Question d'origine :
Bonjour,
Je suis en train de réaliser dans le cadre de mon Master, un rendu écrit et mes recherches se focalisent sur les festivals de cinéma, plus précisément sur l'organisation et sur la place des jurys....
Quelle importance et quel rayonnement à un juré dans un festival de cinéma ?
J'ai réalisé différentes recherches mais je n'arrive pas à trouver de livre ou de revue qui parle de ce sujet... pouvez-vous m'aider ?
Réponse attendue le 03/11/2017 - 22:45
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 02/11/2017 à 17h55
Dans notre fonds cinéma, deux livres de témoignages abordent de l’intérieur la question de la participation à un jury de cinéma et des conséquences :
Sélection officielle : journal / Thierry Frémaux.
Journal de Thierry Frémaux, qui préside à la Sélection officielle du Festival de Cannes, sur une année, de mai 2015 à mai 2016. Il n’y a pas d’index, les informations concernant les délibérations du jury sont disséminées dans le texte, au fil des jours. Voici un exemple de la teneur de ce que l’on peut glaner dans l’ouvrage, pages 43-44 :
« Les jurés se sont aimés, je crois, et s'envoient des mails affectueux dont je suis le fier co-destinataire. Pourtant, je ne me suis guère immiscé dans le groupe, dont la cohésion est fondamentale, autant pour la qualité de leurs débats que pour le plaisir qu'ils auront eu à être ensemble. J'aimerais bien débriefer avec eux, mais nous ne le faisons pas. Nous passons quinze jours ensemble, nous nous embrassons le matin, nous nous retrouvons parfois le soir, puis tout s'évanouit. Les jurés restent discrets sur leurs envies, leurs rejets et ils observent la même réserve vis-à-vis de nous, pris à notre propre jeu d'une confidentialité maintes fois rappelée et qui s'abat sur la direction du Festival quand la porte de la salle des réunions du jury se ferme. Lorsqu'ils montent les marches, certains soirs, j'essaie de deviner dans leurs yeux ce qu'ils pensent, ce qu'ils ressentent, ce qu'ils préfèrent. Rien. Alexander Payne, avec lequel j'ai depuis plusieurs années un dialogue cinéphile permanent, vint au jury en 2012 : nous n'avons jamais aussi peu parlé ensemble. Je l'ai juste vu râler, avec Emmanuelle Devos qui était là aussi, contre un film qu'ils n'avaient pas aimé. Ce qui m'a irrité, et plus du tout donné envie d'en savoir plus. »
« Le jury a délivré un palmarès dont il a été dit qu'il honorait notre choix d'une sélection française forte. Ils ont juste fait ce qu'ils voulaient. À la conférence de presse qui a suivi la cérémonie, Ethan Coen (qui restait debout pendant les délibérations, arpentant la pièce comme pour mieux réfléchir) a relativisé tout ça : « Nous étions neuf et avons fait nos choix. Neuf autres personnes auraient procédé différemment. » On ne saurait mieux dire. Son frère, qui est aussi un homme d'esprit, et à qui l'on disait qu'ils avaient déjoué les pronostics des journalistes, a répondu : « Vous savez quoi ? On n'est pas journalistes. »
Ou aux pages 606-607 :
« Quoi que le jury fasse, il est rare qu’il ne soit pas critiqué ou soumis à la suspicion. Ça fait partie de la légende cannoise. Mais c’est ignorer qu'un débat, une délibération, une attribution de récompenses reposent sur la pure subjectivité de l’affection ou du rejet qu'on peut éprouver envers des œuvres d’art qu'on doit juger collectivement et, en l’espèce, sans disposer du temps nécessaire pour le faire - sélectionneurs, jurys, critiques, tout le monde est dans le même cas. L'exercice est délicat. Parfois, un rien, une hésitation, un tressaillement dans la discussion plonge le jury dans la réflexion. Plus tard, il suffit d'une rumeur pour supputer qu'un prix fut remis par défaut, pour faire plaisir à un juré ou parce que le président l’aura accepté pour éviter que son groupe ne se déchire. Comme chaque année, nous avons vu des jurés penchés sur l'ouvrage, heureux de travailler, soulagés d'en avoir terminé et tristes de faire des déçus. Ils ont été formidables.
Ce jour, Ken Loach entre dans le cercle fermé de ceux qui ont gagné deux Palmes d’or. Il ne va pas en revenir. Les jurés s’inquiètent de savoir si c'est un « beau palmarès ». Je leur demande de ne pas s'en faire, que le palmarès parfait n'existe pas, qu'on leur demande juste de dire leurs préférences, pas de produire une quelconque « vérité ». »
Le cinéma en partage : entretien avec N. T. Binh / Michel Ciment.
Entretien avec N.T. Binh de Michel Ciment, critique de cinéma et membre de jurys. Un chapitre entier est consacré aux festivals, p. 197-230. Voici un extrait :
Pages 203-204 :
« … Jacob a notamment voulu que le festival, dans sa compétition officielle, soit plus pointu dans ses choix, tout en restant glamour et en se maintenant comme un rendez-vous professionnel. C’est cette triple perspective qui constitue la grande puissance de Cannes, et qui en fait le plus grand festival du monde.
Tout le monde revendique « son » festival de Cannes. Il y a ceux qui voudraient qu'il n'y ait pas de Papa est en voyage d'affaires, que l'on ne voie que des stars. Il y a ceux qui voudraient au contraire seulement des films expérimentaux de gens marginaux. Il y a les hommes d'affaires qui n'y voient aucun film et passent leur temps à faire des deals de production. Cannes est peuplé de monde parallèles, mais c'est précisément sa force : s'y côtoient le glamour, l’argent et l'art. Pour moi, c'est la bonne formule. J'ai horreur de la pureté intégrale, des coupeurs de têtes et de l'absolu. Comme disait Max Ophuls, à force de courir après le public, on finit par ne plus voir que son cul : si le festival se vautre dans la satisfaction de ce qu'attend le très grand public, c'est la disparition de Cannes. S'il se résume aux paillettes des stars, c'est également sa mort. De même si on laisse l'argent y régner en maître. Mais si, inversement, le festival de Cannes devient excessivement élitiste, c'est aussi suicidaire. Comme un jongleur qui a plusieurs boules, les lance dans l'air et les rattrape toutes, Cannes a réussi. Tout le, monde y gagne, parce, que vous pouvez vous rendre à Cannes pour voir le dernier film de Spielberg ou pour voir l'apparition d'Alain Delon, et en même temps, à 8h30 du matin, vous découvrez Sexe, mensonges et vidéo qui obtient la Palme d'or, et qui d'un seul coup lance l'inconnu Soderbergh pour une carrière de vingt-cinq films en vingt-cinq ans. Ou Papa est en voyage d'affaires de Kusturica, ou encore Reservoir Dogs de Tarantino, hors compétition, qui devient la coqueluche du festival. On parlait très peu du cinéma belge dans la grande presse avant les frères Dardenne et leurs deux Palmes d'or, pour Rosetta et L'Enfant. »
Pages 205-206 :
« … La preuve du rôle que jouent de plus en plus les directeurs de festival dans le travail de prospection qui était l'apanage des critiques auparavant, est visible dans l'album publié par Phaidon il y a quelques années, 100e prise : le cinéma de demain - 100 nouveaux cinéastes, sur cent réalisateurs des quinze ou vingt dernières années qui ont marqué le cinéma. Eh bien, il y a cinquante ans, on aurait confié ce même type de livre à une dizaine de critiques qui auraient donné leur point de vue. Là ce sont les directeurs de festivals qui ont été sollicités.
Pages 215-216 :
« … À l'époque, tous les ans, il y avait un critique dans le jury cannois. Je déplore que cette tradition ait disparu, parce que, sans me vanter, je pense que des critiques cinéphiles comme moi peuvent apporter des informations à un jury. Peuvent en effet y figurer des membres qui, pour diverses raisons n'ayant rien de blâmable, ignorent tout du cinéma international. Ils n'ont peut-être jamais vu un film coréen ou turc de leur vie, et risquent d'être déroutés d'emblée…Je pense que, par exemple, lorsqu'on met trois jeunes comédiennes dans un jury, comme on le fait aujourd'hui pour le côté glamour, ce n'est pas mauvais d'avoir quelqu'un qui les éclaire un peu sur le contexte des films qu'elles auront à juger… Ils avaient peur de se tromper, d'être déroutés. Donc cela peut les rassurer de voir qu'un critique qui a une certaine assise, qui est assez respecté, abonde dans leur sens ou pas. La tendance des grands festivals, qui n'ont fait que suivre Cannes, est de ne plus mettre de critique au jury, parce que ce n'est pas glamour, par rapport à une star, ou même à une belle actrice débutante. C'est dommage. »
Pages 225-226 :
« Quand on voit les palmarès des grands festivals, en particulier Cannes, je pense qu'il n'y a pas de quoi rougir. L'ensemble des prix décernés inclut une multitude de très grands cinéastes, même si
