Représentations des femmes dans la préhistoire
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 30/07/2017 à 03h37
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Question d'origine :
Pourquoi les représentations de femmes ("Vénus", dessins de vulve...) constituent-elles l'immense majorité des représentations d'humains dans la Préhistoire ?
Auraient-elles été réalisées par des femmes ?
Pourquoi cette insistance sur la fécondité ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 02/08/2017 à 12h04
Bonjour,
Il serait bien difficile pour nous de répondre de façon précise à vos questions, puisque les spécialistes eux-mêmes, préhistorien-nes, archéologues, paléontologues, anthropologues… sont souvent en désaccord sur ces sujets, multiplient des thèses contradictoires et peinent donc à aboutir sur une interprétation « officielle » des représentations humaines dans l’art préhistorique et de leur lien avec le religieux. De plus, l’étude de la préhistoire, comme tout sujet historique, est soumise à des courants idéologiques et à nos propres imaginaires, et le thème de la femme tout particulièrement. En effet, après la vision très caricaturale véhiculée dès le XIXe siècle d’une femme préhistorique faible soumise à un homme viril et dominant, nous sommes passés au XXe siècle sous l’influence des mouvements féministes des années 60 à une vision matriarcale de la société préhistorique. Au-delà de ces controverses, il est certain que les relations entre les sexes à la préhistoire étaient plus complexes qu’on ne le croit, et la recherche et l’étude de l’iconographie ont permis de dégager une idée plus concrète et réaliste de la société préhistorique.
Voici quelques pistes de réponse et surtout de réflexion :
- Sur les représentations humaines en général :
"Les représentations humaines, également présentes dans l’art pariétal et mobilier, ne sont pas ignorées mais considérées différemment. Loin de la qualité esthétique des représentations animalières, ce thème apparaît ambigu, incomplet, souvent très déformé, maladroit. L’iconographie humaine, difficile à appréhender dans l’histoire de la discipline préhistorique, a néanmoins été très souvent placée au cœur des théories interprétatives."
Images de soi au Magdalénien : les enjeux de la représentation humaine pour les sociétés paléolithiques – territoires et déplacements, Oscar FUENTES
« L'homme s'est représenté lui-même à partir du moment où il est apparu sous sa forme moderne - celle d'Homo sapiens sapiens -, même si l'on discute aussi sur la possibilité et l'interprétation d'éventuelles figurations plus anciennes. Et, pour l'essentiel, l'homme a d'abord représenté la femme. Mais ces images sont longtemps restées minoritaires : ce sont d'abord les animaux qui ont été figurés, dans une grande variété de formes et de styles, comme si la représentation humaine devait rester exceptionnelle, ou périphérique. Puis la révolution néolithique, qui voit agriculture et élevage remplacer chasse et pêche, s'accompagne d'une révolution des images au sein de laquelle la figure humaine se libère en Orient des canons inexpressifs et codés du Paléolithique à travers des figurines d'argile cuite, mais aussi de pierre ou de chaux. Ces premières figurations humaines, étudiées par Jean-Paul Demoule, apparaissent dans un espace cohérent et homogène, celui du Proche-Orient, de la Méditerranée et de l'Europe, qui évoluent de conserve tout au long de ces trente millénaires. L'auteur retrace la naissance et l'évolution de la figure humaine aux périodes préhistoriques et protohistoriques, jusqu'à l'apparition de l'esthétique propre aux organisations étatiques. Cette histoire globale de la figure, illustrée par les clichés exceptionnels d'Erich Lessing, n'a sans doute jamais été racontée sous cette forme. »
Naissance de la figure : l'art du paléolithique à l'âge du fer/ Jean-Paul Demoule
Dans son ouvrage posthume Art et religion de Chauvet à Lascaux, Alain Testart développe à partir de l’analyse des grottes ornées du paléolithique supérieur de Lascaux et Chauvet unethèse inédite. Selon lui, l’art préhistorique obéit à un mode « de pensée mythique, similaire au totémisme, où l’iconographie évoquerait une humanité hybride, mal dégagée du monde animal. L’homme y est figuré, mais de façon dissimulée. C’est au travers des animaux et de leur classification en espèces que l’art pariétal nous révèle, explique Alain Testart, une classification des hommes. L’omniprésence des signes de la féminité apposés sur les images d’animaux donne à penser que la reproduction du monde était en outre une préoccupation centrale de la religion des Paléolithiques. Miroir de l’état mythique des origines, la grotte renfermerait dès lors les étapes d’une cosmogonie ».
