Pourquoi un visage humain au cheval dans Scène Champêtre?
ARTS ET LOISIRS
+ DE 2 ANS
Le 23/10/2017 à 09h26
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Question d'origine :
Bonjour, je m'intéresse à quelques tableaux de Chagall et je me demandais pourquoi a-t-il donné au cheval un visage humain dans son oeuvre "Scène Champêtre" ?
Merci d'avance
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 25/10/2017 à 14h42
Bonjour,
Nous n’avons trouvé dans nos collections qu’un seul document reproduisant « la scène champêtre » de Marc Chagall, gouache sur papier datée de 1944, appartenant à une collection privée. D’autre part, nous n’avons trouvé aucune information ou début d’analyse concernant cette œuvre précise.
Cependant, il est possible d’ouvrir quelques pistes concernant le cheval à tête humaine de ce tableau, notamment au regard de l’époque à laquelle elle a été réalisée et les éléments qui y figurent. En effet, à cette période, Marc Chagall et sa femme Bella, rencontrée dans son village natal de Vitebsk, sont en exil aux Etats-Unis, lorsqu’en 1944, Bella meurt soudainement. Cet évènement, traumatisant pour lui, va marquer le choix de nombre de sujets de ses tableaux à l’époque.
Dans l’iconographie de Chagall, le bestiaire tient un rôle très important. Voici l’extrait d’un texte pédagogique qui a accompagné une exposition autour de Chagall et la musique :
« Chagall s’identifie régulièrement aux animaux qu’il représente, signe de leur importance. Par exemple, dans bon nombre de tableaux, on retrouve un animal auprès d’une femme vêtue de blanc : Bella. L’animal qui se tient aux côtés de Bella est souvent accompagné d’un instrument de musique ou d’une palette de peinture ce qui renforce l’idée qu’il s’agit d’une allégorie du peintre. Chagall était très proche de sa femme Bella, c’est pourquoi il se représente souvent auprès d’elle. De plus, dans ses tableaux, le coq prend souvent une apparence humaine et quelque peu autobiographique. Ensuite, le caractère autobiographique se retrouve dans presque toutes ses œuvres. En effet, l’omniprésence des animaux rappelle clairement l’enfance de Chagall rythmée par des séjours à la campagne et notamment dans la ferme familiale. Il a donc évolué dans un univers rural que l’on remarque dans ses tableaux. Le bestiaire de Chagall se compose essentiellement d’animaux domestiques. […] Chez Chagall, le cheval semble plutôt être associé à la mort : dans Le Marchand de Bestiaux, le cheval est utilisé pour amener la vache jusqu’à l’abattoir. Cependant, comme évoqué précédemment, cette image contraste avec une image de vie puisqu’il y a un poulain dans le ventre de la jument.»
Egalement dans cette réponse du Guichet du Savoir à une question posée sur une œuvre de Chagall figure des éléments de réponse qui pourront vous aider à mieux comprendre le rôle que jouent les animaux dans l’œuvre de Chagall, mais aussi pourquoi il est difficile d’interpréter son œuvre.
Enfin, le texte de présentation de l’exposition
« Chimères mystérieuses, mi-homme, mi-bête, objets composites à tête humaine et animaux fantastiques volants traversent tout l’œuvre de Marc Chagall.
Ces êtres hybrides, Chagall les a connus sans doute en regardant les diables des icônes et les compositions issues de la sculpture médiévale de son pays natal qu’il admirait profondément. La série des Caprices de Goya où l’homme prend si souvent l’aspect d’un âne a aussi retenu toute son attention. Plus généralement, l’hybridation, perceptible dans toute l’histoire de l’art a marqué l’imagination de Marc Chagall. En ce sens, il s’inscrit dans une tradition qui englobe des œuvres aussi célèbres que le retable d’Issenheim, les compositions de Jérôme Bosch ou de Johann Füssli. C’est dans la même tradition que trouvent à s’inscrire certains de ses contemporains. En effet, de Picasso à Brancusi, de Hans Arp à Victor Brauner, les quadrupèdes ailés, les femmes-oiseaux et autres monstres plus ou moins aimables, constellent la production du XXe siècle.
Dans l’iconographie de Chagall, l’hybridation trouve ses figures de récurrence : la tête humaine est remplacée par une tête d’animal, les bêtes ont des membres humains, dont elles se servent pour jouer de la musique ou pour peindre, de même qu’il pousse des bras et une tête aux violoncelles qui se jouent eux-mêmes.
Quel sens peut-on donner à ces êtres ? Au-delà de la dimension symbolique ou métaphorique, il ne faut pas exclure la dimension religieuse, liée aux traditions hassidiques de la région de Vitebsk, ville natale de l’artiste. Enfin, l'omniprésence des bêtes domestiques, vache, chèvre, coq, met l’accent sur les souvenirs d’une enfance au contact des bêtes. L’oncle boucher sacrifiait les vaches en leur murmurant des paroles apaisantes. La chèvre jouant du violon évoque les fêtes enchantées au son de la musique du violoniste ambulant. Le poisson rappelle la figure du père, marchand de harengs. Et si les oiseaux jouent aussi du violon ou du schoffar, c’est que leur chant est comparable à la musique divine.
Avec l'humour qui le caractérise, l'artiste n'hésite pas à se peindre lui-même en animal : sous les traits d'un coq (Le coq, 1947, musée national d'art moderne - Centre Pompidou, dépôt au musée des Beaux-Arts de Lyon) ou d’une chèvre, animal pour lequel il a maintes fois exprimé son affection et sa compassion. L’âne, animal modeste, mais aussi messianique, est ici donné comme une possible image de l’artiste (Autoportrait à la pendule, 1947, Paris). Ces figures composites sont donc toujours la marque d’un raccourci poétique, qui donne à voir en une seule image ces divers niveaux de représentations. André Breton en 1941, parlait de l’entrée de la métaphore dans la peinture du XXe siècle avec Chagall. Il soulignait sa capacité à «affranchir l’objet des lois de la pesanteur, abattre la barrière des éléments et des règnes» et à traduire en langage plastique les traces troubles du rêve comme l’essence des êtres et des choses. »
Pour aller plus loin :
- Marc Chagall [Livre] : rétrospective 1908-1985
- Chagall, entre guerre et paix
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