anesthésie sous l'Ancien régime
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 26/01/2018 à 10h15
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Question d'origine :
Cher guichet,
Se contentait vraiment de l'alcool comme analgésique avant les découvertes du XIX e siècle et donc avait-on perdu les remèdes de l'Antiquité et du Moyen-Age en cas d'opération chirurgicale ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 27/01/2018 à 10h49
Bonjour,
Voici ce que nous lisons à propos de l’anesthésie dans La Chirurgie moderne : ses débuts en Occident : XVIe - XVIIe - XVIIIe siècles de Mirko Drazen Grmek et Pierre Huard :
« La tradition médiévale des éponges soporifiques avait été perdue. On ne la retrouva que dans quelques rares cas, tels que l’herbier de John Gerard, lequel, en 1597, indique encore une formule d’énéma narcotique. G. B. Della Porta recommande contre la rage de dents l’inhalation de vapeurs contenant des extraits de pavot et de Solanacées (1589), mais Falloppe et Fabrice condamnent sévèrement de tels procédés, comme ils déconseillent l’emploi des éponges narcotiques. Il faut reconnaître que la prudence s’imposait, car le dosage de ces drogues puissantes n’était pas au point. La découverte de l’éther, connu de Paracelse sous le nom de « vitriol doux », passa inaperçue, malgré la recette précise de Valerius Cordus et ses expériences sur les poulets. Plus tard, l’éther sera considéré surtout comme tonique.
Les premiers essais d’anesthésie au froid (M. A. Severino) furent rapidement abandonnés. Denis Papin écrivit sans succès un traité des opérations sans douleur (1681), Bailly (de Troyes) proposa d’endormir les opérés par des sucs végétaux. Il fut condamné par le Parlement à la requête de Guy Patin. La compression des gros nerfs des membres avant l’amputation (Paré, Valverde, J. Hunter) ne rencontra pas plus de succès que l’anesthésie observée au cours des pansements trop généreusement arrosés d’alcool. Pourtant, l’analgésie de courte durée par l’ingestion de vin chaud, allant jusqu’à l’ivresse, était couramment utilisée par les rebouteux du Val d’Ajol dans les réductions des fractures et luxations, et Percy l’avait, en vain, louée. En fait, très rares étaient les chirurgiens intéressés par ce problème. On cite comme une exception Weiss, élève de J. L. Petit, qui aurait amputé le roi Auguste de Saxe en l’assoupissant.
La diffusion de la chimie pneumatique incita les médecins anglais à utiliser les gaz en thérapeutique (par exemple Beddoes, 1794) et les expérimentateurs à étudier leurs caractéristiques pharmacologiques. En 1800, Humphry Davy découvrit les propriétés analgésiques du protoxyde d’azote et suggéra qu’il pourrait être utilisé en chirurgie. En même temps se répandit dans la bourgeoisie anglo-saxonne ce goût des ether frolics et des ether entertainments d’où sortira l’anesthésie générale à l’ether.
En l’absence d’anesthésie, les interventions chirurgicales étaient très souvent accompagnées de choc. En effet, si certains opérés soulageaient leurs douleurs par des hurlements, si d’autres essayaient de les transférer sur une balle de plomb qu’on leur donnait à mâcher, il en était qui ne pouvaient pas les surmonter et sortaient de l’opération en état de syncope. Ce choc était encore aggravé par les soins affaiblissants (diète, purgation, saignées répétées). Le rôle néfaste du choc semble avoir été méconnu. Parfois, on s’employait à le combattre par des préparations opiacées, mais, comme le remarqua Moore (1784), les doses utilisées étaient trop faibles pour combattre efficacement la douleur. Les opiacés servaient plus comme antispasmodiques. Au XVIIIe siècle, ils étaient suffisamment entrés dans la pratique courante pour que Haller en abusât pour lui-même, que J. Hunter en prît systématiquement avant ses cours et que Percy en donnât aux tétaniques. »
Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle que l’on commence à réellement s’intéresser aux vertus analgésiques et anesthésiques de l’éther :
« On connaissait depuis fort longtemps les propriétés stupéfiantes de l’éther et le corps médical savait apprécier ses vertus antispasmodiques et calmantes. Personne, cependant, n’avait pensé qu’il suffisait de saturer les poumons du malade avec cet agent médicamenteux pour anéantir la douleur, ou plutôt, pour le plonger dans un état de stupeur tel, qu’il pourrait supporter les opérations les plus douloureuses, sans en avoir conscience.
Les anciens viticulteurs avaient forcément expérimenté les effets de l’évaporation des éthers vineux, ces effluves capiteux qui flottaient dans les caves vinicoles, dans les entrepôts des docks ou autres dépôts de vins et de spiritueux. Combien de vignerons furent victimes de ces émanations, combien furent étourdis par ces vapeurs, combien sombrèrent dans le coma ou se blessèrent en tombant ? Curieusement, personne n’a jamais eu l’idée de mettre à profit les effets liés à la fermentation pour soulager un malade au cours d’une intervention chirurgicales.
En application locale, l’action réfrigérante de l’éther était déjà connue dès la fin du XVIIIe siècle. L’éther pouvait être un remède efficace pour soulager migraines, maux de tête et névralgies. […].
Rares exemples d’inhalations de l’éther sulfurique, avant 1847
Les médecins de la fin du XVIIIe siècle prescrivaient les inhalations éthérées pour soulager les douleurs occasionnées par les différentes affections pulmonaires ou pour améliorer le confort respiratoire des phtisiques et des asthmatiques. L’expansion de la tuberculose fut probablement à l’origine de la généralisation de la technique inhalatoire. Cette médecine pneumatique, qui s’intéressait à la fois aux propriétés physiques de l’air et des gaz, et au souffle, ou pneuma, était née vers 1790, avec Richard Pearson, de Birmingham. »
Source : Histoire de l'anesthésie : méthodes et techniques au XIXe siècle, Marguerite Zimmer
Bonne journée.
