Question d'origine :
je voudrais savoir quel est l'opposé du mouvement arte povera. c'est pour un devoir d'histoire des arts
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 24/05/2017 à 16h18
L’appellation Arte Povera a été employée pour la première fois par Germano Celant lors de l’exposition à la Galerie La Bertesca à Gênes en 1967 qui réunissait six artistes : Alighiero Boetti, Luciano Fabro, Pino Pascali, Giulio Paolini, Emilio Prini et Jannis Kounellis. A ces six noms se sont joints par la suite : Giovanni Anselmo, Pier Paolo Calzolari, Mario et Marisa Merz, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio.
Germano Celant, au fil des présentations des expositions regroupant ces artistes, a livré progressivement son manifeste pour caractériser ce qu’il percevait, mais sans que des caractéristiques formelles soient édictées précisément par les acteurs eux-mêmes pour l’appartenance au groupe. Comme il est dit sur le site de l’Académie de Paris : « Les acteurs d'Arte Povera rejettent la qualification de mouvement pour lui préférer celle d’attitude. Être un artiste Arte Povera, c’est adopter un comportement qui consiste à défier l’industrie culturelle et plus largement la société de consommation. Dans ce sens, Arte Povera est une attitude engagée sur le mode révolutionnaire, qui privilégie le processus, autrement dit le geste créateur, au détriment de l’objet fini. »
Dans les faits, on peut cependant relever quelques critères pour définir l’Arte Povera.
Sur le site Art-zoo, notons les passages suivants :
« … Dans ce contexte, à la morbidité intrinsèque des finalités de l’art bourgeois, va être opposé, dans Arte Povera, la vitalité de l’acte créateur…
Afin d’opérer cette transformation radicale du processus de création, quelques artistes italiens vont donc proposer au milieu des années 60, l’attitude pauvre, travail de déculturation animé par la volonté d’introduire la corporéité des événements, la sensibilité, l’éphémère, l’environnement, la magie des éléments naturels (…) dans les matériaux de la création.
” les travaux les travaux de Paolini, Boetti, Fabro, Prini, Kounellis et Pascali portent essentiellement sur les archétypes mentaux et physiques qui tentent d’éviter toute complication visuelle afin de se présenter comme des faits établis. Ces travaux témoignent d’une tendance générale à l’appauvrissement et à la déculturation de l’art (d’où l’appellation Arte Povera). Il y a un récipient qui contient du charbon (Kounellis), un amas de tubes en Eternit (Boetti), une “tautologie” du sol (Fabro), deux cubes de terre (Pascali), une lecture de l’espace (Paolini) et le “périmètre d’air” d’un environnement délimité de façon visuelle et sonore(Prini). Tous exaltent le caractère empirique et non spéculatif du matériau utilisé et de l’espace donné, de telle sorte que l’attention de l’art puisse se déplacer vers le corporéité des événements et des éléments naturels et non artificiels ”.
Germano Celant, in Precronistoria, 1969.
… Arte Povera, c’est donc la tentative de légitimer un ordre vivant, instantané, déculturé, topologique contre un ordre culturel et artistique dominé par le culte de la pensée abstraite, l’enquête sur la matière (Tatline), et le fétichisme de l’objet. Et qui pose le non forçage de la pensée comme préalable à la fonction créatrice. On parlera de matérialisme sensoriel ou spirituel.
” L’art se pose ainsi comme une possibilité dans la matière (végétale, animale, minérale, et mentale) ; sa dimension, qui s’identifie avec la connaissance et la perception, devient un “vivre dans l’art”, une existence fantastique qui varie constamment suivant la réalité quotidienne, par opposition au “faire de l’art”, tel qu’il résulte des positions artistiques, des recherches visuelles au Pop Art, de l’art minimaliste au Funk Art. "
Germano Celant, Arte Povera.
… Ce n’est pas tant de faire un art hystérique que d’enlever le symptôme obsessionnel dans l’art en déplaçant le cadre sujet / objet traditionnel, et en faisant entrer le sujet créateur dans la fluidité de son environnement (tant naturel que culturel). Ce qui permet de percevoir une réalité universelle en dehors des structures rationnelles et conventionnelles. Prise dans ce sens, l’attitude pauvre a une valeur objective, car propre à la nature intrinsèque de l’être humain.
" Ce moment tend à la déculturation, à la régression, au primaire et au refoulé, à l’état pré-logique et pré-iconographique, au comportement élémentaire et spontané, tend aux éléments premiers de la nature (terre, mer, neige, minéraux, chaleur, animaux) et de la vie (corps, mémoire, pensée) et de la politique (cellule familiale, action spontanée, lutte de classes, violence, environnement). "
Germano Celant, Arte Povera (1969)
Arte Povera est peut-être la tentative la plus audacieuse pour résoudre les conflits intrinsèques de la création artistique. Et ceci sur un double niveau :
- En court-circuitant d'emblée la grande barre du signifié chez le sujet. Le parti pris dans Arte Povera est d'admettre que quelque chose ne fait pas dans le langage, ou même dans la chose mentale, dans la direction de l'art depuis la Renaissance. Le Réel, cette recherche incessante de l'artiste, n'est pas formulable et certainement pas représentable. D'où cette volonté de présenter des dispositifs où des états de tension sont présentés dans un cadre autant spatial que temporel ou le spectateur fait l'expérience de l'art.