Dans la même lignée : Portrait de l'homme en animal : de la duplicité de la figure humaine dans l'art pariétal paléolithique / Amélie Bonnet Balazut
Voir aussi :
L'origine des représentations : regards croisés sur l'art préhistorique
Les représentations humaines dans l'art préhistorique du Périgord – Delluc
- Sur la représentation des femmes :
Un ouvrage récent Femmes de la Préhistoire de Claudine Cohen fait une synthèse de la recherche sur la question et propose de nouvelles pistes de réflexion.
Dans son chapitre L’aube de la représentation féminine, elle explique sa théorie concernant la surreprésentation des figures féminines et sur l’interprétation de ces Vénus, vulves ou poitrines opulentes… Elle développe à travers de nombreux exemples le concept d’anamorphose (voir ci-dessous), où les thèmes masculins et féminins sont presque systématiquement imbriqués dans l’iconographie, tendant à questionner la signification de la différence des sexes chez les paléolithiques. Il semble qu’ils s’intéressaient autant à la complémentarité, la conjonction et l’union des sexes, qu’à leur dualité ou disjonction…
Voici des extraits de l’interview de Claudine Cohen à propos de son livre Femmes de la Préhistoire (partie 1 et partie 2) :
FS : Peut-on parler d'une surreprésentation des femmes par rapport aux hommes?
CC: On ne connaît que très peu de figurations masculines, tandis que les figures féminines sont nombreuses. Mais les hommes sont présents sous d’autres formes. Avez-vous lu dans mon livre la partie intitulée « les anamorphoses du sexe »?
« FS: Oui, c'est une des parties que j'ai le moins comprises, car je n'ai pas saisi où se trouvait l'anamorphose.. Il y a un stalactite dans un grotte de forme pénienne sur lequel on a peint en plus une femme, c'est cela?
CC: Non, c'est la femme elle-même qui a une forme phallique... Ce que j'ai découvert - mais cela avait été souvent noté de façon ponctuelle - c'est qu'il y a un travail systématique sur l’ambiguïté sexuelle des formes dans ces représentations paléolithiques. Beaucoup de ces statuettes proposent une double lecture : elles montrent à la fois une silhouette féminine et lorsqu’on déplace un peu le regard, celle d’un phallus en érection, parfois avec ses testicules …Il est facile d’en faire la démonstration iconique.
FS: Pour vous, c'est certain?
CC: Écoutez, ce dont je suis sûre, c'est que ces gens avaient un talent artistique extraordinaire, dont témoigne l’art animalier des grottes ornées. Ces représentations féminines semblent plus simples, voire schématiques, mais elles sont tout sauf simplistes ! À mon avis elles démontrent une remarquable finesse de réalisation à travers ces jeux de forme, ces « calembours formels », comme disait Leroi-Gourhan. Ces figurations sont beaucoup plus complexes qu’on pourrait le penser. Elles ne représentent pas seulement des grosses dames, elles suggèrent une interaction subtile entre masculin et féminin, une anamorphose qui doit être considérée selon plusieurs points de vue pour en capter le sens complet… »
Voir aussi une autre interprétation :« Dans l’art préhistorique, les représentations humaines ne sont pas nombreuses, mais parmi elles, celles des femmes, entières ou partielles, sont les plus fréquentes.
Sur les parois des grottes, la femme est surtout représentée « en morceaux » et plus rarement complète. Des sexes triangulaires, des vulves et des corps sans tête constituent le corpus principal des représentations féminines dans l’art pariétal.
