Question d'origine :
Dans une émission de télévision (France Info) diffusée en boucle, j'entends ceci : "Blaise Pascal disait que toutes nos relations sont intéressées", mais sans précision de la (ou des citation(s) exacte(s). M'aideriez-vous à la (les) retrouver ? Merci d'avance
P.-S. Hypothèse : le journaliste aurait pu confondre Pascal et La Rochefoucauld, lequel a écrit, sur cette même idée : "Il semble que l'amour propre soit la dupe de la bonté, et qu'il s'oublie lui-même lorsque nous travaillons pour l'avantage des autres. Cependant c'est prendre le chemin le plus assuré pour arriver à ses fins ; c'est prêter à usure sous prétexte de donner ; c'est enfin s'acquérir tout le monde par un moyen subtil et délicat."
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 26/10/2017 à 14h07
Bonjour,
Comme vous le pressentiez dans votre question, la citation que fait le journaliste n’en est en réalité pas une. Il s’agit d’une généralisation à partir d’idées soutenues par Pascal comme par la Rochefoucauld.
Le 17ème siècle voit l’émergence de nombreux écrivains « moralistes ». De la Bruyère, à La Rochefoucauld en passant par La Fontaine (bien que son œuvre ne se limite pas à cette dimension), Jacques Esprit ou le pasteur Jacques Abbadie, tous cherchent, derrière les apparences de la vie en société, à connaître les « replis du cœur », à traquer les ruses de « l’amour-propre ».
Car, c’est bien de l’amour propre dont il est in fine question derrière la référence à laquelle vous faites allusion. selon le Précis de littérature française du XVIIe siècle de Jean Mesnard, cet « amour de soi-même et de toute chose pour soi » (La Rochefoucauld, maxime 1 de l’édition de 1664) constitue, une « volonté de puissance tyrannique, qui suscite entre les hommes un état de guerre latent. Il est aussi désir narcissique de se donner et de recevoir d’autrui une image flatteuse : la vertu est encore souvent l’un des meilleurs moyens de se faire estimer. Il enferme l’instinct de conservation, qui invite les hommes à se ménager les uns les autres, à respecter des vertus qui rendent possible une vie sociale, comme la modération ou la justice. Si intéressées soient-elles, les vertus humaines ont au moins le mérite d’asseoir la communauté : “les hommes ne vivraient pas longtemps en société s’ils n’étaient les dupes les uns des autres” » (La Rochefoucauld, maxime 87).
Blaise Pascal ne dit rien de très différent lorsqu’il écrit dans ses Pensées : « il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion ».
Que ce soit chez Pascal ou La Rochefoucauld, on est là en face d’une vision de l’homme pour le moins sombre, qui propose une psychologie des profondeurs de l’âme humaine aux conclusions peu glorieuses ! Sur la question des relations humaines notamment, les deux penseurs sont intraitables :
- « Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, qu'un ménagement réciproque d'intérêts, et qu'un échange de bons offices ; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner » (La Rochefoucauld, maxime 83 de l’édition de 1678).
- « Nous nous persuadons souvent d'aimer les gens plus puissants que nous; et néanmoins c'est l'intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir » (La Rochefoucauld, maxime 85 de l’édition de 1678).
- « Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis ne vient ni de la bonté de notre naturel, ni de l'amitié que nous avons pour eux ; c'est un effet de l'amour-propre qui nous flatte de l'espérance d'être heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune » (Maxime 17 de l’édition de 1664).
- « Il arrive de là que, si on a quelque intérêt d’être aimé de nous, on s’éloigne de nous rendre un office qu’on sait nous être désagréable ; on nous traite comme nous voulons être traité : nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe » (Pensée 100 de l’édition Brunschvicg des Pensées, « l’amour propre »).
Vous pouvez d’ailleurs lire toute cette très belle (et désespérante) pensée sur l'amour-propre qui dresse le portrait de l’homme vain, vaniteux, tour à tour trompeur et abusé. Elle illustre à merveille la démarche du philosophe : « s’il [l’homme] se vante je l’abaisse, s’il s’abaisse je le vante et le contredis toujours jusqu’à qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible ».
Ajoutons que chez Pascal, à la différence de La Rochefoucauld, le constat de la misérable condition humaine n’est que la première étape d’un projet d’apologie de la religion chrétienne, dont les Pensées sont l’esquisse. Cette « humiliation » de l’homme doit l’amener à se détourner des divertissements et à se tourner vers Dieu (littéralement à se convertir).
Pour aller plus loin :
- Morales du Grand Siècle, de Paul Bénichou
- La vanité : « de Pascal à La Rochefoucauld », dans Littératures Classiques, n° 56, 2005.
Bonnes lectures !
Comme vous le pressentiez dans votre question, la citation que fait le journaliste n’en est en réalité pas une. Il s’agit d’une généralisation à partir d’idées soutenues par Pascal comme par la Rochefoucauld.
Le 17ème siècle voit l’émergence de nombreux écrivains « moralistes ». De la Bruyère, à La Rochefoucauld en passant par La Fontaine (bien que son œuvre ne se limite pas à cette dimension), Jacques Esprit ou le pasteur Jacques Abbadie, tous cherchent, derrière les apparences de la vie en société, à connaître les « replis du cœur », à traquer les ruses de « l’amour-propre ».
Car, c’est bien de l’amour propre dont il est in fine question derrière la référence à laquelle vous faites allusion. selon le Précis de littérature française du XVIIe siècle de Jean Mesnard, cet « amour de soi-même et de toute chose pour soi » (La Rochefoucauld, maxime 1 de l’édition de 1664) constitue, une « volonté de puissance tyrannique, qui suscite entre les hommes un état de guerre latent. Il est aussi désir narcissique de se donner et de recevoir d’autrui une image flatteuse : la vertu est encore souvent l’un des meilleurs moyens de se faire estimer. Il enferme l’instinct de conservation, qui invite les hommes à se ménager les uns les autres, à respecter des vertus qui rendent possible une vie sociale, comme la modération ou la justice. Si intéressées soient-elles, les vertus humaines ont au moins le mérite d’asseoir la communauté : “les hommes ne vivraient pas longtemps en société s’ils n’étaient les dupes les uns des autres” » (La Rochefoucauld, maxime 87).
Blaise Pascal ne dit rien de très différent lorsqu’il écrit dans ses Pensées : « il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion ».
Que ce soit chez Pascal ou La Rochefoucauld, on est là en face d’une vision de l’homme pour le moins sombre, qui propose une psychologie des profondeurs de l’âme humaine aux conclusions peu glorieuses ! Sur la question des relations humaines notamment, les deux penseurs sont intraitables :
- « Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, qu'un ménagement réciproque d'intérêts, et qu'un échange de bons offices ; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner » (La Rochefoucauld, maxime 83 de l’édition de 1678).
- « Nous nous persuadons souvent d'aimer les gens plus puissants que nous; et néanmoins c'est l'intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir » (La Rochefoucauld, maxime 85 de l’édition de 1678).
- « Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis ne vient ni de la bonté de notre naturel, ni de l'amitié que nous avons pour eux ; c'est un effet de l'amour-propre qui nous flatte de l'espérance d'être heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune » (Maxime 17 de l’édition de 1664).
- « Il arrive de là que, si on a quelque intérêt d’être aimé de nous, on s’éloigne de nous rendre un office qu’on sait nous être désagréable ; on nous traite comme nous voulons être traité : nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe » (Pensée 100 de l’édition Brunschvicg des Pensées, « l’amour propre »).
Vous pouvez d’ailleurs lire toute cette très belle (et désespérante) pensée sur l'amour-propre qui dresse le portrait de l’homme vain, vaniteux, tour à tour trompeur et abusé. Elle illustre à merveille la démarche du philosophe : « s’il [l’homme] se vante je l’abaisse, s’il s’abaisse je le vante et le contredis toujours jusqu’à qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible ».
Ajoutons que chez Pascal, à la différence de La Rochefoucauld, le constat de la misérable condition humaine n’est que la première étape d’un projet d’apologie de la religion chrétienne, dont les Pensées sont l’esquisse. Cette « humiliation » de l’homme doit l’amener à se détourner des divertissements et à se tourner vers Dieu (littéralement à se convertir).
Pour aller plus loin :
- Morales du Grand Siècle, de Paul Bénichou
- La vanité : « de Pascal à La Rochefoucauld », dans Littératures Classiques, n° 56, 2005.
Bonnes lectures !
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