Question d'origine :
Bonjour,
Dans divers documents audio-visuels (par exemple, 2 épisodes du feuilleton radiophonique "les maitres du mystère": "les demoiselles de Douarnenez' d'Alain Bernier et "esprit de famille" ainsi que des films des années 50) il est fait allusion à une certaine bourgeoisie qui accuse le chauffage central de "corruption morale".
Je souhaiterais savoir s'il a bien existé un mouvement opposé au chauffage central, qui en était, quels étaient les arguments, etc.
Merci pour votre aide.
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 29/05/2017 à 13h52
Bonjour,
Effectivement, l'arrivée du confort thermique moderne dans les habitations n'a pas fait l'unanimité au XIXe siècle.
C'est notamment ce qu'explique Emmanuelle Gallo dans "La réception des nouveaux modes de chauffage domestique en France au XIXe siècle" :
Du côté des sceptiques, citons Louis-Sébastien Mercier qui n’appartient pas tout à fait au XIXe siècle mais dont les écrits sont réédités : « Quelle distance entre un poêle et une cheminée ! La vue d’un poêle éteint mon imagination, m’attriste et me rend mélancolique :j’aime mieux le froid le plus vif que cette chaleur fade, tiède, invisible ; j’aime à voir le feu, il avive mon imagination […] D’ailleurs les poêles ont le défaut de rendre frileux ; ils ne sont à leur place que dans les antichambres, dans les endroits où l’on mange et dans les cafés où les désœuvrés vont héberger leur oisiveté et se tapir contre les rigueurs du froid. »
source : Louis-Sébastien Mercier, Les tableaux de Paris, t. 10, p. 183.
On note ici deuxinconvénients souvent repris : la privation de la vue du feu et un excès de chaleur .
L’une des raisons du rejet des nouveaux moyens de chauffage s’avère paradoxalement être sa performance en terme de confort et cela pour des raisons morales :
Dans Instruction pastorale sur l’esprit de renoncement et de sacrifice, carême 1853, cité par Fanny Beaupré et Roger-Henri Guerrand, dans Le confident des dames, on peut lire : « Le caractère diabolique du confort ne souffre aucun doute. »11
De même sous le Second Empire, le fameux Mgr Pie, évêque de Poitiers et champion de l’ultramontanisme, dénonce : «Ce confort qui énerve les caractères, qui dévore, comme une plante parasite, les forces vitales de l’âme, qui rapetisse les intelligences et concentre l’homme tout entier dans les soins minutieux d’un assemblement de boudoir, dans ces mille riens qui sont devenus une nécessité du temps présent. »
Ce type de résistances se retrouve dans des termes semblables dans les recommandations sur la construction des bâtiments scolaires 12.
L’absence de confort se présente également comme un moyen de distinction sociale : « Si l’ensemble de l’élite sociale et culturelle ne place pas le chauffage, l’éclairage et l’eau courante au premier rang de ses préoccupations, alors même que l’avancée des techniques permettait d’en munir facilement les habitations, c’est autant pour faire prévaloir sa richesse et sa distinction — le marquis de Bonneval ne relate-il pas dans ses Mémoires que les suspensions à pétrole étaient faites pour les gens qui n’avaient pas les moyens de brûler tous les soirs des bougies et qui ne disposaient pas du matériel domestique suffisant — quepar souci de dominer le corps et de ne pas se laisser aller à la mollesse qui avait perdu l’aristocratie . » 13
sources :
11 Fanny Baupré, Roger-Henri Guerrand, Le confident des dames. Le bidet du xviie au xxe siècle : hist (...)
12 Marc Le Cœur, L’architecture des lycées parisiens 1802-1940, thèse en cours.
13 Fanny Baupré, Roger-Henri Guerrand, Le confident des dames, op. cit., p. 114.
L'ouvrage intitulé Du luxe au confort publié sous la direction de Jean-Pierre Goubert indique aussi en page 28 :
Le confort, il est vrai, amollit les mœurs . C'est tout juste si, comme le luxe, il ne cause pas la décadence de "l'Occident judéo-chrétien". Le Dictionnaire du XIXe siècle s'essaya à réfuter les dénigreurs du "confortable" : "nous ne parlerons pas de la prédication des sermonnaires catholiques, dont le rigorisme ne mérite pas plus de réfutation que celui des brahmanes de l'Inde : le bon sens (sic !) a fait justice des Siméon Stylite, qu'on les trouve dans l'Europe civilisée ou qu'on les rencontre sur les bords du Gange. Des moralistes chagrins ont prétendu que cet amour du bien-être contribuait à la dégénérescence de la race, à l'amollissement des caractères . Rien ne nous semble justifier cette opinion. Malgré leur amour du confortable, dont ils se font suivre partout, les Anglais n'ont jamais reculé devant les expéditions les plus périlleuses dans l'Inde et en Abyssinie (...). Les Américains, chez qui les recherches du confortable sont portées à un degré exagéré, sont les travailleurs les plus aventureux, les plus intrépides du monde moderne et, enfin, les Français ne sont ni moins gais, ni moins spirituels dans les boues de la Crimée ou sous le soleil d'Italie que dans les salons parisiens."