Dans l’art mobilier, la majorité des femmes sont représentées avec des caractères sexuels prononcés : forte poitrine, ventre et hanches proéminentes. Parfois également le sexe est surligné, comme pour le mettre en valeur. Face à une interprétation très sexuelle de ces représentations, Claudine Cohen avance une autre hypothèse : ces « Vénus » pourraient être des femmes âgées ayant eu plusieurs maternités, ce qui expliquerait la poitrine tombante et le ventre distendu. » La femme dans l’art préhistorique
- Sur les femmes artistes
Dans son chapitre Travaux de femmes : Femmes artistes ?, Claudine Cohen expose les dernières recherches et thèses qui mènent à penser que les femmes auraient contribué à l’art préhistorique, voir même créé des œuvres pour leurs propres usages : « La définition de l’art paléolithique comme un art "viril" a longtemps été donnée pour une évidence. On a voulu y reconnaitre un art initiatique (difficulté et danger de s’aventurer dans les grottes, symbolisme de la grotte) réalisé par les hommes, pour les hommes ; un art des grands chasseurs (thèmes animaliers, réalisme, connaissance des formes et multitudes des animaux) ; un art magique (magie de reproduction du gibier/fécondité humaine) ; et une expression privilégiée de la libido masculine, à travers les différentes silhouettes, figures ou symboles de femmes que l’on y trouve. Aujourd’hui, les certitudes se fissurent : l‘hypothèse d’un rôle des femmes dans la création des œuvres artistiques paléolithiques, ou au moins de certaines d’entre elles, est envisagé. »
"L’art paléolithique mobilier et pariétal fournit les éléments d’une réflexion sur la place de la femme dans la préhistoire. Du rivage atlantique à la vallée du Don, les silhouettes féminines peintes, gravées ou en ronde-bosse, les représentations réalistes ou stylisées de vulves, parfois de scènes sexuelles, les « Vénus » sculptées dans l’ivoire, dans l’os ou la pierre calcaire, aux formes graciles ou opulentes, ont donné lieu à maintes spéculations. Expression de rituels de chasse ou de fécondité, manifestation sans détour de la libido masculine, preuve d’un matriarcat primitif ou d’une religion de la Grande Déesse ? Depuis peu, ces interrogations se renouvellent et soulèvent la question de l’identification des auteurs et des utilisateurs de ces images : hommes ou femmes ? Dans quelle mesure ces représentations, et les autres vestiges préhistoriques, donnent-ils des éléments pour y répondre ?" Qui est l’artiste ? Art paléolithique et différence des sexes
- Sur le thème de la fécondité
« Les interprétations des Vénus paléolithiques sont nombreuses et parfois fantasques. En l’absence de témoignages écrits, les théories concernant un éventuel culte de la fécondité ou de la Déesse-Mère sont purement spéculatives et ne peuvent être évaluées scientifiquement. »
En effet, la controverse est grande sur cette question entre les « partisans » ou les détracteurs » de la théorie de la Déesse-Mère, notamment démontrée par Marija Gimbutas dans son ouvrage Le langage de la déesse.
« Alors que, de façon générale, la figuration humaine est minoritaire dans les arts de la préhistoire, les représentations féminines dominent. Longtemps, les caractères marqués de leurs attributs sexuels en firent aux yeux des préhistoriens des témoins de croyances ou de cultes en lien avec la fécondité. Plusieurs figurations de femmes enceintes sont connues, il est vrai, dont certaines en train d'accoucher, comme la « Dame aux fauves » de Çatal Höyük. Cette interprétation est plus nuancée aujourd'hui. Nombreuses en effet sont aussi les statuettes qui ne présentent aucun signe de grossesse, n'ont pas de formes, ou peu, ou qui peuvent être interprétées comme celles de la maturité. »
Préhistoire : quoi de neuf sur les femmes ?
Rencontre avec Alain Testart : pour en finir avec la déesse-mère :
"On a trouvé au Néolithique beaucoup de figurines féminines qui, selon certains, seraient des divinités plaçant la femme au centre de la vie religieuse. Qu'en dites-vous ?
Il y a plusieurs choses à dire sur les figurations féminines. D'abord que même si elles deviennent plus nombreuses au Néolithique, elles ont existé bien avant. Nous connaissons tous les fameuses « Vénus » du Paléolithique : il en existe quelques centaines. Plusieurs spécialistes ont été tentés de dire qu'il y avait là le signe d'un culte rendu à des divinités féminines, allant de pair avec l'importance sociale de la femme dans les sociétés préhistoriques. Mais cela ne repose sur rien.
Rien n'est plus répandu dans le monde que les images de femmes plus ou moins nues. Elles évoquent la mère, la génitrice, la compagne de l'homme ou l'objet sexuel. Au XXIe siècle, les murs des villes européennes sont couverts d'images de femmes en tenues légères. Dans les arts d'Afrique et d'Océanie, rien n'est plus courant que des images de femmes avec de gros seins ou portant des enfants. Et tout cela n'a rien à voir avec la place qu'occupent les femmes dans le panthéon de ces peuples. Dans la religion yoruba, il y a des divinités féminines. Chez leurs voisins, il n'y en pas forcément et c'est sans rapport avec le nombre de représentations féminines.
Si ce ne sont pas des « déesses » ou des « ancêtres », qu'est-ce que peuvent être ces figurines ?
La femme est un « bon symbole » à représenter. Mais ceci n'en fait pas pour autant l'objet d'un culte. Ce qui est symbolique n'est pas forcément religieux. Autour de l'opéra Garnier, à Paris, il y a de très belles femmes nues en bronze, qui soutiennent des candélabres. Ça n'a aucune espèce de signification religieuse. Dans la Rome antique, l'amphithéâtre où se tenaient les jeux était un lieu très symbolique : le sang y était répandu en abondance, alors que dans tout le reste de la cité, il ne devait pas couler. C'était donc un espace très chargé de signification, mais qui n'avait aucun rapport avec la religion, les temples et les dieux. Tout cela pour dire que les cultures produisent énormément d'objets ayant des valeurs symboliques, magiques ou esthétiques, tels que des amulettes ou des outils de divination, qui ne nous disent rien sur les croyances fondamentales des gens, rien sur leur religion.
Dans cet autre ouvrage, il réexamine la thèse du matriarcat et de la Grande déesse, liée à l’invention de l’agriculture La déesse et le grain : trois essais sur les religions néolithiques / Alain Testart
Voir aussi :
Le passé du fantasme : la représentation de la Préhistoire en France dans la seconde moitié du XX° siècle (1940-2012)/ Pascal Semonsut
Une réponse du Musée de l’Homme : Quelle était la place de la femme à la préhistoire ?
Une réponse du Guichet du savoir : Relations sociales préhistoriques(et notamment relations hommes/femmes)
Femmes sans tête : une icône culturelle dans l'Europe de la fin de l'époque glaciaire/ Gerhard Bosinsk
Une exposition temporaire « La femme dans la Préhistoire »au musée de Préhistoire du Grand-Pressigny du 8 mars au 30 novembre 2017
La représentation de la femme dans l’art préhistorique Par Marie-Claude Bakkal-Lagarde
Bonne lecture !
Il serait bien difficile pour nous de répondre de façon précise à vos questions, puisque les spécialistes eux-mêmes, préhistorien-nes, archéologues, paléontologues, anthropologues… sont souvent en désaccord sur ces sujets, multiplient des thèses contradictoires et peinent donc à aboutir sur une interprétation « officielle » des représentations humaines dans l’art préhistorique et de leur lien avec le religieux. De plus, l’étude de la préhistoire, comme tout sujet historique, est soumise à des courants idéologiques et à nos propres imaginaires, et le thème de la femme tout particulièrement. En effet, après la vision très caricaturale véhiculée dès le XIXe siècle d’une femme préhistorique faible soumise à un homme viril et dominant, nous sommes passés au XXe siècle sous l’influence des mouvements féministes des années 60 à une vision matriarcale de la société préhistorique. Au-delà de ces controverses, il est certain que les relations entre les sexes à la préhistoire étaient plus complexes qu’on ne le croit, et la recherche et l’étude de l’iconographie ont permis de dégager une idée plus concrète et réaliste de la société préhistorique.
