Sécurité sur les routes de france au XII et XVIIII e siècle
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 26/01/2018 à 10h20
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Question d'origine :
Cher guichet,
Les routes françaises étaient-elles sûres à cette époque ? Moyens de transport utilisés par les marchands ?
Salutations .
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 27/01/2018 à 14h01
Bonjour,
Nous supposons que votre question porte sur la période du XVIIe au XVIIIe siècle. Nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage de Daniel Roche, Les circulations dans l'Europe moderne : XVIIe-XVIIIe siècle, dont voici quelques extraits :
« Obstacles et dangers de la route sont un topos des récits. Entre le XVIe et le début du XIXe siècle, deux traits fondamentaux freinent et accélèrent la circulation. Le premier relève du fait que le système de transport dépend des seules formes de l’énergie naturelle : la force humaine et animale, celle du vent et de l’eau. Ce sont des moteurs médiocres : celui de l’homme ne développe que trois à quatre centièmes de cheval-vapeur, mécanique ; celui du cheval, dix à quinze fois plus ; l’eau et le vent sont surtout plus faibles et plus irréguliers. Ces derniers coûtent moins cher, et transportent des volumes plus importants. Le cheval bat l’homme en efficacité : il faut sept hommes pour effectuer le travail d’un seul équidé. Le coût de l’homme est faible, mais il ne va pas loin et pas très vite ; aussi le relais a-t-il depuis longtemps été assuré par les animaux et les aides naturelles améliorées. Le coût des transports est inégal tant pour les hommes que pour les choses, et Jean-Baptiste Say calcule encore qu’un transport de dix lieues par terre est plus cher que celui de mille lieues par mer. […]
L’aube de nouvelles mobilités s’éclaire plus ou moins vivement du nord au sud de l’Europe, et de l’ouest à l’est, quand on passe de l’Europe des routes ferrées à celle des fondrières, des sablonnières. Les résultats obtenus sont à mettre au compte d’une action administrative intense, qui transforme et unifie la mosaïque des tracés irréguliers. L’effort suppose partout une impulsion qui utilise également les recherches scientifiques et techniques. Il y a un lien très fort entre la couverture cartographique – en France, elle commence en 1751 avec Cassini et ses arpenteurs, pour s’achever à la Révolution – et la levée de multiples routiers, cartes et plans d’itinéraires et de villes, le rôle de diffusion des guides et des indicateurs, et la conquête de l’espace et du temps. L’Ecole des Ponts et Chaussées, les ingénieurs du roi, les ingénieurs des Etats font œuvre collective d’aménagement, instruments d’une politique générale qui se négocie dans sa réalité sur le plan local. Turgot, parmi d’autres intendants de province, en donne l’exemple en Limousin.
La grande mutation des routes de France étonne les voyageurs. Leurs histoires divergentes se rapprochent à partir du XVIIe siècle ; alors, flux de circulation et flux des voyageurs enregistrent un développement restreint mais parallèle, avec le progrès du réseau au XVIIIe siècle. En 1627, L’Itinerarium Galliae de Zinzerling reconnaît déjà l’avance du royaume : « En France, les routes sont plus sûres que partout ailleurs […] parce que le port des armes à feu est interdit aux voyageurs […]. Les cavaliers de la maréchaussée défilent deux à deux. Il y a des coches publics qui partent de Paris pour différentes localités et reviennent dans la capitale. Partout on trouve des chevaux, excepté dans les endroits où des ordinaires [services réguliers] sont organisés, et ces ordinaires sont de deux sortes, les postes qui sont rapides et les relais qui sont plus lents. » Entre le XVIe et le premier tiers du XVIIe siècle, le changement et ses moyens se sont mis en place : route, sécurité, équipement. La cartographie et les guides fournissent à tous les utilisateurs les informations et, simultanément, les attentes. […]
Dès le XVIe sicèle, plus encore au XVIIe, se met en place une action répressive contre la mobilité de vagabondage, celle que l’ordonnance de 1701 définit comme la circulation de tous « ceux qui n’ont ni profession, ni métier, ni domicile certain, ni biens pour subsister, et qui ne sont avoués et ne peuvent faire certifier de leur bonne vie et mœurs par personne digne de foi », mais aussi contre les mouvements individuels, nécessaires, organisés par le travail, l’économie, les procès ou la culture. Police des étrangers, police des forains, police des pauvres se sont rencontrées. Dès le XVIe siècle, elles sont mêlées dans la menace de paupérisation et dans les réponses qu’elle suscite. L’ombre du grand renfermement est à l’œuvre dans cette lutte menée par les municipalités, les autorités royales, l’Eglise. Dès 1656, à Lyon, on assiste à la criminalisation du pauvre vagabond ; un peu partout, à la valorisation de la mise au travail dans les hôpitaux généraux, à la christianisation des catégories marginales. Le réseau des hôpitaux doit accueillir le même fretin de la mobilité vagabonde et les refoulés de la cité. L’ensemble législatif, sans doute après le contrecoup des années de misère, réorganise les données répressives en accentuant le rôle de la police et des maréchaussées. C’est l’œuvre de la grande ordonnance de 1724. Trois éléments nouveaux interviennent pour donner à l’idée du renfermement la force pratique qui lui a manqué.