- Ce faisant, il ordonne un nouvel ordre qui n'est pas lié au fétichisme de l'objet. Il est question d'être dans l'art. D'inverser totalement le dispositif de production en le rendant inadéquat à l'industrie culturelle, car fondamentalement insaisissable...
En tout état de cause, les productions Arte Povera proposent, chacune à leur manière, un espace de résistance à cet ordre imposé qui commence à être compris par un nombre grandissant de personnes. Elles préfigurent peut-être cette tendance de fond qui vise l'humanité à se réconcilier avec la simplicité, le non-élaboré, et à marier l'ordre culturel d'avec ce qui lui impose l'ordre naturel. Ce faisant :
" Il abolit son rôle d’artiste, d’intellectuel, de peintre ou de sculpteur, et il réapprend à percevoir, à ressentir, à respirer, à marcher, à entendre, à faire usage de son humanité. "
Germano Celant, Arte Povera (1969).
Sur le même site, on trouve des extraits du manifeste de Germano Celant.
Dans Les mouvements dans la peinture / Patricia Fride R. Carrassat, Isabelle Marcadé, voici une présentation du contexte du mouvement :
« … l'Arte Povera se situe en opposition à l'art scientifique, au cinétisme et à l’op art et à la société de consommation mise en images par le pop art. Il s'agit pour eux d'élever la pauvreté des matériaux, des moyens et des effets au rang d'art. Ils souhaitent rétablir un contact direct et sensible entre le spectateur et les matériaux naturels. Ils effectuent un retour aux « arts premiers » en privilégiant les techniques artisanales frustes (feu, coups de haches) et les matériaux bruts (chiffons, terre). « La réalité visuelle est vue telle qu'elle est, telle qu'elle se produit (…). L'accent est mis sur le fait brut et sur la présence physique d'un objet (…) » (Germano Celant). »,
et de ses caractéristiques :
« Jute de sac de pommes de terre et autres textiles, charbon, végétaux, verre, sable, pierre, terre et eau, laine non filée, tôles, bois équarri, graines, etc., autant de matériaux pauvres constituant les tableaux-reliefs et les sculptures, de toutes dimensions.
« Les conventions iconographiques sont supprimées ainsi que les langages symboliques et traditionnels » (Germano Celant).
Les matériaux sont soit accrochés ou encadrés au mur (tissu, plaque de tôle, pierre, natte de cheveux …) soit des sculptures posées à même le sol.
L'artiste respecte évidemment les teintes naturelles des matériaux utilisés. »
Autre vision de l’Arte Povera relevée dans Groupes, mouvements, tendances de l'art contemporain depuis 1945 / sous la direction de Mathilde Ferrer :
« En réaction contre un art assujetti à la technologie (
Le livre Le journal de l'art des années 1960 / Gérard Durozoi, éclaire également bien le mouvement :
« … ces artistes éprouvent tous le besoin de modifier l'art italien, accusé d'être soumis au marché américain ou bloqué dans les recherches abstraites...
L'art « pauvre » propose donc des « objets » inclassables, réalisés avec des matériaux variés et non hiérarchisés, naturels ou industriels (cristal, plomb, fruits, tissus, machine réfrigérante, fagots, néon, journaux, animaux vivants, vanneries, argile, cire, acier, gaz, etc.), mais dont l'élaboration plastique est modeste. Ces œuvres résultent de montages ou manipulations assez simples, et révèlent souvent leur processus d'élaboration : la Torsion d' Anselmo - un écheveau de laine tordu par une barre de fer bloquée contre le mur - évoque l'énergie physique qui l'a produite. Celant insiste, comme les artistes, sur la valeur de l'acte: il s'agit de montrer des actions et leurs résultats.
De la sorte, l'Arte povera entretient une relation immédiate avec le public, et il n'est pas surprenant qu'il soit lié à des conceptions théâtrales. Outre que l'adjectif « pauvre » renvoie d'abord aux principes de Grotowski et à sa façon d'être au plus près des spectateurs, les expositions se complètent fréquemment de musique ou de poésie. Kounellis a travaillé comme scénographe, Fabro organise lui-même des actions théâtrales, et en décembre I967, Pistoletto dirige à Turin son action « La fin de Pistoletto » : 25 personnes en carré, portant le masque de son visage, font vibrer des tôles réfléchissantes.