Voici quelques pistes de réponse et surtout de réflexion :
"Les représentations humaines, également présentes dans l’art pariétal et mobilier, ne sont pas ignorées mais considérées différemment. Loin de la qualité esthétique des représentations animalières, ce thème apparaît ambigu, incomplet, souvent très déformé, maladroit. L’iconographie humaine, difficile à appréhender dans l’histoire de la discipline préhistorique, a néanmoins été très souvent placée au cœur des théories interprétatives."
Images de soi au Magdalénien : les enjeux de la représentation humaine pour les sociétés paléolithiques – territoires et déplacements, Oscar FUENTES
« L'homme s'est représenté lui-même à partir du moment où il est apparu sous sa forme moderne - celle d'Homo sapiens sapiens -, même si l'on discute aussi sur la possibilité et l'interprétation d'éventuelles figurations plus anciennes. Et, pour l'essentiel, l'homme a d'abord représenté la femme. Mais ces images sont longtemps restées minoritaires : ce sont d'abord les animaux qui ont été figurés, dans une grande variété de formes et de styles, comme si la représentation humaine devait rester exceptionnelle, ou périphérique. Puis la révolution néolithique, qui voit agriculture et élevage remplacer chasse et pêche, s'accompagne d'une révolution des images au sein de laquelle la figure humaine se libère en Orient des canons inexpressifs et codés du Paléolithique à travers des figurines d'argile cuite, mais aussi de pierre ou de chaux. Ces premières figurations humaines, étudiées par Jean-Paul Demoule, apparaissent dans un espace cohérent et homogène, celui du Proche-Orient, de la Méditerranée et de l'Europe, qui évoluent de conserve tout au long de ces trente millénaires. L'auteur retrace la naissance et l'évolution de la figure humaine aux périodes préhistoriques et protohistoriques, jusqu'à l'apparition de l'esthétique propre aux organisations étatiques. Cette histoire globale de la figure, illustrée par les clichés exceptionnels d'Erich Lessing, n'a sans doute jamais été racontée sous cette forme. »
Naissance de la figure : l'art du paléolithique à l'âge du fer/ Jean-Paul Demoule
Dans son ouvrage posthume Art et religion de Chauvet à Lascaux, Alain Testart développe à partir de l’analyse des grottes ornées du paléolithique supérieur de Lascaux et Chauvet une
Dans la même lignée : Portrait de l'homme en animal : de la duplicité de la figure humaine dans l'art pariétal paléolithique / Amélie Bonnet Balazut
Voir aussi :
L'origine des représentations : regards croisés sur l'art préhistorique
Les représentations humaines dans l'art préhistorique du Périgord – Delluc
Dans son chapitre L’aube de la représentation féminine, elle explique sa théorie concernant la surreprésentation des figures féminines et sur l’interprétation de ces Vénus, vulves ou poitrines opulentes… Elle développe à travers de nombreux exemples le concept d’anamorphose (voir ci-dessous), où les thèmes masculins et féminins sont presque systématiquement imbriqués dans l’iconographie, tendant à questionner la signification de la différence des sexes chez les paléolithiques. Il semble qu’ils s’intéressaient autant à la complémentarité, la conjonction et l’union des sexes, qu’à leur dualité ou disjonction…
Voici des extraits de l’interview de Claudine Cohen à propos de son livre Femmes de la Préhistoire (partie 1 et partie 2) :
FS : Peut-on parler d'une surreprésentation des femmes par rapport aux hommes?
CC: On ne connaît que très peu de figurations masculines, tandis que les figures féminines sont nombreuses. Mais les hommes sont présents sous d’autres formes. Avez-vous lu dans mon livre la partie intitulée « les anamorphoses du sexe »?
« FS: Oui, c'est une des parties que j'ai le moins comprises, car je n'ai pas saisi où se trouvait l'anamorphose.. Il y a un stalactite dans un grotte de forme pénienne sur lequel on a peint en plus une femme, c'est cela?
