ukraine-tchecoslovaquie
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 06/10/2017 à 12h14
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Question d'origine :
bonjour,
dans les années 25, pouvez-vous me donner quelques détails sur la montée du nazisme et de la crise dans le pays ? Mes grands parents ayant fui cette région en 1928.
Merci beaucoup
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 07/10/2017 à 10h38
Bonjour,
Nos recherches ne nous ont pas permis d’établir de lien entre l’Ukraine et le nazisme avant l’année 1930.
Voici toutefois quelques extraits issus de l’ouvrage d’Iaroslav Lebedynsky, Ukraine : une histoire en questions, qui vous aideront à vous faire une idée du contexte politique général en Ukraine entre la première et la seconde guerre mondiale :
«Les massacres de Juifs perpétrés en Ukraine [l’année 1919] sont souvent attribués aux partisans de Symon Petlioura. Leur responsabilité est-elle prouvée ?
La question des pogroms de 1919 a parfois donné lieu à une véritable désinformation. Dès le début des années 1920, l’idée se répandit que leur principal responsable était Petlioura. Quand celui-ci fut assassiné à Paris en 1926, par le Juif Samuel Schwarzbard manipulé par les services secrets soviétiques, et que l’assassin fut acquitté par la justice française au motif qu’il avait en quelque sorte « vengé les pogroms », cette idée acquit force de loi. Elle est encore très vivante chez certains Juifs.
Mais il faut se souvenir que l’histoire est écrite par les vainqueurs – ou du moins, en général, par ceux qui peuvent faire entendre leurs thèses. En 1920, tout le monde avait intérêt à trouver un bouc émissaire dépourvu d’influence. La vérité est en effet qu’en Ukraine, en 1919, toutes les armées en présence se rendirent coupables de violences antijuives. Cela vaut, certes, pour des unités ukrainiennes plus ou moins subordonnées au Directoire ; mais aussi pour les Russes « blancs » de Dénikine », qui voyaient dans les Juifs le virus du bolchévisme ; mais aussi pour les bolchéviks et les anarchistes, parce que les Juifs incarnaient le capitalisme bourgeois. […]
Chronologie
1921-1923 : famine en Ukraine et en Russie. Introduction de la « Nouvelle politique économique » de Lénine.
1922 : loi (non appliquée) sur l’autonomie administrative de la Galicie polonaise.
30 décembre 1922 : entrée de l’Ukraine soviétique dans l’Union des républiques socialistes soviétiques.
14 mars 1923 : reconnaissance par les Alliés occidentaux de l’annexion définitive de la Galicie orientale par la Pologne.
1923 : lancement de la politique d’ « ukrainisation en Ukraine soviétique.
1926 : retour au pouvoir du maréchal Pilsudski : régime autoritaire en Pologne.
1927 : début de la collectivisation des terres en Union soviétique.
1928-1933 : premier plan quinquennal stalinien
1929 : début de la dictature personnelle de Staline.
1929 : création de l’Organisation des nationalistes ukrainiens.
1932-1933 : grande famine organisée en Ukraine soviétique.
1933-1938 : pic de la terreur stalinienne en Ukraine soviétique.
1934 : assassinat du ministre polonais de l’intérieur par les nationalistes ukrainiens ; ouverture du camp de détention de Bereza Kartuska.
1935 : mort du maréchal Pilsudski, tentative de détente polono-ukrainienne en Pologne. [...]
Quel était le nouveau découpage territorial de l’Ukraine après 1921 ?
Les territoires à majorité ukrainienne furent partagés, par différents traités internationaux, entre cinq Etats, dont deux républiques soviétiques.
La plus grande partie de l’ancienne ukraine russe formait la République socialiste soviétique d’Ukraine.
L’ancien territoire des Cosaques du Kouban et les parties ukrainiennes des anciens « gouvernements » de Koursk et Voronèj étaient rattachés à la République socialiste fédérative soviétique de Russie.
La Galacie et la Volhynie occidentale étaient passés sous contrôle polonais.
La Bukovine autrichienne et la Bessarabie russe, où l’élément roumain était dominant, avaient été annexées par la Roumanie dès 1918 (alors que les Ukrainiens de ces régions avaient tenté de se rattacher aux deux républiques ukrainiennes).
La Transcarpathie hongroise avait été attribuée en 1919 à la nouvelle Tchécoslovaquie.
Cette situation dura, sans autre changement majeur que la constitution de l’Union soviétique, jusqu’en 1939. […]
Pourquoi la Transcarpathie fut-elle rattachée à la Tchécoslovaquie, et quelles furent les effets de cette appartenance en 1919-1939 ?
En 1918, les Ukrainiens de Transcarpathie hongroise avaient tenté de se rattacher à la République populaire d’Ukraine occidentale. La défaite de celle-ci face aux Polonais empêcha la réalisation de ce projet. En définitive, les Alliés, pour que la région ne retombe pas aux mains des Hongrois, l’attribuèrent à la Tchécoslovaquie, l’un des nouveaux Etats formés sur les ruines de l’empire des Habsbourg. Cette incorporation avait été approuvée, dès le 8 mai 1919, par un « Conseil central populaire ruthène ». La région devint officiellement la « Ruthénie subcarpathique » (en tchèque : Poskarpatska Rus).
Le gouvernement de Prague considérait sa province la plus orientale avec une certaine perplexité. Le territoire était très arriéré, l’identité de sa population incertaine, d’autant que les intéressés eux-mêmes ne s’accordaient pas sur ce point essentiel. Ils étaient divisés entre pro-ukrainiens, pro-russes (généralement anticommunistes) et autonomistes « ruthènes », promoteurs d’un peuple « carpatho-ruthène » distinct. Ces divisions eurent des conséquences dommageables, notamment dans l’enseignement où la question de la langue (ukrainien littéraire ? ukrainien dialectal ? « langue ruthène » à codifier ? russe ?) ne fut jamais vraiment tranchée.
Même si la Tchécoslovaquie était un Etat artificiel, dirigé par une élite principalement tchèque, aux tendances centralisatrices contestées par les populations slovaques et allemandes, il faut reconnaître que ses gouvernements successifs montrèrent un grand libéralisme à l’égard des Ukrainiens de Transcarpathie. A partir de 1935 et du succès aux élections locales de mouvements d’orientation pro-ukrainienne, l’enseignement fut partiellement ukrainisé. L’Organisation des nationalistes ukrainiens s’était implantée en Transcarpathie même si elle n’y développait pas la même action clandestine ou violente qu’en Pologne. […]
Quelles furent, durant l’Entre-deux-guerres, les grandes orientations et le rôle de l’émigration politique ukrainienne ?
De nombreux hommes politiques et intellectuels ukrainiens avaient quitté le pays après l’échec de la lutte pour l’indépendance. Ils poursuivirent une activité politique et culturelle en exil. On peut y distinguer schématiquement trois groupes : les « républicains », les « hetmanistes », et les « nationalistes ».
Les « républicains » étaient les partisans du Directoire et de la République populaire d’Ukraine. Ils maintinrent un « gouvernement en exil de la République populaire d’Ukraine », présidé par Symon Petlioura jusqu’à son assassinat à Paris en 1926. Ils espérèrent par moments réactiver l’alliance ukraino-polonaise, et il est possible que l’assassinat de Petlioura, commandité par les services secrets soviétiques, ait été lié au retour au pouvoir du maréchal Pilsudski en Pologne. Leur idéologie était démocratique, de tendance plutôt socialiste.
Les « hetmanistes » ou « monarchistes » étaient groupés autour de Pavlo Skoropadsky, en exil en Allemagne. Ils étaient peu nombreux mais comptaient quelques personnages de premier plan, comme l’historien Viatcheslav Lypynsky ou l’ancien ministre des affaires étrangères de 1918, Dmytro Dorochenko. Les idées hetmanistes mettaient l’accent sur le rôle des élites et de l’Etat dans la construction de la nation.
Les « nationalistes », enfin, étaient représentés surtout par l’OOuN. Leur idéologie, inspirée des idées radicales de Dmytro Donstov (1883-1973), était proche de celle de beaucoup d’autres mouvements comparables en Europe et ailleurs dans les années 1920-1940. Sans être à proprement parler des « fascistes », ils partageaient avec le fascisme italien le culte de l’autorité et du chef, le nationalisme intransigeant, l’anticommunisme et le rejet de la démocratie traditionnelle. L’OOuN voulait créer un « Etat indépendant uni d’Ukraine » où les intérêts de classe et de parti seraient subordonnés à ceux de la nation entière dans un cadre économique corporatiste et solidariste. L’OOuN, qui était le seul mouvement à mener une lutte armée (en Pologne) pour la libération de l’Ukraine, devint dans les années 1930 la partie la plus influente de l’émigration politique ukrainienne.
L’OOuN était l’œuvre du colonel Iévhen Konovalets. L’assassinat de ce dernier à Rotterdam en 1938 par un agent soviétique porta un coup très dur au mouvement. Konovalets fut remplacé par le colonel Andriï Melnyk, autre ancien officier ukrainien. Dès 1940, l’aile radicale de l’OOuN, animée par de jeunes militants, fit scission. Elle était dirigée par Stephan Bandera (1909-1959). Les historiens distinguent après cela une « OOuN-M » (Malnyk) et une « OOuN-B » (Bandera). »
Source : Ukraine : une histoire en questions, Iaroslav Lebedynsky
Pour aller plus loin :
- Histoire de l'Ukraine : des origines à aujourd'hui, Arkady Joukovsky
- L'Ukraine depuis le procès Schwartzbard-Petlioura, 1927, Monique Slodzian
Bonne journée.
Nos recherches ne nous ont pas permis d’établir de lien entre l’Ukraine et le nazisme avant l’année 1930.
Voici toutefois quelques extraits issus de l’ouvrage d’Iaroslav Lebedynsky, Ukraine : une histoire en questions, qui vous aideront à vous faire une idée du contexte politique général en Ukraine entre la première et la seconde guerre mondiale :
«
La question des pogroms de 1919 a parfois donné lieu à une véritable désinformation. Dès le début des années 1920, l’idée se répandit que leur principal responsable était Petlioura. Quand celui-ci fut assassiné à Paris en 1926, par le Juif Samuel Schwarzbard manipulé par les services secrets soviétiques, et que l’assassin fut acquitté par la justice française au motif qu’il avait en quelque sorte « vengé les pogroms », cette idée acquit force de loi. Elle est encore très vivante chez certains Juifs.
Mais il faut se souvenir que l’histoire est écrite par les vainqueurs – ou du moins, en général, par ceux qui peuvent faire entendre leurs thèses. En 1920, tout le monde avait intérêt à trouver un bouc émissaire dépourvu d’influence. La vérité est en effet qu’en Ukraine, en 1919, toutes les armées en présence se rendirent coupables de violences antijuives. Cela vaut, certes, pour des unités ukrainiennes plus ou moins subordonnées au Directoire ; mais aussi pour les Russes « blancs » de Dénikine », qui voyaient dans les Juifs le virus du bolchévisme ; mais aussi pour les bolchéviks et les anarchistes, parce que les Juifs incarnaient le capitalisme bourgeois. […]
1921-1923 : famine en Ukraine et en Russie. Introduction de la « Nouvelle politique économique » de Lénine.
1922 : loi (non appliquée) sur l’autonomie administrative de la Galicie polonaise.
30 décembre 1922 : entrée de l’Ukraine soviétique dans l’Union des républiques socialistes soviétiques.
14 mars 1923 : reconnaissance par les Alliés occidentaux de l’annexion définitive de la Galicie orientale par la Pologne.
1923 : lancement de la politique d’ « ukrainisation en Ukraine soviétique.
1926 : retour au pouvoir du maréchal Pilsudski : régime autoritaire en Pologne.
1927 : début de la collectivisation des terres en Union soviétique.
1928-1933 : premier plan quinquennal stalinien
1929 : début de la dictature personnelle de Staline.
1929 : création de l’Organisation des nationalistes ukrainiens.
1932-1933 : grande famine organisée en Ukraine soviétique.
1933-1938 : pic de la terreur stalinienne en Ukraine soviétique.
1934 : assassinat du ministre polonais de l’intérieur par les nationalistes ukrainiens ; ouverture du camp de détention de Bereza Kartuska.
1935 : mort du maréchal Pilsudski, tentative de détente polono-ukrainienne en Pologne. [...]
Les territoires à majorité ukrainienne furent partagés, par différents traités internationaux, entre cinq Etats, dont deux républiques soviétiques.
La plus grande partie de l’ancienne ukraine russe formait la République socialiste soviétique d’Ukraine.
L’ancien territoire des Cosaques du Kouban et les parties ukrainiennes des anciens « gouvernements » de Koursk et Voronèj étaient rattachés à la République socialiste fédérative soviétique de Russie.
La Galacie et la Volhynie occidentale étaient passés sous contrôle polonais.
La Bukovine autrichienne et la Bessarabie russe, où l’élément roumain était dominant, avaient été annexées par la Roumanie dès 1918 (alors que les Ukrainiens de ces régions avaient tenté de se rattacher aux deux républiques ukrainiennes).
La Transcarpathie hongroise avait été attribuée en 1919 à la nouvelle Tchécoslovaquie.
Cette situation dura, sans autre changement majeur que la constitution de l’Union soviétique, jusqu’en 1939. […]
En 1918, les Ukrainiens de Transcarpathie hongroise avaient tenté de se rattacher à la République populaire d’Ukraine occidentale. La défaite de celle-ci face aux Polonais empêcha la réalisation de ce projet. En définitive, les Alliés, pour que la région ne retombe pas aux mains des Hongrois, l’attribuèrent à la Tchécoslovaquie, l’un des nouveaux Etats formés sur les ruines de l’empire des Habsbourg. Cette incorporation avait été approuvée, dès le 8 mai 1919, par un « Conseil central populaire ruthène ». La région devint officiellement la « Ruthénie subcarpathique » (en tchèque : Poskarpatska Rus).
Le gouvernement de Prague considérait sa province la plus orientale avec une certaine perplexité. Le territoire était très arriéré, l’identité de sa population incertaine, d’autant que les intéressés eux-mêmes ne s’accordaient pas sur ce point essentiel. Ils étaient divisés entre pro-ukrainiens, pro-russes (généralement anticommunistes) et autonomistes « ruthènes », promoteurs d’un peuple « carpatho-ruthène » distinct. Ces divisions eurent des conséquences dommageables, notamment dans l’enseignement où la question de la langue (ukrainien littéraire ? ukrainien dialectal ? « langue ruthène » à codifier ? russe ?) ne fut jamais vraiment tranchée.
Même si la Tchécoslovaquie était un Etat artificiel, dirigé par une élite principalement tchèque, aux tendances centralisatrices contestées par les populations slovaques et allemandes, il faut reconnaître que ses gouvernements successifs montrèrent un grand libéralisme à l’égard des Ukrainiens de Transcarpathie. A partir de 1935 et du succès aux élections locales de mouvements d’orientation pro-ukrainienne, l’enseignement fut partiellement ukrainisé. L’Organisation des nationalistes ukrainiens s’était implantée en Transcarpathie même si elle n’y développait pas la même action clandestine ou violente qu’en Pologne. […]
De nombreux hommes politiques et intellectuels ukrainiens avaient quitté le pays après l’échec de la lutte pour l’indépendance. Ils poursuivirent une activité politique et culturelle en exil. On peut y distinguer schématiquement trois groupes : les « républicains », les « hetmanistes », et les « nationalistes ».
Les « républicains » étaient les partisans du Directoire et de la République populaire d’Ukraine. Ils maintinrent un « gouvernement en exil de la République populaire d’Ukraine », présidé par Symon Petlioura jusqu’à son assassinat à Paris en 1926. Ils espérèrent par moments réactiver l’alliance ukraino-polonaise, et il est possible que l’assassinat de Petlioura, commandité par les services secrets soviétiques, ait été lié au retour au pouvoir du maréchal Pilsudski en Pologne. Leur idéologie était démocratique, de tendance plutôt socialiste.
Les « hetmanistes » ou « monarchistes » étaient groupés autour de Pavlo Skoropadsky, en exil en Allemagne. Ils étaient peu nombreux mais comptaient quelques personnages de premier plan, comme l’historien Viatcheslav Lypynsky ou l’ancien ministre des affaires étrangères de 1918, Dmytro Dorochenko. Les idées hetmanistes mettaient l’accent sur le rôle des élites et de l’Etat dans la construction de la nation.
Les « nationalistes », enfin, étaient représentés surtout par l’OOuN. Leur idéologie, inspirée des idées radicales de Dmytro Donstov (1883-1973), était proche de celle de beaucoup d’autres mouvements comparables en Europe et ailleurs dans les années 1920-1940. Sans être à proprement parler des « fascistes », ils partageaient avec le fascisme italien le culte de l’autorité et du chef, le nationalisme intransigeant, l’anticommunisme et le rejet de la démocratie traditionnelle. L’OOuN voulait créer un « Etat indépendant uni d’Ukraine » où les intérêts de classe et de parti seraient subordonnés à ceux de la nation entière dans un cadre économique corporatiste et solidariste. L’OOuN, qui était le seul mouvement à mener une lutte armée (en Pologne) pour la libération de l’Ukraine, devint dans les années 1930 la partie la plus influente de l’émigration politique ukrainienne.
L’OOuN était l’œuvre du colonel Iévhen Konovalets. L’assassinat de ce dernier à Rotterdam en 1938 par un agent soviétique porta un coup très dur au mouvement. Konovalets fut remplacé par le colonel Andriï Melnyk, autre ancien officier ukrainien. Dès 1940, l’aile radicale de l’OOuN, animée par de jeunes militants, fit scission. Elle était dirigée par Stephan Bandera (1909-1959). Les historiens distinguent après cela une « OOuN-M » (Malnyk) et une « OOuN-B » (Bandera). »
Source : Ukraine : une histoire en questions, Iaroslav Lebedynsky
- Histoire de l'Ukraine : des origines à aujourd'hui, Arkady Joukovsky
- L'Ukraine depuis le procès Schwartzbard-Petlioura, 1927, Monique Slodzian
Bonne journée.
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