Question d'origine :
Bonjour,
Je cherche à savoir d'où vient l'expression "foie jaune" et ce qu'elle signifie aujourd'hui.
Merci d'avance.
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 19/06/2017 à 11h20
Bonjour,
Une quelconque affirmation sur l’origine de l’expression foie jaune, grande absente des dictionnaires, sera difficile mais nous pencherions volontiers pour l’associer avec « avoir les foies » qui elle-même donna « avoir les foies blancs ».
Ainsi dans Dictionnaire d’expressions et locutions, Alain Rey rapporte qu’alors que « dans d’autres civilisations, le mot désignant le foie est porteur de valeurs métaphoriques primordiales (souvent assumées par les mots signifiant « cœur », en Europe occidentale), ce viscère n’inspire chez nous que quelques locutions méprisantes. Au XVIe siècle, foye avait des emplois figurés positifs (chaleur de foye « ardeur », de bon foye « de bon cœur ») mais déjà le mot est rapproché de fiel (être sans fiel et sans foie « sans rancune », chez Marguerite de Navarre) et opposé à cœur (le cœur devenoit foye, chez d’Aubigné, équivaut exactement à On avait les foies).
Avoir les foies blancs « avoir peur ». Dans les dialectes, le foie blanc ou les foies blancs sont les poumons, opposés à foie noire (le vrai foie). Le foie est normalement rouge et, dans l’anatomie préscientifique, c’est lui qui fournit le sang ;les Grecs disaient leukhêpatras (« foie blanc ») pour « lâche » . en anglais (chez Shakespeare) on rencontre dans ce sens white-hearted ( « à cœur blanc »). L’image primordiale réapparaît en argot français vers 1840 (Esnault) où un foie blanc est un « traître », un « donneur ».
Une ellipse donne avoir les foies (1872).
La langue populaire a employé diverses variantes de avoir les foies blancs : les foies bleus, verts (couleurs opposées au rouge), tricolores (c’est-à-dire bleu, blanc, pas seulement rouge)
(…)
Seuls avoir les foies (1872), plus rarement les foies blancs et les foies tricolores sont passées dans la langue commune.
Le Dictionnaire de l’argot français et de ses origines définit :
Foie blanc, individu lâche, peu sûr : On se battra comme au temps d’la Revolution, quoi ! tant pis pour les foies blancs (Leroux) ;
Avoirs les foies (ou (XV) avoir les foies blancs, les avoir blancs, avoir peur : I’s int beau m’dir’ : va donc … eh ! tante ! e j’marche pas … j’ai les foi’s blancs (Bruant)
(…)
Cette expression procède de la croyance, jusqu’en 1628 (Harvey), que le sang est fourni au corps par le foie, qui blanchit sous l’effet de la crainte. 1. 1840 [esnault]. 2- 181 » [Chautard] ; les avoir blancs, 1928 [Lacassagne].
Daniel Lacotte rappelle dans Les expressions les plus truculentes de la langue française :
"Organe situé dans la partie supérieure droite de l’abdomen, le foie a jadis supplanté le cœur dans la panoplie des symboles qui s’appuyaient sur la valeur emblématique supposée de tel ou tel organe humain. Et, avant, les avancées significatives d’une réelle science anatomique, les gens ont longtemps cru que le foie alimentait le corps en sang ; il faut ensuite préciser que l’expression venue jusqu’à nous a été tronquée dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sa formulation complète était la suivante :avoir les foies blancs ; Elle exprimait alors une sorte de peur panique, mais aussi la lâcheté. D’ailleurs, un foie blanc deviendra un troussard puis un traître ou un délateur (argot du XIXe. S).
Si toutes les significations de l’expression (complète ou tronquée) sont parfaitement attestées, l’explication de ses fondements reste hésitante. On ne peut que supposer une étrange construction intellectuelle dans laquelle le foie rouge (symbole de vie et de courage lorsqu’il remplace le cœur dans l’imaginaire du temps) se serait vidé de sa substance par peur ou par veulerie…."
De ce foie blanc découlerait le juron de « foie jaune » trouvé dans les westerns ou les épisodes de Lucky Luke sachant que la couleur jaune renforcerait l'image négative. En effet, outre une association possible avec les « indiens », le jaune a longtemps été considéré comme la couleur de la traîtrise et de la lâcheté.
L’express consacre un article « Le jaune : tous les attributs de l'infamie ! » :
« Le jaune est assurément la couleur la moins aimée, celle que l'on n'ose pas trop montrer et qui, parfois, fait honte. Qu'a-t-elle donc fait de si terrible pour mériter une telle réputation?
Elle n'a pas toujours eu une mauvaise image. Dans l'Antiquité, on appréciait plutôt le jaune. Les Romaines, par exemple, ne dédaignaient pas de porter des vêtements de cette couleur lors des cérémonies et des mariages. Dans les cultures non européennes - en Asie, en Amérique du Sud - le jaune a toujours été valorisé: en Chine, il fut longtemps la couleur réservée à l'empereur, et il occupe toujours une place importante dans la vie quotidienne asiatique, associé au pouvoir, à la richesse, à la sagesse. Mais, c'est vrai, en Occident, le jaune est la couleur que l'on apprécie le moins: dans l'ordre des préférences, il est cité en dernier rang (après le bleu, le vert, le rouge, le blanc et le noir).
Sait-on d'où vient cette désaffection?
Il faut remonter pour cela au Moyen Age. La principale raison de ce désamour est due à la concurrence déloyale de l'or: au fil des temps, c'est en effet la couleur dorée qui a absorbé les symboles positifs du jaune, tout ce qui évoque le soleil, la lumière, la chaleur, et par extension la vie, l'énergie, la joie, la puissance. L'or est vu comme la couleur qui luit, brille, éclaire, réchauffe. Le jaune, lui, dépossédé de sa part positive, est devenu une couleur éteinte, mate, triste, celle qui rappelle l'automne, le déclin, la maladie? Mais, pis, il s'est vu transformé en symbole de la trahison, de la tromperie, du mensonge? Contrairement aux autres couleurs de base, qui ont toutes un double symbolisme, le jaune est la seule à n'en avoir gardé que l'aspect négatif.
Comment ce caractère négatif s'est-il manifesté?
On le voit très bien dans l'imagerie médiévale, où les personnages dévalorisés sont souvent affublés de vêtements jaunes. Dans les romans, les chevaliers félons, comme Ganelon, sont décrits habillés de jaune. Regardez les tableaux qui, en Angleterre, en Allemagne, puis dans toute l'Europe occidentale, représentent Judas. Au fil des temps, cette figure cumule les attributs infamants: on le dépeint d'abord avec les cheveux roux, puis, à partir du XIIe siècle, on le représente avec une robe jaune et, pour parachever le tout, on le fait gaucher! Pourtant, aucun texte évangélique ne nous décrit la couleur de ses cheveux ni celle de sa robe. Il s'agit là d'une pure construction de la culture médiévale. Des textes de cette époque le disent d'ailleurs clairement:le jaune est la couleur des traîtres! L'un d'eux relate comment on a peint en jaune la maison d'un faux-monnayeur et comment il a été condamné à revêtir des habits jaunes pour être conduit au bûcher. Cette idée de l'infamie a traversé les siècles. Au XIXe, les maris trompés étaient encore caricaturés en costume jaune ou affublés d'une cravate jaune.
(…)
Mais pas dans la vie quotidienne, ni dans les goûts des Occidentaux. Le jaune infamant est toujours là, dans notre vocabulaire en tout cas: on dit qu'un briseur de grève est un «jaune». On dit aussi «rire jaune».
L'expression française «jaune» pour désigner un traître remonte au XVe siècle, et elle reprend la symbolique médiévale. Quant au «rire jaune», il est lié au safran, réputé provoquer une sorte de folie qui déclenche un rire incontrôlable. Les mots ont une vie très longue, qu'on ne peut éliminer. Qu'on le veuille ou non, le jaune reste la couleur de la maladie: on a encore le «teint jaune», surtout en France, où l'on connaît bien les maladies du foie ».
Sur le jaune nous vous laissons lire le champ sémantique du mot jaune et sur l’expression, nous vous laissons aussi consulter projetbabel.org et expressio.fr.
En guise de conclusion, nous vous laissons écouter la chanson des Forbans, le coyotte à foie jaune
Une quelconque affirmation sur l’origine de l’expression foie jaune, grande absente des dictionnaires, sera difficile mais nous pencherions volontiers pour l’associer avec « avoir les foies » qui elle-même donna « avoir les foies blancs ».
Ainsi dans Dictionnaire d’expressions et locutions, Alain Rey rapporte qu’alors que « dans d’autres civilisations, le mot désignant le foie est porteur de valeurs métaphoriques primordiales (souvent assumées par les mots signifiant « cœur », en Europe occidentale), ce viscère n’inspire chez nous que quelques locutions méprisantes. Au XVIe siècle, foye avait des emplois figurés positifs (chaleur de foye « ardeur », de bon foye « de bon cœur ») mais déjà le mot est rapproché de fiel (être sans fiel et sans foie « sans rancune », chez Marguerite de Navarre) et opposé à cœur (le cœur devenoit foye, chez d’Aubigné, équivaut exactement à On avait les foies).
Avoir les foies blancs « avoir peur ». Dans les dialectes, le foie blanc ou les foies blancs sont les poumons, opposés à foie noire (le vrai foie). Le foie est normalement rouge et, dans l’anatomie préscientifique, c’est lui qui fournit le sang ;
Une ellipse donne avoir les foies (1872).
(…)
Seuls avoir les foies (1872), plus rarement les foies blancs et les foies tricolores sont passées dans la langue commune.
Le Dictionnaire de l’argot français et de ses origines définit :
Avoirs les foies (ou (XV) avoir les foies blancs, les avoir blancs, avoir peur : I’s int beau m’dir’ : va donc … eh ! tante ! e j’marche pas … j’ai les foi’s blancs (Bruant)
(…)
Cette expression procède de la croyance, jusqu’en 1628 (Harvey), que le sang est fourni au corps par le foie, qui blanchit sous l’effet de la crainte. 1. 1840 [esnault]. 2- 181 » [Chautard] ; les avoir blancs, 1928 [Lacassagne].
Daniel Lacotte rappelle dans Les expressions les plus truculentes de la langue française :
"Organe situé dans la partie supérieure droite de l’abdomen, le foie a jadis supplanté le cœur dans la panoplie des symboles qui s’appuyaient sur la valeur emblématique supposée de tel ou tel organe humain. Et, avant, les avancées significatives d’une réelle science anatomique, les gens ont longtemps cru que le foie alimentait le corps en sang ; il faut ensuite préciser que l’expression venue jusqu’à nous a été tronquée dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sa formulation complète était la suivante :
Si toutes les significations de l’expression (complète ou tronquée) sont parfaitement attestées, l’explication de ses fondements reste hésitante. On ne peut que supposer une étrange construction intellectuelle dans laquelle le foie rouge (symbole de vie et de courage lorsqu’il remplace le cœur dans l’imaginaire du temps) se serait vidé de sa substance par peur ou par veulerie…."
De ce foie blanc découlerait le juron de « foie jaune » trouvé dans les westerns ou les épisodes de Lucky Luke sachant que la couleur jaune renforcerait l'image négative. En effet, outre une association possible avec les « indiens », le jaune a longtemps été considéré comme la couleur de la traîtrise et de la lâcheté.
L’express consacre un article « Le jaune : tous les attributs de l'infamie ! » :
« Le jaune est assurément la couleur la moins aimée, celle que l'on n'ose pas trop montrer et qui, parfois, fait honte. Qu'a-t-elle donc fait de si terrible pour mériter une telle réputation?
Elle n'a pas toujours eu une mauvaise image. Dans l'Antiquité, on appréciait plutôt le jaune. Les Romaines, par exemple, ne dédaignaient pas de porter des vêtements de cette couleur lors des cérémonies et des mariages. Dans les cultures non européennes - en Asie, en Amérique du Sud - le jaune a toujours été valorisé: en Chine, il fut longtemps la couleur réservée à l'empereur, et il occupe toujours une place importante dans la vie quotidienne asiatique, associé au pouvoir, à la richesse, à la sagesse. Mais, c'est vrai, en Occident, le jaune est la couleur que l'on apprécie le moins: dans l'ordre des préférences, il est cité en dernier rang (après le bleu, le vert, le rouge, le blanc et le noir).
Sait-on d'où vient cette désaffection?
Il faut remonter pour cela au Moyen Age. La principale raison de ce désamour est due à la concurrence déloyale de l'or: au fil des temps, c'est en effet la couleur dorée qui a absorbé les symboles positifs du jaune, tout ce qui évoque le soleil, la lumière, la chaleur, et par extension la vie, l'énergie, la joie, la puissance. L'or est vu comme la couleur qui luit, brille, éclaire, réchauffe. Le jaune, lui, dépossédé de sa part positive, est devenu une couleur éteinte, mate, triste, celle qui rappelle l'automne, le déclin, la maladie? Mais, pis, il s'est vu transformé en symbole de la trahison, de la tromperie, du mensonge? Contrairement aux autres couleurs de base, qui ont toutes un double symbolisme, le jaune est la seule à n'en avoir gardé que l'aspect négatif.
Comment ce caractère négatif s'est-il manifesté?
On le voit très bien dans l'imagerie médiévale, où les personnages dévalorisés sont souvent affublés de vêtements jaunes. Dans les romans, les chevaliers félons, comme Ganelon, sont décrits habillés de jaune. Regardez les tableaux qui, en Angleterre, en Allemagne, puis dans toute l'Europe occidentale, représentent Judas. Au fil des temps, cette figure cumule les attributs infamants: on le dépeint d'abord avec les cheveux roux, puis, à partir du XIIe siècle, on le représente avec une robe jaune et, pour parachever le tout, on le fait gaucher! Pourtant, aucun texte évangélique ne nous décrit la couleur de ses cheveux ni celle de sa robe. Il s'agit là d'une pure construction de la culture médiévale. Des textes de cette époque le disent d'ailleurs clairement:
(…)
Mais pas dans la vie quotidienne, ni dans les goûts des Occidentaux.
Sur le jaune nous vous laissons lire le champ sémantique du mot jaune et sur l’expression, nous vous laissons aussi consulter projetbabel.org et expressio.fr.
En guise de conclusion, nous vous laissons écouter la chanson des Forbans, le coyotte à foie jaune
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