CC: Non, c'est la femme elle-même qui a une forme phallique... Ce que j'ai découvert - mais cela avait été souvent noté de façon ponctuelle - c'est qu'il y a un travail systématique sur l’ambiguïté sexuelle des formes dans ces représentations paléolithiques. Beaucoup de ces statuettes proposent une double lecture : elles montrent à la fois une silhouette féminine et lorsqu’on déplace un peu le regard, celle d’un phallus en érection, parfois avec ses testicules …Il est facile d’en faire la démonstration iconique.
FS: Pour vous, c'est certain?
CC: Écoutez, ce dont je suis sûre, c'est que ces gens avaient un talent artistique extraordinaire, dont témoigne l’art animalier des grottes ornées. Ces représentations féminines semblent plus simples, voire schématiques, mais elles sont tout sauf simplistes ! À mon avis elles démontrent une remarquable finesse de réalisation à travers ces jeux de forme, ces « calembours formels », comme disait Leroi-Gourhan. Ces figurations sont beaucoup plus complexes qu’on pourrait le penser. Elles ne représentent pas seulement des grosses dames, elles suggèrent une interaction subtile entre masculin et féminin, une anamorphose qui doit être considérée selon plusieurs points de vue pour en capter le sens complet… »
Voir aussi une autre interprétation :« Dans l’art préhistorique, les représentations humaines ne sont pas nombreuses, mais parmi elles, celles des femmes, entières ou partielles, sont les plus fréquentes.
Sur les parois des grottes, la femme est surtout représentée « en morceaux » et plus rarement complète. Des sexes triangulaires, des vulves et des corps sans tête constituent le corpus principal des représentations féminines dans l’art pariétal.
Dans l’art mobilier, la majorité des femmes sont représentées avec des caractères sexuels prononcés : forte poitrine, ventre et hanches proéminentes. Parfois également le sexe est surligné, comme pour le mettre en valeur. Face à une interprétation très sexuelle de ces représentations, Claudine Cohen avance une autre hypothèse : ces « Vénus » pourraient être des femmes âgées ayant eu plusieurs maternités, ce qui expliquerait la poitrine tombante et le ventre distendu. » La femme dans l’art préhistorique
Dans son chapitre Travaux de femmes : Femmes artistes ?, Claudine Cohen expose les dernières recherches et thèses qui mènent à penser que les femmes auraient contribué à l’art préhistorique, voir même créé des œuvres pour leurs propres usages : « La définition de l’art paléolithique comme un art "viril" a longtemps été donnée pour une évidence. On a voulu y reconnaitre un art initiatique (difficulté et danger de s’aventurer dans les grottes, symbolisme de la grotte) réalisé par les hommes, pour les hommes ; un art des grands chasseurs (thèmes animaliers, réalisme, connaissance des formes et multitudes des animaux) ; un art magique (magie de reproduction du gibier/fécondité humaine) ; et une expression privilégiée de la libido masculine, à travers les différentes silhouettes, figures ou symboles de femmes que l’on y trouve. Aujourd’hui, les certitudes se fissurent : l‘hypothèse d’un rôle des femmes dans la création des œuvres artistiques paléolithiques, ou au moins de certaines d’entre elles, est envisagé. »
"L’art paléolithique mobilier et pariétal fournit les éléments d’une réflexion sur la place de la femme dans la préhistoire. Du rivage atlantique à la vallée du Don, les silhouettes féminines peintes, gravées ou en ronde-bosse, les représentations réalistes ou stylisées de vulves, parfois de scènes sexuelles, les « Vénus » sculptées dans l’ivoire, dans l’os ou la pierre calcaire, aux formes graciles ou opulentes, ont donné lieu à maintes spéculations. Expression de rituels de chasse ou de fécondité, manifestation sans détour de la libido masculine, preuve d’un matriarcat primitif ou d’une religion de la Grande Déesse ? Depuis peu, ces interrogations se renouvellent et soulèvent la question de l’identification des auteurs et des utilisateurs de ces images : hommes ou femmes ? Dans quelle mesure ces représentations, et les autres vestiges préhistoriques, donnent-ils des éléments pour y répondre ?" Qui est l’artiste ? Art paléolithique et différence des sexes
« Les interprétations des Vénus paléolithiques sont nombreuses et parfois fantasques. En l’absence de témoignages écrits, les théories concernant un éventuel culte de la fécondité ou de la Déesse-Mère sont purement spéculatives et ne peuvent être évaluées scientifiquement. »
« Alors que, de façon générale, la figuration humaine est minoritaire dans les arts de la préhistoire, les représentations féminines dominent. Longtemps, les caractères marqués de leurs attributs sexuels en firent aux yeux des préhistoriens des témoins de croyances ou de cultes en lien avec la fécondité. Plusieurs figurations de femmes enceintes sont connues, il est vrai, dont certaines en train d'accoucher, comme la « Dame aux fauves » de Çatal Höyük. Cette interprétation est plus nuancée aujourd'hui. Nombreuses en effet sont aussi les statuettes qui ne présentent aucun signe de grossesse, n'ont pas de formes, ou peu, ou qui peuvent être interprétées comme celles de la maturité. »
Préhistoire : quoi de neuf sur les femmes ?