De tels spectacles sont conçus, comme les œuvres, pour insister sur des présences physiques, et « par rapport à la domination de l’art conceptuel, dans lequel le corps a disparu » (Penone) : il s'agit de remplacer la re-présentation (qui implique une répétition) par un face-à-face avec des choses en devenir. Lorsqu'en décembre, Anselmo, Boetti, Fabro, Pistoletto et Zorio interviennent dans trois galeries turinoises et dans les rues voisines, leur préfacière Daniela Palazzoli affirme que « le but de l'activité artistique [est] d'utiliser la connaissance [des] lois objectives pour une transformation active (ou en tout cas une activation dynamique) [du] monde objectif »...
Les artistes de l'Arte povera pourront ainsi collaborer avec toutes les tendances contestant l'assimilation de l'œuvre à une marchandise : le spectateur est convié à deviner et revivre l'activité qui a produit ce qu'il voit, puisque l'intérêt se déplace de la forme finale vers l'intervention qui l'a générée, même si, à moyen terme, le simple fait d'exposer « montre l'œuvre - sa forme - modifiée par le temps, en d'autres termes, le passage du temps sur la forme de l'œuvre » (Fabro).
Germano Celant, situant l'Arte povera par rapport au cinéma de Warhol et au théâtre où revivent geste et mimique, considère qu'il est temps d'en finir partout avec la « scolastique conceptuelle » et les « complications rhétoriques ».
« La réalité visuelle est donc vue telle qu'elle est : elle se réduit à ses accessoires et découvre ses artifices linguistiques. La « complication » visuelle, non directement liée à l'essence de l’objet, est rejetée ; le langage est désaliéné et réduit à un simple élément visuel, libéré de toute superstructure historique et symbolique.
Le caractère empirique et non spéculatif de la recherche est exalté ainsi que la donnée réelle, la présence physique d'un objet, le comportement d'un sujet […]. Enfin, la prise de pouvoir de la toile, de la couleur, de l'espace (qui est devenu l'espace du monde) réapparaissent comme les paradigmes primitifs, indispensables à toute opération visuelle. L'insignifiant visuel, le langage des éléments non symboliques attaque le spectateur, qu'il soit expert ou non, et se crée ainsi l’horreur pour la réalité culturelle.
[...]
Et voilà les « figures » : l'amas comme amas, la coupe comme coupe, le tas comme tas ; des équations mathématiques de réel = réel, action = action. Une gestuelle univoque qui entraîne « tous les processus possibles de formation et d'organisation », libérés de toute contingence historique ou mondaine. » Germano Celant.
Par sa position politique, l’Arte Povera naît en opposition à la plupart des formes d’art de son époque, des Abstractions au Minimalisme, du Pop Art à l’Art conceptuel. Voici ce qu’en dit Germano Celant :
« Le travail des artistes op, pop, minimalistes et funk est un travail artistique visant non pas à intervenir sur la réalité, mais à interpréter un discours sur les images qui tend à mettre en lumière et à critiquer les systèmes de communication {bande dessinée, photographie, mass media, objet-produit technologique. structure micro-perceptive, etc.). C'est un travail artistique en tant que critique des images populaires et optiques qui collabore à la compréhension du système social, mais qui fait obstacle à l'énergie de la vie, de la nature, du monde des choses, et qui prive de leur travail les organes des sens ; un travail artistique en tant qu'intervention à travers le filtre intellectualisé de la lecture critique et historique de l'image publicitaire, photographie, objectuelle, psychologiquement structurelle en perceptive, pour apprivoiser la vitalité du réel quotidien au-dedans de schémas préétablis ; un travail artistique qui évolue à l'intérieur des systèmes linguistiques pour demeurer un langage capable de vivre dans son isolement constant, un travail artistique en tant que cleptomanie culturelle, adoptant les charges subversives des autres langages (politique, sociologique, technologique) ; c'est enfin un travail artistique en tant que langage séparé, qui spécule sur les codes et les instruments de la communication, pour vivre dans une dimension exclusive et bien reconnaissable qui le rend classiciste et aristocratique, capable d'érafler la surface, mais non d'attaquer la structure naturelle du monde. »
De nos jours, il nous semble que la situation dénoncée par les tenants de l’Arte Povera est encore plus profondément installée dans le domaine de l’art contemporain, où s’opère un recyclage permanent d’images ou de narrations préexistantes dans des œuvres configurées pour la vente à haute valeur ajoutée. L’exemple du travail de Jeff Koons est à ce titre exemplaire. Après avoir présenté sous forme de sculpture des assemblages d’objets domestiques (aspirateurs, grille-pains, etc.), il s’empare d’objets de la culture vernaculaire (personnages de bandes dessinées, de films, vedettes du showbiz, statues kitsch, objets de plage, etc.) pour les faire reproduire par des processus technologiques élaborés, de façon à ce qu’ils acquièrent rareté et prix.
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