Question d'origine :
Est-ce qu'on a pu établir s'il y avait des liens entre envies alimentaires et besoins physiologiques.
Je pense à des envies spécifiques dans le cas d'une personne normalement nourrie, donc hors de cas de sous-nutrition caractérisée, où le lien entre envie et besoin est évident.
Est-ce qu'une envie de fraise peut pointer sur un déficit du corps pour un nutriment que la fraise fournirait ?
Si oui, par quelle méthodologie, quel processus expérimental y est-on parvenu ?
Cordialement.
Dominique
Réponse du Guichet
bml_san
- Département : Médiathèque du Bachut Santé
Le 14/03/2018 à 14h46
Bonjour,
D’après nos lectures et nos recherches dans la littérature scientifique disponible, nos envies d’aliments, nos fringales de sucré, de salé, de fruits, de légumes ou autres ne sont pas reliés à des carences détectées par le corps. Votre corps peut effectivement envoyer des signaux de carences, comme celui d’avoir la peau très sèche qui peut être un signe de carence en vitamine A, ou celui d’avoir les cheveux ternes et fatigués qui peut signaler un manque de fer et de protéines. Mais si vous vous goinfrez de fraises, vous activez plusieurs mécanismes qui vont vous mener à satisfaire votre système de récompense. Les mécanismes sensoriels de la dégustation, comme le goût, l’odorat, l’image qu’on s’en fait, l’association avec un moment de plaisir, à l’été, à la légèreté des vacances, à de bons souvenirs, vont vous mener à aimer les fraises et à avoir du plaisir à les manger. Et pas à combler une carence éventuelle. Notre corps est programmé à satisfaire ses besoins, mais ses besoins sont dévoyés par l’abondance et les tromperies chimiques des produits industriels. D’un temps où nous étions en manque de gras et de sucré, nous passons à un temps de surabondance et de propositions alléchantes qui engendrent des problèmes de santé.
D’autre part, il est difficile d’affirmer que le cerveau et les capteurs sensoriels du goût sont directement reliés à des carences, sinon les bonbons et autres produits chimiques non nécessaires à notre survie ne se vendraient plus ! Le cerveau, le contexte social, l’apprentissage, le conditionnement, font que les goûts diffèrent d’une personne à l’autre. Avec son livre l’antirégime, maigrir pour de bon de Michel Desmurget, chercheur en neurosciences, explique comment déconditionner notre cerveau à l’appétence de certains aliments. L’envie alimentaire est plus conditionnée que nécessaire. Après, il est vrai que le cerveau reçoit certainement certaines informations des capteurs de notre corps concernant des carences alimentaires et peut nous orienter à consommer certains aliments. Des expériences faites sur des rats montrent que ces derniers peuvent préférer, par exemple, absorber de l’eau contenant de la vitamine au lieu de celles n’en contenant pas. Mais cela résulte d’une certaine temporalité, quand le rat s’est aperçu que cette eau avait un effet bénéfique. C’est donc le résultat d’un apprentissage. Cependant, la complexité du cerveau est telle que les recherches en cours n’ont pas encore finit d’en décrypter tous les mécanismes.
Nous vous proposons de lire un extrait de la thèse suivante :
Le processus de choix alimentaire et ses déterminants : vers une prise en compte des caractéristiques psychologiques du consommateur, une thèse de 2006 de François Lenglet
Une « sagesse du corps » ?
Une autre question récurrente à propos des déterminants biologiques de la consommation alimentaire concerne l’existence hypothétique d’une aptitude humaine à optimiser les choix nutritionnels dans une situation donnée : « nous trouvons très généralement « bon » ce qui est bon pour notre équilibre nutritionnel, « mauvais » ce qui nous est nuisible. Il y a, bien entendu, d’énormes exceptions à cette généralité, par exemple le goût abusif pour l’alcool ». (Le Magnen, 1992).
Cette idée s’appuie sur les travaux déjà anciens de Davis (1939) qui a étudié les choix alimentaires spontanés de très jeunes enfants au sevrage (6 à 11 mois) en milieu hospitalier (où tous les choix alimentaires sont observables, contrairement aux études réalisées en crèche où seul le repas du midi, et éventuellement le goûter sont contrôlés). Ces enfants étaient libres de choisir les aliments qu’ils souhaitaient parmi un assortiment : les résultats montrent une grande variété des choix effectués, et selon Davis, une capacité innée à couvrir les besoins énergétiques et les besoins nutritionnels. Chez des enfants plus âgés (26 à 62 mois), la capacité à réguler spontanément d’un jour à l’autre les apports énergétiques semble confirmée (Birch
et al., 1991). Chez le rat soumis à un régime de choix libre, la croissance se révèle même plus rapide que celle de rats témoins soumis à un régime équilibré établi par des nutritionnistes (Richter et al., 1938). En réalité, la validité de ces résultats pourtant encore régulièrement cités (e.g. : Boggio, 1992) serait entachée d’un problème de méthode : les enfants de Davis ou les rats de Richter ne se voyaient pas proposer d’aliments sans valeur nutritionnelle, voire toxiques, et il n’était donc guère possible d’opérer de mauvais choix nutritionnels. Ainsi, les résultats de Richter n’ont jamais pu être répliqués (Galef, 1988). Tout récemment, Louis-Sylvestre (2004) avance que « tel qui a un besoin de fer consommera avec plaisir une grosse portion de haricots verts et tel autre préférera une tranche de foie » mais observe que l’existence même d’un certain nombre de pathologies nutritionnelles prouve que la couverture des besoins n’est pas toujours adéquate.
Chez l’homme comme chez l’animal de laboratoire, certains attributs sensoriels des aliments pourraient ainsi prédire la présence de nutriments, ou tout au moins les conséquences nutritionnelles de leur ingestion. La condition de base serait un apprentissage préalable (association de certaines caractéristiques sensorielles à des conséquences postingestives précises). Les nutriments stimuleraient également des récepteurs spécifiques localisés sur les parois du tractus gastro-intestinal permettant d’orienter les choix alimentaires en fonction de la nature des aliments déjà ingérés. Toutefois, les travaux en ce domaine paraissent insuffisants (Thibault, 2004). En l’état actuel des connaissances, l’aptitude individuelle biologique ou physiologique à opérer les bons choix nutritionnels semble pour le moins limitée.
De même, il existerait un certain nombre de médiateurs physiologiques susceptibles de modifier les goûts : Dippel et Elias (1980) corrèlent une forte imprégnation progestéronique à une réduction de la préférence pour les stimuli très sucrés. Ces résultats sont également très controversés et, là encore, il semble exister un déficit de recherche en ce domaine des sciences des aliments (Fantino, 1992).
Il apparaît donc, d’une part que les facteurs physiologiques à l’origine des différences de perception n’ont pas un effet direct puissant et évident sur les appréciations, et d’autre part que les facteurs biologiques interviennent également de manière modeste ou discutable à ce niveau. En conséquence, une autre approche doit être envisagée : les préférences et choix alimentaires résulteraient alors davantage de processus d’apprentissage, lesquels prennent mieux en compte la nature affective du goût.
Un autre document très intéressant : Le cerveau gourmand d’andré Holley, professeur de neurosciences, dont vous pouvez parcourir des extraits sur google book, explique comment fonctionne notre perception du goût, ce qui nous amène à préférer certains aliments, pourquoi nous sommes attirés par les produits industriels. Une très intéressante lecture mais qui abordait peu votre question. Voici un extrait du chapitre : "quand les carences orientent les préférences" :
Le premier exemple connu de préférence induite à la suite d'une carence a fait l'objet de nombreuses études depuis sa découverte par le physiologiste Richter dans les années 1930. Il s'agit de la préférence sélective innée pour le sel, ou natriophilie, manifestée par les animaux qui sont privés de chlorure de sodium. La natriophilie a pour agent deux hormones, l'aldostérone et l'angiotensine II. Richter avait observé que des rats ayant subi l'ablation des glandes surrénales (productrices de l'aldostérone) étaient victimes d'une fuite importante de sodium dans l'urine et mouraient en quelques jours. Ils survivaient s'ils avaient accès à des sources de sel pour lequel ils montraient alors un appétit très accru.
Alors que la préférence pour le chlorure de sodium se présente comme une réponse innée à la privation de sel, parce qu'elle ne suppose aucun apprentissage préalable, un autre exemple de préférence, connu de longue date, fait bien intervenir un apprentissage : il s'agit de la 'appétit spécifique pour une vitamine de la classe des vitamines B, la thiamine. Chez les rats carencés par un régime sans vitamine, la préférence apparaît lorsqu'on leur donne le choix entre deux boissons, l'une contenant la vitamine et l'autre non. Les rats choisissent la boisson enrichie en thiamine sur la base des effets bénéfiques de sa consommation sur leur organisme. Il s'agit bien d'un apprentissage puisque les animaux ne peuvent pas détecter la vitamine elle-même ; il la repèrent par le goût de la boisson qui la contient et le goût est progressivement associé aux effets positifs de la vitamine retrouvée. Toutefois, il reste possible que les rats fassent le choix de la boisson vitaminée par défaut, en formant une aversion pour la nourriture carencée. En réalité, il semble bien que les deux mécanismes, évitement des nourritures carencées et préférence active pour la nourriture vitaminée, agissent de concert. Il en va de même pour les carences en certains acides aminés essentiels - ceux que l'organisme ne synthétise pas et qui doivent être trouvés dans la nourriture enrichie en acide aminé est attesté.
Pour aller plus loin, vous pouvez réécouter une conférence d’ André Holley sur le cerveau gourmand.
Cordialement,
L’équipe Cap’Culture Santé.
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