Question d'origine :
Bonjour,
Je suis à la recherche d'oeuvres littéraires rendant compte des jeux de joutes verbales, improvisations rimées et mots d'esprit que l'on pouvait retrouver dans la cour du roi sous Louis XIV, Louis XVI, ...
Le film Ridicule de Leconte les aborde mais je ne parviens pas à en trouver l'équivalent dans la littérature.
Merci beaucoup,
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 08/08/2017 à 14h21
Bonjour,
Vous recherchez une sélection d’œuvres littéraires recourant aux jeux de joutes verbales, aux improvisations rimées et aux mots d’esprit, procédés qui vous ont marqué dans le film Ridicule réalisé par Patrice Leconte et sorti en 1996. Nous vous rappelons son résumé : « Versailles, 1780. Le jeune baron Grégoire de Malavoy tente de convaincre les ministres de Louis XVI d’assécher les marais de sa province infestée par les fièvres. Mais avant d’arriver jusqu’au Roi, il devra se faire un nom dans les salons de la Comtesse de Blayac, véritable antichambre du pouvoir, où le bel esprit peut faire une carrière alors qu’un « ridicule » la brise à jamais… »
Dans le numéro 521 de la revue « L’avant-scène. Cinéma », daté de 2003, et consacré largement à ce film, son scénariste Rémi Waterhouse évoque son travail sur le langage, dans un entretien avec Yves Alion (page 8 de la revue) :
"Pour en revenir à l'écriture, le plaisir des (bons) mots étant essentiel dans "Ridicule", vous êtes-vous amusé à les forger vous-même ou les avez-vous recueillis dans des livres ?
R. W. : J'en ai forgé assez peu moi-même. J'ai au contraire beaucoup lu, notamment en allant à la Bibliothèque Nationale. J'ai rempli plusieurs cahiers de notes en faisant attention aux différentes catégories de bons mots : promptes réparties, saillies drolatiques, gasconnades, équivoques ou brocards. J'ai mis la main sur un « art d'orner l'esprit » en huit volumes, une compilation rédigée à l'époque, qui montrait bien où se situaient les préoccupations de la Cour. C'était vraiment amusant de réaliser cette compilation de bons mots.
Les bons mots ne sont pas propres à la cour de Versailles...
R. W. :C'est certain. Mais je ne crois pas que l'on ait pu leur accorder ailleurs ou à autre moment une telle importance. Ce qui est troublant, c'est la radicalité de leur pouvoir. Les mots sont portés à incandescence. Tout le monde peut comprendre le stress de ces gens-là, qui étaient brocardés et devaient trouver une répartie sous peine de dommages sans doute irrémédiables. Je ne voulais pas que le film ait pour titre « Les ridicules » : c'est LE ridicule qui m'intéressait. Le ridicule comme gaz létal. Imaginez que vous vous baladez le cœur léger dans un couloir en sifflotant, et paf, tout à coup, quelqu'un surgit et vous balance une vacherie à laquelle vous ne trouvez rien à répliquer Pour vous, c'est le début de la fin... C'est pour cette raison que le film s'ouvre sur l'affaire du marquis de Patatras, pour indiquer de quoi il s'agit. Le marquis de Patatras, épinglé par ce bon mot quinze ans plus tôt, ne s'en est jamais remis. Il a dû partir en Amérique pour être tombé par terre pendant qu'il dansait. Tout cela est authentique : c'est Boigne qui le raconte. Et pourtant, ces gens-là n'ont pas le choix. Ils sont à la Cour pour obtenir des faveurs qu'ils ne peuvent pas recevoir par d'autres moyens. Assécher les Dombes, obtenir le commandement d'un régiment ou la charge d'une abbaye... Chateaubriand raconte les circonstances de son arrivée à Versailles. On lui avait dit qu'il n'y avait pas de plus grande offense que de « couper la chasse », c'est-à-dire gêner le roi pendant la battue. Or, le jeune nobliau, qui montait un canasson de location, a coupé la chasse. Il en a été mortifié...
Cette cruauté en dentelles évoque "Les Liaisons dangereuses". Était-ce pour vous une référence ?
