communauté religieuse
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 20/02/2018 à 08h06
2872 vues
Question d'origine :
Bonjour,
Je souhaiterais savoir quand les dernières religieuses hospitalières ont définitivement quitté leur travail de soignantes aux hôpitaux de la Pitié-Salpêtrière. D'autre part, y avait-il plusieurs communautés (Augustines, Saint Charles ...?).
Merci et meilleures salutations.
Interessus
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 21/02/2018 à 10h27
Bonjour,
Commençons par une remise en contexte de la laïcisation des hôpitaux entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle :
« Dès le Second Empire, presque tous les hôpitaux et hospices urbains disposaient de sœurs qui assuraient, pour l’essentiel, les fonctions de surveillance, l’économat, etc., les pansements, les tâches ménagères étant plutôt assurés par un personnel laïque, fruste, inculte, sous-payé. D’après les enquêtes de 1861 et 1869, « moins de quatre-vingts petits centres hospitaliers, situés de plus dans des petites villes, voire dans des bourgades, sont encore dotés d’un personnel d’encadrement laïc ». De nombreux reproches étaient adressés à ces surveillantes congréganistes : elles outrepassaient les ordres des médecins et, ne voulant en faire qu’à leur tête en matière de pharmacopée, commettaient des erreurs ; elles pensaient plus à l’âme qu’au corps des malades ; leur costume trop long, leurs coiffures étranges, étaient gênants et anti-hygiéniques. La lutte fut entamée au sein du conseil municipal de Paris, où siégea de 1876 à 1883, le Dr Bourneville (1840-1909), médecin-aliéniste des hôpitaux de Paris, libre penseur engagé, dont le rôle primordial dans de nombreux domaines médicaux et sociaux commence seulement à être étudié ; partisan déterminé de la laïcisation des établissements de l’Assistance Publique, il déploya beaucoup d’énergie pour remplacer les congréganistes par un personnel laïque. La création d’écoles d’infirmières à l’intérieur de quatre hôpitaux parisiens (Bicêtre,La Salpêtrière – 1878 –, La Pitié – 1881 – , Lariboisière – 1895 –) permit d’y parvenir. En dix ans, de 1878 à 1888, dix-sept hôpitaux furent laïcisés. La laïcisation était achevée à Paris en 1908 .
Source : Expulser Dieu : la laïcisation des écoles, des hôpitaux et des prétoires, Jacqueline Lalouette, Mots. Les langages du politique, Année 1991 27 pp. 23-39
Des sœurs de Sainte-Marthe officiaient dans plusieurs hôpitaux parisiens, dont la Pitié-Salpêtrière, jusqu’à la laïcisation de l’hôpital. Certaines d’entre elles sont restées, soit admises comme reposantes, soit en renonçant à la vie religieuse et en conservant leur poste sous leur identité civile :
« À partir de 1878, la laïcisation des espaces et du personnel des hôpitaux parisiens portée par le Dr Bourneville remet en cause la présence des sœurs. Malgré les vives oppositions qu’elle suscite, cette mutation est presque intégralement achevée en trente ans, les religieuses étant remplacées par des infirmières et des surveillantes formées par l’Administration. Les sœurs, n’ont, en tant que membres d’une communauté religieuse, plus le droit de rester dans l’établissement. L’absence de vœux chez les Sœurs de Sainte-Marthe, signifiant qu’elles peuvent quitter la congrégation à tout moment, interroge particulièrement l’entre-soi de ces femmes engagées dans une vie consacrée et dans des tâches hospitalières, dans une communauté qui connaît pourtant un essoufflement à cette époque et ne recrute plus assez. En suivant les trajectoires des sœurs de la communauté, il est possible d’éclairer les choix effectués par quelques Sœurs de Sainte-Marthe officiant dansles hôpitaux de la Pitié et Saint-Antoine, laïcisés en 1880 et 1881 .