Il ajoute aussi à propos de l'électricité (en page 81) :
Si la "vie électrique" séduit et éblouit, elle inquiète également. La crainte encore diffuse d'affronter une civilisation matérielle nouvelle dont les contours apparaissent encore relativement flous, transparaît dans de nombreux textes. Villiers de l'Isle Adam, sous forme symbolique, met en garde ses contemporains, dans l'"Eve future" (1886). L'électricité est susceptible de leur procurer des pouvoirs qu'ils ne sauront maîtriser. Albert Robida dans "le Vingtième Siècle" (1883) et surtout dans "La vie électrique" (1890) décrit un monde futurinquiétant, angoissant , où électrification et progrès technologiques riment avec laxisme et désespoir .
Si l'électricité est fée bienveillante, elle est aussi sorcière maléfique car le confort qu'elle procure signifiedécadence et déliquescence : "Eh bien ! Oui, toute cette explosion de science mène droit à l'écrasement de ce qui était la vie morale de l'homme. L'homme à venir aura plus de confort et moins de joies, plus de luxe et moins de bonheur. L'électricité, qui décuple la vie, lui enlève aussi de son charme. On n'a plus en wagon, le temps de voir le paysage. On aura plus, dans l'existence que nous feront les savants - que j'admire - le temps de savourer les mets, de causer, de vivre de faire halte. Les vieux domestiques fidèles et classiques, mourant dans la maison qui était un peu la leur, deviennent rares : ils n'ont même plus besoin d'exister. Un bouton pressé les remplacera ."
A consulter également pour en savoir plus sur l'avènement du confort moderne, cet ouvrage d'Olivier Le Goff : L'invention du confort : naissance d'une forme sociale.
Bonne journée.
Effectivement, l'arrivée du confort thermique moderne dans les habitations n'a pas fait l'unanimité au XIXe siècle.
C'est notamment ce qu'explique Emmanuelle Gallo dans "La réception des nouveaux modes de chauffage domestique en France au XIXe siècle" :
Du côté des sceptiques, citons Louis-Sébastien Mercier qui n’appartient pas tout à fait au XIXe siècle mais dont les écrits sont réédités : « Quelle distance entre un poêle et une cheminée ! La vue d’un poêle éteint mon imagination, m’attriste et me rend mélancolique :
source : Louis-Sébastien Mercier, Les tableaux de Paris, t. 10, p. 183.
On note ici deux
Dans Instruction pastorale sur l’esprit de renoncement et de sacrifice, carême 1853, cité par Fanny Beaupré et Roger-Henri Guerrand, dans Le confident des dames, on peut lire : « Le caractère diabolique du confort ne souffre aucun doute. »11
De même sous le Second Empire, le fameux Mgr Pie, évêque de Poitiers et champion de l’ultramontanisme, dénonce : «
Ce type de résistances se retrouve dans des termes semblables dans les recommandations sur la construction des bâtiments scolaires 12.
L’absence de confort se présente également comme un moyen de distinction sociale : « Si l’ensemble de l’élite sociale et culturelle ne place pas le chauffage, l’éclairage et l’eau courante au premier rang de ses préoccupations, alors même que l’avancée des techniques permettait d’en munir facilement les habitations, c’est autant pour faire prévaloir sa richesse et sa distinction — le marquis de Bonneval ne relate-il pas dans ses Mémoires que les suspensions à pétrole étaient faites pour les gens qui n’avaient pas les moyens de brûler tous les soirs des bougies et qui ne disposaient pas du matériel domestique suffisant — que
sources :
11 Fanny Baupré, Roger-Henri Guerrand, Le confident des dames. Le bidet du xviie au xxe siècle : hist (...)
12 Marc Le Cœur, L’architecture des lycées parisiens 1802-1940, thèse en cours.
13 Fanny Baupré, Roger-Henri Guerrand, Le confident des dames, op. cit., p. 114.
L'ouvrage intitulé Du luxe au confort publié sous la direction de Jean-Pierre Goubert indique aussi en page 28 :
Il ajoute aussi à propos de l'électricité (en page 81) :
Si la "vie électrique" séduit et éblouit, elle inquiète également. La crainte encore diffuse d'affronter une civilisation matérielle nouvelle dont les contours apparaissent encore relativement flous, transparaît dans de nombreux textes. Villiers de l'Isle Adam, sous forme symbolique, met en garde ses contemporains, dans l'"Eve future" (1886). L'électricité est susceptible de leur procurer des pouvoirs qu'ils ne sauront maîtriser. Albert Robida dans "le Vingtième Siècle" (1883) et surtout dans "La vie électrique" (1890) décrit un monde futur
Si l'électricité est fée bienveillante, elle est aussi sorcière maléfique car le confort qu'elle procure signifie
A consulter également pour en savoir plus sur l'avènement du confort moderne, cet ouvrage d'Olivier Le Goff : L'invention du confort : naissance d'une forme sociale.
Bonne journée.
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