Question d'origine :
Selon les citations d'Emmanuel Kant et les commentaires rapportés ici et là, dans des livres, des articles et sur Internet, on rencontre, en français, les adjectifs "cosmopolite" et "cosmopolitique", sans doute en fonction de traductions différentes. J'aimerais donc savoir quel est le terme allemand de Kant, sa traduction littérale et sa traduction (philosophie) la plus correcte. Merci d'avance.
Réponse attendue le 21/08/2017 - 15:08.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 21/08/2017 à 09h28
Bonjour,
Si l’on s’appuie deux des ouvrages où apparaît chez Kant cette notion de cosmopolitique ou cosmopolitisme, le mot est à chaque fois traduit à partir de l’allemand « weltbürger ». Ainsi, le titre Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique est la traduction de : Idee zu einer allgemeinen Geschichte inweltbürgerlicher Absicht. De même, dans le troisième article de la deuxième section du Projet de paix perpétuelle, on peut lire le titre suivant : « Le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l’hospitalité universelle ». L’expression « droit cosmopolitique » traduit ici « weltbürgerrecht ».
Si l’on devait traduire littéralement welt-bürger, cela donnerait quelque chose comme « citoyen du monde ».
Bien que nous ne puissions le vérifier absolument dans le temps qui nous est imparti, la traduction habituelle, prédominante du concept de philosophie politique qu’élabore Kant semble être « cosmopolitique » davantage que « cosmopolite ».
On trouve certes l’adjectif « cosmopolite », par exemple dans cet extrait de l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique : « Il [l’Allemand] n’a pas d’orgueil national et, cosmopolite, il n’est pas attaché à sa patrie » (Dans la traduction de Michel Foucault. Mais le philologue du 19ème siècle Joseph Tissot traduit de la même façon).
On pourrait en déduire avec cet exemple que « cosmopolite » relève davantage du langage courant tandis que « cosmopolitique » appartient au lexique spécifique et conceptuel de la philosophie. D’ailleurs, autant on trouve le premier dans les dictionnaires de langue française, autant le second en est absent : on ne le trouve ni dans le Larousse, ni dans le Robert, ni dans le Trésor de la Langue Française.
Comment définir alors, et dans une perspective philosophique, le terme cosmopolitique ?
Jean-Marie Vaysse, dans son Dictionnaire Kant chez Ellipses propose les éléments de définition suivants :
« Les individus constituant l’espèce humaine ne pouvant se passer de de coexistence pacifique, sans pouvoir pour autant éviter les conflits, ils tendent à former une association en progrès vers une société cosmopolitique ».
Pour le dire très schématiquement, le cosmopolitisme kantien est un idéal vers lequel il faut tendre, une constitution politique qu’il faut s’efforcer d’atteindre et ce, quand bien même il semble inaccessible.
« L’idée est irréalisable mais le philosophe ne doit pas en conclure qu’elle est vaine. Il faut qu’elle soit irréalisable pour être un modèle, pour que nous puissions “prendre ce maximum comme modèle, afin de rapprocher toujours plus la constitution légale des hommes de la perfection la plus haute possible. En effet, quel peut bien être le degré le plus élevé où il faut que s’arrête l’humanité, et donc combien mesure l’abîme qui sépare nécessairement l’idée de sa réalisation, personne ne peut ni ne doit le déterminer, justement parce qu’il s’agit de la liberté qui peut toujours franchir toute limite assignée (Kant, Critique de la Raison Pure)” ». (Caroline Guibet Lafaye, introduction à l’ouvrage Kant cosmopolitique, 2008]
Pour autant, « l’idée d’un droit cosmopolitique n’est ni une extravagance, ni une chimère, mais une conséquence du droit civil et du droit des gens en vue du droit public de tous les hommes et d’une paix perpétuelle. Le droit cosmopolitique est donc une idée rationnelle d’une communauté pacifique de tous les peuples . Il ne peut s’agir d’un Etat universel, mais d’une fédération d’Etats selon un droit commun des gens » (JM Vaysse, Dictionnaire Kant).
Précisons pour finir que Kant n’est pas le premier (ni le dernier) philosophe à porter une vision cosmopolitique. Comme le rappelle Louis Lourme dans son article sur le cosmopolitisme extrait du Dictionnaire de théorie politique, à un Athénien qui lui demande son origine, Diogène de Sinope répond : « je suis citoyen du monde (en grec, kosmopolitès) ». Lui même n’est pas le seul à proposer cette perspective, l’idéal de citoyenneté universelle est professée par plusieurs écoles philosophiques grecques (les cyniques donc, mais aussi les stoïciens et les sceptiques).
Pour aller plus loin :
- Les ouvrages de Kant où cette notion est directement convoquée (voire tout à fait centrale) :
Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784)
Projet de paix perpétuelle(1795)
Métaphysique des mœurs (notamment dans la Doctrine du droit) (1796-1797)
L’anthropologie d’un point de vue pragmatique (1798)
- Kant cosmopolitique, Sous la direction de Charles Yves Zarka et Caroline Guibet Lafaye, aux éditions de l’Eclat.
Ce livre collectif est l’aboutissement d’un colloque organisé par le CNRS. Y sont développés notamment les aspects juridiques de cette question, mais aussi des éléments sur sa pertinence aujourd’hui.