L’ordonnance légifère pour tout le royaume, et pas seulement pour la généralité de Paris ou pour d’autres provinces, pour d’autres cités. Elle a portée générale. Les finances royales sont censées prendre à leur charge les dépenses liées à cette mise en œuvre ; qui ainsi ne dépend plus des conditions locales. Sur le papier enfin, elle crée un bureau général, quia peut-être Guillauté, où doivent être centralisés signalements et informations à travers le canal des lieutenants de police et des prévôts de la maréchaussée. Anthropométrie et formulaires sont ici à leur départ. L’intervention royale se situe dans une réflexion intellectuelle sur le paupérisme et sa correction, sur la nécessité de classer pour comprendre, de dénombrer pour mieux juger. Ainsi dans le texte de l’abbé de Saint-Pierre sur les mendiants, daté de 1724 également. Dans l’exemple des ateliers de force hollandais ou anglais, la volonté de trier pour récupérer la force de travail – et ainsi de distinguer les mobilités nécessaires acceptables de celles qui sont insupportables et condamnables – est patente. L’échec de cette législation n’est pas moins évident, et pour une double raison. L’application se heurte à une résistance culturelle et psychologique en arrêtant la clientèle des hôpitaux : ceux-ci ne pouvaient accueillir le gibier des prévôts ; la mendicité, sinon le vagabondage, n’apparaît pas encore à beaucoup comme une activité répréhensible. Toute une fraction de la société peut y tomber à l’occasion ou en permanence. Les hôpitaux n’enferment pas ; les cavaliers arrêtent, mais sans beaucoup de vigueur. L’application du texte échoue sur l’incapacité à établir une frontière claire entre professionnels de la pauvreté et occasionnels, coupables et victimes.
L’Etat a commencé à prendre en charge le problème, mais – c’est la seconde cause de l’échec – sans y mettre les moyens nécessaires, sans qu’une police adaptée en ait la capacité, sans que l’intendance suive. Pauvreté et vagabondage se cachent dans le flot des mobilités d’usage : il faut séparer, mais comment ? Car la liminalité des situations impose l’incertitude de regrouper anciens soldats, déserteurs, anciens clercs, anciens villageois, pèlerins, bohémiens. Alors la mobilité apparaît comme une enclave dans le temps comme dans l’espace, où se révèlent les failles, les fractures de la société traditionnelle, et où le déclassement temporaire ou non est une réponse à des ruptures de solidarité. La déclaration royale de 1724, on s’en doute, a été une étape, car elle sert de modèle dans son application locale aux exigences de contrôle et elle a apporté des enseignements à ceux qui tentent de penser simultanément mobilité et paupérisme. Les créateurs en 1764 des dépôts de mendicité s’en souviennent utilement en organisant un réseau d’institutions urbaines spécialisées – le chômage faisant le vagabondage –, en uniformisant l’action de l’autorité centrale sur la population mobile. Le rôle de la maréchaussée dépend à partir de là des intendants, et il est pour la première fois efficace, entraînant des effets multiples : vague d’arrestations, perfectionnement des actions policières, craintes et ruses accrues du côté des populations. C’est un modèle de contrôle des libertés publiques qui s’est alors imposé en prenant comme point d’appui la limitation de la liberté d’aller et venir au nom de l’ordre public. »
Pour aller plus loin :
- La place du voyage dans les sociétés européennes (XVIe-XVIIIe siècle), Bertrand, Gilles, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 121-3, no. 3, 2014, pp. 7-26.
