Question d'origine :
Bonjour,
Des hommes instituteurs dans le civil ayant été mobilisés durant la guerre de 14/18 ont été simples soldats, ou sous-officiers ou d'autres officiers.
Que devait faire l'enseignant dans le civil pour obtenir le grade de sous-lieutenant alors que la guerre étant déclarée, on n'avait pas le temps de leur faire suivre une école d'officier comme cela ce passe d'ordinaire en temps de paix ?
Merci
Interesus
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 20/07/2017 à 13h40
Bonjour,
Dans une interview parue sur le site Slate.fr, les historiens Emmanuel Saint-Fuscien et Nicolas Mariot débattent des hiérarchies sociales durant la Grande Guerre. Ils soulignent ainsi que « les centaines de milliers de caporaux, de sous-officiers et (dans une moindre mesure) les officiers combattants appartenaient à des ensembles très divers. S’il est vrai qu’il n’existe pas d’étude quantitative générale sur l’appartenance sociale des sous-officiers et des officiers subalternes, les archives militaires régimentaires d’une part et les archives judiciaires d’autre part, donnent de précieuses indications. Elles permettent déjà de constater la grande diversité des métiers ainsi qu’une proximité sociale entre hommes du rang, caporaux et sous-officiers. Cette proximité est logique et s’explique notamment par le besoin de chefs intermédiaires qu’entraîne d’abord la masse inédite d’hommes mobilisés (entre 3 et 4 millions de soldats en effectif constant) et ensuite le taux de perte colossal dès le début de la guerre dans le rang des sous-officiers et des officiers subalternes. De plus, la maîtrise parfaite de l’écrit n’étant pas nécessaire avant le grade de sous-lieutenant, cela permettait à des soldats sortis du rang avec une éducation élémentaire d’exercer les fonctions de caporal et de sous-officier. Parmi les professions fréquemment mentionnées dans les archives régimentaires, celles rattachées à l’atelier, à la boutique, au commerce et à l’école (instituteurs notamment) apparaissent largement représentées ».
Comme le rappelle Yves Buffetaut dans son livre Retrouver un soldat de 1914-1918, les voies d’accès au statut d’officier d’active sont multiples :
- Les écoles de formation avec une entrée sur concours (Polytechnique, Saint-Cyr, Ecole du service de santé militaire et l’école du service de santé de la marine).
- Les écoles de sous-officiers-élèves officiers (Saint-Maixent, Vincennes, Saumur, Versailles). Le site du musée du sous-officier donne de nombreuses informations sur l’histoire de cette école et rappelle notamment que les locaux de Saint-Maixent ont accueilli entre 1915 et 1919 le centre d’instruction des élèves aspirants. Cette mention nous confirme que la formation ne s’est pas arrêtée durant les années de conflit.
- Les sous-officiers sortis du rang, mais dans des conditions - en tout cas avant-guerre - très strictes.
- Enfin, les élèves de certaines écoles et les officiers de réserve.
Dans le cas d’un accès direct (la formation initiale dirait-on aujourd’hui !) aux grades d’officier, il fallait donc passer par la voie du concours (pour entrer à Polytechnique ou à Saint Cyr par exemple).
Or, si les formations des futurs officiers furent perturbées, elles ne furent pas complètement interrompues. L’exemple de Polytechnique est à ce titre éclairant. Dans son histoire de l’Ecole Polytechnique, Jean-Pierre Callot explique qu’ « il n’y eut pas de concours en 1915. Mais le pays ne pouvait se priver sans inconvénients de plusieurs promotions de ces Polytechniciens dont il se faisait une si grande consommation sur le front. En 1916 […] un concours fut ouvert. Cinq cent onze candidats se présentèrent. La promotion fut limitée à 70 élèves. Ceux-ci, aussitôt reçus, furent dirigés sur les écoles militaires d’application, ou du moins les corps qui en tenaient lieu. Mais, parmi les élèves, ceux de la classe 18 étaient trop jeunes pour être incorporés dans l’armée […]. C’est donc une promotion de 34 élèves qui, le 3 novembre 1916, franchit les grilles de l’Ecole ».
A Saint Cyr, « à partir de 1915, les vieux murs abritent un Centre d’instruction d’élèves aspirants […] Au printemps 1916, le concours d’admission reprend sous une forme simplifiée et sans oral. Le 18 septembre, une nouvelle promotion intègre. Ils sont 290 à suivre une scolarité intensive de quelques mois avant d’être promus aspirants ». (Pierre Montagnon, Saint Cyr, deux siècles au service de la France).