L’éviction des sœurs des hôpitaux remet en cause leur entre-soi au sein des établissements, les privant par exemple d’un bâtiment commun qui était jusque-là leur cadre de vie ; cependant elles ne sont pas privées de tout droit : en vertu et en fonction de la durée de leur service, l’administration doit leur fournir un logement et le statut de reposante. Ce dernier ne concerne cependant pas toute la communauté et cette distinction est vécue douloureusement par la congrégation. Lors de la laïcisation de l’hôpital de la Pitié en 1880, dans sa lettre à l’Administration de l’Assistance Publique, la supérieure demande :
« Le logement qui nous est affecté à l’hôpital Saint-Antoine ne nous permettant pas de recevoir toutes celles de nos sœurs que la situation nouvelle va rappeler à la maison mère, je me permettrai de demander à l’Administration d’accorder à quelques-unes d’entre elles leur repos à la Salpêtrière dans des conditions qui leur rendent moins pénible la séparation à laquelle nous sommes obligées de les astreindre, en leur accordant un petit bâtiment ou une portion de bâtiment où elles puissent vivre en commun avec toutes les atténuations au régime intérieur que pourrait permettre le règlement ».
La supérieure cherche donc à ménager et à préserver un entre-soi des sœurs de la même congrégation, dans un autre lieu que celui qui leur était jusque-là réservé. Certaines des sœurs rejoignent alors l’hôpital Saint-Antoine, maison mère de la communauté et abritant la majorité d’entre elles – encore 34 en 1874. L’étude de la laïcisation de ce dernier hôpital est particulièrement éclairante quant aux trajectoires des sœurs de la communauté alors en déclin. Certaines – quatorze d’entre elles – touchent une retraite en argent de l’administration,d’autres sont admises comme reposantes à la Salpêtrière , quelques sœurs quittent l’ordre – la sœur Émilienne, âgée de 47 ans, est « sortie de la communauté et de l’hôpital » – et rentrent dans leur famille ou partent dans d’autres ordres religieux. Vingt-et-une décident de se retirer dans une maison à Magny-les Hameaux, près de l’ancienne abbaye de Port-Royal, où elles continuent à vivre au sein d’une communauté religieuse. Les registres du personnel des hôpitaux nous apprennent que trois sœurs de la Pitié restent à l’hôpital, sous une identité civile . De sœurs, elles deviennent surveillantes et sous-surveillantes, comme le confirme l’arrêté du directeur de l’Assistance publique qui entre en vigueur le 1er octobre 1880[…].
Comme le souligne Cécile Gazier, il s’agit dans le dernier cas de jeunes sœurs, pour certaines entrées récemment dans la communauté et l’hôpital : Adèle Defer a 33 ans, Elisa Nemskern 39 ans, toutes deux sont entrées à la Pitié en 1875 ; Camille Louise Stoffel a 32 ans et est entrée en 1867 chez les Sœurs de Sainte-Marthe, alors que le recrutement ralentit dans la seconde moitié du siècle. Revenues à la vie laïque, femmes célibataires, « mademoiselle », les sœurs gardent exactement le même poste tout en perdant leur identité religieuse. Pour la sœur Éloi, entrée à 16 ans en service hospitalier à Beaujon puis ayant successivement occupé différents emplois à la Pitié et Saint-Antoine, le registre est explicite : « a quitté l’ordre de ste marthe et a été nommée S surveillante à S A », soit sous-surveillante à l’hôpital Saint-Antoine. Pour ces sœurs, la continuité du travail de surveillance et de soin prime sur l’entre-soi et la vocation religieuse. La poursuite d’une activité professionnelle et le maintien d’une vie au sein de l’hôpital en abandonnant la vie en communauté ont été privilégiés. L’héritage religieux des hôpitaux, maintes fois cité dans l’identité de la profession d’infirmière ou de surveillante, se traduit ici très concrètement par le maintien d’anciennes sœurs au sein de l’hôpital et questionne la rupture en terme de personnel voulue par les défenseurs de la laïcisation. En retour, ces trajectoires interrogent la vocation apostolique de ces femmes : l’action dans la société prend en effet le pas sur la dimension religieuse de l’engagement. Si cette rupture est facilitée par le statut propre de la communauté, elle s’inscrit aussi dans une histoire puisque tout au long du siècle des sœurs ont quitté l’ordre, ce qui se produit d’ailleurs dans tous les ordres et congrégations. Cependant, le cas des Sœurs de Sainte-Marthe diffère de celui d’autres congrégations, car elles ne disposent pas, comme les Filles de la Charité ou les Augustines, d’autres établissements à Paris ou en France où elles peuvent être redéployées et poursuivre leur service hospitalier dans un cadre religieux. L’alternative est donc pour ces sœurs bien plus radicale : la laïcisation apparaît comme un moment du choix entre vie communautaire religieuse et poursuite d’une activité hospitalière. Elle pose la question, de l’importance, non seulement des sociabilités, mais de la force du lien et de la contrainte religieuse pour maintenir l’entre-soi des sœurs, lorsque cette vie communautaire et apostolique est remise en cause et que les deux ne peuvent se maintenir ensemble. »
Source : Pratiques de l’espace hospitalier par les religieuses au XIXe siècle dans les hôpitaux parisiens : préserver un entre-soi religieux et féminin ?, Anne Jusseaume, Genre & Histoire, 17 | Printemps 2016
Bonne journée.
