Histoire médiévale :à quoi sert la mutation de l'an mil ?
CIVILISATION
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Le 13/12/2017 à 10h01
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Question d'origine :
Bonjour
Je dois faire un exposé en histoire médiévale sur la mutation de l'an mil. Je n'ai pas trop compris ce que c'était ni pourquoi ça déchirait autant les historiens car ça n'a pas l'air si fondamental que ça.. Pourriez vous m'éclairer sur le sujet et me donner des éléments de bibliographie ?
Par ailleurs j'ai entendu un prof dire d'un autre chercheur qu'il était un "fieffé mutationniste". Est ce une insulte ? Est ce que cela signifie qu'il est révisionniste pour le moyen âge ?
D'avance merci
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 16/12/2017 à 10h04
Bonjour,
Votre question pourrait être reformulée succinctement de cette façon :
"La mutation de l’an mil a-t-elle eu lieu ? Y-t-il eu une véritable rupture, un bouleversement, une révolution ou la métamorphose a-t-elle été lente et progressive ?"
Sur ce point, les historiens contemporains sont partagés.
Au-delà de la question historiographique, le débat abrite aussi une question idéologique qui divise les mutationnistes d’après 1968 dont les travaux s’inscrivent dans un courant historique marxiste et les anti-mutationnistes d’après 1990, au moment de la « fin des idéologies ».
Voici un extrait du documentaire radiophonique de Perrine Kervran et Renaud Dalmar, intitulé "la mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu : un drame historiographique dans le milieu feutré des médievistes" :
"En 1990, naît une polémique dans le milieu des médiévistes autour de la question de la mutation de l'an Mil. Y a-t-il eu ou non un bouleversement social, juridique, religieux et politique entre 950 et 1050 qui aurait permis en un temps très bref la mise en place de la féodalité ? Ou bien cette métamorphose a-t-elle été lente et progressive et entamée dès le IXème siècle ? Mais au-delà de la question historiographique, ce débat abrite aussi une question idéologique. Les théories mutationnistes sont nées dans le sillage de la thèse de Georges Duby consacrée au Mâconnais, puis se sont attachées aux travaux de Pierre Bonnassie et enfin à ceux d'Eric Bournazel, Jean-Pierre Poly puis de Guy Bois. Ces travaux s'inscrivaient dans un courant historique marxiste qui s'est épanoui après mai 68 à rebours de l'historiographie précédente... Mais en 1990 au moment de ce que l'on a appelé un peu vite parfois "la fin des idéologies" est née une autre théorie dite "anti-mutationniste" dont Dominique Barthélémy a pris la tête... A la lecture des sources et des travaux des mutationnistes, il propose une autre façon d'envisager l'histoire de la mise en place du féodalisme. Une autre façon de lire les sources et d'interpréter les mutations sociales et religieuses. L'archéologie médiévale au départ mutationniste effectue donc elle aussi une sorte de volte face. Et désormais, la thèse anti-mutationniste domine la scène historique. Les historiens ne peuvent être qu'engagés dans la société contemporaine, et les évolutions historiographiques ne sont pas détachées des évolutions de nos sociétés."
Ainsi, l'historien Dominique Barthélémy s'attache à démonter ces théories de la "rupture" dans son ouvrage "la mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu ?" :
"Nombre d'historiens (et parmi eux quelques illustres) demeurent soumis à un modèle la " société féodale ". Comme tout modèle rigide, il les pousse à forcer le trait, à transformer les évolutions en ruptures (par exemple la France de l'an mil), à interpréter toute variation dans le style ou le volume de la documentation comme l'indicateur de bouleversements sociaux. La coupe est pleine quand on fait ressurgir le mythe des terreurs de l'an mil!
Contre la " révolution " prétendument survenue en ces temps, il faut revenir à la chronologie traditionnelle. La servitude antique a changé de visage dès le IXe siècle et la classe dominante a très longtemps conservé les mêmes valeurs, la chevalerie n'ayant pas surgi ex nihilo à l'aube du XIe siècle (Charlemagne n'était-il pas déjà " chevalier "?). L'histoire des sociétés médiévales marche d'un pas lent, et les évolutions l'emportent sur les mutations brusques".
D'autres pistes bibliographiques à consulter :
L’an mil, textes choisis et présentés par Georges Duby.
Sur l'interprétation romantique de l'an Mil par certains historiens :
"Un peuple terrorisé par l’imminence de la fin du monde…ce mirage historique prit donc place fort aisément dans un univers mental tout disposé à l’accueillir. L’histoire romantique héritait de quelques historiens et archéologues qui avaient entrepris, au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’exploration scientifique du Moyen Age...Elle répond au mépris que professait la jeune culture d’Occident à l’égard des siècles sombres et frustes dont elle sortait, qu’elle reniait pour regarder, par-delà ce gouffre barbare, vers l’Antiquité, son modèle. Au centre des ténèbres médiévales, l’an Mil, antithèse de la Renaissance, offrait le spectacle de la mort et de la prosternation stupide…"
- Un DVD : An mil : chronique de fin du monde
- Un colloque : Religion et culture autour de l'an Mil
- De Pierre Riché Les lumières de l'an mil ainsi que Les grandeurs de l'an Mil :
" Depuis l’époque romantique on a parlé des terreurs de l’an mille » et des croyances en la fin du monde. Quelques historiens évoquent encore l’atmosphère d’angoisse dans laquelle vivait la chrétienté... Ce livre veut montrer, au contraire, que la fin du Xe siècle et le début du suivant correspondent à une période de stabilité et de prospérité." (source éditeur)
Pour aller plus loin :
- Dictionnaire raisonné de l'Occident médiéval" à l’entrée :
"Eschatologie et millénarisme".
Bonnes lectures.
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