- Une route Lyon-Bordeaux à travers les monts d'Auvergne, antérieure au XVIIIe siècle, F. Imberdis, Revue de Géographie Alpine, Année 1928 16-1 pp. 169-177
Bonne journée.
Nous supposons que votre question porte sur la période du XVIIe au XVIIIe siècle. Nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage de Daniel Roche, Les circulations dans l'Europe moderne : XVIIe-XVIIIe siècle, dont voici quelques extraits :
« Obstacles et dangers de la route sont un topos des récits. Entre le XVIe et le début du XIXe siècle, deux traits fondamentaux freinent et accélèrent la circulation. Le premier relève du fait que le système de transport dépend des seules formes de l’énergie naturelle : la force humaine et animale, celle du vent et de l’eau. Ce sont des moteurs médiocres : celui de l’homme ne développe que trois à quatre centièmes de cheval-vapeur, mécanique ; celui du cheval, dix à quinze fois plus ; l’eau et le vent sont surtout plus faibles et plus irréguliers. Ces derniers coûtent moins cher, et transportent des volumes plus importants. Le cheval bat l’homme en efficacité : il faut sept hommes pour effectuer le travail d’un seul équidé. Le coût de l’homme est faible, mais il ne va pas loin et pas très vite ; aussi le relais a-t-il depuis longtemps été assuré par les animaux et les aides naturelles améliorées. Le coût des transports est inégal tant pour les hommes que pour les choses, et Jean-Baptiste Say calcule encore qu’un transport de dix lieues par terre est plus cher que celui de mille lieues par mer. […]
L’aube de nouvelles mobilités s’éclaire plus ou moins vivement du nord au sud de l’Europe, et de l’ouest à l’est, quand on passe de l’Europe des routes ferrées à celle des fondrières, des sablonnières. Les résultats obtenus sont à mettre au compte d’une action administrative intense, qui transforme et unifie la mosaïque des tracés irréguliers. L’effort suppose partout une impulsion qui utilise également les recherches scientifiques et techniques. Il y a un lien très fort entre la couverture cartographique – en France, elle commence en 1751 avec Cassini et ses arpenteurs, pour s’achever à la Révolution – et la levée de multiples routiers, cartes et plans d’itinéraires et de villes, le rôle de diffusion des guides et des indicateurs, et la conquête de l’espace et du temps. L’Ecole des Ponts et Chaussées, les ingénieurs du roi, les ingénieurs des Etats font œuvre collective d’aménagement, instruments d’une politique générale qui se négocie dans sa réalité sur le plan local. Turgot, parmi d’autres intendants de province, en donne l’exemple en Limousin.
La grande mutation des routes de France étonne les voyageurs. Leurs histoires divergentes se rapprochent à partir du XVIIe siècle ; alors, flux de circulation et flux des voyageurs enregistrent un développement restreint mais parallèle, avec le progrès du réseau au XVIIIe siècle. En 1627, L’Itinerarium Galliae de Zinzerling reconnaît déjà l’avance du royaume : « En France, les routes sont plus sûres que partout ailleurs […] parce que le port des armes à feu est interdit aux voyageurs […]. Les cavaliers de la maréchaussée défilent deux à deux. Il y a des coches publics qui partent de Paris pour différentes localités et reviennent dans la capitale. Partout on trouve des chevaux, excepté dans les endroits où des ordinaires [services réguliers] sont organisés, et ces ordinaires sont de deux sortes, les postes qui sont rapides et les relais qui sont plus lents. » Entre le XVIe et le premier tiers du XVIIe siècle, le changement et ses moyens se sont mis en place : route, sécurité, équipement. La cartographie et les guides fournissent à tous les utilisateurs les informations et, simultanément, les attentes. […]
Dès le XVIe sicèle, plus encore au XVIIe, se met en place une action répressive contre la mobilité de vagabondage, celle que l’ordonnance de 1701 définit comme la circulation de tous « ceux qui n’ont ni profession, ni métier, ni domicile certain, ni biens pour subsister, et qui ne sont avoués et ne peuvent faire certifier de leur bonne vie et mœurs par personne digne de foi », mais aussi contre les mouvements individuels, nécessaires, organisés par le travail, l’économie, les procès ou la culture. Police des étrangers, police des forains, police des pauvres se sont rencontrées. Dès le XVIe siècle, elles sont mêlées dans la menace de paupérisation et dans les réponses qu’elle suscite. L’ombre du grand renfermement est à l’œuvre dans cette lutte menée par les municipalités, les autorités royales, l’Eglise. Dès 1656, à Lyon, on assiste à la criminalisation du pauvre vagabond ; un peu partout, à la valorisation de la mise au travail dans les hôpitaux généraux, à la christianisation des catégories marginales. Le réseau des hôpitaux doit accueillir le même fretin de la mobilité vagabonde et les refoulés de la cité. L’ensemble législatif, sans doute après le contrecoup des années de misère, réorganise les données répressives en accentuant le rôle de la police et des maréchaussées. C’est l’œuvre de la grande ordonnance de 1724. Trois éléments nouveaux interviennent pour donner à l’idée du renfermement la force pratique qui lui a manqué.