R. W. : Pas vraiment. Je ne pense pas que ce soit le même système. Mais c'est vrai que les miasmes propres à l'époque se retrouvent dans "Ridicule" comme dans l'œuvre de Laclos. J'avais noté en la lisant que Valmont y est présenté de la manière suivante : « Il savait manier les deux choses qui font que l'on arrive en société : la louange et le ridicule ». Laclos savait comment fonctionnait le monde... […]"
Rémi Waterhouse évoque l’ouvrage L'art d'orner l'esprit en l'amusant, ou nouveau choix de traits vifs, saillans & legers, soit en vers, soit en prose... Par monsieur Gayot de Pitaval, paru en 1738, disponible à la Bibliothèque municipale de Lyon.
Vous vous intéressez aux œuvres littéraires, tous genres confondus, qui recourent à cette impertinence, à ces mots d’esprit employés à la cour du roi, sur une large période, du règne de Louis XIV à celui de Louis XVI, donc entre la deuxième moitié du XVIIème siècle et la fin de l’Ancien Régime au XVIIIème siècle.
Voici quelques œuvres théâtrales évoquant, et moquant souvent, le langage à la Cour :
- De Molière : Les précieuses ridicules (1659), Le bourgeois gentilhomme (1670)
- De Beaumarchais : La folle journée ou le mariage de Figaro (1784)
Voici le fameux roman épistolaire plusieurs fois adapté au cinéma qui évoque ce langage : celui Pierre Choderlos de Laclos Les liaisons dangereuses, paru en 1782.
Il semble que cette forme d’impertinence dans les dialogues en littérature accompagne particulièrement l’essor du libertinage au XVIIIème siècle.
Comme le souligne Alex Bellemare dans son article Les francs-tireurs de la subversion. L’ironie dialoguée des Lumières, Acta fabula, vol. 15, n° 2, Notes de lecture, Février 2014, à propos de l’ouvrage de Patrick Neiertz Lumières obliques – Ironies et dialogues au XVIII° siècle (2012), « P. Neiertz puise chez Jankélévitch […] le rapport entre l’émergence de l’ironie littéraire et l’élaboration d’une conscience critique. Cet alliage entre ironie et conscience moderne fonctionne très bien pour les catégories du libertinage et de la philosophie (catégories d’ailleurs spontanément juxtaposées à l’esprit des Lumières), mais grince lorsque l’on envisage dans le même souffle la parodie et le comique. La subversion qui découle de ces derniers n’est assurément pas du même ordre. […] Il semble parfois un peu artificiel de faire tenir ensemble des phénoménologies ironiques si contrastantes (parodie, comique, philosophie, libertinage) et des genres littéraires aussi variés qu’instables (théâtre, dialogue, roman). »
Vous consulterez avec profit ces définitions du libertinage au XVIIème puis au XVIIIème siècle sur l’Encyclopédie Larousse en ligne.
Si vous souhaitez en savoir plus sur ce rapport particulier au langage au XVIIIème siècle, voici une sélection d’ouvrages :
- Théorie du persiflage / Pierre Chartier (2005)
- Le siècle du persiflage : 1734-1789 / Élisabeth Bourguinat (1998)
Pour aller plus loin sur le libertinage au XVIIIème siècle, vous pouvez consulter les réponses du Guichet du savoir aux questions suivantes :
- Le libertinage au XVIIIème siècle dans la société et dans les arts
- Les atouts du livre « Les liaisons dangereuses »
Bonne journée.
Vous recherchez une sélection d’œuvres littéraires recourant aux jeux de joutes verbales, aux improvisations rimées et aux mots d’esprit, procédés qui vous ont marqué dans le film Ridicule réalisé par Patrice Leconte et sorti en 1996. Nous vous rappelons son résumé : « Versailles, 1780. Le jeune baron Grégoire de Malavoy tente de convaincre les ministres de Louis XVI d’assécher les marais de sa province infestée par les fièvres. Mais avant d’arriver jusqu’au Roi, il devra se faire un nom dans les salons de la Comtesse de Blayac, véritable antichambre du pouvoir, où le bel esprit peut faire une carrière alors qu’un « ridicule » la brise à jamais… »
Dans le numéro 521 de la revue « L’avant-scène. Cinéma », daté de 2003, et consacré largement à ce film, son scénariste Rémi Waterhouse évoque son travail sur le langage, dans un entretien avec Yves Alion (page 8 de la revue) :
"Pour en revenir à l'écriture, le plaisir des (bons) mots étant essentiel dans "Ridicule", vous êtes-vous amusé à les forger vous-même ou les avez-vous recueillis dans des livres ?