Rencontre avec Alain Testart : pour en finir avec la déesse-mère :
"
Il y a plusieurs choses à dire sur les figurations féminines. D'abord que même si elles deviennent plus nombreuses au Néolithique, elles ont existé bien avant. Nous connaissons tous les fameuses « Vénus » du Paléolithique : il en existe quelques centaines. Plusieurs spécialistes ont été tentés de dire qu'il y avait là le signe d'un culte rendu à des divinités féminines, allant de pair avec l'importance sociale de la femme dans les sociétés préhistoriques. Mais cela ne repose sur rien.
Rien n'est plus répandu dans le monde que les images de femmes plus ou moins nues. Elles évoquent la mère, la génitrice, la compagne de l'homme ou l'objet sexuel. Au XXIe siècle, les murs des villes européennes sont couverts d'images de femmes en tenues légères. Dans les arts d'Afrique et d'Océanie, rien n'est plus courant que des images de femmes avec de gros seins ou portant des enfants. Et tout cela n'a rien à voir avec la place qu'occupent les femmes dans le panthéon de ces peuples. Dans la religion yoruba, il y a des divinités féminines. Chez leurs voisins, il n'y en pas forcément et c'est sans rapport avec le nombre de représentations féminines.
La femme est un « bon symbole » à représenter. Mais ceci n'en fait pas pour autant l'objet d'un culte. Ce qui est symbolique n'est pas forcément religieux. Autour de l'opéra Garnier, à Paris, il y a de très belles femmes nues en bronze, qui soutiennent des candélabres. Ça n'a aucune espèce de signification religieuse. Dans la Rome antique, l'amphithéâtre où se tenaient les jeux était un lieu très symbolique : le sang y était répandu en abondance, alors que dans tout le reste de la cité, il ne devait pas couler. C'était donc un espace très chargé de signification, mais qui n'avait aucun rapport avec la religion, les temples et les dieux. Tout cela pour dire que les cultures produisent énormément d'objets ayant des valeurs symboliques, magiques ou esthétiques, tels que des amulettes ou des outils de divination, qui ne nous disent rien sur les croyances fondamentales des gens, rien sur leur religion.
Dans cet autre ouvrage, il réexamine la thèse du matriarcat et de la Grande déesse, liée à l’invention de l’agriculture La déesse et le grain : trois essais sur les religions néolithiques / Alain Testart
Le passé du fantasme : la représentation de la Préhistoire en France dans la seconde moitié du XX° siècle (1940-2012)/ Pascal Semonsut
Une réponse du Musée de l’Homme : Quelle était la place de la femme à la préhistoire ?
Une réponse du Guichet du savoir : Relations sociales préhistoriques(et notamment relations hommes/femmes)
Femmes sans tête : une icône culturelle dans l'Europe de la fin de l'époque glaciaire/ Gerhard Bosinsk
Une exposition temporaire « La femme dans la Préhistoire »au musée de Préhistoire du Grand-Pressigny du 8 mars au 30 novembre 2017
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