- Etre citoyen du monde : horizon ou abîme du politique, article de Michaël Foessel publié sur le site La Vie des idées.
Ce spécialiste de Kant et de la philosophie moderne européenne livre un texte très clair où il revient entre autres sur les critiques adressées par Rousseau à ce concept, mais aussi sur les penseurs qui, comme Jürgen Habermas ou le sociologue Ulrich Beck, ont alimenté après Kant la réflexion sur le cosmopolitisme.
Bonnes lectures !
Si l’on s’appuie deux des ouvrages où apparaît chez Kant cette notion de cosmopolitique ou cosmopolitisme, le mot est à chaque fois traduit à partir de l’allemand « weltbürger ». Ainsi, le titre Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique est la traduction de : Idee zu einer allgemeinen Geschichte in
Si l’on devait traduire littéralement welt-bürger, cela donnerait quelque chose comme « citoyen du monde ».
Bien que nous ne puissions le vérifier absolument dans le temps qui nous est imparti, la traduction habituelle, prédominante du concept de philosophie politique qu’élabore Kant semble être « cosmopolitique » davantage que « cosmopolite ».
On trouve certes l’adjectif « cosmopolite », par exemple dans cet extrait de l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique : « Il [l’Allemand] n’a pas d’orgueil national et, cosmopolite, il n’est pas attaché à sa patrie » (Dans la traduction de Michel Foucault. Mais le philologue du 19ème siècle Joseph Tissot traduit de la même façon).
On pourrait en déduire avec cet exemple que « cosmopolite » relève davantage du langage courant tandis que « cosmopolitique » appartient au lexique spécifique et conceptuel de la philosophie. D’ailleurs, autant on trouve le premier dans les dictionnaires de langue française, autant le second en est absent : on ne le trouve ni dans le Larousse, ni dans le Robert, ni dans le Trésor de la Langue Française.
Comment définir alors, et dans une perspective philosophique, le terme cosmopolitique ?
Jean-Marie Vaysse, dans son Dictionnaire Kant chez Ellipses propose les éléments de définition suivants :
« Les individus constituant l’espèce humaine ne pouvant se passer de de coexistence pacifique, sans pouvoir pour autant éviter les conflits, ils tendent à former une association en progrès vers une société cosmopolitique ».
Pour le dire très schématiquement, le cosmopolitisme kantien est un idéal vers lequel il faut tendre, une constitution politique qu’il faut s’efforcer d’atteindre et ce, quand bien même il semble inaccessible.
« L’idée est irréalisable mais le philosophe ne doit pas en conclure qu’elle est vaine. Il faut qu’elle soit irréalisable pour être un modèle, pour que nous puissions “prendre ce maximum comme modèle, afin de rapprocher toujours plus la constitution légale des hommes de la perfection la plus haute possible. En effet, quel peut bien être le degré le plus élevé où il faut que s’arrête l’humanité, et donc combien mesure l’abîme qui sépare nécessairement l’idée de sa réalisation, personne ne peut ni ne doit le déterminer, justement parce qu’il s’agit de la liberté qui peut toujours franchir toute limite assignée (Kant, Critique de la Raison Pure)” ». (Caroline Guibet Lafaye, introduction à l’ouvrage Kant cosmopolitique, 2008]
Pour autant, « l’idée d’un droit cosmopolitique n’est ni une extravagance, ni une chimère, mais une conséquence du droit civil et du droit des gens en vue du droit public de tous les hommes et d’une paix perpétuelle.
Précisons pour finir que Kant n’est pas le premier (ni le dernier) philosophe à porter une vision cosmopolitique. Comme le rappelle Louis Lourme dans son article sur le cosmopolitisme extrait du Dictionnaire de théorie politique, à un Athénien qui lui demande son origine, Diogène de Sinope répond : « je suis citoyen du monde (en grec, kosmopolitès) ». Lui même n’est pas le seul à proposer cette perspective, l’idéal de citoyenneté universelle est professée par plusieurs écoles philosophiques grecques (les cyniques donc, mais aussi les stoïciens et les sceptiques).
Pour aller plus loin :
- Les ouvrages de Kant où cette notion est directement convoquée (voire tout à fait centrale) :
Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784)
Projet de paix perpétuelle(1795)
Métaphysique des mœurs (notamment dans la Doctrine du droit) (1796-1797)
L’anthropologie d’un point de vue pragmatique (1798)
- Kant cosmopolitique, Sous la direction de Charles Yves Zarka et Caroline Guibet Lafaye, aux éditions de l’Eclat.
Ce livre collectif est l’aboutissement d’un colloque organisé par le CNRS. Y sont développés notamment les aspects juridiques de cette question, mais aussi des éléments sur sa pertinence aujourd’hui.
- Etre citoyen du monde : horizon ou abîme du politique, article de Michaël Foessel publié sur le site La Vie des idées.
Ce spécialiste de Kant et de la philosophie moderne européenne livre un texte très clair où il revient entre autres sur les critiques adressées par Rousseau à ce concept, mais aussi sur les penseurs qui, comme Jürgen Habermas ou le sociologue Ulrich Beck, ont alimenté après Kant la réflexion sur le cosmopolitisme.
Bonnes lectures !
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