origines, le Dictionnaire étymologique de la langue française d’Oscar Bloch et Walther von Wartburg nous précise que le pronom indéfini on découle du nom latin développé en position atone, désignant ici l’homme en général.
Le Littré va même plus loin précisant ainsi les origines de ce pronom : « du lat. homo, homme. Hom, om, on, est le nominatif du mot dont le régime est home. On comprend comment ce mot homme a pu devenir le substantif abstrait on. Dans l'ancien français on a dit souvent en pour on, par une tendance à changer la voyelle o en e. »
Les différents emplois de on
Si l’on se base sur les données du Trésor de la Langue Française on trouve déjà des usages de on en tant que nous dès le XVe siècle. Cependant à cette époque, si on est le sujet, alors le verbe sera conjugué à la 1e personne du pluriel.
Ex. : « On ne debvons pas grand amende » (Farce joyeuse des galans et du monde dans Recueil gén. des sotties, éd. E. Picot, écrit en 1445).
Au XVIIe siècle, selon le Dictionnaire du français classique de Dubois, Lagane et Lerond, un second usage du pronom on s’est développé. Il consistait à remplacer je afin d’éviter le moi haïssable. Il était ainsi de bon ton à la Cour de substituer dans certaines tournures de phrases le je par le on dans un souci de bienséance et de modestie (ex. : On vous en sera gré plutôt que Je vous en serai gré).
C’est visiblement à partir de ce siècle qu’on a également commencé à employer on avec un verbe conjugué à la 3e personne du pluriel, comme nous en informe le Littré.
Ex : « On n'a tous deux qu'un coeur qui sent mêmes traverses » (Corneille, Polyeucte, acte I, scène 3, écrit en 1642).
En ce qui concerne la langue française actuelle, on a désormais 5 valeurs distinctes, comme nous l’explique le Dictionnaire Bordas des pièges et difficultés de la langue française.
- On peut avoir une valeur d’indéfini.
Dans ce cas, on désigne n’importe qui / tout le monde / la doxa / un individu indéterminé.
Il s’agit alors d’un emploi usuel qui appartient au registre de langue courant.
Ex. : Quand on veut, on peut. Quand on arrive au croisement, on ralentit. On sonne à la porte.
- On peut signifier je.
Reliquat de l’usage qui existait au XVIIe siècle, nous parlerons dans ce cas du on de modestie. Cet emploi est désormais réservé à la langue écrite et correspondra à un registre de langue soutenu.
Ex. : Avec ce roman, on a voulu aider à libérer la parole sur ce sujet difficile.
- On peut signifier nous.
Il s’agit là d’un emploi caractéristique de la langue populaire appartenant au registre familier. Dans un cadre plus formel, il conviendra donc de remplacer on par nous.
Ex. : On va boire un verre ? Ce week-end on est partis à la campagne.
- On peut signifier il/elle/ils/elles.
Cet usage-là sera réservé à l’oral car il appartient au registre de langue familier.
Ex. : On a été sympa avec toi ?
- On peut signifier tu/vous.
Là encore il s’agit d’un usage réservé à l’oral et appartenant au registre familier.
Ex. : Alors, on est fiers d’avoir cassé un carreau les enfants ?
Attention ! Comme le précise Pascal–Raphaël Ambrogi dans Particularités et finesses de la langue française, lorsque il est utilisé pour désigner nous, vous, ils ou elles, il faut bien penser à accorder le participe qui suit en genre et en nombre.
Ex. : On est allés au cinéma tous les deux. On est parties à Londres entre amies.
Distinction actuelle entre on et nous
Pour en revenir à la distinction entre on et nous dans la langue actuelle, il est vrai que la substitution de nous par on, bien que toujours réservée à l’oral (hormis peut-être dans le contexte particulier du mail ou du SMS), est pleinement passée dans la langue courante.
Alors, quelle distinction peut-il encore exister entre ces deux pronoms ?
Dans Grammaire structurale du français : nom et pronom, Jean Dubois explique que les pronoms je, tu, il, elle, nous, vous, etc. sont des référents personnels qui impliquent l’existence d’un rapport entre les interlocuteurs, alors qu’avec on s’en suit tout un processus d’anonymisation et de distanciation. Ce phénomène que l’on appelle syncrétisme serait d’une certaine manière l’enjeu majeur du passage du nous au on puisqu’il permet d’extirper le sujet de la diégèse. Ainsi, par l’usage de on le locuteur a le pouvoir de s’exclure de la narration, et par là, peut-être, de ne pas avoir à assumer le contenu ou les conséquences du message.
Pour aller plus loin sur ce sujet :
- Dictionnaire étymologique Larousse
- Grammaire méthodique du français de Riegel, Pellat et Rioul
- L’article Mais qui est « on » ? de Catherine Viollet, dans le numéro de la revue de linguistique LINX consacré à l’analyse grammaticale des corpus oraux.
Bonjour,
voici quelques pistes pour mieux comprendre le pronom on et ses multiples usages.
Si l’on s’interroge sur ce pronom indéfini qu’est on, il semblerait que celui-ci soit tout simplement né avec la langue française.
En effet, l’ensemble des dictionnaires étymologiques replacent sa 1e apparition en 842, dans Les Serments de Strasbourg. Traité d’alliance militaire co-signé par Charles le Chauve et Louis le Germanique contre leur frère Lothaire Ier, ce texte est considéré comme « l’acte de naissance de la langue française » car il est le 1er document officiel à avoir été rédigé en langue vulgaire, c’est-à-dire dans la langue parlée par le peuple, plutôt qu’en latin comme cela était jusqu’alors le cas.
« Pro Deo amur et pro Christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum
« Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme
On qui s’écrivait alors om semble ainsi avoir dès le début cette même fonction pronominale qu’on lui confère encore aujourd’hui.
Si l’on se penche sur ses origines, le Dictionnaire étymologique de la langue française d’Oscar Bloch et Walther von Wartburg nous précise que le pronom indéfini on découle du nom latin développé en position atone, désignant ici l’homme en général.
Le Littré va même plus loin précisant ainsi les origines de ce pronom : « du lat. homo, homme. Hom, om, on, est le nominatif du mot dont le régime est home. On comprend comment ce mot homme a pu devenir le substantif abstrait on. Dans l'ancien français on a dit souvent en pour on, par une tendance à changer la voyelle o en e. »
Si l’on se base sur les données du Trésor de la Langue Française on trouve déjà des usages de on en tant que nous dès le XVe siècle. Cependant à cette époque, si on est le sujet, alors le verbe sera conjugué à la 1e personne du pluriel.
Ex. : « On ne debvons pas grand amende » (Farce joyeuse des galans et du monde dans Recueil gén. des sotties, éd. E. Picot, écrit en 1445).
Au XVIIe siècle, selon le Dictionnaire du français classique de Dubois, Lagane et Lerond, un second usage du pronom on s’est développé. Il consistait à remplacer je afin d’éviter le moi haïssable. Il était ainsi de bon ton à la Cour de substituer dans certaines tournures de phrases le je par le on dans un souci de bienséance et de modestie (ex. : On vous en sera gré plutôt que Je vous en serai gré).
C’est visiblement à partir de ce siècle qu’on a également commencé à employer on avec un verbe conjugué à la 3e personne du pluriel, comme nous en informe le Littré.
Ex : « On n'a tous deux qu'un coeur qui sent mêmes traverses » (Corneille, Polyeucte, acte I, scène 3, écrit en 1642).
En ce qui concerne la langue française actuelle, on a désormais 5 valeurs distinctes, comme nous l’explique le Dictionnaire Bordas des pièges et difficultés de la langue française.
- On peut avoir une valeur d’indéfini.
Dans ce cas, on désigne n’importe qui / tout le monde / la doxa / un individu indéterminé.
Il s’agit alors d’un emploi usuel qui appartient au registre de langue courant.
Ex. : Quand on veut, on peut. Quand on arrive au croisement, on ralentit. On sonne à la porte.
- On peut signifier je.
Reliquat de l’usage qui existait au XVIIe siècle, nous parlerons dans ce cas du on de modestie. Cet emploi est désormais réservé à la langue écrite et correspondra à un registre de langue soutenu.
Ex. : Avec ce roman, on a voulu aider à libérer la parole sur ce sujet difficile.
- On peut signifier nous.
Il s’agit là d’un emploi caractéristique de la langue populaire appartenant au registre familier. Dans un cadre plus formel, il conviendra donc de remplacer on par nous.
Ex. : On va boire un verre ? Ce week-end on est partis à la campagne.
- On peut signifier il/elle/ils/elles.
Cet usage-là sera réservé à l’oral car il appartient au registre de langue familier.
Ex. : On a été sympa avec toi ?
- On peut signifier tu/vous.
Là encore il s’agit d’un usage réservé à l’oral et appartenant au registre familier.
Ex. : Alors, on est fiers d’avoir cassé un carreau les enfants ?
Attention ! Comme le précise Pascal–Raphaël Ambrogi dans Particularités et finesses de la langue française, lorsque il est utilisé pour désigner nous, vous, ils ou elles, il faut bien penser à accorder le participe qui suit en genre et en nombre.
Ex. : On est allés au cinéma tous les deux. On est parties à Londres entre amies.
Pour en revenir à la distinction entre on et nous dans la langue actuelle, il est vrai que la substitution de nous par on, bien que toujours réservée à l’oral (hormis peut-être dans le contexte particulier du mail ou du SMS), est pleinement passée dans la langue courante.
Alors, quelle distinction peut-il encore exister entre ces deux pronoms ?
Dans Grammaire structurale du français : nom et pronom, Jean Dubois explique que les pronoms je, tu, il, elle, nous, vous, etc. sont des référents personnels qui impliquent l’existence d’un rapport entre les interlocuteurs, alors qu’avec on s’en suit tout un processus d’anonymisation et de distanciation. Ce phénomène que l’on appelle syncrétisme serait d’une certaine manière l’enjeu majeur du passage du nous au on puisqu’il permet d’extirper le sujet de la diégèse. Ainsi, par l’usage de on le locuteur a le pouvoir de s’exclure de la narration, et par là, peut-être, de ne pas avoir à assumer le contenu ou les conséquences du message.
- Dictionnaire étymologique Larousse
- Grammaire méthodique du français de Riegel, Pellat et Rioul
- L’article Mais qui est « on » ? de Catherine Viollet, dans le numéro de la revue de linguistique LINX consacré à l’analyse grammaticale des corpus oraux.
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