Voici ce que nous lisons à propos de l’anesthésie dans La Chirurgie moderne : ses débuts en Occident : XVIe - XVIIe - XVIIIe siècles de Mirko Drazen Grmek et Pierre Huard :
« La tradition médiévale des éponges soporifiques avait été perdue. On ne la retrouva que dans quelques rares cas, tels que l’herbier de John Gerard, lequel, en 1597, indique encore une formule d’énéma narcotique. G. B. Della Porta recommande contre la rage de dents l’inhalation de vapeurs contenant des extraits de pavot et de Solanacées (1589), mais Falloppe et Fabrice condamnent sévèrement de tels procédés, comme ils déconseillent l’emploi des éponges narcotiques. Il faut reconnaître que la prudence s’imposait, car le dosage de ces drogues puissantes n’était pas au point. La découverte de l’éther, connu de Paracelse sous le nom de « vitriol doux », passa inaperçue, malgré la recette précise de Valerius Cordus et ses expériences sur les poulets. Plus tard, l’éther sera considéré surtout comme tonique.
Les premiers essais d’anesthésie au froid (M. A. Severino) furent rapidement abandonnés. Denis Papin écrivit sans succès un traité des opérations sans douleur (1681), Bailly (de Troyes) proposa d’endormir les opérés par des sucs végétaux. Il fut condamné par le Parlement à la requête de Guy Patin. La compression des gros nerfs des membres avant l’amputation (Paré, Valverde, J. Hunter) ne rencontra pas plus de succès que l’anesthésie observée au cours des pansements trop généreusement arrosés d’alcool. Pourtant, l’analgésie de courte durée par l’ingestion de vin chaud, allant jusqu’à l’ivresse, était couramment utilisée par les rebouteux du Val d’Ajol dans les réductions des fractures et luxations, et Percy l’avait, en vain, louée. En fait, très rares étaient les chirurgiens intéressés par ce problème. On cite comme une exception Weiss, élève de J. L. Petit, qui aurait amputé le roi Auguste de Saxe en l’assoupissant.
La diffusion de la chimie pneumatique incita les médecins anglais à utiliser les gaz en thérapeutique (par exemple Beddoes, 1794) et les expérimentateurs à étudier leurs caractéristiques pharmacologiques. En 1800, Humphry Davy découvrit les propriétés analgésiques du protoxyde d’azote et suggéra qu’il pourrait être utilisé en chirurgie. En même temps se répandit dans la bourgeoisie anglo-saxonne ce goût des ether frolics et des ether entertainments d’où sortira l’anesthésie générale à l’ether.
En l’absence d’anesthésie, les interventions chirurgicales étaient très souvent accompagnées de choc. En effet, si certains opérés soulageaient leurs douleurs par des hurlements, si d’autres essayaient de les transférer sur une balle de plomb qu’on leur donnait à mâcher, il en était qui ne pouvaient pas les surmonter et sortaient de l’opération en état de syncope. Ce choc était encore aggravé par les soins affaiblissants (diète, purgation, saignées répétées). Le rôle néfaste du choc semble avoir été méconnu. Parfois, on s’employait à le combattre par des préparations opiacées, mais, comme le remarqua Moore (1784), les doses utilisées étaient trop faibles pour combattre efficacement la douleur. Les opiacés servaient plus comme antispasmodiques. Au XVIIIe siècle, ils étaient suffisamment entrés dans la pratique courante pour que Haller en abusât pour lui-même, que J. Hunter en prît systématiquement avant ses cours et que Percy en donnât aux tétaniques. »
Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle que l’on commence à réellement s’intéresser aux vertus analgésiques et anesthésiques de l’éther :
« On connaissait depuis fort longtemps les propriétés stupéfiantes de l’éther et le corps médical savait apprécier ses vertus antispasmodiques et calmantes. Personne, cependant, n’avait pensé qu’il suffisait de saturer les poumons du malade avec cet agent médicamenteux pour anéantir la douleur, ou plutôt, pour le plonger dans un état de stupeur tel, qu’il pourrait supporter les opérations les plus douloureuses, sans en avoir conscience.
Les anciens viticulteurs avaient forcément expérimenté les effets de l’évaporation des éthers vineux, ces effluves capiteux qui flottaient dans les caves vinicoles, dans les entrepôts des docks ou autres dépôts de vins et de spiritueux. Combien de vignerons furent victimes de ces émanations, combien furent étourdis par ces vapeurs, combien sombrèrent dans le coma ou se blessèrent en tombant ? Curieusement, personne n’a jamais eu l’idée de mettre à profit les effets liés à la fermentation pour soulager un malade au cours d’une intervention chirurgicales.
En application locale, l’action réfrigérante de l’éther était déjà connue dès la fin du XVIIIe siècle. L’éther pouvait être un remède efficace pour soulager migraines, maux de tête et névralgies. […].
Les médecins de la fin du XVIIIe siècle prescrivaient les inhalations éthérées pour soulager les douleurs occasionnées par les différentes affections pulmonaires ou pour améliorer le confort respiratoire des phtisiques et des asthmatiques. L’expansion de la tuberculose fut probablement à l’origine de la généralisation de la technique inhalatoire. Cette médecine pneumatique, qui s’intéressait à la fois aux propriétés physiques de l’air et des gaz, et au souffle, ou pneuma, était née vers 1790, avec Richard Pearson, de Birmingham. »
Source : Histoire de l'anesthésie : méthodes et techniques au XIXe siècle, Marguerite Zimmer
Bonne journée.
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