Bergman n'a jamais eu la Palme d'or. Je pense que cela se compare plutôt favorablement aux Oscars, pour lesquels je ne comprends pas très bien l'ébullition et l'intérêt planétaire. Sinon pour dire que c'est l'industrie américaine qui domine le monde. Mais quand on voit qu’aux Academy Awards, n'ont jamais été récompensés, ni Chaplin, ni Sternberg, ni Fritz Lang, ni Lubitsch, ni Hawks, ni Vidor, ni Walsh, ni Hitchcock, ni Kubrick, ni Cassavetes, ni Altman, ni Malick, et qu'au contraire Barry Levinson, John Avildsen, Richard Attenborough, Robert Benton, Anthony Minghella, Mike Nichais ont remporté l’Oscar de la mise en scène... Les « professionnels de la profession », comme dit Godard, ne sont pas toujours d'une lucidité exemplaire, et il faut prendre ce genre de prix avec un grain de sel. »
Sur le bilan de 50 années du Festival de Cannes, Gilles Jacob s’exprime ainsi, dans le livre Le Festival de Cannes : d'or et de palmes / Pierre Billard :
« Le Festival de Cannes a été un découvreur, un accélérateur ou un rénovateur de carrière, un marieur, un multiplicateur de succès ou d'échecs, un sauveur de compagnies cinématographiques, ou de réalisateurs, un bienfaiteur ou un lâcheur (quand il a estimé que des « abonnés » avaient été trop souvent présentés et que leur talent s'affadissait), un guetteur, une sentinelle avancée voyant arriver les modes, les genres et les gens. Le Festival a eu parfois du flair pour détecter les talents avant même qu'ils ne soient complètement éclos (Nanni Moretti, Jane Campion) ou dès qu'ils étaient perceptibles (Lars von Trier, Pavel Lounguine, les frères Coen, Quentin Tarentino ...). Il a rattrapé, même un peu tard, des auteurs qu’il avait « manqués » (Godard, Kurosawa, Fuller, Wilder, Hou Hsiao Hsien), il a pu faire gagner dix ans de notoriété à certains nouveaux venus.
Il a découvert ou accompagné des écoles comme le free cinema, le cinema novo, le cinéma mexicain, suisse, québécois, allemand (sauf Fassbinder), le printemps de Prague, la génération cinéphile aux Etats-Unis (Scorcese, Spielberg, Coppola, Lucas), le cinéma australien, philippin, le cinéma chinois de la cinquième génération, le cinéma de la glasnost en Russie - et bien sûr, des isolés, des atypiques d'un peu partout.
Le Festival a lutté, depuis 1975, surtout, contre la censure politique en présentant Stalker ou Andréi Roublev de Tarkovski, L'Homme de marbre ou L'Homme de fer de Wajda, Yol de Güney, plusieurs de ces films projetés à la barbe des pays producteurs comme « événements spéciaux ». Et avec les colloques « Cinéma et liberté », il a voulu donner la parole aux créateurs bâillonnés.
Il a, par ailleurs, accompagné les mutations historiques (séismes et bouleversements politiques, décolonisation, guerre froide, conflits sociaux), les révolutions techniques (les débuts du Festival, juste après la guerre, correspondent à l'arrivée de la couleur au cinéma, cette coïncidence ne peut être fortuite), les mouvements artistiques, cinéphiliques, sociologiques. Il a vu monter le cinéma d'auteur, arriver la Nouvelle Vague, décliner le cinéma de genre, jaillir les effets spéciaux, revenir l'ère où les sentiments ont droit de cité sur l'écran ; il a assisté impuissant à la prépondérance progressive de la télé sur le « temps libre ».
Le Festival a fait pleurer, rire, réfléchir, bondir. Il a fait peur. Il a déçu. Il a plu. Il a vécu. »
Nous avons recherché à partir de mots-clés (
Sur le SUDOC, Système Universitaire de Documentation, on repère un livre susceptible d’apporter des éléments de réponse, Le festival de Cannes sur la scène internationale / Loredana Latil.
Une recherche dans Cairn avec les mots jurys festivals cinéma apporte 354 résultats.
On trouve notamment un article très intéressant d’Arnaud Esquerre sur la fonction critique des films présentés dans le cadre du Festival de Cannes.
Une recherche sur Google à partir de l’expression
Film festival prize juries, par Chris Mathieu et Marianne Bertelsen.
La valeur des lauriers, par Pierre Mondor.
À partir de l’expression
Politique et cinéma : de l’exposition cinématographique cannoise au festival international, 1939-1998, par Marie-Laure Latil.
À partir de l’expression
Cependant, étant donné l’angle très pointu de votre sujet de recherche, nous vous recommandons de vous adresser à la Bibliothèque Raymond Chirat de l’Institut Lumière.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Est ce notre comportement et nos valeurs sont subjectives...
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter