Médiathèques et FN
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 05/05/2017 à 13h58
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Question d'origine :
Quid du devenir des médiathèques, notamment dans le choix des documents, en cas d'accession du FN à la tête de l'Etat ?
Y-a-t-il eu des précédents illustrant mes craintes dans les bibliothèques des communes gérées par le FN ?
Vive la culture !
Réponse attendue le 10/05/2017 - 15:58.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 09/05/2017 à 15h27
Bonjour,
Dans les années 1990, plusieurs municipalités gérées par des représentants du Front National on suscité la polémique à cause (notamment) de l’ingérence politique des élus dans le fonctionnement des bibliothèques municipales : Orange, Marignane, Toulon et Vitrolles.
« A Orange, Marignane, Vitrolles et Toulon, le rapport à la culture a été un point de friction. Un premier rapport de l’Inspection générale des bibliothèques, en 1996, est consacré à la mairie d’Orange, conquise par Jacques Bompard. Ce document de treize pages s’achève sur ce que le contrôleur de l’Etat qualifie de «constats négatifs en ce qui concerne le rôle du personnel professionnel et le critère de choix des ouvrages». Le 11 juillet 1996, Libération publie des extraits de ce rapport. On y lit ainsi que les listes d’acquisition des livres pour adultes et jeunes sont soumises à l'adjoint délégué à la culture à la mairie d’Orange, lequel repousse certaines propositions d’achat. Le motif du refus apparaît sur les listes consultées par les auteurs du rapport : cela peut être lié au thème – le rap, le racisme... –, à la vision politique de l’auteur (les romans policiers de Didier Daeninckx), au «mondialisme» (des contes régionaux de tous les pays font l’objet d’un refus motivé par écrit) ou encore au respect des bonnes mœurs. Ainsi, lit-on, «"la Jeune Amante" de Janine Montupet est interdit à cause de son titre».
Mais si Orange fut l'exemple le plus frappant de cette censure, la ville n’est pas le cas isolé que décrit Le Pen... Dans le même numéro de Libération de juillet 1996, le journaliste Renaud Dély évoque également le cas de Toulon, tombé dans les mains du frontiste Jean-Marie Le Chevallier en 1995. Si la censure n'y sévit pas comme à Orange, le journaliste raconte tout de même que l’adjoint frontiste à la culture impose par exemple un ouvrage d’Alexis Carrel, l’Homme, cet inconnu (le prix Nobel de médecine, vichyste, y théorise l’eugénisme et recommande l’élimination de certains délinquants et malades mentaux). L’article se conclut par un satisfecit donné − pour l’heure − à la ville de Marignane, gagnée en 1995 par Daniel Simonpieri. «A Marignane, Robert Egéa, adjoint FN chargé de la culture et des affaires scolaires, contrôle lui aussi les acquisitions de la bibliothèque. Mais aucun cas de censure n’est à signaler.» Un bon point qui n'est que temporaire.
Car, un un an plus tard, la ville de Marignane a droit elle aussi à son rapport de l’Inspection générale des bibliothèques (dont on peut lire les principales conclusions ici). Parmi les critiques émises : la suppression des abonnements à Libération, la Marseillaise ou l’Evènement du jeudi, remplacés par trois parutions d’extrême droite (dont Minute et Rivarol). Concernant les livres, le rapport constate des refus par l’équipe municipale de signer des bons de commande proposés par la bibliothèque, ainsi qu’à l’inverse la rédaction de bons de commande par la mairie, sans consultation. Le rapport note l’arrivée d’ouvrages exprimant les positions de la droite nationale. Ces acquisitions et refus d’acquisitions sont justifiés par l'équipe municipale au nom du pluralisme, du «rétablissement» d’un «équilibre». Le rapport estime à l'inverse «qu’ils constituaient des entorses au pluralisme, et la rupture d’un équilibre» en concourant «au déséquilibre des fonds au profit de l’extrême droite : l’acquisition de ces publications militantes s’étant accompagnée de l’exclusion de publications relevant des autres familles politiques». Autre point soulevé par le rapport : «Il convient d’ajouter que certaines des publications acquises par la municipalité, même si elles ne sont pas interdites par la loi, posent des interrogations dans la mesure où elles expriment plus ou moins ouvertement racisme, antisémitisme et négationnisme».
Quant à Vitrolles, dernière ville à tomber dans l'escarcelle du FN, en 1997, la mairie y constituera un comité de lecture chargé de choisir les documents de la bibliothèque, court-circuitant les bibliothécaires, et écartera les membres du personnel refusant de suivre la ligne municipale.
Source : Les mairies FN et les livres : la mémoire à trous de Marine Le Pen, liberation.fr
« Au milieu des années 1990, des membres du Front national avaient été élus à la tête de quatre villes du sud de la France, et très vite ils s’étaient intéressés au fonctionnement des institutions culturelles. Dans un article de Catherine Bédarida paru dans Le Monde du 18 octobre 1997, l’un d’eux, Jacques Bompard, affirmait en substance : « Il est temps de donner un bon coup de balai aussi bien dans les bibliothèques que dans les différents rouages du pouvoir ». De fait, il devint vite évident que le Front national entendait utiliser les bibliothèques pour étouffer les voix de ses opposants et diffuser son propre message politique et culturel. Largement dénoncée par la presse, cette situation fut portée à la connaissance de l’opinion publique internationale, tandis que les bibliothèques elles-mêmes devenaient le terrain symbolique où s’engageait la défense des principes démocratiques. En défendant le libre accès à l’information, les bibliothécaires se retrouvèrent toutefois aux prises avec le dilemme que posent le traitement à accorder aux écrits extrémistes, d’une part, et le développement de collections pluralistes d’autre part. »
Source : Aux armes citoyens !, Kibbee, Jo. Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2004, n° 6, p. 10-19.
« «L'idéologie nationaliste est sous-représentée»
Les conclusions du doyen Pallier sont édifiantes. Sur l'Espace Clodius, le rapport reste dans l'expectative: «Si la médiathèque a pris forme comme contenant, le contenu reste à définir.» En revanche, il est plus alarmiste à propos de la bibliothèque, aboutissant à «des constats négatifs en ce qui concerne le rôle du personnel professionnel et les critères de choix des ouvrages». En clair, la municipalité veut contrôler ce qui tombe sous les yeux des Orangeois et affirmer son emprise sur la bibliothèque.
Le premier moyen employé est le don de livres. «Un ouvrage à compte d'auteur (Le Cerisier du Hoggar, de Jean-Luc Sirviey) a fait l'objet d'un bon pour accord de commande par M. Lagier, en août 1995, puis d'un don en décembre 1995», établit le rapport. L'auteur de ce livre - que Gilbert Lagier nomme en un cocasse lapsus Le Cerisier du haut Gard - s'appelle de son vrai nom Louis Castay: il fut tête de liste FN aux dernières municipales à Vaucresson (Hauts-de-Seine) et, surtout, suppléant, en 1993, de Sophie Brissaud, candidate dans la 8e circonscription des Hauts-de-Seine et directrice de la communication de Jean-Marie Le Pen.
«Neuf publications de Max-Rodolphe François, dont quelques-unes en plusieurs exemplaires, ont été remises à la bibliothèque en janvier 1996 par le service communication dirigé par M. Beck, ajoute le rapport. (...) Mme Canazzi a reçu consigne d'accepter ces ouvrages. (...) Des principes généraux ont été exprimés par M. Beck à cette occasion: le bibliothécaire ne doit pas exercer une censure; la bibliothèque, où l'idéologie nationaliste est sous-représentée, doit pouvoir offrir un éventail étendu des opinions politiques; l'opinion du bibliothécaire ne peut pas être celle d'un lecteur de maison d'édition édictant le publiable et l'impubliable.»
[…]
La censure est une autre arme de la municipalité d'Orange. L'achat des suppléments littéraires de Libération et du Monde avait été supprimé dès 1995, Alerte Orange, un collectif de «vigilance républicaine», décidant alors d'y abonner à ses frais la bibliothèque. Le rapport Pallier pointe d'autres dérives: «Les listes d'acquisitions (...) sont actuellement soumises à M. Lagier, qui repousse certaines propositions d'achat. (...) Quatre critères de refus apparaissent. La spécialisation de l'ouvrage: Le Métier de bibliothécaire, deux ouvrages généraux consacrés l'un à la philosophie, l'autre à la pédagogie. Le thème traité: le racisme, le rap (...). La vision politique de l'auteur: romans policiers de Didier Daeninckx (...), mais aussi Montaigne à cheval, de Jean Lacouture [NDLR: M. Beck a finalement avalisé cet achat] (...). L'aspect ??mondialiste'': Contes régionaux de tous les pays (...), Contes maghrébins. Un autre critère a été cité par M. Bompard. Il s'agit du respect des bonnes moeurs, qui explique la suppression de quelques titres de roman.»
Le rapport conclut ainsi à trois dérives: «Des collections qui ne répondraient qu'à la fonction de distraction (...). Une interprétation du pluralisme qui postulerait un rééquilibrage systématique de thèmes et d'auteurs jugés de gauche - concept passablement étendu à Orange - par des thèmes et des auteurs de droite (...). Un principe d'ethnocentrisme.»
Source : Orange: le rapport qui dénonce la censure FN, Christophe Barbier et Romain Rosso, L’Express, 11/07/1996
« Pendant un an, on a pu travailler normalement, affirme une employée de la bibliothèque Jean d'Ormesson de Marignane. Les élus laissaient la directrice et les bibliothécaires agir comme avant, sans ingérence. Et puis, en juillet dernier, tout a changé. Au moment où l'affaire de la bibliothèque d'Orange a éclaté, les commandes ont commencé à être épluchées par la municipalité. Le premier adjoint a supprimé les abonnements à Libération, à l'Evénement du Jeudi et à la Marseillaise (le quotidien local communiste ndlr)... Depuis, ça empire. Au prétexte d'économie, plusieurs commandes ont été refusées, pendant que d'autres livres, commandés directement par les élus, sont arrivés sur les rayons».
Source : La mairie Front national de Marignane prend les commandes à la bibliothèque, Hervé Vaudoit, Libération, 5 février 1997
En janvier 2015, Médiapart dénonce des pratiques de la part de David Rachline, le maire de Fréjus, qui rappellent de manière inquiétantes ces anciennes polémiques : l’annulation de l’abonnement de la bibliothèque municipale aux journaux Libération et Le Figaro.
(Source : Médiathèque de Fréjus : le FN coupe les abonnements à Libé et au Figaro, leparisien.fr)
Pour mieux armer les professionnels des bibliothèques contre ces pratiques, le conseil national de l’Association des Bibliothécaires de France a adopté en mars 2003 le code de déontologie du bibliothécaire qui, adressé à tous les professionnels des bibliothèques, énonce notamment la nécessité de pluralisme des collections et d’indépendance de la politique d’acquisition.
Notons également que le Manifeste de l'UNESCO sur la bibliothèque publique précise que « les collections et les services doivent être exempts de toute forme de censure, idéologique, politique ou religieuse, ou de pressions commerciales. »
Pour aller plus loin :
- Chronique d’une censure ordinaire..., Michel Melot, Bibliothèque(s)- Revue de l’Association des Bibliothécaires de France n° 41/42 - décembre 2008 (p. 26-27)
- Enquête dans les municipalités FN : la culture, oui… mais identitaire, marianne.net
- Bibliothèques sous influence, Un film d'Eric Pittard
Bonne journée.
Dans les années 1990, plusieurs municipalités gérées par des représentants du Front National on suscité la polémique à cause (notamment) de l’ingérence politique des élus dans le fonctionnement des bibliothèques municipales : Orange, Marignane, Toulon et Vitrolles.
« A Orange, Marignane, Vitrolles et Toulon, le rapport à la culture a été un point de friction. Un premier rapport de l’Inspection générale des bibliothèques, en 1996, est consacré à la mairie d’Orange, conquise par Jacques Bompard. Ce document de treize pages s’achève sur ce que le contrôleur de l’Etat qualifie de «constats négatifs en ce qui concerne le rôle du personnel professionnel et le critère de choix des ouvrages». Le 11 juillet 1996, Libération publie des extraits de ce rapport. On y lit ainsi que les listes d’acquisition des livres pour adultes et jeunes sont soumises à l'adjoint délégué à la culture à la mairie d’Orange, lequel repousse certaines propositions d’achat. Le motif du refus apparaît sur les listes consultées par les auteurs du rapport : cela peut être lié au thème – le rap, le racisme... –, à la vision politique de l’auteur (les romans policiers de Didier Daeninckx), au «mondialisme» (des contes régionaux de tous les pays font l’objet d’un refus motivé par écrit) ou encore au respect des bonnes mœurs. Ainsi, lit-on, «"la Jeune Amante" de Janine Montupet est interdit à cause de son titre».
Mais si Orange fut l'exemple le plus frappant de cette censure, la ville n’est pas le cas isolé que décrit Le Pen... Dans le même numéro de Libération de juillet 1996, le journaliste Renaud Dély évoque également le cas de Toulon, tombé dans les mains du frontiste Jean-Marie Le Chevallier en 1995. Si la censure n'y sévit pas comme à Orange, le journaliste raconte tout de même que l’adjoint frontiste à la culture impose par exemple un ouvrage d’Alexis Carrel, l’Homme, cet inconnu (le prix Nobel de médecine, vichyste, y théorise l’eugénisme et recommande l’élimination de certains délinquants et malades mentaux). L’article se conclut par un satisfecit donné − pour l’heure − à la ville de Marignane, gagnée en 1995 par Daniel Simonpieri. «A Marignane, Robert Egéa, adjoint FN chargé de la culture et des affaires scolaires, contrôle lui aussi les acquisitions de la bibliothèque. Mais aucun cas de censure n’est à signaler.» Un bon point qui n'est que temporaire.
Car, un un an plus tard, la ville de Marignane a droit elle aussi à son rapport de l’Inspection générale des bibliothèques (dont on peut lire les principales conclusions ici). Parmi les critiques émises : la suppression des abonnements à Libération, la Marseillaise ou l’Evènement du jeudi, remplacés par trois parutions d’extrême droite (dont Minute et Rivarol). Concernant les livres, le rapport constate des refus par l’équipe municipale de signer des bons de commande proposés par la bibliothèque, ainsi qu’à l’inverse la rédaction de bons de commande par la mairie, sans consultation. Le rapport note l’arrivée d’ouvrages exprimant les positions de la droite nationale. Ces acquisitions et refus d’acquisitions sont justifiés par l'équipe municipale au nom du pluralisme, du «rétablissement» d’un «équilibre». Le rapport estime à l'inverse «qu’ils constituaient des entorses au pluralisme, et la rupture d’un équilibre» en concourant «au déséquilibre des fonds au profit de l’extrême droite : l’acquisition de ces publications militantes s’étant accompagnée de l’exclusion de publications relevant des autres familles politiques». Autre point soulevé par le rapport : «Il convient d’ajouter que certaines des publications acquises par la municipalité, même si elles ne sont pas interdites par la loi, posent des interrogations dans la mesure où elles expriment plus ou moins ouvertement racisme, antisémitisme et négationnisme».
Quant à Vitrolles, dernière ville à tomber dans l'escarcelle du FN, en 1997, la mairie y constituera un comité de lecture chargé de choisir les documents de la bibliothèque, court-circuitant les bibliothécaires, et écartera les membres du personnel refusant de suivre la ligne municipale.
Source : Les mairies FN et les livres : la mémoire à trous de Marine Le Pen, liberation.fr
« Au milieu des années 1990, des membres du Front national avaient été élus à la tête de quatre villes du sud de la France, et très vite ils s’étaient intéressés au fonctionnement des institutions culturelles. Dans un article de Catherine Bédarida paru dans Le Monde du 18 octobre 1997, l’un d’eux, Jacques Bompard, affirmait en substance : « Il est temps de donner un bon coup de balai aussi bien dans les bibliothèques que dans les différents rouages du pouvoir ». De fait, il devint vite évident que le Front national entendait utiliser les bibliothèques pour étouffer les voix de ses opposants et diffuser son propre message politique et culturel. Largement dénoncée par la presse, cette situation fut portée à la connaissance de l’opinion publique internationale, tandis que les bibliothèques elles-mêmes devenaient le terrain symbolique où s’engageait la défense des principes démocratiques. En défendant le libre accès à l’information, les bibliothécaires se retrouvèrent toutefois aux prises avec le dilemme que posent le traitement à accorder aux écrits extrémistes, d’une part, et le développement de collections pluralistes d’autre part. »
Source : Aux armes citoyens !, Kibbee, Jo. Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2004, n° 6, p. 10-19.
« «L'idéologie nationaliste est sous-représentée»
Les conclusions du doyen Pallier sont édifiantes. Sur l'Espace Clodius, le rapport reste dans l'expectative: «Si la médiathèque a pris forme comme contenant, le contenu reste à définir.» En revanche, il est plus alarmiste à propos de la bibliothèque, aboutissant à «des constats négatifs en ce qui concerne le rôle du personnel professionnel et les critères de choix des ouvrages». En clair, la municipalité veut contrôler ce qui tombe sous les yeux des Orangeois et affirmer son emprise sur la bibliothèque.
Le premier moyen employé est le don de livres. «Un ouvrage à compte d'auteur (Le Cerisier du Hoggar, de Jean-Luc Sirviey) a fait l'objet d'un bon pour accord de commande par M. Lagier, en août 1995, puis d'un don en décembre 1995», établit le rapport. L'auteur de ce livre - que Gilbert Lagier nomme en un cocasse lapsus Le Cerisier du haut Gard - s'appelle de son vrai nom Louis Castay: il fut tête de liste FN aux dernières municipales à Vaucresson (Hauts-de-Seine) et, surtout, suppléant, en 1993, de Sophie Brissaud, candidate dans la 8e circonscription des Hauts-de-Seine et directrice de la communication de Jean-Marie Le Pen.
«Neuf publications de Max-Rodolphe François, dont quelques-unes en plusieurs exemplaires, ont été remises à la bibliothèque en janvier 1996 par le service communication dirigé par M. Beck, ajoute le rapport. (...) Mme Canazzi a reçu consigne d'accepter ces ouvrages. (...) Des principes généraux ont été exprimés par M. Beck à cette occasion: le bibliothécaire ne doit pas exercer une censure; la bibliothèque, où l'idéologie nationaliste est sous-représentée, doit pouvoir offrir un éventail étendu des opinions politiques; l'opinion du bibliothécaire ne peut pas être celle d'un lecteur de maison d'édition édictant le publiable et l'impubliable.»
[…]
La censure est une autre arme de la municipalité d'Orange. L'achat des suppléments littéraires de Libération et du Monde avait été supprimé dès 1995, Alerte Orange, un collectif de «vigilance républicaine», décidant alors d'y abonner à ses frais la bibliothèque. Le rapport Pallier pointe d'autres dérives: «Les listes d'acquisitions (...) sont actuellement soumises à M. Lagier, qui repousse certaines propositions d'achat. (...) Quatre critères de refus apparaissent. La spécialisation de l'ouvrage: Le Métier de bibliothécaire, deux ouvrages généraux consacrés l'un à la philosophie, l'autre à la pédagogie. Le thème traité: le racisme, le rap (...). La vision politique de l'auteur: romans policiers de Didier Daeninckx (...), mais aussi Montaigne à cheval, de Jean Lacouture [NDLR: M. Beck a finalement avalisé cet achat] (...). L'aspect ??mondialiste'': Contes régionaux de tous les pays (...), Contes maghrébins. Un autre critère a été cité par M. Bompard. Il s'agit du respect des bonnes moeurs, qui explique la suppression de quelques titres de roman.»
Le rapport conclut ainsi à trois dérives: «Des collections qui ne répondraient qu'à la fonction de distraction (...). Une interprétation du pluralisme qui postulerait un rééquilibrage systématique de thèmes et d'auteurs jugés de gauche - concept passablement étendu à Orange - par des thèmes et des auteurs de droite (...). Un principe d'ethnocentrisme.»
Source : Orange: le rapport qui dénonce la censure FN, Christophe Barbier et Romain Rosso, L’Express, 11/07/1996
« Pendant un an, on a pu travailler normalement, affirme une employée de la bibliothèque Jean d'Ormesson de Marignane. Les élus laissaient la directrice et les bibliothécaires agir comme avant, sans ingérence. Et puis, en juillet dernier, tout a changé. Au moment où l'affaire de la bibliothèque d'Orange a éclaté, les commandes ont commencé à être épluchées par la municipalité. Le premier adjoint a supprimé les abonnements à Libération, à l'Evénement du Jeudi et à la Marseillaise (le quotidien local communiste ndlr)... Depuis, ça empire. Au prétexte d'économie, plusieurs commandes ont été refusées, pendant que d'autres livres, commandés directement par les élus, sont arrivés sur les rayons».
Source : La mairie Front national de Marignane prend les commandes à la bibliothèque, Hervé Vaudoit, Libération, 5 février 1997
En janvier 2015, Médiapart dénonce des pratiques de la part de David Rachline, le maire de Fréjus, qui rappellent de manière inquiétantes ces anciennes polémiques : l’annulation de l’abonnement de la bibliothèque municipale aux journaux Libération et Le Figaro.
(Source : Médiathèque de Fréjus : le FN coupe les abonnements à Libé et au Figaro, leparisien.fr)
Pour mieux armer les professionnels des bibliothèques contre ces pratiques, le conseil national de l’Association des Bibliothécaires de France a adopté en mars 2003 le code de déontologie du bibliothécaire qui, adressé à tous les professionnels des bibliothèques, énonce notamment la nécessité de pluralisme des collections et d’indépendance de la politique d’acquisition.
Notons également que le Manifeste de l'UNESCO sur la bibliothèque publique précise que « les collections et les services doivent être exempts de toute forme de censure, idéologique, politique ou religieuse, ou de pressions commerciales. »
- Chronique d’une censure ordinaire..., Michel Melot, Bibliothèque(s)- Revue de l’Association des Bibliothécaires de France n° 41/42 - décembre 2008 (p. 26-27)
- Enquête dans les municipalités FN : la culture, oui… mais identitaire, marianne.net
- Bibliothèques sous influence, Un film d'Eric Pittard
Bonne journée.
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