Mais s’il s’agit d’une « promotion » (les soldats ou sous-officiers sortis du rang), l’historien Emmanuel Saint-Fuscien nous livre quelques éléments dans son ouvrage Les Ecoles dans la guerre : « la maîtrise de l’écrit est un marqueur important au sein de l’armée en guerre. C’est elle qui permet aux instituteurs, de remplacer plus facilement que d’autres les sous-officiers et officiers subalternes d’active tués ou blessés au début de la guerre. La fonction de caporal n’exige pas la maîtrise de l’écrit, celle de sergent davantage et celle de sous-lieutenant la rend impérative tant les tâches administratives (états en tout genre, ordres écrits, rapports, trésorerie, commande de matériel, organisation du cantonnement) deviennent nombreuses. Cela explique que proportionnellement aux effectifs combattants, peu de caporaux ou sergents mineurs, ouvriers ou journaliers soient passés officiers subalternes, au contraire des professions nécessitant une maîtrise de l’écriture sans faille. Par ailleurs, le sous-officier comme l’officier n’écrit pas seulement pour ses chefs, il est amené bien souvent à lire ou écrire pour ses hommes, à destination des familles ou des autorités. Le sergent Mauny dans une lettre envoyée à sa femme le 17 mai 1917 témoigne par exemple : “Il faut encore que je réponde à la veuve de ce malheureux camarade tué à Verdun derrière moi” ».
Sur l’incontournable forum pages14-18, un échange évoque le parcours d’un soldat promu sous-officier et la formation qu’il aurait pu suivre en conséquence :
« Les sous-officiers étaient nommés par le chef de corps, avec une formation interne au régiment. Pendant la guerre, des écoles particulières dites "de spécialités" ont été instaurées à divers échelons (division, corps d'armée ou armée), mais comme leur nom l'indique, il s'agissait pour chacune d'elle de dispenser une instruction sur un matériel ou une technique particulière. A ma connaissance (mais je peux me tromper), seuls les futurs officiers étaient dirigés sur des centres de formation à l'Intérieur, pour y suivre des stages débouchant sur la nomination comme aspirant ou comme sous-lieutenant ».
Pour prolonger ces lectures :
- Le site grande-guerre.fr a mis en ligne l’article de l’éditeur et historien Eric Labayle sur les écoles militaires françaises en 1914.
- Sur le rôle d’une partie des enseignants durant la grande guerre, vous pourrez parcourir l’ouvrage de Loïc Le Bars, docteur en histoire, Le Pacifisme des instituteurs syndicalistes.
Bel été à vous !
Dans une interview parue sur le site Slate.fr, les historiens Emmanuel Saint-Fuscien et Nicolas Mariot débattent des hiérarchies sociales durant la Grande Guerre. Ils soulignent ainsi que « les centaines de milliers de caporaux, de sous-officiers et (dans une moindre mesure) les officiers combattants appartenaient à des ensembles très divers. S’il est vrai qu’il n’existe pas d’étude quantitative générale sur l’appartenance sociale des sous-officiers et des officiers subalternes, les archives militaires régimentaires d’une part et les archives judiciaires d’autre part, donnent de précieuses indications. Elles permettent déjà de constater la grande diversité des métiers ainsi qu’une proximité sociale entre hommes du rang, caporaux et sous-officiers. Cette proximité est logique et s’explique notamment par le besoin de chefs intermédiaires qu’entraîne d’abord la masse inédite d’hommes mobilisés (entre 3 et 4 millions de soldats en effectif constant) et ensuite le taux de perte colossal dès le début de la guerre dans le rang des sous-officiers et des officiers subalternes. De plus, la maîtrise parfaite de l’écrit n’étant pas nécessaire avant le grade de sous-lieutenant, cela permettait à des soldats sortis du rang avec une éducation élémentaire d’exercer les fonctions de caporal et de sous-officier. Parmi les professions fréquemment mentionnées dans les archives régimentaires, celles rattachées à l’atelier, à la boutique, au commerce et à l’école (instituteurs notamment) apparaissent largement représentées ».
Comme le rappelle Yves Buffetaut dans son livre Retrouver un soldat de 1914-1918, les voies d’accès au statut d’officier d’active sont multiples :
- Les écoles de formation avec une entrée sur concours (Polytechnique, Saint-Cyr, Ecole du service de santé militaire et l’école du service de santé de la marine).
- Les écoles de sous-officiers-élèves officiers (Saint-Maixent, Vincennes, Saumur, Versailles). Le site du musée du sous-officier donne de nombreuses informations sur l’histoire de cette école et rappelle notamment que les locaux de Saint-Maixent ont accueilli entre 1915 et 1919 le centre d’instruction des élèves aspirants. Cette mention nous confirme que la formation ne s’est pas arrêtée durant les années de conflit.
- Les sous-officiers sortis du rang, mais dans des conditions - en tout cas avant-guerre - très strictes.
- Enfin, les élèves de certaines écoles et les officiers de réserve.
Dans le cas d’un accès direct (la formation initiale dirait-on aujourd’hui !) aux grades d’officier, il fallait donc passer par la voie du concours (pour entrer à Polytechnique ou à Saint Cyr par exemple).
Or, si les formations des futurs officiers furent perturbées, elles ne furent pas complètement interrompues. L’exemple de Polytechnique est à ce titre éclairant. Dans son histoire de l’Ecole Polytechnique, Jean-Pierre Callot explique qu’ « il n’y eut pas de concours en 1915. Mais le pays ne pouvait se priver sans inconvénients de plusieurs promotions de ces Polytechniciens dont il se faisait une si grande consommation sur le front. En 1916 […] un concours fut ouvert. Cinq cent onze candidats se présentèrent. La promotion fut limitée à 70 élèves. Ceux-ci, aussitôt reçus, furent dirigés sur les écoles militaires d’application, ou du moins les corps qui en tenaient lieu. Mais, parmi les élèves, ceux de la classe 18 étaient trop jeunes pour être incorporés dans l’armée […]. C’est donc une promotion de 34 élèves qui, le 3 novembre 1916, franchit les grilles de l’Ecole ».
A Saint Cyr, « à partir de 1915, les vieux murs abritent un Centre d’instruction d’élèves aspirants […] Au printemps 1916, le concours d’admission reprend sous une forme simplifiée et sans oral. Le 18 septembre, une nouvelle promotion intègre. Ils sont 290 à suivre une scolarité intensive de quelques mois avant d’être promus aspirants ». (Pierre Montagnon, Saint Cyr, deux siècles au service de la France).
Mais s’il s’agit d’une « promotion » (les soldats ou sous-officiers sortis du rang), l’historien Emmanuel Saint-Fuscien nous livre quelques éléments dans son ouvrage Les Ecoles dans la guerre : « la maîtrise de l’écrit est un marqueur important au sein de l’armée en guerre. C’est elle qui permet aux instituteurs, de remplacer plus facilement que d’autres les sous-officiers et officiers subalternes d’active tués ou blessés au début de la guerre. La fonction de caporal n’exige pas la maîtrise de l’écrit, celle de sergent davantage et celle de sous-lieutenant la rend impérative tant les tâches administratives (états en tout genre, ordres écrits, rapports, trésorerie, commande de matériel, organisation du cantonnement) deviennent nombreuses. Cela explique que proportionnellement aux effectifs combattants, peu de caporaux ou sergents mineurs, ouvriers ou journaliers soient passés officiers subalternes, au contraire des professions nécessitant une maîtrise de l’écriture sans faille. Par ailleurs, le sous-officier comme l’officier n’écrit pas seulement pour ses chefs, il est amené bien souvent à lire ou écrire pour ses hommes, à destination des familles ou des autorités. Le sergent Mauny dans une lettre envoyée à sa femme le 17 mai 1917 témoigne par exemple : “Il faut encore que je réponde à la veuve de ce malheureux camarade tué à Verdun derrière moi” ».
Sur l’incontournable forum pages14-18, un échange évoque le parcours d’un soldat promu sous-officier et la formation qu’il aurait pu suivre en conséquence :
« Les sous-officiers étaient nommés par le chef de corps, avec une formation interne au régiment. Pendant la guerre, des écoles particulières dites "de spécialités" ont été instaurées à divers échelons (division, corps d'armée ou armée), mais comme leur nom l'indique, il s'agissait pour chacune d'elle de dispenser une instruction sur un matériel ou une technique particulière. A ma connaissance (mais je peux me tromper), seuls les futurs officiers étaient dirigés sur des centres de formation à l'Intérieur, pour y suivre des stages débouchant sur la nomination comme aspirant ou comme sous-lieutenant ».
Pour prolonger ces lectures :
- Le site grande-guerre.fr a mis en ligne l’article de l’éditeur et historien Eric Labayle sur les écoles militaires françaises en 1914.
- Sur le rôle d’une partie des enseignants durant la grande guerre, vous pourrez parcourir l’ouvrage de Loïc Le Bars, docteur en histoire, Le Pacifisme des instituteurs syndicalistes.
Bel été à vous !
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