Commençons par une remise en contexte de la laïcisation des hôpitaux entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle :
« Dès le Second Empire, presque tous les hôpitaux et hospices urbains disposaient de sœurs qui assuraient, pour l’essentiel, les fonctions de surveillance, l’économat, etc., les pansements, les tâches ménagères étant plutôt assurés par un personnel laïque, fruste, inculte, sous-payé. D’après les enquêtes de 1861 et 1869, « moins de quatre-vingts petits centres hospitaliers, situés de plus dans des petites villes, voire dans des bourgades, sont encore dotés d’un personnel d’encadrement laïc ». De nombreux reproches étaient adressés à ces surveillantes congréganistes : elles outrepassaient les ordres des médecins et, ne voulant en faire qu’à leur tête en matière de pharmacopée, commettaient des erreurs ; elles pensaient plus à l’âme qu’au corps des malades ; leur costume trop long, leurs coiffures étranges, étaient gênants et anti-hygiéniques. La lutte fut entamée au sein du conseil municipal de Paris, où siégea de 1876 à 1883, le Dr Bourneville (1840-1909), médecin-aliéniste des hôpitaux de Paris, libre penseur engagé, dont le rôle primordial dans de nombreux domaines médicaux et sociaux commence seulement à être étudié ; partisan déterminé de la laïcisation des établissements de l’Assistance Publique, il déploya beaucoup d’énergie pour remplacer les congréganistes par un personnel laïque. La création d’écoles d’infirmières à l’intérieur de quatre hôpitaux parisiens (Bicêtre,
Source : Expulser Dieu : la laïcisation des écoles, des hôpitaux et des prétoires, Jacqueline Lalouette, Mots. Les langages du politique, Année 1991 27 pp. 23-39
Des sœurs de Sainte-Marthe officiaient dans plusieurs hôpitaux parisiens, dont la Pitié-Salpêtrière, jusqu’à la laïcisation de l’hôpital. Certaines d’entre elles sont restées, soit admises comme reposantes, soit en renonçant à la vie religieuse et en conservant leur poste sous leur identité civile :
« À partir de 1878, la laïcisation des espaces et du personnel des hôpitaux parisiens portée par le Dr Bourneville remet en cause la présence des sœurs. Malgré les vives oppositions qu’elle suscite, cette mutation est presque intégralement achevée en trente ans, les religieuses étant remplacées par des infirmières et des surveillantes formées par l’Administration. Les sœurs, n’ont, en tant que membres d’une communauté religieuse, plus le droit de rester dans l’établissement. L’absence de vœux chez les Sœurs de Sainte-Marthe, signifiant qu’elles peuvent quitter la congrégation à tout moment, interroge particulièrement l’entre-soi de ces femmes engagées dans une vie consacrée et dans des tâches hospitalières, dans une communauté qui connaît pourtant un essoufflement à cette époque et ne recrute plus assez. En suivant les trajectoires des sœurs de la communauté, il est possible d’éclairer les choix effectués par quelques Sœurs de Sainte-Marthe officiant dans
L’éviction des sœurs des hôpitaux remet en cause leur entre-soi au sein des établissements, les privant par exemple d’un bâtiment commun qui était jusque-là leur cadre de vie ; cependant elles ne sont pas privées de tout droit : en vertu et en fonction de la durée de leur service, l’administration doit leur fournir un logement et le statut de reposante. Ce dernier ne concerne cependant pas toute la communauté et cette distinction est vécue douloureusement par la congrégation. Lors de la laïcisation de l’hôpital de la Pitié en 1880, dans sa lettre à l’Administration de l’Assistance Publique, la supérieure demande :
« Le logement qui nous est affecté à l’hôpital Saint-Antoine ne nous permettant pas de recevoir toutes celles de nos sœurs que la situation nouvelle va rappeler à la maison mère, je me permettrai de demander à l’Administration d’accorder à quelques-unes d’entre elles leur repos à la Salpêtrière dans des conditions qui leur rendent moins pénible la séparation à laquelle nous sommes obligées de les astreindre, en leur accordant un petit bâtiment ou une portion de bâtiment où elles puissent vivre en commun avec toutes les atténuations au régime intérieur que pourrait permettre le règlement ».
La supérieure cherche donc à ménager et à préserver un entre-soi des sœurs de la même congrégation, dans un autre lieu que celui qui leur était jusque-là réservé. Certaines des sœurs rejoignent alors l’hôpital Saint-Antoine, maison mère de la communauté et abritant la majorité d’entre elles – encore 34 en 1874. L’étude de la laïcisation de ce dernier hôpital est particulièrement éclairante quant aux trajectoires des sœurs de la communauté alors en déclin. Certaines – quatorze d’entre elles – touchent une retraite en argent de l’administration,
Comme le souligne Cécile Gazier, il s’agit dans le dernier cas de jeunes sœurs, pour certaines entrées récemment dans la communauté et l’hôpital : Adèle Defer a 33 ans, Elisa Nemskern 39 ans, toutes deux sont entrées à la Pitié en 1875 ; Camille Louise Stoffel a 32 ans et est entrée en 1867 chez les Sœurs de Sainte-Marthe, alors que le recrutement ralentit dans la seconde moitié du siècle. Revenues à la vie laïque, femmes célibataires, « mademoiselle », les sœurs gardent exactement le même poste tout en perdant leur identité religieuse. Pour la sœur Éloi, entrée à 16 ans en service hospitalier à Beaujon puis ayant successivement occupé différents emplois à la Pitié et Saint-Antoine, le registre est explicite : « a quitté l’ordre de ste marthe et a été nommée S surveillante à S A », soit sous-surveillante à l’hôpital Saint-Antoine. Pour ces sœurs, la continuité du travail de surveillance et de soin prime sur l’entre-soi et la vocation religieuse. La poursuite d’une activité professionnelle et le maintien d’une vie au sein de l’hôpital en abandonnant la vie en communauté ont été privilégiés. L’héritage religieux des hôpitaux, maintes fois cité dans l’identité de la profession d’infirmière ou de surveillante, se traduit ici très concrètement par le maintien d’anciennes sœurs au sein de l’hôpital et questionne la rupture en terme de personnel voulue par les défenseurs de la laïcisation. En retour, ces trajectoires interrogent la vocation apostolique de ces femmes : l’action dans la société prend en effet le pas sur la dimension religieuse de l’engagement. Si cette rupture est facilitée par le statut propre de la communauté, elle s’inscrit aussi dans une histoire puisque tout au long du siècle des sœurs ont quitté l’ordre, ce qui se produit d’ailleurs dans tous les ordres et congrégations. Cependant, le cas des Sœurs de Sainte-Marthe diffère de celui d’autres congrégations, car elles ne disposent pas, comme les Filles de la Charité ou les Augustines, d’autres établissements à Paris ou en France où elles peuvent être redéployées et poursuivre leur service hospitalier dans un cadre religieux. L’alternative est donc pour ces sœurs bien plus radicale : la laïcisation apparaît comme un moment du choix entre vie communautaire religieuse et poursuite d’une activité hospitalière. Elle pose la question, de l’importance, non seulement des sociabilités, mais de la force du lien et de la contrainte religieuse pour maintenir l’entre-soi des sœurs, lorsque cette vie communautaire et apostolique est remise en cause et que les deux ne peuvent se maintenir ensemble. »
Source : Pratiques de l’espace hospitalier par les religieuses au XIXe siècle dans les hôpitaux parisiens : préserver un entre-soi religieux et féminin ?, Anne Jusseaume, Genre & Histoire, 17 | Printemps 2016
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter