Question d'origine :
Bonjour,
Je cherche depuis longtemps à savoir qu'est-ce qui a déterminé la superficie des départements à l'époque de leur création ? Leur forme a été influencé par le relief et par les domaines historiques des seigneurs, mais qu'est-ce qui a déterminé leur taille (j'ai entendu dire qu'on avait choisi cette taille pour pouvoir les parcourir en une journée à cheval, mais je n'ai jamais trouvé de sources vérifiant cela) ?
Merci pour votre réponse
Cordialement,
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 06/09/2017 à 09h37
Bonjour,
Le découpage du territoire français en départements date de la Révolution française. L’un des critères de cette délimitation semble bien avoir été la possibilité de parcourir le département en une journée à cheval, mais pour se rendre au chef-lieu de ce territoire : « la taille de ces départements était fixée de façon telle qu'il devait être possible de se rendre en moins d'une journée de cheval au chef-lieu de chacun de ceux-ci depuis n'importe quel point de leur territoire ». Source : Wikipedia, citant La nouvelle économie géographique / Matthieu Crozet, Miren Lafourcade (2009).
Néanmoins, la création et la délimitation des départements s’inscrit dans une réflexion plus globale et de véritables enjeux idéologiques.
En effet, selon Jean-Luc Bœuf, haut fonctionnaire spécialiste des collectivités territoriales, dans l’article paru le 7 mai 2017 De la Révolution à la réforme territoriale, petite histoire du département, « le département a été mis sur pied dans un souci d'organisation et de rationalisation des territoires. […]
A la fin de l'Ancien Régime, le royaume de France est cet «agrégat inconstitué de peuples désunis», selon l'expression de Mirabeau. Les frontières des circonscriptions administratives sont floues et les représentants du roi dans les provinces peinent bien sûr à faire reconnaître leur autorité. Dans ces conditions, l'invention du département répond à une logique d'organisation, à une logique militaire et d'ordre public. Mais surtout ce nouvel échelon permet de disposer d'un cadre aux frontières précises. L'État est naturellement à la manœuvre et l'instauration des préfets par Napoléon va en quelque sorte parachever le dispositif territorial. Les forces vives ne peuvent se développer sans la bienveillante neutralité du représentant de l'État a minima. Mais surtout, petit à petit, le cadre fixé va servir de base à l'organisation et à la structuration de l'ensemble de l'économie française. C'est ainsi que vont voir le jour les chambres départementales des divers corps de métiers et autres professions (notaires, pharmaciens, médecins…). Le département n'est pas vraiment considéré comme une collectivité locale. C'est d'ailleurs le préfet qui en assure l'exécutif. Non, le département est cet échelon de vie économique et sociale auquel on se réfère et qui structure l'économie. D'ailleurs, le développement économique exceptionnel qu'a connu la France sous le second Empire a pu s'appuyer sur cette organisation rationnelle et pacifiée, débouchant par exemple sur la construction du réseau ferroviaire innervant dans un premier temps les villes principales autour de Paris, puis quasiment chaque sous-préfecture aux riches heures de la IIIe République. »
Le professeur de géographie Jean-Marie Miossec détaille plus précisément les conditions de création et de découpage des départements dans son ouvrage Géohistoire de la régionalisation en France – L’horizon régional (2009). En septembre 1789, Emmanuel-Joseph Sieyès, « qui fut le grand homme de la réorganisation territoriale en France, […], « réclame une nouvelle division territoriale […] « pour que l’on puisse espérer ne pas voir le royaume se déchirer en une multitude de petits Etats sous forme républicaine et qu’au contraire, la France puisse former un seul tout, soumis uniformément, dans toutes ses parties, à une législation et administration communes » (discours du 7 septembre). « L’influence du rationalisme des Lumières explique la fascination de la géométrie et de l’artithmétique. Pour Sieyès […], la France devait être subdivisée en 81 départements de 18 lieues sur 18 soit 324 lieues carrées ». Le critère de la journée de trajet pour se rendre dans la chef-lieu du canton est défendu par Dupont de Nemours, reprenant les idées de Turgot : « Il trouvait que les provinces ne devaient jamais avoir plus de dix lieues de rayon, afin que de la partie la plus éloignée de la capitale, on pût s’y rendre dans un jour, et retourner chez soi dans l’autre ». Jean-Marie Miossec suit l’évolution des discussions : « le découpage s’effectuera dans le cadre des provinces, selon la décision de l’Assemblée (11 novembre 1790), en partant des diocèses qui, plus ou moins modifiés, agrégés ou fractionnés, forment des districts, première subdivision des départements. »
Ainsi sont finalement créés les départements par la Loi du 22 décembre 1789 relative à la constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives :
« Art. 1er. Il sera fait une nouvelle division du royaume en départements, tant pour la
représentation que pour l'administration. Ces départements seront au nombre de soixante - quinze à quatre vingt-cinq.
2. Chaque département sera divisé en districts, dont le nombre, qui ne pourra être ni au-dessous de trois, ni au-dessus de neuf, sera réglé par l'Assemblée nationale, suivant le besoin et la convenance du département, après avoir entendu les députés des provinces.
3. Chaque district sera partagé en divisions appelées cantons, d'environ quatre lieues carrées (lieues communes de France.)
4. La nomination des représentants à l'Assemblée nationale sera faite par départements.
5. II sera établi, au chef-lieu de chaque département, une assemblée administrative
supérieure, sous le titre d'Administration de département.
6. Il sera également établi, au chef-lieu de chaque district, une assemblée administrative inférieure, sous le titre d'Administration de district.
7. Il y aura une municipalité en chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de
campagne. »
Jean Clément Martin et Marc Thivolet expliquent dans leur article « Révolution française » paru sur l’Encyclopédia Universalis en ligne, que « si les quatre-vingt-trois départements, nouvellement créés, respectent globalement les cadres provinciaux, la désignation des chefs-lieux suscite de nombreuses querelles, attisées par les multiples élections destinées à pourvoir aux fonctions administratives et judiciaires qui en découlent. »
Pour aller plus loin :
- La marche de l’Histoire , émission du 2 décembre 2015 par Jean Lebrun / « La séance est ouverte » : 1789, débat sur le découpage du territoire en départements
- Paris et ses provinces : le défi de la décentralisation, 1770-1992 / Pierre Deyon (1992)
- Le département – Deux siècles d’affirmation / Agnès Guellec (1989)
Bonne journée.
Le découpage du territoire français en départements date de la Révolution française. L’un des critères de cette délimitation semble bien avoir été la possibilité de parcourir le département en une journée à cheval, mais pour se rendre au chef-lieu de ce territoire : « la taille de ces départements était fixée de façon telle qu'il devait être possible de se rendre en moins d'une journée de cheval au chef-lieu de chacun de ceux-ci depuis n'importe quel point de leur territoire ». Source : Wikipedia, citant La nouvelle économie géographique / Matthieu Crozet, Miren Lafourcade (2009).
Néanmoins, la création et la délimitation des départements s’inscrit dans une réflexion plus globale et de véritables enjeux idéologiques.
En effet, selon Jean-Luc Bœuf, haut fonctionnaire spécialiste des collectivités territoriales, dans l’article paru le 7 mai 2017 De la Révolution à la réforme territoriale, petite histoire du département, « le département a été mis sur pied dans un souci d'organisation et de rationalisation des territoires. […]
A la fin de l'Ancien Régime, le royaume de France est cet «agrégat inconstitué de peuples désunis», selon l'expression de Mirabeau. Les frontières des circonscriptions administratives sont floues et les représentants du roi dans les provinces peinent bien sûr à faire reconnaître leur autorité. Dans ces conditions, l'invention du département répond à une logique d'organisation, à une logique militaire et d'ordre public. Mais surtout ce nouvel échelon permet de disposer d'un cadre aux frontières précises. L'État est naturellement à la manœuvre et l'instauration des préfets par Napoléon va en quelque sorte parachever le dispositif territorial. Les forces vives ne peuvent se développer sans la bienveillante neutralité du représentant de l'État a minima. Mais surtout, petit à petit, le cadre fixé va servir de base à l'organisation et à la structuration de l'ensemble de l'économie française. C'est ainsi que vont voir le jour les chambres départementales des divers corps de métiers et autres professions (notaires, pharmaciens, médecins…). Le département n'est pas vraiment considéré comme une collectivité locale. C'est d'ailleurs le préfet qui en assure l'exécutif. Non, le département est cet échelon de vie économique et sociale auquel on se réfère et qui structure l'économie. D'ailleurs, le développement économique exceptionnel qu'a connu la France sous le second Empire a pu s'appuyer sur cette organisation rationnelle et pacifiée, débouchant par exemple sur la construction du réseau ferroviaire innervant dans un premier temps les villes principales autour de Paris, puis quasiment chaque sous-préfecture aux riches heures de la IIIe République. »
Le professeur de géographie Jean-Marie Miossec détaille plus précisément les conditions de création et de découpage des départements dans son ouvrage Géohistoire de la régionalisation en France – L’horizon régional (2009). En septembre 1789, Emmanuel-Joseph Sieyès, « qui fut le grand homme de la réorganisation territoriale en France, […], « réclame une nouvelle division territoriale […] « pour que l’on puisse espérer ne pas voir le royaume se déchirer en une multitude de petits Etats sous forme républicaine et qu’au contraire, la France puisse former un seul tout, soumis uniformément, dans toutes ses parties, à une législation et administration communes » (discours du 7 septembre). « L’influence du rationalisme des Lumières explique la fascination de la géométrie et de l’artithmétique. Pour Sieyès […], la France devait être subdivisée en 81 départements de 18 lieues sur 18 soit 324 lieues carrées ». Le critère de la journée de trajet pour se rendre dans la chef-lieu du canton est défendu par Dupont de Nemours, reprenant les idées de Turgot : « Il trouvait que les provinces ne devaient jamais avoir plus de dix lieues de rayon, afin que de la partie la plus éloignée de la capitale, on pût s’y rendre dans un jour, et retourner chez soi dans l’autre ». Jean-Marie Miossec suit l’évolution des discussions : « le découpage s’effectuera dans le cadre des provinces, selon la décision de l’Assemblée (11 novembre 1790), en partant des diocèses qui, plus ou moins modifiés, agrégés ou fractionnés, forment des districts, première subdivision des départements. »
Ainsi sont finalement créés les départements par la Loi du 22 décembre 1789 relative à la constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives :
« Art. 1er. Il sera fait une nouvelle division du royaume en départements, tant pour la
représentation que pour l'administration. Ces départements seront au nombre de soixante - quinze à quatre vingt-cinq.
2. Chaque département sera divisé en districts, dont le nombre, qui ne pourra être ni au-dessous de trois, ni au-dessus de neuf, sera réglé par l'Assemblée nationale, suivant le besoin et la convenance du département, après avoir entendu les députés des provinces.
3. Chaque district sera partagé en divisions appelées cantons, d'environ quatre lieues carrées (lieues communes de France.)
4. La nomination des représentants à l'Assemblée nationale sera faite par départements.
5. II sera établi, au chef-lieu de chaque département, une assemblée administrative
supérieure, sous le titre d'Administration de département.
6. Il sera également établi, au chef-lieu de chaque district, une assemblée administrative inférieure, sous le titre d'Administration de district.
7. Il y aura une municipalité en chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de
campagne. »
Jean Clément Martin et Marc Thivolet expliquent dans leur article « Révolution française » paru sur l’Encyclopédia Universalis en ligne, que « si les quatre-vingt-trois départements, nouvellement créés, respectent globalement les cadres provinciaux, la désignation des chefs-lieux suscite de nombreuses querelles, attisées par les multiples élections destinées à pourvoir aux fonctions administratives et judiciaires qui en découlent. »
Pour aller plus loin :
- La marche de l’Histoire , émission du 2 décembre 2015 par Jean Lebrun / « La séance est ouverte » : 1789, débat sur le découpage du territoire en départements
- Paris et ses provinces : le défi de la décentralisation, 1770-1992 / Pierre Deyon (1992)
- Le département – Deux siècles d’affirmation / Agnès Guellec (1989)
Bonne journée.
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