L’ordonnance légifère pour tout le royaume, et pas seulement pour la généralité de Paris ou pour d’autres provinces, pour d’autres cités. Elle a portée générale. Les finances royales sont censées prendre à leur charge les dépenses liées à cette mise en œuvre ; qui ainsi ne dépend plus des conditions locales. Sur le papier enfin, elle crée un bureau général, quia peut-être Guillauté, où doivent être centralisés signalements et informations à travers le canal des lieutenants de police et des prévôts de la maréchaussée. Anthropométrie et formulaires sont ici à leur départ. L’intervention royale se situe dans une réflexion intellectuelle sur le paupérisme et sa correction, sur la nécessité de classer pour comprendre, de dénombrer pour mieux juger. Ainsi dans le texte de l’abbé de Saint-Pierre sur les mendiants, daté de 1724 également. Dans l’exemple des ateliers de force hollandais ou anglais, la volonté de trier pour récupérer la force de travail – et ainsi de distinguer les mobilités nécessaires acceptables de celles qui sont insupportables et condamnables – est patente. L’échec de cette législation n’est pas moins évident, et pour une double raison. L’application se heurte à une résistance culturelle et psychologique en arrêtant la clientèle des hôpitaux : ceux-ci ne pouvaient accueillir le gibier des prévôts ; la mendicité, sinon le vagabondage, n’apparaît pas encore à beaucoup comme une activité répréhensible. Toute une fraction de la société peut y tomber à l’occasion ou en permanence. Les hôpitaux n’enferment pas ; les cavaliers arrêtent, mais sans beaucoup de vigueur. L’application du texte échoue sur l’incapacité à établir une frontière claire entre professionnels de la pauvreté et occasionnels, coupables et victimes.
L’Etat a commencé à prendre en charge le problème, mais – c’est la seconde cause de l’échec – sans y mettre les moyens nécessaires, sans qu’une police adaptée en ait la capacité, sans que l’intendance suive. Pauvreté et vagabondage se cachent dans le flot des mobilités d’usage : il faut séparer, mais comment ? Car la liminalité des situations impose l’incertitude de regrouper anciens soldats, déserteurs, anciens clercs, anciens villageois, pèlerins, bohémiens. Alors la mobilité apparaît comme une enclave dans le temps comme dans l’espace, où se révèlent les failles, les fractures de la société traditionnelle, et où le déclassement temporaire ou non est une réponse à des ruptures de solidarité. La déclaration royale de 1724, on s’en doute, a été une étape, car elle sert de modèle dans son application locale aux exigences de contrôle et elle a apporté des enseignements à ceux qui tentent de penser simultanément mobilité et paupérisme. Les créateurs en 1764 des dépôts de mendicité s’en souviennent utilement en organisant un réseau d’institutions urbaines spécialisées – le chômage faisant le vagabondage –, en uniformisant l’action de l’autorité centrale sur la population mobile. Le rôle de la maréchaussée dépend à partir de là des intendants, et il est pour la première fois efficace, entraînant des effets multiples : vague d’arrestations, perfectionnement des actions policières, craintes et ruses accrues du côté des populations. C’est un modèle de contrôle des libertés publiques qui s’est alors imposé en prenant comme point d’appui la limitation de la liberté d’aller et venir au nom de l’ordre public. »
- La place du voyage dans les sociétés européennes (XVIe-XVIIIe siècle), Bertrand, Gilles, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 121-3, no. 3, 2014, pp. 7-26.
- Une route Lyon-Bordeaux à travers les monts d'Auvergne, antérieure au XVIIIe siècle, F. Imberdis, Revue de Géographie Alpine, Année 1928 16-1 pp. 169-177
Bonne journée.
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