R. W. : J'en ai forgé assez peu moi-même. J'ai au contraire beaucoup lu, notamment en allant à la Bibliothèque Nationale. J'ai rempli plusieurs cahiers de notes en faisant attention aux différentes catégories de bons mots : promptes réparties, saillies drolatiques, gasconnades, équivoques ou brocards. J'ai mis la main sur un « art d'orner l'esprit » en huit volumes, une compilation rédigée à l'époque, qui montrait bien où se situaient les préoccupations de la Cour. C'était vraiment amusant de réaliser cette compilation de bons mots.
R. W. :
Cette cruauté en dentelles évoque "Les Liaisons dangereuses". Était-ce pour vous une référence ?
R. W. : Pas vraiment. Je ne pense pas que ce soit le même système. Mais c'est vrai que les miasmes propres à l'époque se retrouvent dans "Ridicule" comme dans l'œuvre de Laclos. J'avais noté en la lisant que Valmont y est présenté de la manière suivante : « Il savait manier les deux choses qui font que l'on arrive en société : la louange et le ridicule ». Laclos savait comment fonctionnait le monde... […]"
Rémi Waterhouse évoque l’ouvrage L'art d'orner l'esprit en l'amusant, ou nouveau choix de traits vifs, saillans & legers, soit en vers, soit en prose... Par monsieur Gayot de Pitaval, paru en 1738, disponible à la Bibliothèque municipale de Lyon.
Vous vous intéressez aux œuvres littéraires, tous genres confondus, qui recourent à cette impertinence, à ces mots d’esprit employés à la cour du roi, sur une large période, du règne de Louis XIV à celui de Louis XVI, donc entre la deuxième moitié du XVIIème siècle et la fin de l’Ancien Régime au XVIIIème siècle.
Voici quelques œuvres théâtrales évoquant, et moquant souvent, le langage à la Cour :
- De Molière : Les précieuses ridicules (1659), Le bourgeois gentilhomme (1670)
- De Beaumarchais : La folle journée ou le mariage de Figaro (1784)
Voici le fameux roman épistolaire plusieurs fois adapté au cinéma qui évoque ce langage : celui Pierre Choderlos de Laclos Les liaisons dangereuses, paru en 1782.
Comme le souligne Alex Bellemare dans son article Les francs-tireurs de la subversion. L’ironie dialoguée des Lumières, Acta fabula, vol. 15, n° 2, Notes de lecture, Février 2014, à propos de l’ouvrage de Patrick Neiertz Lumières obliques – Ironies et dialogues au XVIII° siècle (2012), « P. Neiertz puise chez Jankélévitch […] le rapport entre l’émergence de l’ironie littéraire et l’élaboration d’une conscience critique. Cet alliage entre ironie et conscience moderne fonctionne très bien pour les catégories du libertinage et de la philosophie (catégories d’ailleurs spontanément juxtaposées à l’esprit des Lumières), mais grince lorsque l’on envisage dans le même souffle la parodie et le comique. La subversion qui découle de ces derniers n’est assurément pas du même ordre. […] Il semble parfois un peu artificiel de faire tenir ensemble des phénoménologies ironiques si contrastantes (parodie, comique, philosophie, libertinage) et des genres littéraires aussi variés qu’instables (théâtre, dialogue, roman). »
Vous consulterez avec profit ces définitions du libertinage au XVIIème puis au XVIIIème siècle sur l’Encyclopédie Larousse en ligne.
Si vous souhaitez en savoir plus sur ce rapport particulier au langage au XVIIIème siècle, voici une sélection d’ouvrages :
- Théorie du persiflage / Pierre Chartier (2005)
- Le siècle du persiflage : 1734-1789 / Élisabeth Bourguinat (1998)
Pour aller plus loin sur le libertinage au XVIIIème siècle, vous pouvez consulter les réponses du Guichet du savoir aux questions suivantes :
- Le libertinage au XVIIIème siècle dans la société et dans les arts
- Les atouts du livre « Les liaisons dangereuses »
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Serait-il possible de connaître les modalités d'indemnisation...
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter